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Décisions

CA Rennes, 8e ch. prud'hommes, 15 octobre 2009, n° 08/06608

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Laiterie Saint-Père (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boivin

Conseillers :

Mme L'Henoret, Mme Legeard

Avocats :

Me Chatellier, Me Fey

Cons. Prud'h. Saint Nazaire, du 2 sept. …

2 septembre 2008

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur J. -Luc M. a été engagé le 15 février 1991 en qualité de cadre Responsable Permanent par la Société LAITERIE SAINT PÈRE qui avait été rachetée en 1990 par le Groupement des Mousquetaires (Intermarché), via la Société ITM Entreprises chargée de la gestion des filiales du groupement, des bases et des unités de production.

En août et en septembre 2006 deux séries d'incidents, l'un touchant à l'eau d'alimentation entrant dans la composition des produits, l'autre à la mauvaise qualité des crèmes achetées chez un fournisseur qui rentraient dans le processus de fabrication du beurre ont abouti au retrait d'un certain nombre de produits mis en vente.

Fin février 2007 un audit externe a été décidé dans le but d'effectuer une analyse du management du système qualité et une analyse des paramètres industriels cruciaux et de tout élément concourant à la maîtrise de la qualité.

Le 30 mai 2007 le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement qui lui a été notifié le 13 juin 2007 en raison de ses insuffisances de management et de ses manquements dans ses missions d'organisation de l'unité placée sous sa responsabilité, ce défaut d'organisation s'étant traduit par des dysfonctionnements graves.

Contestant le bien-fondé de son licenciement M. M. a saisi le Conseil de Prud'hommes de SAINT NAZAIRE pour obtenir des dommages-intérêts.

Par jugement en date du 2 septembre 2008 le Conseil de Prud'hommes de SAINT NAZAIRE a considéré que le licenciement était justifié par une cause réelle et sérieuse et a débouté le salarié de l'ensemble de ses réclamations.

Monsieur M. a interjeté appel de ce jugement.

OBJET DE L'APPEL ET MOYENS DES PARTIES

Monsieur Jean Luc M. conclut à l'infirmation de la décision déférée et demande à la Cour :

- de dire que son licenciement est illicite en l'absence d'autorisation de l'inspection du travail et d'avis préalable du Comité d'Entreprise.

- de dire que la procédure de licenciement est irrégulière.

- de dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse est abusif.

- de condamner la Société LAITERIE SAINT PÈRE à lui verser :

* 270 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

* 15 000 € au titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.

- d'ordonner la capitalisation des intérêts.

- subsidiairement d'ordonner une mesure d'expertise pour avoir un avis sur les griefs invoqués sur la base de l'audit au vu de la réglementation alors applicable et des rapports établis par la Direction des services vétérinaires.

- de lui allouer une indemnité de 6 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile .

Il fait valoir :

- qu'il était Président du Comité d'Entreprise et du C.H.S.C.T. et qu'il était salarié protégé et que son licenciement ne pouvait intervenir sans l'autorisation de l'inspection du travail.

- que l'entretien préalable a été dirigé par Monsieur T., Directeur Permanent du Service Direction Industrielle d'I. Entreprise qui ne disposait d'aucun pouvoir écrit.

- que la décision de le licencier avait été prise avant même que la convocation à l'entretien préalable lui soit remise.

- que les faits qui se sont déroulés en août et en septembre 2006 sont prescrits.

- que les dysfonctionnements apparus à cette date étaient indécelables et ne peuvent lui être imputés et qu'il ne s'agissait qu'en outre qu'un problème de goût qui n'affectait pas la santé du consommateur.

- qu'il a pris des mesures pour y remédier et que la Direction des services vétérinaires a constaté ultérieurement la continuité de la mise en place des actions correctives.

- que le rapport d'audit a été effectué par une société commanditée par la Société ITM qui ne présentait aucun caractère indépendant.

- que le plan d'action qu'il a transmis le 17 mai 2007 à la suite du rapport d'audit ne valait nullement approbation des conclusions de l'auditeur mais ne faisait que répondre aux instructions qu'il avait reçues.

- qu'il a d'ailleurs avec le Directeur qualité, M. G. , et le responsable de l'assurance qualité, Monsieur J., fait part, point par point, de ses observations et de ses remarques sur chaque critique émise.

- que ces critiques ne pouvaient être prises en compte qu'en vue d'une amélioration destinée à obtenir la certification IFS en 2008 et qu'à la date à laquelle l'audit a été réalisé la LAITERIE SAINT PÈRE n'était pas encore certifiée.

- que dans le rapport aucune remarque ne le met directement et personnellement en cause.

- que la Société BIOPREV (Cabinet d'audit) n'était nullement habilitée à contrôler la Société LAITERIE SAINT PÈRE et que le seul organisme pré-habilité à le faire était la Direction des services vétérinaires qui lors de ses contrôles inopinés n'a relevé aucune lacune ni aucune non conformité au niveau du service qualité et n'a jamais délivré d'injonctions.

- que le personnel n'était pas soumis à des contrôles de formation IFS dès lors que celle-ci n'était pas obligatoire.

- qu'il n'a jamais fait l'objet du moindre rappel à l'ordre de la part de sa hiérarchie ou de la DSV et que grâce à son travail la LAITERIE SAINT PÈRE était devenue largement bénéficiaire.

- que son licenciement est abusif.

- que le préjudice qu'il a subi est important.

La Société LAITERIE SAINT PÈRE conclut à la confirmation du jugement, au rejet de l'intégralité des prétentions du salarié et sollicite une indemnité de 5 000 Euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Elle soutient :

- que la procédure de licenciement ne comporte aucune irrégularité.

- que M. M. ne peut revendiquer le statut de salarié protégé.

- que le licenciement ne présente aucun caractère disciplinaire et qu'en conséquence aucune prescription ne peut lui être opposée.

- que l'audit BIOPREV a mis en évidence des dysfonctionnements à tous les niveaux de l'entreprise et un défaut profond de management de la qualité révélant ainsi l'inaptitude de M. M. à exécuter son travail de façon satisfaisante.

- qu'il est ainsi reproché à M. M. un mode de management interdisant des négligences insurmontables et engendrant une inefficience du système HACCP mis en place.

- que parallèlement la nouvelle réglementation européenne dite Paquet Hygiène applicable depuis le 1er janvier 2006 impose à l'industriel de démontrer qu'il a mis en place les mesures de maîtrise adaptées pour atteindre les objectifs de la réglementation et que c'est parce que le salarié n'a pas réussi à intégrer les nouvelles obligations et responsabilités issues du paquet hygiène que le licenciement est intervenu.

- que les dysfonctionnements relevés tenaient au non-respect de la réglementation à l'absence de bonnes pratiques et au caractère non efficient des contrôles mis en place, et à l'impossibilité pour la Laiterie de justifier des mesures mises en oeuvre pour assurer la sécurité de sa production et donc de satisfaire au Paquet Hygiène.

- qu'entre l'été 2006 et mai 2007 la laiterie n'a proposé aucune réaction ni soutenu de quelconques évolutions afin de faire progresser la gestion de la qualité.

- que les graves incidents d'août et de septembre 2006 n'étaient pas imprévisibles mais résultaient de l'absence de mise en place de moyens de contrôle efficaces.

- que les arguments soulevés par M. M. sont inopérants et que le plan d'actions qu'il a proposé le 17 mai 2007 sur la base des conclusions de l'audit démontre qu'il avait admis la teneur des constatations opérées.

- que l'insuffisance professionnelle reprochée au salarié est caractérisée et que le licenciement est justifié.

- qu'en toute hypothèse le préjudice allégué n'est pas établi.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties la Cour se réfère expressément aux conclusions déposées et développées oralement à l'audience.

DISCUSSION

Sur la validité du licenciement

Considérant que Monsieur M. présidait le Comité d'Entreprise et le C.H.S.C.T. en qualité de représentant de l'employeur mais n'a jamais été élu ou désigné comme membre de ces Comités ni investi d'un quelconque mandat syndical.

Qu'il ne peut dès lors valablement revendiquer le bénéfice du statut de salarié protégé.

Sur la régularité de la procédure de licenciement.

Considérant que Monsieur M. a régulièrement été convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement par lettre du 30 mai 2007 signée par M. R., Président du Conseil d'Administration de la Société LAITERIE SAINT PÈRE.

Que par ailleurs rien n'interdisait la présence de M. T., Directeur des activités industrielles du Groupement des Mousquetaires, dont LA LAITERIE SAINT PÈRE était une filiale, à cet entretien préalable, M. T. ayant reçu pouvoir à cet effet de M. L., Président du Conseil d'Administration de la Direction des Unités de Production.

Que d'autre part rien ne permet de démontrer que le licenciement de M. M. qui était certes envisagé lorsqu'il a été convoqué à l'entretien préalable était d’ores et déjà programmé et décidé le 30 mai 2007.

Que la procédure de licenciement n'est entachée d'aucune irrégularité.

Sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail

Considérant que M. M. a été licencié le 13 juin 2007 en raison de ses insuffisances de management.

Qu'il lui est plus particulièrement reproché des carences managériales liées,

- à l'absence dans l'entreprise d'un système de management de la qualité efficient répondant aux exigences réglementaires et garantissant une parfaite sécurité alimentaire.

- au manque de formation des collaborateurs aux normes HACCP.

- à une absence de pertinence, de fiabilité et d'exhaustivité des mesures de contrôles réalisées, notamment dans l'analyse des risques sur des points éminemment critiques tels que le refroidissement des produits.

- à une absence de discernement dans l'évaluation des compétences et les mesures mises en oeuvre pour adopter les ressources humaines aux besoins de l'entreprise.

Que l'employeur relève que l'ensemble des dysfonctionnements constatés est la résultante de cette accumulation d'insuffisance de management, que sa responsabilité professionnelle est pleinement engagée en sa qualité de Responsable Unité de Production, cadre dirigeant, puisqu'il n'a pas rempli efficacement ses missions d'organisation de l'unité placée sous sa responsabilité et que ce défaut d'organisation s'est traduit dans les faits par des dysfonctionnements graves (août 2006 et septembre et octobre 2006).

Considérant qu'il est constant que le licenciement a été prononcé en raison de l'insuffisance professionnelle de M. M. et non pour un motif d'ordre disciplinaire.

Que le salarié ne peut dès lors opposer à la Société LAITERIE SAINT PÈRE une quelconque prescription.

Considérant qu'au mois d'août 2006 un certain nombre de produits frais (desserts lactés) fabriqués par la LAITERIE SAINT PÈRE ont dû être retirés de la vente, ces produits présentant un goût de moisi ou de terre.

Qu'à la suite des analyses pratiquées et des inspections réalisées il est apparu que ce défaut provenait de l'eau d'alimentation entrant dans la composition des produits, aucun contrôle efficient de l'eau avant son ajout à la production n'ayant été effectué.

Que la DSV a relevé le 8 septembre 2006 que les installations de pompage de l'eau n'étaient pas sécurisées, que les installations de traitement de l'eau étaient anciennes et mal entretenues et que les auto-contrôles devant être réalisés aux différentes étapes de traitement de l'eau afin de vérifier la qualité de l'eau distribuée sur le site étaient insuffisants.

Que parallèlement la D.D.A.S.S. soulignait l'état de vétusté importante de toutes les installations de traitement d'eau potable de la LAITERIE , l'insuffisance des mesures de protection des captages d'eaux brutes et demandait dans l'immédiat de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour produire en permanence une eau répondant aux normes de potabilité tout en précisant que ces mesures étaient elles-mêmes insuffisantes et qu'un projet global de rénovation de la filière s'imposait avec notamment un traitement d'affinage.

Considérant qu'en septembre et octobre 2006 des nouveaux retraits de produits (beurre) ont été décidés en raison des goûts rance de ceux-ci.

Que les défectuosités provenaient cette fois de la mauvaise qualité des crèmes achetées chez un fournisseur ('Beuralia') qui n'avaient pas fait l'objet d'une analyse de l'acidité oléique.

Qu'il était également constaté que la LAITERIE SAINT PÈRE ne maîtrisait pas les approvisionnements et que le cahier des charges était incomplet.

Que l'usine était classée AQI, Assurance Qualité Insuffisante, et que des actions correctives devaient être menées.

Qu'en février 2007 la SCA Lait et Dérivés (Groupement des Mousquetaires) informait M. R. et M. M. qu'à la suite des incidents de l'été 2006 liés au traitement de l'eau il avait été convenu de mettre en place des actions urgentes et impératives (bâchage du décanteur- mis en place de filtres à charbons actifs- chloration automatique de l'eau-démarche HACCP sur l'eau, évaluation des risques sur les tours aéroréfrigérantes...), que les éléments de réponse apportés par la laiterie en novembre 2006 étaient apparus insuffisants, que des relances avaient été faites et que l'instauration des actions à mener prévue en mai-juin 2007 leur paraissait tardive, un déploiement plus rapide de ces mesures étant souhaité ardemment.

Considérant que c'est dans ces conditions qu'il a été décidé de faire réaliser un audit externe portant sur l'analyse du management du système qualité et sur l'analyse des paramètres industriels cruciaux et de tout élément concourant à la maîtrise de la qualité.

Considérant que cet audit confié à la Société BIOPREV a été effectué les 1,2,12,13 et 14 mars 2007.

Qu'il ressort des conclusions du rapport d'audit que même si l'entreprise possède un socle structuré pour assurer sa production ainsi qu'un professionnalisme de la plupart des interlocuteurs rencontrés, celle-ci ne se donne pas tous les atouts pour en assurer sa maîtrise, que sur le plan du management de la qualité l'entreprise a besoin d'appuyer le rôle attribué à son service qualité pour fonctionner dans une démarche d'amélioration continue, que le service de production fonctionne avec beaucoup d'autonomie, que les autres services viennent principalement en soutien et que cette façon de fonctionner pénalise la cohésion de l'organisation et ne répond pas à la démarche de gestion des processus défini par le système de management de la qualité.

Que le Cabinet d'audit a relevé un certain nombre de faiblesses liées :

- au management du système qualité (animation de la qualité au quotidien, gestion documentaire mal maîtrisée, aucun audit sur la partie HACCP et sur la réalisation du produit, approche processus existants mais non appliquée, lacunes sur le plan des instructions et la définition de C.C.P. en ce qui concerne la partie HACCP).

- au laboratoire (méconnaissance des nouveaux règlements, mise en défaut de la gestion des matières premières, méthodes d'analyse de référence pas toujours appliquées...)

- au suivi de production (analyse des risques non exhaustive, car signée des WEP non sécurisées, instructions de nettoyage confuses, niveau de formation de l'encadrement à l'HACCP inégal, création de ses propres documents sans respecter la gestion documentaire en place).

- aux services de maintenance (système de maintenance préventive non harmonisé, circuit d'air de séchage des installations non sécurisé...)

- au service environnement (absence d'étude HACCP jusqu'au point de distribution de l'eau sur le site, absence d'étude HACCP sur le réseau des eaux usées

- au service logistique (cahier des charges non finalisé, absence d'étude HACCP pour définir les risques liés à cette activité...)

- au service achats (absence d'audits fournisseurs sauf exception, absence de formation de la personne responsable des achats au management de la qualité).

- au service des ressources humaines (formation à l'HACCP d'une partie du personnel seulement, formation de très peu de personnes à l'IPS).

Considérant que pour aboutir à ce constat le Cabinet d'audit s'est fondé sur de nombreux exemples pratiques.

Considérant que ce rapport d'audit, que rien ne permet de remettre en cause, met en exergue de nombreuses carences relevant l'absence de mise en place d'un système qualité efficace qui s'est d'ailleurs traduit en pratique par les incidents survenus en août et septembre 2006.

Considérant que M. M., qui dans un premier temps, a établi et transmis un plan d'action destiné à remédier aux critiques qui étaient faites, a par la suite contesté point par point avec l'appui du Directeur Qualité et du Responsable de l'assurance qualité , les observations de l'auditeur, en arguant de ce que les normes étaient respectées , de ce que la certification IFS était simplement en cours, de ce que certains points relevés étaient faux (ce qui n'est pas démontré) et de ce que la DSV n'avait jamais émis d'injonctions et avait validé un certain nombre de points.

Considérant que force est de constater que la DSV procède à des inspections nécessairement parcellaires, qui sont certes inopinées mais de courte durée et n'a qu'un rôle de contrôle et non de conseil (le rapport du 29 mars 2007 n'ayant ainsi concerné que les locaux dédiés à la beurrerie) alors qu'il est reproché en réalité à M. M., en sa qualité de responsable du site de production LAITERIE SAINT PÈRE, de ne pas avoir organisé d'une façon générale le management qualité destiné à s'appliquer à l'ensemble des services en parfaite cohésion et de ne pas avoir mis en oeuvre toutes les mesures destinées à prévenir les risques potentiels susceptibles d'arriver et les dysfonctionnements éventuels liés à la qualité des produits, étant précisé que les actions correctives menées ne sont intervenues qu'a posteriori, que certaines réactions, notamment au niveau de l'eau ont été tardives et que la certification IFS n'est pas en cause, les lacunes signalées concernant le Paquet Hygiène'.

Considérant qu'au regard de ces éléments l'insuffisance professionnelle reprochée à M. M. est établie et caractérisée et que c'est à juste titre que les Premiers Juges ont retenu le caractère réel et sérieux du licenciement et ont débouté l'intéressé de l'ensemble de ses demandes en dommages-intérêts.

Considérant qu'il n'y a pas lieu en l'espèce de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Que M. M. qui succombe supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris.

Déboute M.. M. de l'ensemble de ses demandes.

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamne M. M. aux dépens.