Cass. crim., 19 avril 2023, n° 23-80.873
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
Mme Piazza
Avocat général :
Mme Chauvelot
Avocat :
SCP Célice, Texidor, Périer
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [Y] [V] a été mis en examen le 20 janvier 2022 des chefs susvisés commis en récidive légale et placé en détention provisoire.
3. Sa détention provisoire a été prolongée à deux reprises, par ordonnances du juge des libertés et de la détention en date des 12 mai et 31 août 2022.
4. Par ordonnance du 12 janvier 2023, le juge des libertés et de la détention a, de nouveau, prolongé sa détention provisoire pour une durée de quatre mois.
5. M. [V] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité formées par la défense et confirmé l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [V], alors « qu'à peine de nullité du débat contradictoire relatif à la prolongation de la détention provisoire, le juge des libertés et de la détention doit notifier à la personne mise en examen son droit de se taire avant l'ouverture des débats, et donc avant toute discussion relative à une éventuelle demande de report de ce débat ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la lecture du procès-verbal de débat contradictoire du 12 janvier 2023 qu'après avoir informé l'exposant de l'absence de son avocat et de la demande de report du débat formée par ce dernier, le juge des libertés et de la détention a entendu Monsieur [V] sur cette demande sans l'informer de son droit au silence ; que le juge n'a en effet « avisé la personne mise en examen que durant l'audience, elle est libre de répondre aux questions, de faire des déclarations spontanées ou de garder le silence » qu'à l'issue du débat relatif à ce report, après avoir implicitement mais nécessairement rejeté cette demande ; qu'en retenant toutefois, pour écarter la nullité du débat contradictoire, que « l'obligation de notifier au mis en examen le droit de se taire a pour finalité d'éviter que celui-ci puisse s'auto-incriminer d'une quelconque façon concernant les faits pour lesquels il est mis en examen » et que « la discussion concernant une demande de renvoi est nécessairement antérieure à l'évocation des faits de la procédure qui pourrait être faite par le mis en examen et cette discussion ne porte que sur les modalités de la tenue du débat contradictoire et de son renvoi éventuel, et cela a bien été le cas en l'espèce », quand le droit de se taire s'applique non seulement au débat sur les faits stricto sensu mais également à tous les débats incidents qui peuvent naître à l'occasion de la présentation de la personne mise en cause devant une autorité ou une juridiction, y compris à l'occasion des discussions concernant le report du débat contradictoire relatif à la détention, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 145, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Pour rejeter le grief de nullité de l'ordonnance contestée, pris du défaut de notification du droit de se taire avant le débat sur la demande de renvoi, l'arrêt attaqué énonce que l'obligation de notifier à la personne mise en examen le droit de se taire a pour finalité d'éviter que celle-ci puisse s'auto-incriminer d'une quelconque façon concernant les faits pour lesquels elle est mise en examen et que la discussion sur la demande de renvoi, antérieure à l'éventuelle évocation des faits par celle-ci, ne porte que sur les modalités de la tenue du débat contradictoire et de son renvoi éventuel.
8. Les juges en déduisent que la notification du droit de se taire est dès lors régulière.
9. C'est à tort que la cour d'appel a retenu que la notification du droit de se taire n'était pas tardive, alors que la personne mise en examen n'en a été informée qu'au cours des débats, après avoir pris la parole sur la demande de renvoi.
10. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que l'absence de notification est sans incidence sur la régularité de la décision rendue, puisqu'à défaut d'une telle information, les déclarations de l'intéressé ne peuvent être utilisées à son encontre par les juridictions appelées à prononcer un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité.
11. Le moyen, inopérant, doit dès lors être écarté.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité formées par la défense et confirmé l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [V], alors « que le respect dû aux droits de la défense, et en particulier au droit pour la personne mise en examen d'être assistée par l'avocat de son choix, impose que le juge des libertés et de la détention, saisi d'une demande de report du débat contradictoire fondée, même partiellement, sur l'absence au débat de l'avocat choisi, motive sa décision de rejet par des éléments établissant l'impossibilité de la tenue d'un nouveau débat à une date ultérieure que lorsque le mandat de dépôt de la personne détenue n'expire pas immédiatement après la date initialement prévue pour le débat, seule l'existence de circonstances insurmontables permet de motiver le rejet d'une telle demande ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la lecture du procès-verbal de débat contradictoire du 12 janvier 2023 qu'informé de l'absence de son avocat et de la demande de report formulée par ce dernier, l'exposant a indiqué se joindre à la demande, précisant expressément qu'il « souhaiterait que son avocate soit présente » que le mandat de dépôt de l'exposant n'expirait que le 19 janvier suivant, soit sept jours, dont cinq jours ouvrables, plus tard, de sorte que la tenue d'un nouveau débat contradictoire n'était pas matériellement impossible ; qu'en retenant toutefois, pour justifier la décision de rejet de cette demande par le juge des libertés et de la détention que ce dernier « pouvait, alors même que le renvoi sollicité était possible, estimer souverainement qu'il pouvait statuer sur la prolongation de la détention en l'état de la procédure », quand il lui incombait de constater qu'en l'absence d'impossibilité matérielle d'organiser un nouveau débat, le juge des libertés et de la détention ne pouvait justifier sa décision qu'au regard de circonstances insurmontables, lesquelles faisaient défaut en l'espèce, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
13. Pour rejeter la demande d'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire de M. [V], prise du refus de renvoi du débat contradictoire demandé par son avocat, l'arrêt énonce que le juge des libertés et de la détention pouvait, alors même que le renvoi sollicité était possible, estimer souverainement qu'il était en mesure de statuer en l'état des éléments mis à sa disposition.
14. Les juges précisent que le juge des libertés et de la détention a répondu aux arguments avancés par la défense de la personne mise en examen à l'appui de la demande de report, à savoir l'absence du dépôt du complément d'enquête de faisabilité et le fait que l'avocate de la personne mise en examen n'ait pas pu s'entretenir avec son client les deux jours précédents le 12 janvier 2023, date du débat contradictoire, car ce dernier était en garde à vue.
15. Ils relèvent que depuis la convocation initiale du 22 décembre 2022 pour un débat contradictoire fixé le 4 janvier 2023, reporté au 12 janvier 2023 à la demande de l'avocate de la personne mise en examen, celle-ci a bénéficié du temps nécessaire à la préparation de sa défense, malgré sa garde à vue.
16. Ils en déduisent que le juge des libertés et de la détention a répondu de façon complète à la demande de report du débat contradictoire présentée devant lui.
17. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction, qui s'est assurée que le juge des libertés et de la détention, qui apprécie souverainement les contraintes de son audiencement sans devoir exciper de circonstances insurmontables, avait motivé sa décision de ne pas accéder au renvoi demandé, a justifié sa décision.
18. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [V], alors « qu'en matière correctionnelle, les décisions prolongeant la détention provisoire au-delà de huit mois doivent comporter l'énoncé des considérations de fait sur le caractère insuffisant des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile lorsque cette mesure peut être ordonnée au regard de la nature des faits reprochés ; que l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile peut être mise en œuvre si la personne est mise en examen pour une infraction punie de plus de sept ans d'emprisonnement et pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru ; qu'il résulte de la procédure que Monsieur [V] est mis en examen notamment du chef d'acquisition et détention d'armes de catégories A et B en réunion, infraction réprimée par les articles 222-52, alinéa 3, et 222-65 du Code pénal de la peine principale de dix années d'emprisonnement et la peine complémentaire de suivi socio-judiciaire ; qu'il est en outre détenu depuis le 20 janvier 2022, soit plus de huit mois ; qu'en se bornant, pour confirmer l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de Monsieur [V], à énoncer que « les obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence avec surveillance électronique sont en effet insuffisantes au regard des objectifs de l'article 137 du code de procédure pénale, ces obligations ne permettant que des contrôles discontinus dont la méconnaissance ne pourrait être sanctionnée qu'a posteriori », sans rechercher si la mise en œuvre mesure d'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile, qui permet un suivi en temps réel, et non seulement a posteriori, de la position géographique de la personne munie du dispositif, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 137-3, 142-5, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 137-3, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, et 593 du code de procédure pénale :
20. Selon le premier de ces textes, en matière correctionnelle, les décisions du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire au-delà de huit mois ou rejetant une demande de mise en liberté concernant une détention de plus de huit mois doivent comporter l'énoncé des considérations de fait sur le caractère insuffisant des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile, prévue au troisième alinéa de l'article 142-5 du code de procédure pénale.
21. L'assignation à résidence sous surveillance électronique peut être exécutée avec un dispositif mobile si la personne est mise en examen pour une infraction punie de plus de sept ans d'emprisonnement et pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru.
22. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
23. Pour confirmer l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire de M. [V], l'arrêt attaqué précise que le juge des libertés et de la détention peut souverainement statuer en l'état des seuls éléments mis à sa disposition.
24. Les juges rappellent les lourds antécédents de la personne mise en examen, la violation d'un précédent contrôle judiciaire, l'insuffisance de ses garanties de représentation, pour en déduire que seule la détention provisoire permet d'empêcher une concertation frauduleuse de l'intéressé avec ses co-auteurs, de prévenir le renouvellement de l'infraction et de garantir sa représentation en justice, ces objectifs ne pouvant être atteints par un placement sous contrôle judiciaire ou une assignation à résidence avec surveillance électronique, qui ne comportent que des mesures de contrôle discontinues et exercées a posteriori.
25. En se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur le caractère insuffisant des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile à laquelle M. [V] était éligible, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
26. En effet, quoi qu'elle ait confirmé la décision du juge des libertés et de la détention, à défaut de toute mention dans l'arrêt du caractère insuffisant de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile, il ne peut être considéré que la motivation spéciale figurant dans cette ordonnance sur ce point ait été implicitement adoptée.
27. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 27 janvier 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.