Cass. crim., 28 juillet 2021, n° 21-83.071
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme de la Lance
Rapporteur :
Mme Fouquet
Avocat général :
M. Aubert
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [K] [R], mis en examen le 9 décembre 2020 des chefs d'escroquerie et recel d'abus de biens sociaux, a été par ordonnance du même jour, placé sous contrôle judiciaire avec notamment l'obligation de fournir un cautionnement de 30 000 000 francs pacifiques avant le 9 mars 2021.
3. A la demande de M. [R], le magistrat instructeur, par ordonnance du 17 mars 2021, a modifié cette obligation, l'astreignant à verser un cautionnement de 20 000 000 francs pacifiques le 15 mai 2021 au plus tard.
4. M. [R] a formé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de modification du contrôle judiciaire de M. [R] l'astreignant à diverses obligations, dont celle de fournir un cautionnement de 20 000 000 francs pacifiques, sans avoir informé au préalable M. [R], comparant à l'audience, de son droit de se taire, alors :
« 1°/ que la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 148-2 du code de procédure pénale qui sera prononcée au terme de la question prioritaire de constitutionnalité posée par le mémoire distinct et motivé privera la décision attaquée de toute base légale en ce que la chambre de l'instruction n'a pas informé M. [R] de son droit de se taire au cours des débats ;
2°/ que la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, appelée à statuer sur une demande de mainlevée totale ou partielle du contrôle judiciaire ou sur une demande de mise en liberté, doit être informée de son droit au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; que la méconnaissance de l'obligation d'informer l'intéressé de son droit de se taire lui fait nécessairement grief ; qu'en se prononçant sur la demande de modification du contrôle judiciaire de M. [R], sans lui avoir notifié son droit de se taire, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 148-2 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
7. Dans sa décision n° 2021-920 du 18 juin 2021, le Conseil constitutionnel a jugé qu'en ne prévoyant pas qu'un prévenu ou un accusé comparaissant devant une juridiction statuant sur une demande de mainlevée du contrôle judiciaire ou sur une demande de mise en liberté doit être informé de son droit de se taire, les dispositions de l'article 148-2 du code de procédure pénale portent atteinte à ce droit et doivent par conséquent être déclarées contraires à la Constitution.
8. Cependant, le Conseil, considérant que l'abrogation immédiate des dispositions contestées entraînerait des conséquences manifestement excessives, a, d'une part, reporté au 31 décembre 2021 la date de leur abrogation, d'autre part, précisé que les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
9. Il s'en déduit que bien que la chambre de l'instruction ait statué en application des dispositions de l'article 148-2 du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué ne se trouve pas privé de base légale.
10. Le grief n'apparaît donc pas fondé.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
11. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Crim., 24 février 2021, pourvoi n° 20-86.537, en cours de publication), l'absence d'information donnée à la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction saisie du contentieux d'une mesure de sûreté de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire est sans incidence sur la régularité de la décision de la chambre de l'instruction et a pour seule conséquence que les déclarations de l'intéressé ne pourront être utilisées à son encontre par les juridictions appelées à prononcer un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité.
12. Il s'ensuit que le moyen est inopérant.
Mais sur le second moyen, pris en ses première et quatrième branches
Enoncé du moyen
13. Le moyen, en ses première et quatrième branches, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de modification du contrôle judiciaire de M. [R] l'ayant astreint à se soumettre à certaines obligations, dont celle de fournir un cautionnement de 20 000 000 francs pacifiques, alors :
« 1°/ que selon les dispositions de l'article 138, alinéa 2, 11° du code de procédure pénale, le montant et les délais du versement du cautionnement dont peut être assorti un contrôle judiciaire d'une personne mise en examen, doivent être fixés compte tenu notamment de ses ressources et de ses charges ; qu'en l'espèce, par un mémoire régulièrement déposé devant la chambre de l'instruction, M. [R] faisait valoir qu'il n'était pas en mesure de régler un cautionnement aussi important que celui auquel il était astreint, car non seulement ses ressources étaient en nette diminution en raison de la conjoncture actuelle et du contexte procédural, mais encore il doit assumer des charges fixes très importantes dont il justifiait précisément, notamment des prêts et crédits ainsi que des frais relatifs à l'éducation de sa fille et au logement de sa famille ; qu'en se bornant à faire état évasivement de ce que M. [R] dispose d'une surface financière très importante consistant notamment en 715 895 000 francs pacifiques d'investissement dans les NZ Shares en Nouvelle Zélande sans s'expliquer sur les ressources actuelles et sur ses charges incompressibles tout en concédant que la crise sanitaire mondiale affecte sans nul doute l'activité des sociétés dirigées par le mis en examen, la chambre de l'instruction a méconnu les dispositions de l'article 138, alinéa 2, 11° du code de procédure pénale ;
4°/ que la chambre de l'instruction doit s'expliquer tant sur la nécessité que sur la proportionnalité de la mesure de cautionnement tant au regard des circonstances particulières de l'espèce, que de la situation financière du mis en examen ; qu'en ne justifiant pas de la nécessité de cette mesure au regard des impératifs de représentation et le cas échéant de paiement des réparations et amendes, ni de son caractère proportionné eu égard à la situation financière du mis en examen, la chambre de l'instruction a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 138, alinéa 2, 11° et 142 du code de procédure pénale, ensemble 593 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 137, 138, alinéa 2, 11° et 593 du code de procédure pénale :
14. Il résulte des deux premiers de ces textes que le juge qui astreint une personne placée sous contrôle judiciaire à fournir un cautionnement doit s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité d'une telle mesure au regard des circonstances de l'espèce et de la situation financière de la personne mise en examen.
15. Le montant et les délais de versement du cautionnement doivent être fixés compte tenu, notamment, des ressources et des charges de l'intéressé.
16. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
17. Pour confirmer l'ordonnance de modification de contrôle judiciaire du juge d'instruction en ce qu'elle a imposé au mis en examen le versement d'un cautionnement de 20 000 000 francs pacifiques, l'arrêt attaqué relève qu'il n'est pas contestable que M. [R] dispose d'une surface financière conséquente dans la mesure où 715 895 000 francs pacifiques ont été investis dans des sociétés en Nouvelle-Zélande, investissements présentés de manière trompeuse comme équivalent de parts de SCPI alors qu'il s'agissait en réalité de prêts.
18. Il retient que les opérations financières analysées par les enquêteurs, de même que les constructions qui semblent avoir été réalisées en Nouvelle-Zélande, soulèvent de nombreuses interrogations sur la réalité de l'affectation des fonds rassemblés, interrogations auxquelles M. [R] n'a pas répondu à ce jour. Il indique également qu'à ce stade ni ce dernier, ni les victimes putatives n'ont été entendus par le magistrat instructeur et que les documents abondamment fournis au dossier d'instruction ne suffisent pas à faire la lumière sur l'ensemble des procédures financières observées.
19. Les juges ajoutent que s'il est vrai par ailleurs que la crise sanitaire mondiale affecte sans nul doute l'activité des sociétés dirigées par le mis en examen, il lui sera accordé, comme décidé par le magistrat instructeur, un délai supplémentaire pour s'acquitter de la caution sans pour autant réduire le montant, notamment, en retranchant de celui-ci la part affectée aux garanties de représentation en justice dans la mesure où il respecte à la lettre les obligations imposées par son contrôle judiciaire et notamment la remise de son passeport et le pointage régulier au commissariat de police [Localité 1].
20. Ils observent enfin, qu'au plan légal, au regard de l'article 138, alinéa 2, 11° du code de procédure pénale, les ressources et les charges de la personne mise en examen constituent un des critères à prendre en compte pour déterminer le montant de la caution mais non le seul.
21. En statuant ainsi, sans mieux s'expliquer, d'une part, sur la nécessité et la proportionnalité de la mesure de cautionnement ordonnée, d‘autre part, sur les charges exposées dans son mémoire par le mis en examen, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
22. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nouméa, en date du 14 avril 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nouméa autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nouméa et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.