Cass. crim., 14 avril 2015, n° 14-85.334
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Durin-Karsenty
Avocat général :
M. Cordier
Avocats :
Me Balat, SCP Coutard et Munier-Apaire
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 15 octobre 2014, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante, l'Association régionale de défense des victimes de l'amiante, l'association des professions portuaires CGT du port de Dunkerque, Mme X..., Mme Y..., Mme Z..., M. B..., Mme C..., Mme E..., pris de la violation des articles 80-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a annulé la mise en examen de M. F..., constaté que celui-ci avait le statut de témoin assisté, ordonné la cancellation à la cote D252/ 5 de la phrase « nous notifions à la personne qu'elle est mise en examen pour les faits qui lui ont été notifiés » après qu'il aurait été établie une copie certifiée conforme à l'original et classée au greffe de la cour d'appel de Paris, constaté la régularité de la procédure pour le surplus et fait retour du dossier au juge d'instruction saisi pour poursuite de l'information ;
" aux motifs que, contrairement aux écritures des parties civiles, il doit être notifié au mis en examen précisément les faits qui lui sont reprochés conformément aux dispositions de l'article préliminaire du code de procédure pénale et de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommes et des libertés fondamentales, que les visas des réquisitoires introductifs et supplétifs ne peuvent asseoir une mise en examen ; qu'indiquer au mis en examen l'identité des personnes sur lesquelles le juge lui reproche d'avoir commis un homicide ou des blessures involontaires correspond à l'exigence de précision imposée par les textes conventionnels ; qu'en l'espèce, M. F... est mis en examen pour avoir involontairement causé la mort de Serge X..., Michel Y..., Jean-Luc E... et Claude A... conformément aux termes du procès-verbal de mise en examen ; que les parties civiles souffrant de mésothéliomes, le lien de causalité avec l'exposition à l'amiante est certain, que cependant, au pénal, pour reprocher des fautes à quiconque, il faut constater un lien de causalité certain entre les fautes reprochées au mis en examen et le dommage subi par la victime ; que Serge X... a été exposé à l'amiante sept ans avant la date de prévention, Michel Y... seize ans avant, Jean-Luc S... dix ans avant, Claude A... vingt-sept ans avant, qu'ils ont tous été exposés pendant des périodes où l'exposition n'était soumise à aucune valeur limite d'exposition (vle) ; qu'aucune expertise médicale ne peut fixer la date de contamination, qu'aucun phénomène de surcontamination n'est allégué, qu'il est seulement permis de penser que la période d'incubation est de dix à quarante ans, que la date de contamination ne peut résulter que de probabilités et non de certitude comme l'exige le droit pénal ; que Serge X..., Michel Y..., Jean-Luc S... et Claude A... ont pu être contaminés avant la prise de fonction de M. F..., qu'en l'absence de possibilité de fixer avec certitude la date de contamination les indices ne sont pas graves et concordants et la mise en examen de M. F... doit être annulée ; qu'eu égard à la nullité prononcée, il n'y a pas lieu de prononcer sur les autres moyens de nullité ; qu'il convient de canceller la phrase « nous notifions à la personne qu'elle est mise en examen pour les faits qui lui ont été notifiés » cote D252/ 5 ;
" 1°) alors que la régularité de la mise en examen est seulement subordonnée à l'existence, à l'encontre de la personne mise en cause, d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des faits dont est saisi le juge d'instruction ; que, dès lors, en conditionnant la régularité de la mise en examen à l'existence avérée d'un lien de causalité certain entre les fautes caractérisées imputées à la personne mise en cause et le préjudice subi par les victimes du fait de leur exposition à l'amiante, cependant qu'il suffisait seulement, à ce stade de la procédure, que l'existence d'une telle causalité puisse être regardée comme possible, ce qui résultait de ses constatations, la chambre de l'instruction a méconnu son office, ensemble les textes visés au moyen ;
" 2°) alors que tout jugement doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que, pour annuler la mise en examen de M. F..., l'arrêt attaqué retient qu'il ne peut pas être établi que les victimes ont été contaminées avant la prise de fonction de celui-ci dès lors qu'aucune expertise médicale ne précise la date de contamination et qu'il est seulement permis de penser que la période d'incubation de la maladie est de dix à quarante ans ; qu'en déduisant de ces considérations l'absence d'indices graves ou concordants à l'encontre de la personne mise en examen d'avoir commis les faits reprochés, tout en constatant que les victimes avaient été exposées à l'amiante sur les chantiers de la Normed pendant la période au cours de laquelle le mis en examen était en fonction, la chambre de l'instruction qui a prononcé ainsi par des motifs empreints de contradiction, n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Vu l'article 80-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon ce texte, le juge d'instruction peut mettre en examen une personne dès lors qu'il constate l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions dont il est saisi ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 24 avril 2006, l'Association régionale de défense des victimes de l'amiante du Nord et du Pas-de-Calais et M. X..., salarié de la société Chantiers du Nord et de la Méditerranée (Normed) sise à Dunkerque, ont porté plainte auprès du procureur de la République en dénonçant les dommages résultant, pour les salariés de cette société et leurs épouses, de l'exposition à l'amiante ; qu'une information judiciaire a été ouverte, que d'autres victimes se sont constituées parties civiles et divers réquisitoires supplétifs joints, des chefs notamment d'homicides involontaires et blessures involontaires, omission de porter secours ; que le juge d'instruction a notamment mis en examen de ces chefs M. F..., alors fonctionnaire à la direction des relations du travail au sein du ministère du travail, et notamment chef du bureau " Hygiène en milieu du travail ", également secrétaire du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels ; qu'il lui était reproché, entre 1977 et 1994, par ses fonctions et par sa participation active au comité permanent amiante (CPA) d'avoir, en connaissance de la gravité des risques encourus par les salariés de la société Normed exposés à l'amiante, contribué à créer le dommage ou de n'avoir pas pris les mesures permettant de l'éviter ; que M. F... a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation de sa mise en examen ;
Attendu que, pour faire droit à cette demande, l'arrêt énonce que les expertises effectuées établissent un lien de causalité certain entre les dommages subis par les victimes et leur exposition à l'amiante, mais qu'en matière pénale, il faut constater un lien de causalité certain entre les fautes reprochées au mis en examen et le dommage ; qu'après avoir relevé, pour chacune des victimes, la durée des périodes d'exposition à l'amiante antérieures à la date des faits reprochés à M. F..., les juges retiennent qu'il n'est pas allégué de phénomène de surcontamination, qu'il est permis de penser que la période d'incubation est de dix à quarante ans, qu'aucune expertise médicale ne peut fixer la date de contamination, laquelle ne peut résulter que de probabilités et non de certitude comme l'exige le droit pénal, que les victimes ont pu être contaminées avant la prise de fonction de M. F... et que la certitude du lien de causalité ne pouvant être rapportée, la mise en examen doit être annulée en l'absence d'indices graves ou concordants à l'encontre de l'intéressé ;
Mais attendu qu'en retenant que n'était pas établi un lien de causalité certain entre les faits reprochés à l'intéressé et les dommages subis, et en annulant la mise en examen à défaut d'une telle certitude, alors qu'il lui appartenait seulement, à ce stade de la procédure, de contrôler si, des éléments de l'information relatifs aux faits reprochés à M. F... pendant la période de prévention, compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait, pouvait être déduite l'existence ou non d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable, y compris au regard du lien de causalité, qu'il ait pu participer à la commission des faits d'homicides et de blessures involontaires dont le juge d'instruction était saisi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé n° 1 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 4 juillet 2014, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.