Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 24 octobre 2019, n° 19/00209

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Le Procureur Général - Service Financier et Commercial

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Picard

Conseillers :

Mme Rohart Messager, Mme Deliere

T. com. Paris, du 20 nov. 2018, n° 20180…

20 novembre 2018

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Sas Centenium France avait pour activité le conseil pour les affaires et la gestion. Monsieur E Y C était le gérant depuis le mois de janvier 2009.

Elle a été placée en liquidation judiciaire sur assignation d'un créancier par jugement du tribunal de commerce de Paris du 15 octobre 2015. La date de cessation des paiements a été fixée au 15 avril 2014 après qu'il ait été relevé que la première inscription de privilège datait du 17 juillet 2013. La Selarl Axyme a été désignée en qualité de liquidateur.

Le chiffre d'affaires de 2012 s'élevait à 214.000 euros et à environ 4.000 euros en 2013 et 2.000 euros en 2014 sur un exercice d’un mois. Il n'y avait pas de salarié à l'ouverture de la procédure.

Le passif d'un montant total de 611.000 euros est constitué principalement de créances privilégiées fiscales et sociales. Aucun actif n'a été réalisé. L'insuffisance d'actif non contesté s'élève donc à 611.000 euros.

M. E Y est mandataire social dans 3 autres sociétés ayant selon le ministère public, le même objet social que la Sas Centenium France l'une d'elle portant un nom très similaire, de deux autres sociétés, une Sci et une autre société de conseil (2M), ces 5 sociétés étant, toujours selon le ministère public, in bonis. Il était mandataire de cinq autres sociétés dont quatre ayant été radiées et une ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire.

Sur requête du ministère public reprochant à Monsieur Y une augmentation frauduleuse du passif et une absence de comptabilité Monsieur Y a été condamné par jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 novembre 2018 à une faillite personnelle de neuf ans.

Monsieur Y a interjeté appel de cette décision le 31 décembre 2018.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 4 septembre 2019 il demande à la cour d'appel de :

Vu les dispositions des article 905-2 du code de procédure civile

Vu les dispositions des articles L653-4 5, L653-5 6, L653-8 6 du code de commerce

Vu les pièces communiquées

Et tous autres moyens de droits ou de faits à y suppléer ou ajouter

In limine litis,

- Déclarer irrecevables comme tardives les écritures notifiées par le Ministère Public les 4 et 9 juillet 2019 en application des dispositions de l'article 905-2 du code de procédure civile ;

A titre principal

- Infirmer le jugement entrepris en toute ses dispositions et dire n'y avoir lieu à sanction à l'encontre de M. E Y,

A titre subsidiaire,

- Dire n'y avoir lieu qu'à une mesure d'interdiction de gérer,

- Réduire substantiellement la durée retenue par le Tribunal à l'encontre de M. E Y,

- Réserver les dépens.

Dans son avis du 4 juillet 2019 le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement.

SUR CE

Sur la recevabilité des conclusions du ministère public

Monsieur Y fait valoir qu'en application de l'article 905-2 du Code de procédure civile le ministère public disposait d'un délai d'un mois pour conclure à compter de la notification des conclusions de M. Y, soit jusqu'au 29 avril 2019. Or le ministère public n'a notifié son premier avis et ses pièces par RPVA que le 4 juillet 2019, puis a complété sa première communication le 9 juillet 2019, soit bien après l'expiration du délai d'un mois précité.

Les dispositions de l'article 905-2 sont applicables à l'ensemble des intimés dans les procédures fixées en circuit court devant la cour d'appel, y compris au ministère public. Dès lors, les écritures du ministère public, notifiées postérieurement à l'expiration du délai d'un mois de l'article 905-2 du code de procédure civile seront déclarées irrecevables.

Aux termes des dispositions de l'article 421 du Code de procédure civile le ministère public peut agir comme partie principale ou intervenir comme partie jointe. L'article 424 du Code de procédure civile précise qu'il 'est parti jointe lorsqu'il intervient pour faire connaître son avis sur l'application de la loi dans une affaire dont il a communication.'

En l'espèce, le tribunal de commerce a été saisi sur requête du parquet en application de l'article L 651-3 du code de commerce. Il n'était donc pas parti jointe mais partie principale et les dispositions de l'article 905-2 du Code de procédure civile lui sont en principe applicables.

Cependant, il ressort de la lecture du dossier que le 18 janvier 2019 un avis de désignation d'un conseiller de la mise en état a été adressé par le greffe à l'appelant et ce dernier a d'ailleurs conclu pour la première fois le 29 mars 2019, soit avant de recevoir l'avis de fixation en circuit court qui a été émis par erreur et qui contredisait le précédent avis du greffe.

Ce sont ces avis contradictoires qui sont à l'origine du dépassement du délai pour conclure par le ministère public. La cour déboutera en conséquence Monsieur Y de sa demande d'irrecevabilité des conclusions du ministère public.

Sur le fond

Sur le défaut de tenue de comptabilité

Il est reproché à Monsieur Y une comptabilité irrégulière.

Monsieur Y fait valoir qu'il a toujours tenu une comptabilité régulière. Le redressement fiscal effectué en 2013 est contestable. Il était gravement malade à cette époque, la société avait déménagé son siège social sans effectuer les formalités nécessaires et il n'a pas eu connaissance de ce redressement et n'a pu participer aux opérations de contrôle. Il conteste le bien-fondé du redressement fiscal.

Il est constant que Monsieur E Y a été gravement malade dès la fin de l'année 2010 et qu'il a quitté la présidence de la société à compter du 1er décembre 2011. A cette date son fils A Z lui a succédé comme dirigeant jusqu'au 2 janvier 2013. Puis Monsieur E X est redevenu dirigeant social.

La procédure de vérification de comptabilité a été effectuée en 2013 sans aucune participation de Monsieur Y ou de son fils. Monsieur Y explique que le siège social de la société avait été transféré à Croissy Beaubourg et que ce transfert n'avait pas été signalé au registre du commerce. Cependant, les courriers recommandés adressés à la société à son siège social tel que mentionné au Kbis ... ont été retournés avec la mention non réclamé et les bilans 2014 mentionnaient toujours l'adresse du siège social ... à l'adresse personnelle de Monsieur E Y elle est tout aussi incertaine. Sur plusieurs Kbis de ses autres sociétés il est domicilié ..., apparemment l'adresse de son fils mais les courriers recommandés qui lui ont été adressés à cette adresse ont été retournés avec la mention 'destinataire inconnu'. La mère de E Y, B Y, a attesté que son fils était domicilié à sa résidence principale ... du 1er octobre 2005 au 5 octobre 2015, et Monsieur Y a été convoqué par le tribunal de commerce de Paris à l'adresse c/ Mme B Y, ..., les courriers ayant été retournés 'non réclamés'.

Monsieur Y, qui n'a en premier lieu pas effectué les démarches nécessaires pour modifier l'adresse de la société au Registre du commerce et dont le domicile réel est incertain car fixé à de multiples adresses ne peut donc se retrancher derrière le fait qu'il n'a pas été avisé de la procédure de vérification de comptabilité.

En tout été de cause il ressort de la proposition de rectification fiscale que la comptabilité n'était pas complète jusqu'en 2011 et que seules les liasses fiscales à partir de 2012 ont été produites. Après reconstitution de la comptabilité il est apparu que la TVA était minorée et que le chiffre d'affaires ne correspondait pas à la réalité.

La cour retiendra en conséquence ce grief.

Sur l'augmentation frauduleuse du passif

A la suite du redressement fiscal imposé à la société Centenium du fait du non-paiement de la TVA, celle-ci a dû payer des pénalités à hauteur de 100%. Le paiement de ces pénalités constitue une augmentation frauduleuse du passif.

Le grief sera en conséquence également retenu.

Sur le défaut de déclaration de cessation des paiements

La cour relève que la procédure collective a été ouverte sur assignation de l'Urssaf et non sur déclaration d cessation des paiements. . La date de cessation des paiements a été fixée au 15 avril 2014 et le passif a augmenté de 25.000 euros pendant cette période. Les premières inscriptions de privilèges datent de juillet 2013 de même que la proposition de redressement fiscal. Monsieur Y ne pouvait donc ignorer dès 2013 quand il a repris la direction de la société que celle ci était en cessation des paiements.

Ce grief sera en conséquence également retenu.

Sur la sanction

Bien que Monsieur Y ait déjà été condamné par la chambre des appels correctionnels en 2016 pour fraude fiscale dans le cadre de la gestion de deux autres sociétés, la cour prendra en compte la grave maladie dont Monsieur Y a été atteint et qui l'a invalidé pendant plusieurs mois et notamment pendant le contrôle fiscal.

Dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation la cour condamnera Monsieur E Y à une sanction d'interdiction de gérer pendant une durée de cinq ans.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

INFIRME le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 20 novembre 2018,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE Monsieur E Y à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement aucune entreprise commerciale, artisanale ou toute personne morale pendant une durée de cinq ans,

CONDAMNE Monsieur E Y aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.