Cass. crim., 15 janvier 1997, n° 96-83.753
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Blondel
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 100, 100-7 et 593 du Code de procédure pénale, 226-13, 226-15 du Code pénal, 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, violation des droits de la défense :
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler la commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction aux fins d'écoutes téléphoniques des 3 lignes professionnelles et personnelles de Me Serge Rep, avocat désigné de 2 des mis en examen, ainsi que la procédure subséquente ;
" aux motifs que le respect des droits de la défense ne permet une telle mesure que pour des motifs particulièrement sérieux ; que le juge d'instruction avait appris qu'un déjeuner avait réuni en novembre 1993 des fournisseurs de voitures volées et d'autres personnes ultérieurement mises en examen, en vue d'une opération immobilière, déjeuner auquel assistait Me Rep ; que, sauf si par extraordinaire il ignorait le passé de ses convives, le comportement de Serge Rep apparaissait bien peu conforme aux exigences de dignité et de délicatesse de sa profession ; qu'en tout cas il est seul responsable par ce comportement, au moins imprudent, d'une mesure qui, si elle n'est pas prohibée, devrait rester tout à fait exceptionnelle ; qu'au demeurant la surveillance des lignes téléphonique de Me Rep n'a pas porté atteinte aux intérêts d'Alain X..., et que la chambre d'accusation a pu constater que la conversation transcrite ne violait pas le secret professionnel ;
" alors, d'une part, que les dispositions de l'article 100-7 du Code de procédure pénale n'autorisent pas un juge d'instruction à placer sous écoutes les lignes téléphoniques d'un avocat, conseil de l'une des personnes mises en examen dans l'information poursuivie ; qu'une telle mesure est formellement prohibée par le devoir où se trouve le juge d'instruction de respecter le secret professionnel des relations entre l'avocat et son client, et notamment de leurs conversations, fussent-elles menées par téléphone ; qu'en affirmant qu'une telle mesure serait " possible pour des motifs particulièrement sérieux " et ne serait " pas prohibée ", la chambre d'accusation a violé les textes précités ;
" alors, d'autre part, qu'à supposer que des exceptions puissent être apportées à cette prohibition, ces exceptions ne sauraient en aucun cas être justifiées par la seule allégation, au demeurant hypothétique, d'un comportement de l'avocat " apparaissant bien peu conforme aux exigences de dignité et de délicatesse de sa profession ", ni par la seule constatation d'une " imprudence " prétendue de ce dernier ; qu'en effet les pouvoirs accordés au juge d'instruction ne lui sont conférés que dans le cadre de sa mission d'investigation aux fins de découvrir la vérité quant aux infractions pénales dont il a été saisi ; qu'il ne peut porter atteinte au secret professionnel au seul prétexte de l'existence d'une " imprudence " de l'avocat, qui serait, à la supposer établie, de pure nature déontologique, et qui est en toute hypothèse totalement étrangère aux infractions pénales sur lesquelles le juge d'instruction est en train d'informer ; qu'ainsi le juge d'instruction a gravement excédé ses pouvoirs ;
" alors, de surcroît, qu'une telle atteinte aux droits de la défense et au secret professionnel ne saurait être déclarée justifiée par le motif que l'avocat serait " responsable ", par son " imprudence ", de l'écoute de ses lignes ; qu'aucun motif autre que les nécessités de l'information, non caractérisées en l'espèce, ne saurait justifier une telle écoute ;
" alors, au surplus et subsidiairement, que ne commet aucune imprudence ni aucune infraction à l'obligation de dignité et de délicatesse l'avocat dont on constate simplement qu'il a participé à un déjeuner avec son client, relatif à une " opération immobilière " ;
" alors, enfin, que la violation du secret professionnel de l'avocat d'un mis en examen, par mise sous écoutes des lignes téléphoniques de cet avocat, porte nécessairement atteinte aux droits de la défense du mis en examen, quel qu'ait été le résultat de ces écoutes, et sans que la chambre d'accusation puisse opérer elle-même un tri entre les conversations relevant ou non du secret professionnel ou de la confidentialité ; qu'ainsi la chambre d'accusation, en subordonnant le prononcé de la nullité à la démonstration d'une atteinte " supplémentaire " aux droits de la défense, a encore violé les textes précités " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, si le juge d'instruction est, selon l'article 100 du Code de procédure pénale, investi du pouvoir de prescrire, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications, ce pouvoir trouve sa limite dans le respect des droits de la défense, qui commande notamment la confidentialité des correspondances téléphoniques de l'avocat désigné par la personne mise en examen ; qu'il ne peut être dérogé à ce principe qu'à titre exceptionnel, s'il existe contre l'avocat des indices de participation à une infraction ;
Attendu que, pour refuser d'annuler la commission rogatoire du juge d'instruction prescrivant l'écoute des lignes téléphoniques, professionnelle et personnelles, de Me Rep, avocat chargé, avant la délivrance de cette commission rogatoire, de la défense de Ramtane Ouadah, et désigné, pendant le cours de son exécution, par Alain X..., les juges, après avoir souligné que le respect des droits de la défense ne permet une telle mesure que pour des motifs particulièrement sérieux, énoncent que Me Rep a participé au mois de novembre 1993, dans un restaurant de Juan-les-Pins, à un déjeuner réunissant, avec Alain X..., plusieurs fournisseurs habituels de voitures volées, parmi lesquels 2 multirécidivistes qui envisageaient l'achat d'un terrain ; qu'ils ajoutent que l'une des personnes mises en examen a été trouvée en possession d'une carte de visite de cet avocat ;
Que les juges en déduisent que, " sauf si, par extraordinaire, il ignorait le passé de ses convives, le comportement de Me Rep apparaît bien peu conforme aux exigences de dignité et de délicatesse de sa profession ", et " qu'en tout cas, il est seul responsable par ce comportement, au moins imprudent, d'une mesure qui, si elle n'est pas prohibée, devrait rester tout à fait exceptionnelle " ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, qui n'établissent pas que le juge d'instruction ait été, à la date où il a prescrit l'interception, en possession d'indices de participation de Me Rep à une activité délictueuse, la chambre d'accusation n'a pas justifié sa décision au regard du principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Chambéry en date du 7 mai 1996, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble.