CA Reims, ch. soc., 16 septembre 2020, n° 17/00145
REIMS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
AMANDINE RIQUELME (SELARL)
Défendeur :
OVERHEAD DOOR CORPORATION (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
SELAS BDB & ASSOCIÉS, SELARL GM ASSOCIES, SELARL BRUN, SELARL RAFFIN ASSOCIES, SCP DELVINCOURT CAULIER RICHARD, Me Laurent ASSAYA
La société Overhead Door Corporation France (la société ODCF) a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, ouverte par jugement rendu le 11 juillet 2013 par le tribunal de commerce de Reims.
Le liquidateur judiciaire a notifié leur licenciement à l'ensemble des salariés à partir du 17 octobre 2013, sous réserve de leur adhésion au contrat de sécurisation professionnelle.
Divers salariés licenciés ayant saisi le conseil de prud'hommes de Reims en contestation de leur licenciement, le liquidateur judiciaire de la société ODCF y a attrait en intervention forcée la société Overhead Door Corporation (la société ODC), société mère dont le siège est aux Etats Unis.
Cette dernière ayant soulevé des exceptions d'incompétence, le conseil de prud'hommes, par jugements du 29 avril 2015, les a rejetées et a sursis à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction administrative saisie d'une contestation de la décision d'homologation du document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l'emploi.
Selon ordonnance du président du tribunal de commerce du 29 février 2016, la société Amandine Riquelme, prise en la personne de Mme A, a été désignée mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société ODCF en remplacement du précédent mandataire.
A la suite de l'arrêt du Conseil d'Etat statuant, le 30 mai 2016, sur le recours administratif et validant la décision d'homologation, l'instance engagée devant la juridiction prud'homale s'est poursuivie.
Sur contredit, la cour d'appel de Reims a confirmé, le 15 juin 2016, la compétence matérielle du conseil de prud'hommes pour se prononcer sur l'appel en intervention forcée aux fins de déclaration de jugement commun de la société ODC.
Et par jugements du 14 décembre 2016, la juridiction prud'homale a notamment dit que les recours formés désormais par les salariés contre la société ODC relevaient des juridictions américaines et qu'elle demeurait compétente pour l'examen des litiges relatifs au motif économique contre le liquidateur.
Par déclarations 16 janvier 2017, le liquidateur judiciaire a fait appel de ces jugements et, par des conclusions postérieures, l'association centre de gestion et d'étude d'Amiens pour la garantie des salaires (l'AGS) a formé appels incidents.
Par ordonnance du 18 octobre 2017 non frappée de déféré, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions de l'avocat du salarié.
Par un arrêt du même jour, rendu sur contredit du liquidateur, la cour d'appel a jugé que M. Y Z et l'AGS ne pouvaient, à défaut d'avoir formé contredit, contester la compétence des juridictions américaines pour statuer sur leur action à l'égard de la société ODC.
Cet arrêt confirme, par ailleurs, l'incompétence de la juridiction prud'homale pour statuer sur l'action en garantie introduite par le mandataire liquidateur de la société ODCF à l'égard de la société ODC.
Il infirme également les jugements en ce qu'ils avaient dit les juridictions américaines compétentes pour statuer sur cette action et dit le tribunal de commerce de Reims compétent.
Le liquidateur ainsi que la société ODC ont chacun formé un pourvoi contre cet arrêt que la Cour de cassation a rejetés (Soc., 22 janvier 2020, n° 17-31.266).
La Cour de cassation a jugé que seul le tribunal de commerce de Reims était compétent pour connaître de l'action en garantie introduit par le liquidateur à l'égard de la société ODC.
Par des conclusions signifiées le 15 juin 2020, la société ODC, se prévalant tant de l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la Cour de cassation que de l'exclusivité du contredit ainsi que des dispositions de l'article 550 du code de procédure civile, demande au conseiller de la mise en état, à titre principal, de déclarer irrecevables les appels faits par le liquidateur et par l'AGS et de la mettre hors de cause.
Elle sollicite, à titre subsidiaire, qu'il soit enjoint à l'AGS de communiquer diverses pièces permettant d'apprécier la demande indemnitaire que celle ci a faite dans la cadre de son action indemnitaire au titre d'un licenciement frauduleux.
Les parties ont conclu et ont été convoquées à l'audience sur incident.
Le liquidateur comme l'AGS déclarent se désister finalement de leur instance à l'égard de la société ODC.
MOTIVATION :
Par sa phrase 'dit et juge que les exceptions d'incompétence soulevées par la société ODC sont recevables et justifiées', le dispositif du jugement du 14 décembre 2016 rendu à l'égard du salarié dont l'étendue a été fixée par l'arrêt précité du 18 octobre 2017, tranche la question de la compétence de la juridiction appelée à connaître de l'action en garantie du liquidateur et en responsabilité de l'AGS contre la société ODC.
1°/ Sur l'irrecevabilité de l'appel principal du liquidateur :
C'est à juste titre que la société ODC excipe, d'une part, de l'exclusivité de la voie du contredit, en vigueur à l'époque s'agissant d'un jugement rendu le 14 décembre 2016, antérieurement à l'abrogation de ce recours par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, d'autre part, de l'autorité de chose jugée.
D'une part, sur l'exclusivité du contredit, il résulte, en effet, de l'application combinée de l'ancien article 80, alinéa 1er, et de l'article 323 du code de procédure civile qu'en présence d'une pluralité de parties, les voies de recours s'apprécient séparément à l'égard de chacune d'elles, hormis le cas d'indivisibilité du litige, quand bien même le juge aurait statué sur le fond.
Or, si le jugement attaqué rendu le 14 décembre 2016 statue sur le licenciement en fixant la créance du salarié au passif de la société ODCF, il ne tranche, dans les rapports entre le liquidateur et la société ODC, que la question de la compétence.
Il s'en déduit que seul un contredit, à l'exclusion de tout appel, devait être formé par le liquidateur qui entendait contester l'incompétence de la juridiction prud'homale dans son appel en garantie dirigé contre la société ODC.
D'autre part, sur l'autorité de chose jugée, la Cour de cassation a, par son arrêt précité du 22 janvier 2020, définitivement tranché la question de la compétence du tribunal de commerce de Reims pour connaître de cette action en garantie.
Et elle l'a fait en rejetant le pourvoi contre l'arrêt du 18 octobre 2017 frappé, comme l'exigeaient l'ancien article 80, alinéa 1er, et de l'article 323 du code de procédure civile, de contredit.
Le liquidateur ne peut contourner, par le biais d'un appel, qui n'était pas la bonne voie de recours, ce qui lui a été définitivement refusé sur contredit, seul recours ouvert.
En conséquence, et pour l'ensemble de ces raisons, son appel principal ne pouvait qu'être déclaré irrecevable, ce qu'admet implicitement le liquidateur qui déclare s'en désister.
2°/ Sur l'irrecevabilité de l'appel incident de l'AGS :
C'est à bon droit que la société ODC invoque, d'une part, l'autorité de chose jugée, d'autre part, l'article 550 du code de procédure civile.
D'une part, sur l'autorité de chose jugée, l'arrêt précité rendu le 18 octobre 2017 par la cour d'appel de Reims dit, dans son dispositif, 'qu'à défaut de contredit formé par eux, ni les salariés ni l'AGS ne sont recevables à contester dans le cadre du présent contredit [formé par le liquidateur] les dispositions des jugements en ce qu'ils attribuent compétence[s] aux juridictions américaines pour statuer sur l'action des salariés et sur l'action de l'AGS à l'égard de la société ODC'.
Or, cette partie du dispositif n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation.
Elle est donc revêtue d'une autorité irrévocable de chose jugée, fermant la voie à toute autre recours, tel un appel, pour contester l'incompétence.
D'autre part, il ressort des termes stricts de l'article 550 du code de procédure civile que l'irrecevabilité de l'appel principal, fait en l'espèce par le liquidateur, entraîne celle de l'appel incident, étant souligné que les conclusions d'appel incident de l'AGS ont été prises à l'expiration du délai pour agir à titre principal.
En conséquence, son appel incident ne pouvait qu'être déclaré irrecevable, ce qu'admet implicitement l'AGS qui déclare s'en désister.
3°/ Sur la mise hors de cause de la société ODC :
Il résulte de ce qui précède que ni le liquidateur ni l'AGS ne peuvent remettre en cause, par la voie de l'appel, le jugement d'incompétence du 14 décembre 2016.
En outre, les conclusions prises par le salarié ont été déclarées irrecevables pour tardiveté.
Il s'ensuit que la société ODC pourra être mise hors de cause.
S'il ne résulte d'aucun texte qu'une telle demande relève formellement du conseiller de la mise en état, la mise hors de cause est, en l'espèce, une conséquence inévitable de l'irrecevabilité des appels.
4°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Il ne serait pas équitable, compte tenu de la nature de l'affaire telle qu'elle a été exposée, d'accorder une indemnité de frais irrépétibles.
Si l'incident déposé par la société ODC aurait certes pu, d'un point de vue purement juridique, être soulevé et réglé avant que la Cour de cassation ne statue par son arrêt précité du 22 janvier 2020, il était néanmoins opportun d'attendre le sens de cet arrêt pour vider, dans sa globalité, la question de l'irrecevabilité de l'appel principal et de l'appel incident qui n'apparaît pas simple.
Et tant le liquidateur que l'AGS n'ont alors opposé aucune défense inutile.
Les dépens afférents à l'instance sur incident suivront le sort de ceux sur le fond.
PAR CES MOTIFS :
Nous, conseiller de la mise en état, statuant publiquement, contradictoirement, et par ordonnance susceptible de déféré :
Constatons le désistement de l'appel principal de la société Amandine Riquelme, prise en la personne de Mme A, ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société ODCF, et de l'appel incident de l'AGS en ce qu'ils font grief au jugement du conseil de prud'hommes du 14 décembre 2016 de faire droit à l'exception d'incompétence de la société ODC concernant l'action en garantie du premier et l'action en responsabilité de la seconde dirigées contre elle ;
Disons y avoir lieu, au stade de la mise en état, à la mise hors de cause de la société ODC ;
Rejetons les demandes de frais irrépétibles ;
Renvoyons l'affaire à la mise en état et disons que les dépens de la procédure d'incident sont joints avec ceux du fond.