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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 5, 13 juillet 2021, n° 21/07200

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Natacha (SAS)

Défendeur :

Les Pettoreaux d'Arbois (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Paulmier-Cayol

JEX Paris, du 31 mars 2021, n° 21/80204

31 mars 2021

Vu l'ordonnance rendue le 30 juillet 2020 par le juge de l'exécution près du tribunal judiciaire de Paris ayant sur requête, autorisé la société Natacha à inscrire une hypothèque provisoire pour un montant de 350.000 ' sur un bien immobilier appartenant à la SCI les Pettoreaux d'Arbois, à savoir un chalet d'habitation sis en [...] ;

Vu le jugement du juge de l'exécution du 31 mars 2021 ayant sur la demande de la SCI les Pettoreaux d'Arbois rétracté l'ordonnance sur requête prononcée le 30 juillet 2020, et ordonné en conséquence la mainlevée aux frais de la société Natacha de l'inscription provisoire d'hypothèque sur le chalet précité ;

Vu l'appel de ce jugement interjeté le 8 avril 2021 par la société Natacha ;

Par acte d'huissier du 12 mai 2021, la société Natacha a saisi la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris sur le fondement des articles R.121-22 et L.511-1 du code des procédures civiles d'exécution, d'une demande tendant à voir ordonner le sursis à exécution du jugement rendu le 31 mars 2021 par le juge de l'exécution, formant en outre une demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

A l'appui de sa demande, la société Natacha relate avoir signé un compromis de vente assorti d'une condition suspensive de prêt les 20 et 21 novembre 2019, avec la SCI les Pettoreaux d'Arbois propriétaire du chalet précité, qu'elle a pour sa part, été spécialement créée pour l'acquérir en vue d'une commercialisation par la location, que deux mois après sa signature, elle a eu la révélation que deux factures que la SCI les Pettoreaux d'Arbois a fait annexer au compromis étaient des faux, dont une concernant une étude béton du sous-sol du chalet particulièrement importante du fait que le chalet en question se trouve en zone sismique, qu'elle a appris qu'un litige avait opposé la SCI les Pettoreaux d'Arbois avec la société AFC qui avait réalisé des travaux d'agrandissement et de rénovation du chalet ayant abouti à un jugement du 21 septembre 2018 condamnant cette dernière à payer à la première une somme de plus de 80.000 ' sans que la SCI les Pettoreaux d'Arbois n'ait justifié avoir réalisé depuis aucun travaux, que parallèlement, elle a signé avec la SCI les Pettoreaux d'Arbois un contrat de location du chalet du 15 décembre 2019 au 15 mars 2019 moyennant un loyer de 80.000 ' payé sur les fonds déposés au titre de l'indemnité d'immobilisation, cette somme devant s'imputer sur le prix de la vente à intervenir, que la SCI les Pettoreaux d'Arbois a introduit une instance en fond dont elle s'est finalement désistée et une instance devant le juge des référés ayant pour objet la consignation de la somme de 325.000 ' comprenant le montant de la pénalité d'un montant de 270.000 ' prévue au compromis en cas de non réalisation, que la vente n'a pu intervenir.

Aux motifs qu'elle n'avait aucune information sur la solvabilité de la SCI les Pettoreaux d'Arbois, que le seul actif connu de cette dernière était le chalet ayant fait l'objet du compromis de vente, que cette dernière a remis en vente le chalet et que le fruit de cette future vente va être distribué à ses associés, la société Natacha soutient que l'inscription de l'hypothèque provisoire était parfaitement légitime.

Elle fait valoir qu'il existe un moyen sérieux d'infirmation du jugement du juge de l'exécution qui en ordonnant la mainlevée de l'inscription provisoire d'une part a méconnu les spécificités de l'inscription de l'hypothèque provisoire, celle-ci n'ayant pas d'effet attributif, ne rendant pas les biens qui en sont grevés inaliénables, n'obligeant aucunement le titulaire du bien à le céder et qui d'autre part n'a pas tenu compte des circonstances factuelles du dossier en faisant l'impasse sur les fausses factures remises par la SCI les Pettoreaux d'Arbois dans un but trompeur.

La société Natacha pour s'opposer à l'irrecevabilité soulevée par la SCI les Pettoreaux d'Arbois tirée de son défaut de qualité à agir, soutient qu'à la date de la signature du compromis de vente, elle était inscrite au registre du commerce et des sociétés et disposait de la personnalité morale quelque soit la circonstance que ne lui avait pas encore été attribué un numéro SIREN.

La SCI les Pettoreaux d'Arbois par ses écritures qu'elle a déposées et développées à l'audience demande de voir constater l'absence de saisine valable de la juridiction du premier président du fait de l'inexistence de l'assignation délivrée le 12 avril 2021 qui ne peut être régularisée par une assignation sur et aux fins, soulève l'irrecevabilité de la demande de sursis à exécution du jugement du 31 mars 2021, à titre reconventionnel demande de prononcer la radiation de l'appel faute d'exécution du jugement du 31 mars 2021, et en tout état de cause, de condamner la société Natacha à lui payer la somme de 10.000 ' à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, 5.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La SCI les Pettoreaux d'Arbois soulève l'absence de saisine de la juridiction du premier président, la première assignation délivrée le 12 avril 2021 est inexistante, l'ayant citée à comparaître à une audience qui n'existait pas et la seconde l'assignation délivrée le 12 mai 2021 sur et aux fins de la première assignation, ne peut recevoir effet.

La SCI les Pettoreaux d'Arbois soulève l'irrecevabilité de la demande de sursis à exécution portant sur le jugement du juge de l'exécution du 31 mars 2021, au motif que les dispositions de l'article R.121-22 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas applicables au jugement ayant rétracté une ordonnance prise sur requête.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que la saisine du premier président est sans objet, dans la mesure où à la date de l'assignation délivrée le 12 mai 2021, la radiation de l'hypothèque était déjà intervenue.

Plus subsidiairement encore, la SCI les Pettoreaux d'Arbois réfute l'existence de moyens sérieux d'infirmation du jugement du 31 mars 2021.

En premier lieu, la SCI les Pettoreaux d'Arbois au visa de l'article R.210-6 du code de commerce soulève l'irrecevabilité de la société Natacha pour défaut de qualité à solliciter la prise d'une hypothèque aux motifs que sur le compromis de vente, il est indiqué qu'elle était alors en cours de constitution et que c'est seulement le 4 décembre 2019 qu'un numéro Siren lui a été attribué, de sorte que seuls ses associés avaient le pouvoir de se porter acquéreur du chalet.

En second lieu, la SCI les Pettoreaux d'Arbois fait valoir que la prise d'hypothèque était sans fondement, la société Natacha ne justifiant pas d'une créance au motif que la condition suspensive tenant à l'obtention d'un prêt est réputée accomplie faute pour la société Natacha d'avoir justifié d'une demande de prêt présentée dans les 15 jours qui ont suivi la signature du compromis, privant cette dernière de se prévaloir de la clause pénale prévue au compromis.

La SCI les Pettoreaux d'Arbois au visa de l'article 524 du code de procédure civile demande la radiation de l'affaire, faisant valoir que la société Natacha malgré le caractère exécutoire du jugement du 31 mars 2021 ne s'est pas acquittée des frais de mainlevée de l'hypothèque.

SUR CE :

Sur la demande la SCI les Pettoreaux d'Arbois tendant à voir dire la juridiction du premier président non saisie

Il est avéré que le 29 mai 2021 était un samedi, qu'il n'y avait pas d'audience de la juridiction du premier président ce jour-là pour lequel il ne pouvait donc être donné citation à comparaître ; cependant, quelque soit la gravité de l'irrégularité affectant l'assignation délivrée le 12 avril 2021, cette irrégularité qui constitue un vice de forme ne rend pas l'acte inexistant mais nul pour le cas où il a fait grief à la SCI les Pettoreaux d'Arbois.

En l'occurrence, la SCI les Pettoreaux d'Arbois n'invoque aucun grief particulier tandis qu'antérieurement à cette date d'audience «'fantôme'», cette dernière s'était vue délivrer une autre assignation sur et aux fins de la précédente pour la date du 26 mai 2021 à 9H30, jour et heure correspondant à une audience de la juridiction du premier président.

Il suit que la SCI les Pettoreaux d'Arbois a valablement été citée à comparaitre pour la date du 26 mai 2021.

Sur l'irrecevabilité de la demande de sursis à exécution sur le fondement de l'article R.121-22 du code des procédures civiles d'exécution

L'ordonnance du juge de l'exécution prononcée sur la requête de la société Natacha le 30 juillet 2020 autorisant cette dernière à faire inscrire une hypothèque judiciaire provisoire, a été rendue notamment au visa des l'article L.511-1 et suivants et des articles R.511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ; cette ordonnance prise en application de ces articles constitue donc l'autorisation judiciaire prévue par ces textes, accordée à la société Natacha pour pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de la SCI les Pettoreaux d'Arbois, le juge ayant alors estimé que la créance de cette dernière paraissait fondée en son principe et que la condition tenant à l'existence de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement était remplie. Cette ordonnance a été rendue sur requête comme le prescrit l'article R.511-1 du même code.

En exécution de cette ordonnance, la société Natacha a fait inscrire une hypothèque provisoire le 12 août 2020 sur le chalet propriété de la SCI les Pettoreaux d'Arbois et dont l'adresse a été ci-devant indiquée et a assigné au fond la SCI les Pettoreaux d'Arbois par acte d'huissier du 8 septembre 2020 devant le tribunal judiciaire de Paris.

L'ordonnance ayant autorisé cette inscription d'hypothèque provisoire est une décision de justice qui relève de la catégorie des ordonnances sur requête dont le régime juridique général fait l'objet des articles 493 à 498 du code de procédure civile réunis en une sous-section intitulée «'les ordonnances sur requête'» ; ces textes sont également visées par l'ordonnance du juge de l'exécution.

L'article 496 du code de procédure civile prévoit que «'s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance'», le juge ayant alors en application de l'article 497 du même code, la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance'». Adaptant ce texte à la matière des mesures conservatoires, l'article R.512-1du code des procédures civiles d'exécution dispose que si «'les conditions prévues aux articles R.511-1 à R.511-8 ne sont pas réunies, le juge peut ordonner la mainlevée de la mesure à tout moment, les parties entendues ou appelées'», étant spécifié qu'«'il incombe au créancier de prouver que les conditions sont réunies'». L'article R.512-2 selon lequel «'la demande de mainlevée est portée devant le juge qui a autorisé la mesure'» renseigne sur la procédure applicable à la demande de rétractation.

Il s'en suit que le jugement du juge de l'exécution du 31 mars 2021 a été rendu dans le cadre des pouvoirs généraux que tient le juge de l'article 497 du code de procédure civile de modifier ou de rétracter son ordonnance rendue sur requête et des pouvoirs spécifiques du juge de l'exécution prévus aux articles R.512-1 et suivants ; en matière de mesures conservatoires, cette rétraction prend la forme d'une mainlevée de la mesure précédemment ordonnée selon les termes de l'article R.512-1 du code des procédures civiles d'exécution.

L'ordonnance rétractée par le jugement du 31 mars 2021 qui se voit annihilée, ne conserve donc plus aucun effet juridique ; cet anéantissement de l'ordonnance par le jugement s'explique par la procédure contradictoire qui a conduit à son prononcé à l'issue d'un débat où chacune des parties a pu présenter ses arguments par rapport à l'ordonnance sur requête rendue au vu des éléments fournis par la société Natacha quand bien même cette dernière a estimé avoir fait une présentation complète des faits.

Il suit que l'ordonnance rétractée ne conserve donc plus aucun effet juridique.

Outre que la demande de sursis à exécution n'est pas la voie de l'appel d'un jugement prononcé par le juge de l'exécution, elle ne saurait avoir pour effet de faire revivre une ordonnance dont la valeur juridictionnelle ne saurait primer sur celle du jugement contradictoire l'ayant anéanti.

La demande de sursis à exécution présentée en méconnaissance des dispositions de l'article 497 du code de procédure civile et de l'article R.512-1 du code des procédures civiles d'exécution est déclarée irrecevable.

L'irrecevabilité retenue rend sans objet les autres moyens et arguments développés par les parties sur la demande de la société Natacha fondée sur les dispositions de l'article R.121-22 du code des procédures civiles d'exécution.

Sur la demande de radiation le fondement de l'article 524 du code de procédure civile

L'article 524 du code de procédure civile dispose que lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l'article 521, à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision.

En l'espèce, la SCI les Pettoreaux d'Arbois qui a demandé la mainlevée de la mesure d'inscription d'hypothèque provisoire dès le 9 avril 2021 auprès du service de la publicité foncière ne justifie pas avoir réclamé le remboursement des frais de mainlevée d'un montant de 352 ' dont il ne résulte d'aucun élément du dossier que la société Natacha en avait connaissance antérieurement à sa dernière communication de pièces qui selon les dires non contredits de cette dernière remonte au 21 juin 2021.

Il est par ailleurs justifié que par une ordonnance rendue le 25 novembre 2020 du juge des référés près du tribunal judiciaire de Draguignan que la SCI les Pettoreaux d'Arbois a été condamnée à payer à la société Natacha la somme de 2.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; cette ordonnance exécutoire par provision a été signifiée le 11 janvier 2020. La société Natacha dispose donc d'un titre de créance certain, liquide et exigible à l'encontre de la SCI les Pettoreaux d'Arbois.

L'existence de la créance de la société Natacha à l'encontre de la SCI les Pettoreaux d'Arbois et l'absence de toute réclamation antérieure de cette dernière en remboursement des frais de mainlevée justifient de voir débouter cette dernière de sa demande de radiation.

L'échec de la demande de sursis à exécution présentée par la société Natacha ne rend pas pour autant cette demande abusive. La SCI les Pettoreaux d'Arbois se voit donc déboutée de sa demande de ce chef.

La solution apportée au litige justifie que chacune des parties conserve ses dépens et qu'il ne soit pas fait application au profit de l'une des dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la société Natacha irrecevable en sa demande de sursis à exécution du jugement rendu par le juge de l'exécution près du tribunal judiciaire de Paris le 31 mars 2021 statuant en rétraction d'une précédente ordonnance rendue sur requête ;

Déboutons la SCI les Pettoreaux d'Arbois de sa demande de radiation de l'appel interjeté par la société Natacha ;

Déboutons la SCI les Pettoreaux d'Arbois de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Disons n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Disons que chaque partie conserve la charge de ses propres dépens.

ORDONNANCE rendue par Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.