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Décisions

CJUE, 6e ch., 27 avril 2023, n° C-352/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

A1, A2

Défendeur :

I

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. von Danwitz

Juges :

M. Kumin (rapporteur), Mme Ziemele

Avocat général :

M. Richard de la Tour

CJUE n° C-352/21

26 avril 2023

LA COUR (sixième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 15, point 5, et de l’article 16, point 5, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant A1 et A2, deux personnes physiques domiciliées au Danemark, à I, une compagnie d’assurances établie aux Pays-Bas (ci-après la « compagnie d’assurances I »), au sujet de la validité d’une clause attributive de juridiction prévue par un contrat d’assurance sur corps de navire relatif à un voilier.

Le cadre juridique

Le règlement no 1215/2012

3 Les considérants 15 et 18 du règlement no 1215/2012 énoncent :

« (15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. [...]

[...]

(18) S’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales. »

4 Les règles de compétence en matière d’assurances, qui font l’objet de la section 3 du chapitre II de ce règlement, figurent aux articles 10 à 16 de ce dernier.

5 L’article 10 dudit règlement est libellé comme suit :

« En matière d’assurances, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 et de l’article 7, point 5). »

6 L’article 11 du même règlement prévoit, à son paragraphe 1 :

« L’assureur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait :

a) devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile ;

b) dans un autre État membre, en cas d’actions intentées par le preneur d’assurance, l’assuré ou un bénéficiaire, devant la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile ; [...]

[...] »

7 L’article 15 du règlement no 1215/2012 dispose :

« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :

[...]

5) qui concernent un contrat d’assurance en tant que celui-ci couvre un ou plusieurs des risques énumérés à l’article 16. »

8 Aux termes de l’article 16 de ce règlement :

« Les risques visés à l’article 15, point 5), sont les suivants :

1) tout dommage :

a) aux navires de mer, aux installations au large des côtes et en haute mer ou aux aéronefs, causé par des événements survenant en relation avec leur utilisation à des fins commerciales,

b) aux marchandises autres que les bagages des passagers, durant un transport réalisé par ces navires ou aéronefs soit en totalité, soit en combinaison avec d’autres modes de transport ;

2) toute responsabilité, à l’exception de celle des dommages corporels aux passagers ou des dommages à leurs bagages,

a) résultant de l’utilisation ou de l’exploitation des navires, installations ou aéronefs, conformément au point 1 a), pour autant que, en ce qui concerne ces derniers, la loi de l’État membre d’immatriculation de l’aéronef n’interdise pas les clauses attributives de compétence pour l’assurance de tels risques ;

b) du fait de marchandises durant un transport visé au point 1 b) ;

3) toute perte pécuniaire liée à l’utilisation ou à l’exploitation des navires, installations ou aéronefs conformément au point 1 a), notamment celle du fret ou du bénéfice d’affrètement ;

4) tout risque lié accessoirement à l’un de ceux visés aux points 1) à 3) ;

5) sans préjudice des points 1) à 4), tous les “grands risques” au sens de la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II) [(JO 2009, L 335, p. 1)]. »

9 Ainsi qu’il ressort du considérant 41 du règlement no 1215/2012, conformément aux articles 1er et 2 du protocole (no 22) sur la position du Danemark, annexé au traité UE et au traité FUE, le Royaume de Danemark n’a pas participé à l’adoption de ce règlement et n’était pas lié par celui-ci ni soumis à son application. Cependant, conformément à l’article 3, paragraphe 2, de l’accord entre la Communauté européenne et le Royaume de Danemark sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2005, L 299, p. 62), cet État membre a, par une lettre du 20 décembre 2012, notifié à la Commission européenne sa décision d’appliquer le contenu dudit règlement, avec pour conséquence que les dispositions de celui-ci sont appliquées aux relations entre l’Union européenne et le Danemark. Conformément à l’article 3, paragraphe 6, de cet accord, la notification du Danemark crée des obligations réciproques entre le Danemark et l’Union (JO 2013, L 79, p. 4).

La directive 2009/138

10 L’article 13 de la directive 2009/138 dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

27) “grands risques” :

a) les risques classés sous les branches 4, 5, 6, 7, 11 et 12 de l’annexe I, partie A ;

b) les risques classés sous les branches 14 et 15 de l’annexe I, partie A lorsque le preneur exerce à titre professionnel une activité industrielle, commerciale ou libérale et que les risques sont relatifs à cette activité ;

c) les risques classés sous les branches 3, 8, 9, 10, 13 et 16 de l’annexe I, partie A, pour autant que le preneur dépasse les limites chiffrées d’au moins deux des critères suivants :

i) un total de bilan de 6 200 000 [euros] ;

ii) un montant net du chiffre d’affaires[...] de 12 800 000 [euros] ;

iii) un nombre de 250 employés en moyenne au cours de l’exercice.

[...]

[...] »

11 La branche 6, intitulée « Corps de véhicules maritimes, lacustres et fluviaux », de l’annexe I, partie A, de cette directive est libellée comme suit :

« Tout dommage subi par :

– véhicules fluviaux ;

– véhicules lacustres ;

– véhicules maritimes. »

La décision 2014/887/UE

12 Le considérant 7 de la décision 2014/887/UE du Conseil, du 4 décembre 2014, relative à l’approbation, au nom de l’Union européenne, de la convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for (JO 2014, L 353, p. 5), énonce :

« L’Union devrait, lors de l’approbation de la convention [sur les accords d’élection de for conclue le 30 juin 2005 sous l’égide de la conférence de La Haye de droit international privé], faire en outre la déclaration autorisée au titre de l’article 21 excluant du champ d’application de la convention les contrats d’assurance en général, sous réserve de certaines exceptions bien définies. L’objectif de cette déclaration est de préserver les règles de compétence protectrices prévues dans le règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1),] et dont peuvent se prévaloir le preneur d’assurance, l’assuré ou un bénéficiaire en matière d’assurance. L’exclusion devrait être limitée à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts des parties les plus faibles aux contrats d’assurance. Par conséquent, elle ne devrait pas concerner les contrats de réassurance ni les contrats liés à de grands risques. L’Union devrait dans le même temps faire une déclaration unilatérale dans laquelle elle indiquera qu’elle pourrait, à un stade ultérieur, à la lumière de l’expérience acquise dans le cadre de l’application de la convention, réévaluer la nécessité de maintenir sa déclaration au titre de l’article 21. »

13 Aux termes de la « [d]éclaration de l’Union européenne au moment de l’approbation de la convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for [...] conformément à l’article 21 de [cette] convention », figurant à l’annexe I à la décision 2014/887 :

« L’objectif de la présente déclaration, qui exclut du champ d’application de la convention certains types de contrats d’assurance, est de protéger certains preneurs d’assurance, parties assurées et bénéficiaires qui jouissent d’une protection spéciale en vertu du droit interne de l’Union européenne.

1. L’Union européenne déclare, conformément à l’article 21 de la convention, qu’elle n’appliquera pas la convention aux contrats d’assurance, sous réserve des exceptions prévues au paragraphe 2 ci-après.

2. L’Union européenne appliquera la convention aux contrats d’assurance dans les cas suivants :

[...]

d) si l’accord d’élection de for concerne un contrat d’assurance qui couvre un ou plusieurs des risques ci-après considérés comme grands risques :

i) tout dommage causé par des événements survenant en relation avec leur utilisation à des fins commerciales :

a) aux navires de mer, aux installations au large des côtes et en haute mer ou aux véhicules fluviaux et lacustres ;

[...]

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

14 Le 15 octobre 2013, A1 et A2 ont conclu un contrat de vente portant sur l’acquisition d’un voilier d’occasion, au prix de 315 000 euros, avec un détaillant établi à Ijmuiden (Pays-Bas).

15 A1 et A2 ont également conclu un contrat d’assurance de responsabilité civile et sur corps de navire relatif à ce voilier avec la compagnie d’assurances I. Lors de la conclusion de ce contrat, prenant effet le 1er novembre 2013, A1 et A2 ont indiqué sur le formulaire de demande d’assurance fourni par cette compagnie, intitulé « Application form yacht insurance » (formulaire de demande d’assurance yacht), d’une part, que ledit voilier aurait son port d’attache au Danemark et, d’autre part, qu’il ne serait utilisé qu’à des fins privées et récréatives et qu’il ne serait ni loué ni affrété.

16 En vertu d’une disposition des conditions d’assurance prévues par ledit contrat, le titulaire de la police d’assurance pouvait soumettre tout litige à un tribunal compétent aux Pays-Bas.

17 Au mois de mai 2018, A1 et A2 se seraient échoués en Finlande. Au cours du printemps de l’année suivante, ils ont découvert des dommages sur la quille et sur la coque dudit voilier. Ainsi, au mois de mai 2019, ils ont notifié l’échouement à la compagnie d’assurances I, qui, après expertise, a refusé de couvrir les dommages déclarés, et cela en raison de leur nature.

18 Ultérieurement, A1 et A2 ont formé un recours contre cette compagnie devant le Retten i Helsingør (tribunal d’Elseneur, Danemark) afin que celle-ci soit condamnée à couvrir les frais afférents à la réparation de ces dommages, évalués à 300 000 couronnes danoises (DKK) (environ 40 300 euros). Dans le cadre de ce recours, ladite compagnie a soulevé une exception d’irrecevabilité, au motif que, conformément à la clause attributive de juridiction prévue par le contrat d’assurance en cause, ledit recours aurait dû être introduit devant une juridiction néerlandaise.

19 Par un jugement du 19 mai 2020, le Retten i Helsingør (tribunal d’Elseneur) a fait droit à cette exception d’irrecevabilité.

20 A1 et A2 ont interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark), en demandant, à titre principal, le renvoi de l’affaire devant le Retten i Helsingør (tribunal d’Elseneur) et, à titre subsidiaire, un examen au fond du recours par la juridiction de renvoi, au motif que, en tant que bateau de plaisance, le voilier en cause au principal ne relève pas de l’article 16, point 5, du règlement no 1215/2012 et que, par conséquent, c’est à bon droit qu’ils ont introduit leur recours en première instance devant une juridiction danoise.

21 Plus spécifiquement, A1 et A2 font valoir qu’il y a lieu de qualifier de « grands risques », au sens de cette disposition, les seuls dommages subis par un navire assuré et utilisé à des fins commerciales et survenant dans le cadre d’une telle utilisation. L’interprétation de ladite disposition, selon laquelle sont considérés comme « grands risques » l’ensemble des dommages subis par tout navire, quelles que soient sa taille et son utilisation, y compris par des bateaux de plaisance utilisés à des fins privées, serait contraire aux objectifs poursuivis par le règlement no 1215/2012 et, en particulier, à celui de la protection de la partie la plus faible dans la relation contractuelle.

22 La compagnie d’assurances I conteste l’argumentation avancée par A1 et A2. Selon cette compagnie, bien que ces derniers aient la qualité de consommateurs, ils ont conclu un contrat d’assurance comportant une clause attributive de juridiction contraignante, selon laquelle le for compétent est une juridiction néerlandaise. Une telle clause serait permise en vertu de l’article 15, point 5, du règlement no 1215/2012, dès lors qu’une assurance sur corps de navire, telle que celle en cause au principal, relèverait de la notion de « grands risques », au sens de l’article 16, point 5, de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 13, point 27, de la directive 2009/138.

23 Dans ces conditions, l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions combinées de l’article 15, point 5, et de l’article 16, point 5, du règlement [no 1215/2012] doivent-elles être interprétées en ce sens que les assurances sur corps des bateaux de plaisance qui ne sont pas utilisés à des fins commerciales relèvent de l’exception prévue à l’article 16, point 5, de ce règlement et, partant, un contrat d’assurance qui contient une clause attributive de juridiction dérogeant au principe de l’article 11 dudit règlement est-il valide au regard de l’article 15, point 5, du même règlement ? »

Sur la question préjudicielle

24 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, point 5, du règlement no 1215/2012, lu en combinaison avec l’article 16, point 5, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’un contrat d’assurance sur corps de navire portant sur un bateau de plaisance utilisé à des fins non commerciales relève de cet article 15, point 5.

25 À titre liminaire, aux fins de répondre à cette question, il y a lieu de rappeler que la section 3 du chapitre II du règlement no 1215/2012 établit des règles spéciales de compétence en matière d’assurances.

26 Ainsi, l’article 11, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1215/2012 dispose que l’assureur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait dans un autre État membre, devant la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile, en cas d’actions intentées par le preneur d’assurance, l’assuré ou un bénéficiaire.

27 Néanmoins, dans certains cas, le règlement no 1215/2012 prévoit la possibilité de déroger par des conventions auxdites règles spéciales de compétence en matière d’assurances et, notamment, en vertu de l’article 15, point 5, de ce règlement, par des conventions qui concernent un contrat d’assurance en tant que celui-ci couvre un ou plusieurs des risques énumérés à l’article 16 dudit règlement.

28 En l’occurrence, il est constant que, au regard du contrat d’assurance en cause au principal et des risques couverts par celui-ci, seul l’article 16, point 5, du règlement no 1215/2012, qui vise les « grands risques » au sens de la directive 2009/138, pourrait être pertinent.

29 Il y a également lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation [arrêt du 25 juin 2020, A e.a. (Éoliennes à Aalter et à Nevele), C 24/19, EU:C:2020:503, point 37 ainsi que jurisprudence citée].

30 Dès lors, afin de savoir si, s’agissant d’un contrat d’assurance sur corps de navire portant sur un bateau de plaisance utilisé à des fins non commerciales, il peut être dérogé aux règles de compétence en matière d’assurances prévues par le règlement no 1215/2012, il convient de se rapporter aux libellés respectifs de l’article 15, point 5, et de l’article 16, point 5, de ce règlement, à ceux des dispositions pertinentes de la directive 2009/138, à laquelle cet article 16, point 5, renvoie, ainsi qu’à l’économie de ces règles, à leur genèse et aux objectifs qui les sous tendent (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2020, Balta, C 803/18, EU:C:2020:123, point 32 et jurisprudence citée).

31 En ce qui concerne l’interprétation littérale des dispositions en cause, il résulte d’une lecture conjointe de l’article 15, point 5, et de l’article 16, point 5, du règlement no 1215/2012 que « tous les “grands risques” au sens de la directive 2009/138 » figurent au nombre des risques visés à cet article 15, point 5.

32 S’agissant de la notion de « grands risques », elle est définie à l’article 13, point 27, de cette directive.

33 Ainsi, premièrement, conformément à cet article 13, point 27, sous a), constituent des « grands risques » les risques classés sous les branches 4 à 7, 11 et 12 de l’annexe I, partie A, de ladite directive.

34 Deuxièmement, en vertu dudit article 13, point 27, sous b), relèvent des « grands risques » les risques classés sous les branches 14 et 15 de cette annexe I, partie A, lorsque le preneur exerce à titre professionnel une activité industrielle, commerciale ou libérale et que les risques sont relatifs à cette activité.

35 Troisièmement, le même article 13, point 27, sous c), vise les risques classés sous les branches 3, 8 à 10, 13 et 16 de ladite annexe I, partie A, pour autant que le preneur dépasse les limites chiffrées d’au moins deux des critères énoncés à ce point 27, sous c).

36 En l’occurrence, il est constant que, parmi les branches de l’annexe I, partie A, de la directive 2009/138 auxquelles il est fait référence à l’article 13, point 27, sous a) à c), de cette directive, seule la branche 6, qui est mentionnée à cet article 13, point 27, sous a), pourrait être pertinente. Cette branche vise tout dommage subi par des véhicules fluviaux, lacustres et maritimes.

37 Or, ni ladite branche 6 ni l’article 13, point 27, sous a), de la directive 2009/138 ne contiennent d’autres précisions, notamment quant à l’utilisation qui doit être effectuée de ces véhicules, et cela à la différence de cet article 13, point 27, sous b) et c), qui comporte des indications tenant à l’activité exercée par le preneur d’assurance ou au bilan, au chiffre d’affaires ou au nombre d’employés de son entreprise.

38 Il résulte donc de l’interprétation littérale de l’article 13, point 27, de la directive 2009/138 et de l’article 16, point 5, du règlement no 1215/2012 que ces dispositions sont susceptibles d’être interprétées en ce sens que relèvent des « grands risques », visés auxdites dispositions, tous les dommages subis par des véhicules fluviaux, lacustres et maritimes, qu’ils soient utilisés à des fins commerciales ou non.

39 S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 16, point 5, du règlement no 1215/2012, il convient de relever, d’une part, que cette disposition est introduite par les termes « sans préjudice des points 1) à 4) », ce qui permet de conclure que les points 1 à 4 de cet article 16, constituent une lex specialis par rapport audit article 16, point 5, et que, partant, dans les situations que ces points 1 à 4 visent à régir spécifiquement, ils priment sur ce point 5.

40 D’autre part, l’article 16, point 1, sous a), du règlement no 1215/2012 couvre, notamment, tout dommage aux navires de mer causé par des événements survenant en relation avec leur utilisation à des fins commerciales.

41 Toutefois, ainsi que la Commission l’a observé à juste titre, force est de constater que, dans l’hypothèse où tous les dommages subis par des véhicules maritimes, quelle que soit leur utilisation, seraient considérés comme « grands risques », au sens de l’article 16, point 5, du règlement no 1215/2012, cet article 16, point 1, sous a), serait privé de sa substance en ce qui concerne les navires de mer. Il en irait de même des points 2 à 4 dudit article 16, dès lors que ces derniers points concernent les risques résultant de l’utilisation ou de l’exploitation des navires, conformément au même article 16, point 1, sous a), et les risques liés accessoirement à l’un de ceux visés à l’article 16, points 1 à 3, de ce règlement.

42 Un tel résultat serait contraire à l’intention du législateur de l’Union d’attribuer un contenu propre aux points 1 à 4 de l’article 16 du règlement no 1215/2012.

43 En effet, le libellé de l’article 16 du règlement no 1215/2012 reprend, en substance, celui de l’article 14 du règlement no 44/2001. Or, les points 1 à 4 de cet article 14, devenus les points 1 à 4 de cet article 16, ne figuraient pas dans la proposition de règlement (CE) du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale présentée par la Commission [COM(1999) 348 final], à l’origine du règlement no 44/2001, et n’ont été introduits dans ce dernier qu’au cours de la procédure législative, précisant ainsi la notion de « risques », visée à l’article 15, point 5, du règlement no 1215/2012.

44 Les considérations exposées aux points 39 à 43 du présent arrêt plaident donc en faveur d’une interprétation étroite de l’article 16, point 5, du règlement no 1215/2012, selon laquelle les dommages subis par des véhicules utilisés à des fins non commerciales ne sont pas visés à cette disposition, de telle sorte qu’un contrat d’assurance sur corps de navire portant sur un bateau de plaisance utilisé à des fins non commerciales ne relève pas de l’article 15, point 5, de ce règlement.

45 D’autres considérations contextuelles viennent corroborer cette interprétation. En effet, d’une part, les dérogations aux règles de compétence en matière d’assurances, telles que celle permise par l’article 15, point 5, du règlement no 1215/2012, sont d’interprétation stricte (voir, par analogie, arrêt du 12 mai 2005, Société financière et industrielle du Peloux, C 112/03, EU:C:2005:280, point 31).

46 D’autre part, l’interprétation énoncée au point 44 du présent arrêt permet d’assurer la cohérence avec l’application, par l’Union, de la convention de La Haye sur les accords d’élection de for conclue le 30 juin 2005.

47 En effet, conformément au point 2, sous d), i), sous a), de la déclaration citée au point 13 du présent arrêt, l’Union applique cette convention aux contrats d’assurance si l’accord d’élection de for concerne un contrat d’assurance qui couvre un ou plusieurs des risques considérés comme grands risques, à savoir, notamment, tout dommage causé aux navires de mer par des événements survenant en relation avec leur utilisation à des fins commerciales. Il s’ensuit que, en revanche, l’Union n’applique pas ladite convention s’agissant des contrats d’assurance couvrant des risques survenant en rapport avec une utilisation à des fins non commerciales des navires de mer.

48 Enfin, en ce qui concerne les objectifs poursuivis par le règlement no 1215/2012, il ressort du considérant 18 de ce règlement que l’action en matière d’assurances est caractérisée par un certain déséquilibre entre les parties, que les dispositions de la section 3 du chapitre II dudit règlement visent à corriger en faisant bénéficier la partie plus faible de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales [arrêt du 9 décembre 2021, BT (Mise en cause de la personne assurée), C 708/20, EU:C:2021:986, point 32 et jurisprudence citée].

49 Ainsi, les règles contenues dans cette section 3 ont pour but de garantir que la partie plus faible qui entend assigner en justice la partie plus forte puisse le faire devant une juridiction d’un État membre facilement accessible (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2022, Allianz Elementar Versicherung, C 652/20, EU:C:2022:514, point 50 et jurisprudence citée).

50 Si les parties à un contrat d’assurance couvrant un « grand risque » peuvent, en vertu de l’article 15, point 5, du règlement no 1215/2012, lu en combinaison avec l’article 16, point 5, de celui-ci, déroger aux règles de compétence prévues à ladite section 3 par la conclusion de conventions, une telle faculté a été instaurée afin de tenir compte du fait que les parties à un tel contrat d’assurance sont sur un pied d’égalité (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2020, Balta, C 803/18, EU:C:2020:123, point 39).

51 En effet, aucune protection spéciale ne se justifie, notamment, dans les rapports entre des professionnels du secteur des assurances, dont aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport aux autres (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2020, Balta, C 803/18, EU:C:2020:123, point 45 et jurisprudence citée).

52 En l’occurrence, il en va différemment en ce qui concerne des preneurs d’assurance, tels que les requérants au principal, qui, n’agissant pas en qualité de professionnels, ont conclu un contrat d’assurance sur corps de navire portant sur un bateau de plaisance utilisé à des fins privées et récréatives, et non à des fins commerciales.

53 À cet égard, il n’y a pas lieu d’effectuer une appréciation au cas par cas de la question de savoir si une personne peut être considérée comme une « partie plus faible ». En effet, ainsi que la Cour l’a déjà souligné, une telle appréciation ferait naître un risque d’insécurité juridique et irait à l’encontre de l’objectif du règlement no 1215/2012, énoncé au considérant 15 de celui-ci, selon lequel les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité (arrêt du 27 février 2020, Balta, C 803/18, EU:C:2020:123, point 42 et jurisprudence citée).

54 Dès lors, l’interprétation exposée au point 44 du présent arrêt, selon laquelle un contrat d’assurance sur corps de navire portant sur un bateau de plaisance utilisé à des fins non commerciales ne relève pas de l’article 15, point 5, du règlement no 1215/2012, est conforme aux objectifs poursuivis par ce règlement dans la mesure où, s’agissant de tels contrats d’assurance, une protection spéciale du preneur d’assurance est justifiée et où la prévisibilité des règles de compétence est assurée.

55 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 15, point 5, du règlement no 1215/2012, lu en combinaison avec l’article 16, point 5, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’un contrat d’assurance sur corps de navire portant sur un bateau de plaisance utilisé à des fins non commerciales ne relève pas de cet article 15, point 5.

Sur les dépens

56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 15, point 5, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, lu en combinaison avec l’article 16, point 5, de ce règlement,

doit être interprété en ce sens que :

un contrat d’assurance sur corps de navire portant sur un bateau de plaisance utilisé à des fins non commerciales ne relève pas de cet article 15, point 5.