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Décisions

CRE, cordis, 20 novembre 2013, n° 169-38-11

COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE

Arrêt

sur le différend qui oppose la société Enelios à la société Électricité Réseau Distribution France (ERDF) relatif aux conditions de raccordement d’une installation de production photovoltaïque aux réseaux publics de distribution d’électricité

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Liebert-Champagne

Rapporteur :

M. Laffaille

Avocats :

Me Gandet, M Guénaire

CRE n° 169-38-11

19 novembre 2013

Le comité de règlement des différends et des sanctions,

Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 22 mars 2011, sous le numéro 169-38-11, présentée par la société Enelios, société par actions simplifiée, immatriculée au registre du commerce et des sociétés d’Amiens sous le numéro B 509 579 033, dont le siège social est situé 65, rue Jean-Jacques Mention, 80080 Amiens, représentée par son président, Monsieur Nicolas BECQUART, ayant pour avocat Maître Stéphanie GANDET, Green Law Avocat, 84, boulevard du Général Leclerc, 59100 Roubaix.              

La société Enelios a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie du différend qui l’oppose à la société Électricité Réseau Distribution France (ci-après désignée « ERDF »), sur les conditions de raccordement au réseau public de distribution d’électricité d’un projet de centrale photovoltaïque.

Il ressort des pièces du dossier que la société Enelios développe, pour le compte de la société Beaucelios, un projet de centrale photovoltaïque, d’une puissance de production maximale de 3.000 kW, sur le territoire de la commune de Beaucaire (Gard). La société ERDF est le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité sur le territoire de cette commune.

Le 24 décembre 2009, la Direction de l’énergie a délivré à la société Beaucelios un récépissé de déclaration d’exploiter pour une installation de production photovoltaïque localisée à Beaucaire, d’une capacité de production de 3.018,96 kW.

Le 15 février 2010, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement du Languedoc Roussillon a délivré à la société Beaucelios un certificat ouvrant droit à l’obligation d’achat de l’électricité produite par générateur photovoltaïque.

Le 4 mars 2010, la société Enelios a adressé une demande d’étude détaillée auprès de la société ERDF pour le raccordement du projet de centrale photovoltaïque.

Le 12 mars 2010, la société ERDF a indiqué à la société Enelios que sa demande d’étude détaillée était considérée comme complète à la date du 5 mars 2010.

Le 17 juin 2010, le Maire de la commune de Beaucaire a accordé un permis de construire à la société Cain pour la construction de deux ateliers en bois, entrepôts de stockage et logement de fonction.

Le 29 juillet 2010, la société ERDF a communiqué à la société Enelios une étude détaillée pour le raccordement de l’installation de production photovoltaïque au réseau public de distribution d’électricité, par une liaison souterraine en HTA de 300 mètres, raccordée en antenne sur le départ HTA « CN Air », issu du poste source de « Jonquières ».

Cette étude détaillée évaluait le montant des travaux de raccordement à 61.185,53 € HT.

Le 30 juillet 2010, la société Enelios a demandé à la société ERDF la transformation de l’étude détaillée en proposition technique et financière pour le projet d’installation de production photovoltaïque.

Le 3 août 2010, la société ERDF a indiqué à la société Enelios que sa demande de proposition technique et financière était considérée comme complète à la date du 2 août 2010 et que cette proposition lui serait communiquée dans un délai de trois mois et le 10 décembre 2010, elle l’a informé que le montant du raccordement d’élevait à 101.975,87 €.

Le 15 décembre 2010, la société ERDF a communiqué à la société Enelios une proposition technique et financière pour le raccordement de l’installation de production photovoltaïque au réseau public de distribution d’électricité.

Le 16 décembre 2010, la société Enelios, par l’intermédiaire de son Conseil, a présenté à la société ERDF une requête indemnitaire préalable, accompagnée d’une proposition de protocole d’accord tendant à éviter une procédure en indemnisation de son préjudice financier.

Le 3 janvier 2011, la société ERDF a indiqué au Conseil de la société Enelios que sa requête était en cours de traitement.

Estimant que les conditions de raccordement au réseau public de distribution de l’installation de production n’étaient pas satisfaisantes, la société Enelios a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions d’une demande de règlement du différend qui l’oppose à la société ERDF.

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Dans ses observations, la société Enelios soutient que le comité de règlement des différends et des sanctions est compétent s’agissant d’un litige entre une société ayant demandé le raccordement au réseau public de distribution et la société ERDF, gestionnaire dudit réseau, car elle constitue un utilisateur de ce réseau dans la mesure où elle a effectué plusieurs demandes de raccordement pour ses projets d’installation de production.

Elle affirme que la présente demande de règlement du différend est recevable, car elle agit au nom de la société Beaucelos, dont elle est mandataire.

La société Enelios prétend que pour le projet d’installation de production photovoltaïque, elle a subi les conséquences de multiples fautes de la société ERDF dans l’instruction de la demande de raccordement au réseau public de distribution.

Elle soutient que, conformément aux deux procédures de traitement des demandes de raccordement (référencées ERDF-PRO-RES-21_E et ERDF-PRO-RAC-14_E) en vigueur, le gestionnaire de réseau disposait d’un délai d’un mois pour transmettre la proposition technique et financière. Elle considère que les conditions posées par chacune des documentations techniques étaient remplies et qu’en conséquence le comité de règlement des différends et des sanctions ne pourra que constater que le gestionnaire de réseau a manifestement méconnu sa propre documentation technique de référence en notifiant un délai, de trois mois, de transmission de la proposition technique et financière erroné. Elle ajoute, qu’en ne respectant pas ce délai de trois mois, le comité ne pourra que constater la méconnaissance par le gestionnaire de réseau des règles de traitement des demandes de raccordement.

La société Enelios considère qu’elle a expressément indiqué au gestionnaire de réseau sa volonté d’accepter l’offre de raccordement, qui est strictement identique aux résultats de l’étude technique détaillée.

Elle affirme que la proposition technique et financière aurait dû et pu être matériellement transmise par la société ERDF avant le 2 décembre 2010. Elle considère, donc, qu’en droit, la proposition technique et financière a été clairement notifiée au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010.

La société Enelios indique que l’offre de raccordement du gestionnaire de réseau est clairement connue par l’utilisateur en amont et, à ce titre, la rédaction de la proposition technique et financière ne constitue qu’une matérialisation d’une offre préexistante.

Elle soutient que, dès lors que la demande de raccordement est effectuée conformément à la documentation technique de référence et au décret du 23 avril 2008, relatif aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement pour le raccordement d’installations de production aux réseaux publics d’électricité, la volonté du gestionnaire de réseau de proposer une solution de raccordement préexiste légalement.

La société Enelios prétend que si le gestionnaire de réseau doit recevoir une réponse sur l’offre de raccordement, aucune disposition ne prévoit que l’acceptation de la proposition technique et financière (désignée sous le terme générique d’« offre de raccordement ») soit subordonnée à la production écrite de la proposition technique et financière signée.

Elle indique que la solution financière de raccordement est en tous points similaire à celle proposée dans l’étude technique détaillée, avec le taux de réfaction tarifaire de 40 %.

La société Enelios affirme que l’acceptation de la proposition technique et financière ressort expressément des courriers, courriels et formulations adressés à la société ERDF.

Elle considère, donc, que la réalité de l’acceptation de la proposition technique et financière doit être actée au 2 novembre 2010, ou au plus tard le 22 novembre 2010, date à laquelle elle a expressément notifié au gestionnaire de réseau qu’elle validait l’offre de raccordement qui ne demandait plus qu’à être formalisée.

La société Enelios soutient que la société ERDF commet une erreur en considérant que l’acceptation de la proposition technique et financière ne lui est parvenue que postérieurement au 2 décembre 2010, dès lors que, conformément aux principes établis en droit des obligations, l’acceptation de l’offre de raccordement du projet ressort des pièces du dossier comme ayant eu lieu à la date du 22 novembre 2010 au plus tard.

La société Enelios demande, en conséquence, au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie de :

- constater que la société ERDF a méconnu ses obligations contractuelles et réglementaires, tout comme sa propre documentation technique de référence ;

- constater que la société Enelios aurait dû être destinataire de la proposition technique et financière formalisée pour le projet d’installation de production MED 04012 à Beaucaire ;

- constater, avec toutes conséquences de droit, que la société Enelios avait accepté l’offre de raccordements au réseau n° 000277811/00 le 2 novembre 2010, ou, à titre subsidiaire, au plus tard le 22 novembre 2010 ;

- constater, avec toutes conséquences de droit, que la proposition technique et financière demandée par la société Enelios pour le projet de Beaucaire bénéficie du taux de réfaction de 40 % tel que prévu par l’arrêté du 17 juillet 2008 pris pour l’application de l’arrêté du 28 août 2007, fixant les principes de calcul de la contribution mentionnée aux articles 4 et 18 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité ;

- ordonner à la société ERDF de procéder à la formalisation de la proposition technique et financière pour le projet MED 04012 de Beaucaire conformément aux règles en vigueur au 2 novembre 2010.

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Vu la décision du 29 avril 2011 par laquelle le comité de règlement des différends et des sanctions a suspendu son instruction jusqu’à l’intervention de la décision du Conseil d’État sur les requêtes tendant à l’annulation du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010.

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Vu la lettre du directeur adjoint au directeur général du 12 décembre 2012 par laquelle il est demandé à la société ERDF de présenter ses observations.

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Vu les observations en défense, enregistrées le 29 janvier 2013, présentées par la société Électricité Réseau Distribution France (ERDF), société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro B 444 608 442, dont le siège social est situé 102, terrasse Boieldieu, 92085 Paris La Défense Cedex, représentée par sa Présidente du directoire, Madame Michèle BELLON, et ayant pour avocat, Maître Michel GUÉNAIRE, cabinet Gide Loyrette & Nouel, 26 cours Albert Ier, 75008 Paris.

La société ERDF soutient que la saisine de la société Enelios est irrecevable dès lors qu’elle ne contient pas d’extrait « Kbis » de la société en méconnaissance des dispositions de l’article 7 du règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions.

Elle prétend que la saisine de la société Enelios est irrecevable dès lors qu’elle ne justifie pas d’un mandat l’habilitant à représenter, dans le cadre du présent règlement de différend, la société Beaucelios qui a développé le projet litigieux.

La société ERDF expose, également, que le comité de règlement des différends et des sanctions n’est pas compétent pour connaitre de la demande de la société Enelios dans la mesure où celle-ci ne concerne pas l’accès au réseau public de distribution d’électricité, mais vise à faire échec à l’application des dispositions du décret du 9 décembre 2010 et à la reconnaissance de la validité d’un contrat d’achat d’électricité.

Elle considère qu’il ne revient pas au comité de règlement des différends et des sanctions, ni même à la cour d’appel de Paris, d’écarter l’application de dispositions réglementaires à l’occasion de l’adoption de décisions de règlement de différends. Elle affirme qu’elle était tenue d’interrompre le traitement de la demande de raccordement concernée par la suspension de l’obligation d’achat prévu par le décret du 9 décembre 2010.

La société ERDF prétend que le différend porte sur la possibilité d’enjoindre à la société ERDF de délivrer une proposition technique et financière à la date du 2 novembre 2010 et, donc, de réintégrer la demande de raccordement dans la file d’attente à cette date, et au plus tard le 22 novembre 2010, et d’écarter les dispositions du décret du 9 décembre 2010. Elle indique que la proposition technique et financière a été délivrée à la société Enelios, le 15 décembre 2010. Elle observe que la société Enelios sollicite, donc, que la proposition technique et financière soit réputée avoir été acceptée avant même la date de son émission.

Elle ajoute que le constat du non-respect par la société ERDF de sa documentation technique de référence serait sans rapport avec l’objet du présent différend. Elle considère, donc, que la compétence d’attribution du comité de règlement des différends et des sanctions se limitant à la résolution de litiges, en l’absence de différend à trancher concernant le non-respect de ce délai, le comité ne pourrait se prononcer sur ce sujet sans méconnaître l’article L. 134-19 du code de l’énergie.

Elle affirme qu’en reconnaissant la méconnaissance par la société ERDF de ses obligations, le comité de règlement des différends et des sanctions reconnaîtrait sa faute sans y être habilité par un quelconque texte. Elle indique que la présente demande de constat a pour seul objet de faire attester par le comité l’existence d’une faute de la part de la société ERDF, dans l’unique but de permettre à la société Enelios de saisir ensuite des juridictions compétences d’une demande de condamnation de la société ERDF à lui verser des dommages et intérêts.

La société ERDF expose qu’aucun délai pour la délivrance d’une proposition technique et financière n’a été légalement fixé pour les installations de production d’une puissance supérieure à trois kilovoltampères. Elle affirme que la Commission de régulation de l’énergie ne disposait d’aucune compétence pour adopter une délibération (délibération de la CRE du 11 juin 2009) imposant au gestionnaire du réseau de distribution d’électricité de traiter chaque demande de raccordement dans un délai déterminé. Elle estime, donc, que l’erreur de droit commise par la Commission de régulation de l’énergie est directement à l’origine de l’erreur de fait commise par la société ERDF qui a repris in extenso les termes de la délibération. Elle en conclut que l’engagement de la société ERDF est nul et ne saurait lui être opposé.

Elle expose que le législateur n’a pas fixé de délai impératif pour la délivrance de proposition de raccordement et qu’il ressort d’une jurisprudence établie des juridictions administratives et judiciaires qu’en l’absence de sanction expressément prévue, comme en l’espèce, par le texte qui établit un délai, ce dernier doit être vu comme dénué de valeur impérative. Elle ajoute que le comité de règlement des différends et des sanctions a d’ailleurs reconnu le caractère indicatif du délai de trois mois pour la délivrance d’une proposition de raccordement dans sa décision Vol-V Solar du 22 juin 2011, confirmé par la cour d’appel de Paris.

La société ERDF indique avoir été confrontée à un afflux considérable de demandes de raccordement durant l’été 2010, qui caractérise des circonstances exceptionnelles, justifiant le retard dans la délivrance de la proposition de raccordement à la société Enelios.

Elle considère que la société Enelios n’a pu accepter d’offre de raccordement avant le 15 décembre 2010, dès lors que l’expiration du délai d’instruction de sa demande de raccordement n’a pas fait naître d’offre de raccordement implicite. Elle ajoute que, contrairement à ce que soutient la société Enelios, l’émission de l’offre de raccordement et son acceptation sont soumises à des conditions de forme particulières. Elle conclut, donc, que le comité de règlement des différends et des sanctions ne pourra enjoindre de fournir à la société Enelios une proposition technique et financière à la date du 2 novembre 2010.

La société ERDF soutient que l’article 11 de la loi du 7 décembre 2010, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, a entraîné la suppression de la réfaction pour l’ensemble des travaux de raccordement concernant les installations de production d’électricité et ce dès le lendemain de sa publication au Journal officiel, soit le 9 décembre 2010. Elle affirme que, la proposition technique et financière ayant été émise le 15 décembre 2010, elle devait prendre en compte l’abrogation du taux de réfaction.

La société ERDF conclut qu’il plaise au comité de règlement des différends et des sanctions de :

À titre principal,

- déclarer irrecevable la demande de la société Enelios ; et, à tout le moins,

- se déclarer incompétent pour statuer sur sa demande.

À titre subsidiaire,

- rejeter la demande de la société Enelios.

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Vu les observations en réplique, enregistrées le 21 février 2013, présentées par la société Enelios.

La société Enelios produit, à l’appui de son mémoire, d’une part, deux extraits du registre du commerce et des sociétés, datés de moins de trois mois à la date de la saisine du comité et de moins de trois mois à la date du mémoire, établissant son existence légale, et, d’autre part, le mandat donné à la société Enelios par la société Beaucelios pour introduire tout recours en son nom et pour son compte devant le comité de règlement des différends et des sanctions.

Elle soutient que le litige en cause est relatif au refus de la société ERDF de constater l’acceptation de la proposition technique et financière conformément à sa propre documentation technique de référence et aux règles applicables. Elle ajoute que l’absence de formalisation de la proposition technique et financière dans le délai imparti de trois mois peut être assimilée à un refus d’accès au réseau, justifiant, ainsi, la saisine du comité de règlement des différends et des sanctions sur le fondement de l’article L. 134-19 du code de l’énergie.

La société Enelios considère que le comité de règlement des différends et des sanctions est parfaitement habilité à constater que la société ERDF aurait méconnu sa procédure de traitement des demandes de raccordement.

Elle estime qu’elle a expressément indiqué au gestionnaire de réseau sa volonté d’accepter l’offre de raccordement, dont il est établi qu’elle est strictement identique aux résultats de l’étude détaillée. Elle considère, donc, que la proposition technique et financière aurait dû et pu être matériellement transmise avant le 2 décembre 2010 et que le comité de règlement des différends et des sanctions ne pourra que constater qu’elle a été clairement notifiée au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010, indépendamment de sa signature formelle.

La société Enelios soutient que l’offre de raccordement du gestionnaire de réseau était connue par l’utilisateur et, qu’à ce titre, la rédaction de la proposition technique et financière n’est qu’une matérialisation d’une offre préexistante.

Elle affirme qu’aucune disposition de la documentation technique de référence ne prévoit que l’acceptation de la proposition technique et financière soit subordonnée à la production écrite de la proposition signée. Elle indique que l’acceptation de la proposition technique et financière ressort expressément des courriers, courriels et formulations adressés par la société Enelios à la société ERDF. Elle prétend, donc, que l’acceptation de la proposition technique et financière est actée au 2 novembre 2010, au plus tard le 22 novembre 2010, date à laquelle elle a expressément notifié au gestionnaire de réseau qu’elle validait l’offre de raccordement qui ne manquait plus qu’à être formalisée.

La société Enelios considère que le gestionnaire de réseau ne peut juridiquement lui appliquer rétroactivement la suppression du taux de réfaction de 40 %, sauf à sanctionner la société Enelios pour les fautes que la société ERDF a elle-même commises.

Elle soutient, donc, qu’il a lieu de reconstituer les droits de la société Enelios en termes de place dans la file d’attente et de taux de réfaction applicable, et ce conformément à la date d’acceptation de l’offre de raccordement pour le projet de la société Beaucaire.

La société Enelios souligne que l’argument relatif à la compétence de la Commission de régulation de l’énergie soulevé par la société ERDF est au demeurant inopérant, car ce n’est pas au comité de règlement des différends et des sanctions d’apprécier la légalité d’un acte. Elle rappelle que le délai de trois mois constitue une obligation contractuelle de la société ERDF à l’égard de l’État conformément au contrat de service public conclu en application de l’article 1er de la loi du 9 août 2004, relative au service public d’électricité et de gaz.

Elle soutient que l’argument d’une situation exceptionnelle est non seulement inopérant, mais en tout état de cause infondé. Elle prétend que le délai de trois mois, et dans certains cas, d’un mois, est bien un délai impératif s’imposant à la société ERDF et que ce délai a été méconnu en l’espèce.

La société Enelios demande, en conséquence, au comité de règlement des différends et des sanctions de :

- constater que la société ERDF a méconnu ses obligations contractuelles et réglementaires, tout comme sa propre documentation technique de référence ;

- constater que le refus d’accès au réseau de l’installation de production de la société Beaucelios est infondé compte tenu de l’accord sur la proposition technique et financière qui a été émis par le demandeur au raccordement ;

- en conséquence, d’enjoindre la société ERDF d’accuser réception de l’acceptation de la proposition technique et financière n° MED 04012 afférente au projet de Beaucaire ;

- en conséquence, de dire que le délai de raccordement du projet sera prolongé pendant toute la durée de la présente procédure ;

- en conséquence, d’enjoindre la société ERDF d’avoir à réaliser les travaux de raccordement correspondants dans un délai compatible avec celui imposé par les dispositions de l’article 4 du décret du 9 décembre 2010.

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Vu les observations en duplique, enregistrées le 26 juillet 2013, présentées par la société ERDF.

La société ERDF considère qu’aucune proposition technique et financière implicite ne naissait à l’expiration du délai de transmission de l’offre de raccordement et que les conditions de forme particulières qui sont imposées pour l’acceptation de la proposition technique et financière s’opposent à la demande de la société Enelios.

Elle indique que la cour d’appel de Paris a explicitement confirmé que les dispositions de l’article 11 de la loi du 7 décembre 2010, qui ont supprimé le taux de réfaction, étaient d’application immédiate y compris pour les demandes de raccordement déposées avant son entrée en vigueur.

La société ERDF soutient que la société Enelios ne peut se prévaloir du contrat de service public signé entre l’État et la société EDF, le 24 octobre 2005, n’étant partie au contrat.

Elle estime que dès lors qu’elle est soumise à une obligation de moyens, le comité de règlement des différends et des sanctions ne pourra pas retenir qu’elle a méconnu sa procédure de traitement des demandes de raccordement sans constater au préalable qu’elle n’a pas mis en œuvre tous les moyens permettant de se conformer à son obligation. Elle ajoute que le comité devra nécessairement détailler en quoi les mesures prises par la société ERDF étaient insuffisantes pour remplir son obligation de moyens.

La société ERDF persiste, donc, dans ses précédentes conclusions.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’énergie, notamment ses articles L. 134-19 et suivants ;

Vu le décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié, relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l’énergie ;

Vu le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010, suspendant l’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations utilisant l’énergie radiative du soleil ;

Vu la décision du 20 février 2009, relative au règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie ;

Vu la décision du 22 mars 2011 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie, relative à la désignation d’un rapporteur pour l’instruction de la demande de règlement de différend enregistrée sous le numéro 169-38-11 ;

Vu la décision du 27 décembre 2012 du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie, relative à la prorogation du délai d’instruction de la demande de différend introduite par la société Enelios ;

Vu la décision numéro 344972 et autres du 16 novembre 2011 du Conseil d’État, société Ciel et Terres et autres ;

Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique, qui s’est tenue le 20 novembre 2013, du comité de règlement des différends et des sanctions, composé de Madame Monique LIEBERTCHAMPAGNE, président, Madame Sylvie MANDEL, Monsieur Roland PEYLET et Monsieur Christian PERS, membres, en présence de :

Monsieur Thibaut DELAROCQUE, représentant le directeur général empêché et la directrice juridique empêchée,

Monsieur Didier LAFFAILLE, rapporteur,

Les représentants de la société Enelios, assistés de Maître Stéphanie GANDET,

Les représentants de la société ERDF, assistés de Maître Michel GUÉNAIRE.

Après avoir entendu :

- le rapport de Monsieur Didier LAFFAILLE, présentant les moyens et les conclusions des parties ;

- les observations de Maître Stéphanie GANDET pour la société Enelios ; la société Enelios persiste dans ses moyens et conclusions ;

- les observations de Maître Michel GUÉNAIRE pour la société ERDF ; la société ERDF persiste dans ses moyens et conclusions ;

Aucun report de séance n’ayant été sollicité ;

Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré le 20 novembre 2013, après que les parties, le rapporteur, le public et les agents des services se sont retirés.

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Sur la recevabilité de la demande de la société Enelios

La société ERDF soutient que la saisine de la société Enelios est irrecevable dès lors, d’une part, qu’elle ne contient pas d’extrait « Kbis » de la société en méconnaissance des dispositions de l’article 7 du règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions et, d’autre part, qu’elle ne justifie pas d’un mandat l’habilitant à représenter, dans le cadre du présent règlement de différend, la société Beaucelios qui a développé le projet litigieux.

La société Enelios a communiqué un extrait de Kbis de moins de trois mois et un mandat donné à la société Enelios par la société Beaucelios pour introduire tout recours en son nom et pour son compte devant le comité de règlement des différends et des sanctions. La demande est donc recevable.

Sur la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions

La société Enelios soutient que le comité de règlement des différends et des sanctions est compétent s’agissant d’un litige entre une société ayant demandé le raccordement au réseau public de distribution et la société ERDF, gestionnaire dudit réseau, car elle constitue un utilisateur dudit réseau dans la mesure où elle a effectué plusieurs demandes de raccordement pour ses projets d’installation de production.

La société ERDF soutient que le comité de règlement des différends et des sanctions n’est pas compétent pour connaitre la demande de la société Enelios dans la mesure où celle-ci ne concerne pas l’accès au réseau public de distribution d’électricité, mais vise à faire échec à l’application des dispositions du décret du 9 décembre 2010 et à la reconnaissance de la validité d’un contrat d’achat d’électricité.

L’article L. 134-19 du code de l’énergie dispose que le « comité de règlement des différends et des sanctions peut être saisi en cas de différend : 1° Entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d’électricité […] sur l’accès auxdits réseaux […] ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d’accès ou de désaccord sur la conclusion, l’interprétation ou l’exécution des contrats mentionnés aux articles L. 111-91 à L. 111-94, L. 321-11 et L. 321-12 […], la saisine du comité est à l’initiative de l’une ou l’autre des parties […] ».

Il n’est pas contesté que la demande de raccordement a été enregistrée par la société ERDF, le 5 mars 2010, et qu’il existe un différend portant sur le raccordement de l’installation de production au réseau public d’électricité, lequel relève de la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions.

Sur la méconnaissance par la société EDF de sa documentation technique de référence 

La société Enelios demande au comité de règlement des différends et des sanctions de constater que la société ERDF a méconnu ses obligations contractuelles et réglementaires, tout comme sa propre documentation technique de référence.

La société ERDF soutient que le législateur n’a pas conféré de délai impératif pour la délivrance de proposition de raccordement et qu’il ressort d’une jurisprudence établie des juridictions administratives et judiciaires qu’en l’absence de sanction expressément prévue, comme en l’espèce, par le texte qui établit un délai, ce dernier doit être vu comme dénué de valeur impérative. Elle ajoute que le comité de règlement des différends et des sanctions a d’ailleurs reconnu le caractère indicatif du délai de trois mois pour la délivrance d’une proposition de raccordement.

La procédure de traitement des demandes de raccordement individuel en BT de puissance supérieure à 36 kVA et en HTA, au réseau public de distribution géré par ERDF (référence ERDF-PRO-RAC-14_E), qui fait partie de sa documentation technique de référence, prévoit dans sa version applicable à l’espèce et en son article 8.2.1 que la société ERDF dispose d’un « délai défini dans le barème de raccordement pour le type d’installation concerné. Ce délai n’excédera pas trois mois quel que soit le domaine de tension de raccordement. Ce délai peut être ramené à un mois lorsque les conditions suivantes sont réunies :

- une pré-étude approfondie a été transmise,

- les données techniques de l’installation sont inchangées depuis la pré-étude approfondies,

- les données du réseau et les capacités réservées en puissance de raccordement impactant les résultats de la pré-étude approfondie n’ont pas été modifiées ».

Il résulte de ces dispositions que si le délai de délivrance d’une proposition technique et financière peut être réduit à un mois, sous les conditions ainsi décrites, ce n’est qu’une simple faculté, dont il n’a pas été fait usage en l’espèce, selon le courrier de la société ERDF en date du 3 août 2010.

Il ressort des pièces du dossier que la demande de raccordement a été considérée comme complète par la société ERDF, le 2 août 2010 et que la proposition technique et financière correspondante a été notifiée, le 15 décembre 2010, par la société ERDF à la société Enelios. 

La proposition technique et financière n’a, donc, pas été notifiée dans le délai que prévoit la procédure de traitement des demande de raccordement, par la société ERDF à la société Enelios, ce qui constitue une méconnaissance par la société ERDF de sa documentation technique de référence.

La société Enelios est donc fondée à invoquer la méconnaissance par la société ERDF de sa documentation technique de référence, quand bien même cette obligation ne serait pas une obligation de résultat.

Sur l’acceptation de la proposition technique et financière

La société Enelios estime qu’elle a expressément indiqué au gestionnaire de réseau sa volonté d’accepter l’offre de raccordement. Elle fait valoir qu’elle a expressément indiqué au gestionnaire du réseau, par courriel du 22 novembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière. Elle considère, donc, que cette proposition doit être considérée comme ayant été acceptée avant le 2 décembre 2010.

La procédure de traitement des demandes de raccordement, susmentionnée, prévoit en son article 8.3.4 que l’« accord sur l’offre de raccordement est matérialisé par la réception d’un exemplaire original, daté et signé, de l’offre de raccordement, sans modification ni réserve, accompagné du règlement de l’acompte ou de l’ordre de service signé correspondant ».

La société Enelios, qui n’a pas envoyé ces pièces à la société ERDF, n’est pas fondée à se prévaloir d’une acceptation de la proposition technique et financière.

Sur l’application du décret du 9 décembre 2010

La société Enelios demande au comité de règlement des différends et des sanctions de constater que les refus d’accès au réseau de l’installation de production de la société Beaucelios est infondé compte tenu de l’accord sur la proposition technique et financière qui a été émis par le demandeur au raccordement.

La société Enelios demande, en conséquence :

- d’enjoindre la société ERDF d’accuser réception de l’acceptation de la proposition technique et financière n° MED 04012 afférente au projet de Beaucaire ;

- de dire que le délai de raccordement du projet sera prolongé pendant toute la durée de la présente procédure ;

- d’enjoindre la société ERDF d’avoir à réaliser les travaux de raccordement correspondants dans un délai compatible avec celui imposé par les dispositions de l’article 4 du décret du 9 décembre 2010.

La société ERDF soutient qu’elle était tenue d’interrompre le traitement de la demande de raccordement concernée par la suspension de l’obligation d’achat prévu par le décret du 9 décembre 2010.

L’article 1er du décret du 9 décembre 2010 dispose que l’« obligation de conclure un contrat d’achat de l’électricité produite par les installations mentionnées au 3° de l’article 2 du décret du 6 décembre 2000 susvisé est suspendue pour une durée de trois mois courant à compter de l’entrée en vigueur du présent décret. Aucune nouvelle demande ne peut être déposée durant la période de suspension ».

L’article 3 du même décret du 9 décembre 2010, prévoit que les « dispositions de l’article 1er ne s’appliquent pas aux installations de production d’électricité issue de l’énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau ».

L’article 5 dudit décret dispose qu’« à l’issue de la période de suspension mentionnée à l’article 1er, les demandes suspendues devront faire l’objet d’une nouvelle demande complète de raccordement au réseau pour bénéficier d’un contrat d’obligation d’achat ».

Le décret du 9 décembre 2010 susvisé fait obligation au producteur qui n’a pu renvoyer avant le 2 décembre 2010 au gestionnaire de réseau une proposition technique et financière signée, de renouveler sa demande de raccordement à l’expiration du délai de trois mois pendant lequel toutes les demandes de contrat d’obligation d’achat sont suspendues.

En l’espèce, la société Enelios n’a pas été en mesure de renvoyer la proposition technique et financière signée avant le 2 décembre 2010.

Il résulte de ce qui précède que le comité de règlement des différends et des sanctions n’est pas en droit d’enjoindre à la société ERDF de délivrer, à ce jour, à la société Enelios une proposition technique et financière pour son projet aux conditions prévalant avant l’entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010.

La circonstance que le délai de trois mois suivant la qualification de la demande ait été dépassé ne permet pas de considérer que la société Enelios était titulaire, à l’expiration du délai de trois mois suivant la qualification de la demande, d’une proposition technique et financière implicite susceptible d’être acceptée et renvoyée avant le 2 décembre 2010.

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 DÉCIDE :

Article 1er. – La société Électricité Réseau Distribution France a méconnu sa procédure de traitement des demandes de raccordement.

Article 2. – Le surplus de la demande de la société Enelios est rejeté.  

Article 3. – La présente décision sera notifiée à la société Enelios et à la société Électricité Réseau Distribution France. Elle sera publiée au Journal officiel de la République française.