CA Aix-en-Provence, ch. 3 et 1, 10 février 2022, n° 21/07141
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
BC Trading (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
Mme Berquet, Mme Combrie
EXPOSE DU LITIGE
La société BC Trading a conclu le 04 mai 2018 avec la Compagnie Générale de Location d'Equipement un contrat de location avec option d'achat pour un bateau dénommé « Cesar 3 ».
Le bateau a été confié à Monsieur Christophe J. pour réparation et celui-ci a lui-même fait appel à Monsieur Philippe C., exerçant sous l'enseigne Technical Yachting, compte-tenu de la technicité de l'intervention.
Monsieur Philippe C. a émis une facture d'un montant de 46.438,53 euros pour les réparations effectuées dans le courant de l'été 2019. La société BC Trading a refusé de s'acquitter de cette facture.
Par ailleurs, des travaux d'hivernage du bateau ont été confiés aux sociétés Etablissement Pascal V. et V. Ship.
Ces deux sociétés ainsi que Monsieur Philippe C., invoquant le non-paiement de leurs factures, ont saisi le président du tribunal de commerce de Fréjus d'une requête en saisie-conservatoire du bateau, à laquelle le président a fait droit, par ordonnance sur requête du 8 octobre 2019, et un procès-verbal de saisie a été dressé le 9 octobre 2019.
Le 5 décembre 2019 la société BC Trading a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Fréjus afin de voir constater la caducité de l'ordonnance rendue le 8 octobre 2019 au visa de l'article R.511-7 du code des procédures civiles d'exécution en faisant valoir l'absence d'action au fond diligentée dans le mois suivant la saisie-conservatoire par les créanciers, et afin d'obtenir la mainlevée de la mesure.
Par ordonnance en date du 7 décembre 2020 le juge des référés du tribunal de commerce de Fréjus a :
-confirmé la mesure de saisie-conservatoire prise par le président du tribunal de commerce de céans le 8 octobre 2019,
-condamné la société BC Trading à payer la somme de 1.200 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à répartir entre Monsieur Philippe C., la SAS Etablissement Pascal V. et la SNC V. Ship,
-condamné la société BC Trading aux entiers dépens de l'instance
Par déclaration en date du 11 mai 2021 la société BC Trading a interjeté appel de la décision.
Par conclusions enregistrées le 3 septembre 2021, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société BC Trading fait valoir que l'ordonnance rendue le 8 octobre 2019 est caduque puisqu’aucun des créanciers n'a saisi le juge du fond dans le mois de la saisie-conservatoire pratiquée le 9 octobre 2019.
Par ailleurs, la société BC Trading soutient que les conditions d'une mesure conservatoire ne sont pas réunies dès lors que Monsieur Philippe C. n'est pas créancier puisqu'il a effectué les travaux de réparation sans son autorisation et sans démontrer la réalité de l'exécution des travaux. Elle précise que les sociétés V. ont, quant à elles, été réglées entre-temps. La société BC Trading ajoute qu'il n'existe pas davantage de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance.
A titre reconventionnel, la société BC Trading invoque le préjudice subi du fait du maintien abusif de la saisie du fait de l'impossibilité de louer le bateau du 9 octobre au 9 novembre 2019, à raison d'un prix de location de 3.600 euros par jour.
Ainsi, la société BC Trading demande à la cour de réformer l'ordonnance du 7 décembre 2020 et d'ordonner la mainlevée de la mesure conservatoire concernant le navire Cesar 3 pratiquée le 9 octobre 2019.
En tout état de cause, la société BC Trading demande la rétractation de l'ordonnance rendue le 8 octobre 2019 et la condamnation de Monsieur Philippe C. à lui payer les sommes suivantes :
-108.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier,
-3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens, dont distraction
En réponse, par conclusions enregistrées le 30 novembre 2021, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Monsieur Philippe C. expose que le choix a été fait de ne pas poursuivre le débiteur au fond en l'état des pourparlers engagés.
Monsieur Philippe C. fait valoir que les conclusions n°2 de la société BC Trading sont irrecevables au visa de l'article 954 du code de procédure civile dès lors que les moyens nouveaux ne sont pas distincts.
Monsieur Philippe C. fait valoir sur le fond que la société BC Trading ne pouvait obtenir que la rétractation de l'ordonnance et non sa mainlevée comme elle l'a sollicitée par assignation, et qu'en outre, seul le juge des requêtes ayant rendu la première ordonnance était compétent et non le juge des référés.
Monsieur Philippe C. soutient par ailleurs que la procédure en rétractation n'avait que pour objet de provoquer un débat contradictoire et ne pouvait porter sur une demande de mainlevée.
S'agissant de la créance, il fait valoir qu'il est intervenu sur le bateau avec l'accord de la société BC Trading et que les travaux ont été effectués.
Enfin, Monsieur Philippe C. souligne que le juge des référés n'a pas compétence pour statuer sur une demande de dommages et intérêts, laquelle en outre n'est pas fondée.
Monsieur Philippe C. demande à la cour de :
-débouter la société BC Trading de l'ensemble de ses demandes,
-déclarer irrecevables les conclusions n°2 de la société BC Trading,
-confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
-condamner la société BC Trading à payer la somme de 6.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens
La société Etablissement Pascal V. et la société V. Ship, assignées par actes du 27 août 2021, n'ont pas constitué avocat.
Le président a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 6 décembre 2021 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 3 janvier 2022.
L'affaire a été retenue à cette date et mise en délibéré au 10 février 2022.
MOTIFS
Sur la recevabilité des conclusions n°2 en date du 3 septembre 2021 de la société BC Trading :
Il résulte de l'article 954 du code de procédure civile que si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distinctes.
Lorsque un conseiller de la mise en état a été désigné, celui-ci peut enjoindre aux avocats de mettre leurs conclusions en conformité avec les dispositions de l'article 954 du code de procédure civile.
En matière de procédure à bref délai visée par l'article 905 du code de procédure civile, la désignation d'un conseiller de la mise en état n'est pas prévue.
Pour autant en l'espèce, la nature du litige n'impose pas de renvoyer l'affaire pour mise en conformité des dernières conclusions prises par la société BC Trading, étant relevé que la sanction de l'irrecevabilité n'est pas prévue par le texte susvisé.
Sur la mesure de saisie-conservatoire du bateau Cesar 3 :
Il résulte des articles L.511-4 et R.511-7 code des procédures civiles d'exécution que, si ce n'est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire.
Par ailleurs, en application de l'article R.512-1 du même code, le juge peut ordonner la mainlevée de la mesure à tout moment si les conditions prévues aux articles R.511-1 à R.511-8 ne sont pas réunies. Il incombe alors au créancier de prouver que les conditions requises sont réunies.
S'agissant des créances commerciales la compétence du tribunal de commerce est expressément prévue aux articles L.511-3 et R.512-2 du code des procédures civiles d'exécution.
En l'espèce, Monsieur Philippe C. ne conteste pas ne pas avoir introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire dans le mois qui a suivi l'exécution de la mesure conservatoire pratiquée le 9 octobre 2019, invoquant des pourparlers engagés.
Il en résulte que la mesure de saisie-conservatoire est devenue caduque, sans qu'il y ait lieu d'apprécier le bien-fondé ou non des créances invoquées, cette appréciation relevant du juge du fond le cas échéant.
Enfin, en l'état de la procédure spécifique de mainlevée instaurée par l'article R.512-1 du code des procédures civiles d'exécution, la procédure de rétractation n'est pas applicable au cas d'espèce.
En conséquence, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a mis les dépens à la charge de la société BC Trading.
Sur les dommages et intérêts sollicités par la société BC Trading :
Il résulte des articles 484 et suivants du code de procédure civile que le juge des référés n'a pas compétence pour prononcer des condamnations à des dommages et intérêts.
Pour autant, il a également été jugé qu'il appartient à toutes les juridictions, y compris celle des référés, de statuer sur le dommage causé par le comportement abusif de l'une des parties dans le développement procédural dont elle a eu à connaître.
En l'espèce, la société BC Trading se prévaut d'un préjudice lié à l'absence de location du bateau du 9 octobre 2019 au 9 novembre 2019, soit pendant le mois de son immobilisation, à raison de 3.600 euros par jour soit 108.000 euros, et invoque le préjudice subi du fait du maintien de la saisie conservatoire mise en œuvre par une ordonnance caduque.
Il y a lieu de juger à cet égard, sauf les dispositions de l'article L.512-2 du code des procédures civiles d'exécution autorisant la condamnation du créancier à réparer le préjudice causé par une mesure conservatoire dont la mainlevée a été ordonnée, que la société BC Trading n'établit pas le caractère abusif de la procédure initiée à son encontre.
En effet, d'une part, elle reconnaît elle-même que des sommes ont été réglées a posteriori aux sociétés V., attestant du caractère fondé de la saisie-conservatoire, a minima à l'égard de ces créanciers.
D'autre part, en limitant ses demandes indemnitaires à la période initiale du 9 octobre 2019, date de la saisie, au 9 novembre 2019, date de caducité de la mesure, elle n'a manifestement subi aucun préjudice du fait du maintien de la saisie conservatoire et de l'éventuel caractère abusif de l'attitude de Monsieur Philippe C. qui n'aurait pas sollicité lui-même la mainlevée de la saisie.
La demande de dommages et intérêts formée par la société BC Trading doit donc être rejetée sur ce fondement.
Sur les frais et dépens :
Monsieur Philippe C. sera tenu aux dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En revanche, chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, tant de première instance que d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette l'exception d'irrecevabilité des conclusions n°2 prises par la société BC Trading,
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 7 décembre 2020 par le juge des référés du tribunal de commerce de Fréjus, sauf en ce qu'elle a mis les dépens à la charge de la société BC Trading,
Statuant à nouveau,
Constate que la saisie-conservatoire pratiquée le 9 octobre 2019 sur le bateau « Cesar 3 » par Monsieur Philippe C. et les sociétés Etablissement Pascal V. et V. Ship est caduque depuis le 9 novembre 2019,
Ordonne au besoin la mainlevée de la saisie pratiquée,
Condamne Monsieur Philippe C. aux dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, tant de première instance que d'appel.