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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 26 mars 2013, n° 12/16886

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

OAAGC Holding (SA)

Défendeur :

Chriqui (ès qual.), Le Procureur Général

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bourquard

Conseillers :

Mme Taillandier Thomas, Mme Maunand

Avocats :

Me Herscovici, Me Demidoff, Me Poux

T. com. Paris, du 18 sept. 2012, n° 12/0…

18 septembre 2012

Le Procureur de la république de Paris ayant fait citer diverses personnes qu'il considérait impliquées dans des abus de biens sociaux commis au préjudice de la SAS OFFICE D'ASSURANCES AERIENNES G. DE CUGNAC (OAAGC) a sollicité du président du tribunal de commerce de Paris la désignation d'un administrateur provisoire pour cette société avec mission d'exercer l'action civile au bénéfice de la société dans le cadre de l'instance pénale lors de l'audience devant le tribunal correctionnel.

Par ordonnance du 5 janvier 2012, Maître CHRIQUI a été désigné comme mandataire ad hoc avec la mission précitée.

La société OAAGC et la SA OAAGC HOLDING ont sollicité la rétractation de l'ordonnance.

Par ordonnance du 18 septembre 2012, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a débouté les sociétés OAAGC et OAAGC HOLDING de leur demande et les a condamnées chacune à verser la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles à Maître CHRIQUI.

Les sociétés OAAGC et OAAGC HOLDING, appelantes, par conclusions du 5 février 2013, demandent d'infirmer l'ordonnance du 18 septembre 2012, de rétracter l'ordonnance sur requête ayant désigné Maître CHRIQUI, de renvoyer le Ministère Public à mieux se pourvoir et de condamner tout succombant aux dépens.

Le Procureur Général, par conclusions du 23 janvier 2013, demande la confirmation de l'ordonnance.

Maître CHRIQUI, par conclusions du 15 février 2013, sollicite la confirmation de l'ordonnance et la condamnation de chacune des appelantes à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

SUR CE, LA COUR

Sur la qualité à agir du ministère public :

Considérant que les sociétés OAAGC et OAAGC HOLDING estiment que le Ministère Public n'a pas qualité à agir comme partie principale et que les articles 422 et 423 du code de procédure civile ont été méconnus ;

Considérant que le Procureur Général soutient que l'action ut singuli permise au bénéfice des actionnaires ou associés n'interdit pas l'action du Ministère Public qui trouve son fondement dans les dispositions de l'article 423 du code de procédure civile ;

Considérant qu'aux termes de l'article 422 du code de procédure civile, le ministère public agit d'office dans les cas prévus par la loi ; que l'article 423 du même code précise qu'en dehors de ces cas, il peut agir pour la défense de l'ordre public à l'occasion de faits qui portent atteinte à celui ci ;

Considérant que le président du directoire, M. Eric D. et le président du conseil de surveillance de la société OAAGC étaient poursuivis devant le tribunal correctionnel de Paris du chef d'abus de biens ou de crédit d'une société par actions par un dirigeant à des fins personnelles ;

Considérant qu'il s'ensuit que les intérêts de la société qu'ils représentaient et les leurs étaient opposés ;

Considérant que la société OAAGC a un intérêt à voir poursuivre les responsables des agissements frauduleux commis à son préjudice et à obtenir la réparation de ceux-ci ; que cela suppose qu'elle puisse se constituer partie civile afin que la condamnation des responsables soit prononcée ; que ses dirigeants qui sont les personnes présumées responsables des infractions commises à son préjudice n'ayant pas intérêt à cette poursuite, la société ne peut agir sauf à ce que le Ministère public, garant de l'ordre public économique et chargé du respect de celui-ci, le lui permette en sollicitant la désignation d'un mandataire ad hoc ;

Considérant qu'au surplus, le montant éventuellement important des abus de biens sociaux commis au préjudice de la société peut affecter ses capacités financières, avoir des conséquences à l'égard de ses actionnaires, ses salariés, ses clients ou ses fournisseurs de nature à causer un trouble à l'ordre public économique ; qu'il est de l'intérêt de la société qu'elle puisse obtenir réparation et que le Ministère public a donc qualité pour solliciter la désignation d'un mandataire ad hoc ;

Considérant qu'il s'ensuit que la requête en désignation d'un mandataire ad hoc de la société pour les besoins de l'action civile devant le tribunal correctionnel entre dans le cadre des dispositions de l'article 423 du code de procédure civile ;

Considérant que le moyen relatif à la qualité à agir du Ministère public est donc rejeté ;

Sur la rétractation :

Considérant que les sociétés OAAGC et OAAGC HOLDING relèvent que contrairement aux dispositions de l'article 503 du code de procédure civile, l'ordonnance litigieuse n'a pas été notifiée à la société OAAGC, qu'elle n'a pas été présentée à la société ; qu'elle indique n'avoir eu connaissance de la désignation du mandataire ad hoc que le jour de l'audience correctionnelle ; qu'elle ajoute que les dispositions de l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile n'ont pas été respectées, aucune copie de la requête et de l'ordonnance ne lui ayant été remise et qu'il s'ensuit que la sanction de ce manquement doit être la nullité ;

Considérant qu'elles invoquent le fait qu'il n'est justifié d'aucun motif exigeant le recours à une procédure non contradictoire et que les articles 493 et 875 du code de procédure civile ayant vocation à s'appliquer de manière exceptionnelle, ce manquement ne peut qu'entraîner la rétractation de l'ordonnance ;

Considérant qu'elles estiment que le président du tribunal de commerce n'était pas compétent pour apprécier l'existence d'un conflit d'intérêt qui relevait du fond et le juge des référés n'était pas compétent ;

Considérant qu'elles sollicitent aussi la nullité de la demande de désignation d'un administrateur provisoire par le ministère public sur le fondement de l'article L. 811-1 du code de commerce dès lors que, dans ce cadre, la société devait être mise en cause et que son absence entraîne l'irrecevabilité de la demande ;

Considérant qu'elles estiment que la requête était mal fondée en fait, en droit et portait atteinte aux intérêts de la société ; qu'au surplus, elles soulignent l'absence de diligences de Maître CHRIQUI ;

Considérant que le Procureur général énonce que la désignation de Maître CHRIQUI leur a été dénoncée le jour de l'audience et que la procédure de l'article 495 du code de procédure civile est respectée ; qu'il indique que la dérogation au principe du contradictoire était motivée par l'existence d'un conflit d'intérêt entre la société victime et ses dirigeants sociaux poursuivis pour le délit d'abus de biens sociaux, qu'il était de l'intérêt de la société qu'elle soit représentée par une personne neutre et que les dirigeants statutaires ne pouvaient la représenter dans ce cadre ; qu'il précise que les administrateurs judiciaires sont compétents pour exercer cette mission en vertu de l'article L. 811-1 du code de commerce ;

Considérant que Maître CHRIQUI soutient que l'ordonnance était exécutoire et qu'elle a été placée dans le dossier pénal consultable par les parties, qu'il n'y a pas de formalisme exigeant qu'elle soit signifiée par huissier ; qu'il estime que les articles 16 et 875 du code de procédure civile n'ont pas été méconnus ; qu'au surplus, il ajoute qu'il y avait urgence à raison de la tenue de l'audience correctionnelle ; qu'il précise que le président du tribunal de commerce est compétent pour procéder à la désignation d'un mandataire ad hoc dès lors qu'il existait un conflit d'intérêts entre la société et ses dirigeants ; qu'il maintient que le Ministère public a qualité à agir et à tout le moins au titre de l'action ut singuli ;

Considérant qu'il indique que le dirigeant de la société a effectivement été condamné par le tribunal correctionnel et que, de ce fait, il y avait bien une atteinte aux intérêts de la société ;

Considérant qu'enfin, il conteste ne pas avoir effectué de diligences dès lors que son rôle se bornait à défendre l'intérêt social ;

Considérant que le procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris a, sur le fondement des articles 874 et 875 du code de procédure civile et L811-1 du code de commerce, déposé le 18 décembre 2011 une requête devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir désigner un administrateur provisoire avec mission d'exercer l'action civile au bénéfice de la SAS OAAGC dans le cadre de la procédure ouverte à l'encontre de M. Gérard d. DAMPIERRE et notamment lors de l'audience correctionnelle ;

Considérant qu'aux termes de l'article 875 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut ordonner sur requête, dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 493 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse ;

Considérant que la procédure d'ordonnance sur requête est une procédure exceptionnelle qui doit être spécialement motivée au regard des circonstances particulières de l'espèce ; qu'il appartient au juge saisi de la requête de rechercher même d'office si la mesure sollicitée exige une dérogation à la règle de la contradiction ;

Considérant qu'en l'espèce, la requête, pour justifier de la demande indique que le dirigeant actuel de la SAS OAAGC, M. Gérard d. DAMPIERRE est cité ce jour devant le tribunal correctionnel de Paris pour être jugé des chefs d'abus de biens sociaux commis au préjudice de cette société, dans les termes retenus par la citation jointe, qu'au vu des circonstances de l'espèce, il convient d'assurer la représentation de la personne morale dont les intérêts divergent de ceux de son dirigeant ; qu il n est annexé aucun bordereau de pièces à la requête ; que l ordonnance vise quant à elle la requête et les motifs exposés ainsi que les pièces produites qui n'ont toutefois pas été versées aux débats devant la cour ;

Considérant qu'en tout état de cause, la nécessité de déroger au principe du contradictoire ne saurait être déduite de cette simple relation de faits en l'absence de toute référence, tant dans la requête que dans l'ordonnance, non seulement à l'exigence de recourir à une mesure unilatérale mais également à la justification de cette exigence ;

Considérant qu'au surplus, la cour constate que la requête a été déposée le 18 décembre 2011, l'ordonnance désignant le mandataire ad hoc a été rendue le 5 janvier 2012 et que le procès correctionnel pour lequel le mandataire devait être désigné avait été fixé pour une première audience au fond le 3 juillet 2012 ; qu'il s'ensuit que le caractère urgent de la mesure sollicitée n'est pas avéré ;

Considérant dès lors que les conditions du recours à une telle procédure non contradictoire n'étant pas réunies, la cour ne peut qu'infirmer l'ordonnance entreprise et rétracter l'ordonnance rendue sur requête le 5 janvier 2012 par le président du tribunal de commerce de Paris sans avoir besoin d'examiner les autres moyens soutenus par les appelantes ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire droit à la demande de Maître CHRIQUI présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Considérant que les dépens de l'instance sont mis à la charge du Trésor Public ;

PAR CES MOTIFS :

Infirme l'ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau

Rétracte l'ordonnance rendue le 5 janvier 2012 par le président du tribunal de commerce de Paris désignant Maître CHRIQUI en qualité de mandataire ad hoc pour exercer l'action civile au bénéfice de la société OAAGC dans le cadre de la procédure ouverte à l'encontre de M d.D. et notamment lors de l'audience devant le tribunal correctionnel ;

Rejette la demande de Maître CHRIQUI présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Met les dépens à la charge du Trésor Public.