CA Paris, Pôle 1 ch. 5, 9 décembre 2020, n° 20/13773
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Reti Televisive Italiane Spa (Sté)
Défendeur :
Dailymotion (SA), Institut National de la Propriété Industrielle, HSBC France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Paulmier-Cayol
Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire prononcé le 12 avril 2019 par le tribunal civil de Rome dans le litige opposant la société de droit italien Reti Televisive Italiane (RETI) à la société de droit français Dailymotion ayant pour l'essentiel selon les termes de son dispositif condamné cette dernière à :
-retirer (et désactiver) l'accès de la plateforme «'Dailymotion'» et de ses sous-domaines ou dérivations tous contenus audiovisuels reproduisant les extraits des programmes RTI, tels qu'identifiés par la société Dailymotion et par l'expert judiciaire pendant l'instance,
-faire cesser toute atteinte, perpétrée sous quelque forme que ce soit, par tous moyens, portant sur les contenus audiovisuels extraits des programmes RTI identifiés par l'expertise judiciaire, en lui interdisant toute utilisation et exploitation commerciale,
-fixé à 5.000 € dus par la société Dailymotion toute atteinte ou manquement constatés ultérieurement,
-indemniser la société RETI à hauteur de 5.521.420 €, sauf à parfaire et portant intérêts,
-rembourser à la société RETI les frais d'avocats à hauteur de 95.500 € plus les frais afférents ainsi que les frais d'expertise ;
vu l'appel interjeté à l'encontre de cette décision par la société Dailymotion devant la cour d'appel de Rome ;
vu l'ordonnance rendue sur requête le 23 janvier 2020 par le juge de l'exécution près du tribunal judiciaire de Paris, ayant autorisé la société RETI à pratiquer une saisie à tiers détenteurs sur les marques dont elle donnait les éléments d'identification, propriété de la société Dailymotion et à pratiquer une saisie à tiers détenteur des sommes d'argent dont la société Dailymotion est titulaire dans les comptes ouverts dans trois établissements bancaires dont elle donnait les références précises, et ce pour sûreté et conservation et paiement des créances que la société RETI détient à l'encontre de la société Dailymotion au titre de la condamnation par le jugement du tribunal civil de Rome du 12 juillet 2019 au paiement de la somme de 5.616.920 € et de la liquidation de l'astreinte prononcée par ce même tribunal évaluée provisoirement à 10.000 € ;
vu le jugement rendu le 17 septembre 2020 par le juge de l'exécution par lequel il a rétracté l'ordonnance du 23 janvier 2020 et donné mainlevée de l'ensemble des mesures conservatoires pratiquées le 30 janvier 2020 sur le fondement de cette ordonnance et condamné la société RETI à verser à la société Dailymotion la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts ;
vu l'appel interjeté par la société RETI le 18 septembre 2020 à l'encontre du jugement du juge de l'exécution du 17 septembre 2020 ;
vu l'assignation délivrée le 18 septembre 2020 par la société RETI citant la société Dailymotion à comparaître à l'audience du 10 novembre 2020, devant le premier président de la cour d'appel de Paris aux fins de voir sur le fondement de l'article R.121-22 du code des procédures civiles d'exécution, ordonner le sursis à exécution du jugement du juge de l'exécution du 17 septembre 2020 dans l'attente de l'arrêt d'appel à intervenir, formant en outre une demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 10.000 € et aux dépens de l'instance ;
vu les conclusions prises par la société RETI et remises à l'audience du 10 novembre 2020 et soutenues à cette audience réitérant et développant ses demandes ;
vu les conclusions de la société Dailymotion remises lors de l'audience des débats et soutenues oralement tendant à titre principal, à voir déclarer la société RETI irrecevable en sa demande de sursis à exécution et à titre subsidiaire, à voir juger que l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation du jugement n'est pas démontrée, dire n'y avoir lieu à référé sur la demande de la société RETI en sursis à exécution du jugement du 17 septembre 2020, et en tout état de cause, à voir condamner la société RETI à lui payer la somme de 76.516,46 € et au débouté de la société RETI de l'intégralité de ses demandes et à sa condamnation au paiement de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
L'Institut National de la Propriété Industrielle et la banque HSBC auxquelles a été dénoncée la procédure n'ont pas comparu à l'audience et ne se sont pas faites représenter.
MOTIFS :
La société RETI affirme être recevable en ses demandes, dénonçant comme non pertinente la distinction opérée par la société Dailymotion entre les mesures conservatoires faisant l'objet d'une autorisation préalable du juge de l'exécution via une ordonnance rendue par ce dernier et celles réalisées directement par le créancier lorsque cette faculté lui est offerte par la loi, pour écarter l'application de l'article R.121-22 du code des procédures civiles d'exécution au jugement ayant rétracté l'ordonnance sur requête. Elle affirme que ce jugement rendu contradictoirement relève de la procédure ordinaire devant le juge de l'exécution, régime juridique dont dépend l'article susvisé, ce texte prévoyant de surcroît spécifiquement son application aux mesures conservatoires.
Elle ajoute que l'irrecevabilité de la demande de sursis à exécution défendue par la société Dailymotion contredit l'utilité processuelle du sursis à exécution instituée par l'article R.121-22 du code des procédures civiles d'exécution et qui limite le contrôle du juge aux moyens sérieux d'infirmation ou de réformation de la décision du juge de l'exécution et viderait de toute utilité l'appel d'un jugement contradictoire ordinaire du juge de l'exécution s'agissant d'une saisie conservatoire, faisant une comparaison avec l'article 524 du code de procédure civile ; elle se prévaut à l'appui de ses prétentions de plusieurs décisions de jurisprudence.
L'ordonnance du juge de l'exécution prononcée le 23 janvier 2020 a été rendue au visa de l'article L.511-1 et des articles R.511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ; cette ordonnance prise en application de ces articles constitue donc l'autorisation judiciaire prévue par ces textes, accordée à la société RETI pour pratiquer une mesure conservatoire sur les biens du débiteur, le juge ayant estimé que la créance de cette dernière paraissait fondée en son principe et que la condition tenant à l'existence de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement était remplie. Cette ordonnance a été rendue sur requête comme le prescrit l'article R.511-1 du même code.
En exécution de cette ordonnance, la société RETI a pratiqué le 30 janvier 2020 diverses saisies qui ont été dénoncées à la société Dailymotion le 7 février 2020. Une saisie sur le compte bancaire de la société RETI ouvert auprès de la banque HSBC a conduit au blocage de la somme de 1.530.329,12 €.
Cette ordonnance, décision de justice relève de la catégorie des ordonnances sur requête dont le régime juridique général fait l'objet des articles 493 à 498 du code de procédure civile réunis en une sous-section intitulée «'les ordonnances sur requête'» ; ces textes sont également visées par l'ordonnance du juge de l'exécution.
L'article 496 du code de procédure civile prévoit que «'s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance'», le juge ayant alors en application de l'article 497 du même code, la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance'». Adaptant ce texte à la matière des mesures conservatoires, l'article R.512-1 dispose que que si «'les conditions prévues aux articles R.511-1 à R.511-8 ne sont pas réunies, le juge peut ordonner la mainlevée de la mesure à tout moment, les parties entendues ou appelées'», étant spécifié qu' «'il incombe au créancier de prouver que les conditions sont réunies'». La procédure devant alors être suivie fait l'objet de l'article R.512-2 qui indique que «'la demande de mainlevée est portée devant le juge qui a autorisé la mesure'».
Il s'en suit que le jugement du 17 septembre 2020 a été rendu dans le cadre des pouvoirs que tient le juge de l'exécution de l'article 497 du code de procédure civile de modifier ou de rétracter son ordonnance ; en matière de mesures conservatoires, cette rétraction prend la forme d'une mainlevée de la mesure précédemment ordonnée selon les termes de l'article R.512-1 du code des procédures civiles d'exécution.
L'ordonnance rétractée par le jugement du 17 septembre 2020 qui se voit annihilée, ne conserve donc plus aucun effet juridique ; cet anéantissement de l'ordonnance par le jugement s'explique par la procédure contradictoire qui a conduit à son prononcé à l'issue d'un débat où chacune des parties a pu présenter ses arguments par rapport à l'ordonnance sur requête rendue au vu des seuls éléments fournis par la société RETI. L'ordonnance rétractée ne conserve donc plus aucun effet juridique.
Outre que la demande de sursis à exécution n'est pas la voie de l'appel d'un jugement prononcé par le juge de l'exécution, elle ne saurait avoir pour effet de faire revivre une ordonnance dont la valeur juridictionnelle ne saurait primer sur celle du jugement contradictoire l'ayant anéantie.
La demande de sursis à exécution présentée en méconnaissance des dispositions de l'article 497 du code de procédure civile et de l'article R.512-1 du code des procédures civiles d'exécution est déclarée irrecevable.
La société RETI échouant en sa demande succombe aux dépens de l'instance et se voit condamnée au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Déclarons irrecevable la demande de la société Reti Televisive Italiane de sa demande de sursis à exécution provisoire ;
Condamnons la société Reti Televisive Italiane à payer à la société Dailymotion la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamnons la société Reti Televisive Italiane aux dépens de la présente instance.
ORDONNANCE rendue par Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente de la mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.