CRE, cordis, 18 novembre 2015, n° 110-38-11
COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE
Arrêt
sur le différend qui oppose la société Import Export Druguet et Cie à la société Électricité Réseau Distribution France (ERDF) relatif aux conditions de raccordement d’une installation de production photovoltaïque aux réseaux publics de distribution d’électricité
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Liebert-Champagne
Rapporteur :
M. LaFfaille
Avocat :
Me Ezan
Le comité de règlement des différends et des sanctions,
Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 7 mars 2011, sous le numéro 110-38-11, présentée par la société Import Export Druguet et Cie, société par actions simplifiée, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bourg en Bresse sous le numéro 775 544 810, dont le siège social est situé 15, route de Fay, 01660 Mézériat, représentée par son président, Madame Claude DRUGUET, ayant pour conseil Monsieur Stéphane BRUNNER, CRTTI, 87, route de Fay, 01660 Mézériat.
La société Import Export Druguet et Cie (ci-après désignée « Druguet ») a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie du différend qui l’oppose à la société Électricité Réseau Distribution France (ci-après désignée « ERDF »), sur les conditions de raccordement aux réseaux publics de distribution d’électricité d’un projet de centrale photovoltaïque.
Il ressort des pièces du dossier que la société Druguet envisage de développer un projet de centrale photovoltaïque, d’une puissance de production installée de 74,1 kWc, sur le territoire de la commune de Mézériat (Ain). La société ERDF est le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité sur le territoire de cette commune.
Le 3 mai 2010, la mairie de Mézériat a délivré à la société Druguet un récépissé de dépôt de déclaration préalable de travaux non soumis à permis de construire.
Le 3 juin 2010, le Maire de la commune de Mézériat n’a pas fait opposition à la déclaration préalable de la société Druguet pour l’aménagement d’un talus et l’installation d’une centrale photovoltaïque.
Le 16 août 2010, la société CRTTI, agissant pour le compte de la société Druguet, a adressé une demande de raccordement auprès de la société ERDF pour son projet de centrale photovoltaïque.
Le 26 août 2010, la société ERDF a indiqué à la société CRTTI que sa demande était considérée comme complète à la date du 25 août 2010.
Le 13 décembre 2010, la société CRTTI a fait savoir à la société ERDF que le retard dans le traitement de sa demande de raccordement ne pouvait être imputé qu’à la société ERDF et, par conséquent, que la proposition technique et financière serait bien validée dès réception et acceptée par ses soins.
Le 4 février 2011, la société ERDF a indiqué à la société CRTTI que l’application des dispositions du décret du 9 décembre 2010 s’imposait à la société ERDF, indépendamment de la procédure de traitement des demandes de raccordement publiée dans sa documentation technique de référence.
Estimant que les conditions de raccordement au réseau public de distribution de son installation de production n’étaient pas satisfaisantes, la société Druguet a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions d’une demande de règlement du différend qui l’oppose à la société ERDF.
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Dans ses observations, la société Druguet estime que la société ERDF a failli à sa mission de service public en ne remplissant pas ses obligations de délivrer une proposition technique et financière dans un délai de trois mois.
Elle considère qu’il y a inégalité de traitement devant la loi lorsque certains dossiers, initiés dans les mêmes temps, sur deux départements différents, sont traités dans un délai inférieur à trois mois par ERDF – Île de France et excèdent largement ce délai lorsqu’il s’agit d’ERDF – Sillon Rhodanien.
La société Druguet estime qu’elle n’a pas à faire les frais d’une accumulation de dossiers souvent spéculatifs au niveau de la région Rhône Alpes et du retard que cela engendre dans la production des propositions techniques et financières.
Elle juge avoir agi en bon père de famille en réalisant, étapes par étapes, son projet de centrale photovoltaïque au sol et met en avant les investissements qu’elle a concrètement réalisés et qui se retrouvent, aujourd’hui, remis totalement en question.
La société Druguet s’oppose à la décision de la société ERDF de suspendre sa demande de raccordement suite à la publication du décret du 9 décembre 2010 et estime que la société ERDF n’a pas fait face à ses obligations de produire une proposition technique et financière dans le délai de trois mois et qu’elle se retranche derrière cette publication.
Elle estime, par ailleurs, que le préjudice financier qu’elle aurait à subir si elle devait procéder à une nouvelle demande de raccordement, sur la base des nouveaux tarifs d’achat de l’électricité produite annoncés, ne lui permettrait pas de mener son projet à son terme et serait enregistré comme une pure perte pour l’entreprise.
La société Druguet indique, ayant déjà réalisé 90 % de son investissement en vue de la revente de l’énergie produite sur la base d’un tarif de rachat de l’électricité à 31,4 centimes d’euro par kWh, ne pas accepter de se voir imposer un nouveau tarif, beaucoup plus bas et de laisser condamner, ainsi, un projet mûri de longue date.
La société Druguet demande, en conséquence, au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie d’enjoindre à la société ERDF de lui fournir dans les plus brefs délais une proposition technique et financière et, après acceptation, de valider son contrat d’accès au réseau de distribution son dossier (CARD-I) n° 0000287189 avec attribution de la date T0 au 25 août 2010.
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Vu la décision du 29 avril 2011 par laquelle le comité de règlement des différends et des sanctions a suspendu son instruction jusqu’à l’intervention de la décision du Conseil d’État sur les requêtes tendant à l’annulation du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010.
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Vu la lettre du directeur général du 9 janvier 2013 par laquelle il est demandé à la société ERDF de présenter ses observations.
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Vu les observations en défense, enregistrées le 1er février 2013, présentées par la société Électricité Réseau Distribution France (ERDF), société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro B 444 608 442, dont le siège social est situé 34, place des Corolles, 92079 Paris La Défense Cedex, représentée par son président du directoire, Monsieur Philippe MONLOUBOU, et ayant pour avocat, Maître Romain GRANJON, SELAS ADAMAS, 55, boulevard des Brotteaux, 69006 Lyon.
La société ERDF affirme qu’en l’absence d’un extrait de registre du commerce et des sociétés établissant l’existence légale de la personne morale demanderesse, la saisine est irrecevable. Elle ajoute que l’irrecevabilité s’étend à son mandataire, son mandat étant dépourvu de toute valeur juridique.
Elle soutient que la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions ne s’étend pas aux litiges mettant en cause le bénéfice de l’obligation d’achat prévu par les dispositions de l’article L. 314-1 du code de l’énergie. Elle considère que la demande de la société Druguet vise précisément à ne « pas […] se voir imposer un nouveau tarif, beaucoup plus bas », relevant que celui-ci « ne lui permettait pas de mener son projet à terme ». Elle conclut que la demande ne relève pas de la compétence du comité et ne pourra qu’être écartée comme irrecevable.
La société ERDF indique que le projet de la société Druguet, n’ayant pas fait l’objet d’une proposition technique et financière acceptée à la date du 2 décembre 2010, n’a pu bénéficier de la dérogation prévue à l’article 3 du décret du 9 décembre 2010 et qu’il a été suspendu par application de son article 1er. Elle soutient que cette suspension s’imposait à la société Druguet, comme à la société ERDF. Elle ajoute que le comité de règlement des différends et des sanctions n’est pas en mesure de faire obstacle à ces dispositions règlementaires en les déclarant inapplicables au projet de la société Druguet et en permettant sa réintégration en file d’attente à la date du 25 août 2010.
La société ERDF demande, en conséquence, au comité de règlement des différends et des sanctions de rejeter l’ensemble des prétentions de la société Druguet.
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Vu les observations récapitulatives en réplique, enregistrées le 11 mai 2015, présentées par la société Druguet.
La société Druguet indique poursuivre la demande faite par son mandataire, la société CRTTI, aujourd’hui dissoute et reprend l’ensemble des arguments développés.
Elle produit, à l’appui de son mémoire, un extrait du registre du commerce et des sociétés, daté du 3 mai 2015, établissant son existence légale.
La société Druguet soutient qu’il ne s’agit pas d’une contestation sur l’application d’un nouveau tarif, mais d’un refus d’être soumis au décret du 9 décembre 2010.
Elle considère qu’à partir du moment où la société ERDF a accusé réception de la demande de raccordement, elle disposait de trois mois maximum pour fournir à son client une proposition technique et financière, conformément à sa documentation publiée sur son site Internet (ERDF-PRO-RAC-14E).
La société Druguet persiste, par conséquent, dans ses précédentes conclusions et demande au comité de règlement des différends et des sanctions la reconnaissance de la validité de son dossier CARD-I n° 0000287189 avec attribution de la date T0 au 25 août 2010.
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Vu les observations en duplique, enregistrées le 19 juin 2015, présentées par la société ERDF.
Elle indique qu’elle ne conteste pas le fait d’avoir attesté de la complétude du dossier de la société Druguet au 25 août 2015, mais conteste les effets qu’elle entendait octroyer à une telle qualification. Elle considère, donc, que la saisine de la société Druguet est difficilement intelligible et en l’état et en l’absence de clarté de ses prétentions, elle sera déclarée irrecevable.
La société ERDF soutient que le comité de règlement des différends et des sanctions n’est pas compétent pour statuer sur les questions de tarif d’achat et que ni le comité, ni la société ERDF n’ont le pouvoir de faire échec à l’application du décret du 9 décembre 2010.
La société ERDF persiste, par conséquent, dans ses précédentes conclusions et demande au comité de règlement des différends et des sanctions de déclarer irrecevables, ou à défaut, de rejeter l’ensemble des prétentions de la société Druguet.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’énergie, notamment ses articles L. 134-19 et suivants ;
Vu le décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié, relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l’énergie ;
Vu le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010, suspendant l’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations utilisant l’énergie radiative du soleil ;
Vu le décret n° 2015-206 du 24 février 2015, relatif au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie ;
Vu la décision du 11 mars 2015, relative au règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie ;
Vu la décision du 7 mars 2011 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie, relative à la désignation d’un rapporteur pour l’instruction de la demande de règlement de différend enregistrée sous le numéro 110-38-11 ;
Vu la décision du 5 mai 2011 du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie, relative à la prorogation du délai d’instruction de la demande de différend introduite par la société Import Export Druguet et Cie ;
Vu la décision du 21 octobre 2015 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie, fixant la date de clôture de l’instruction relative au différend qui oppose la société Import Export Druguet et Cie à la Électricité Réseau Distribution France ;
Vu la décision numéro 344972 et autres du 16 novembre 2011 du Conseil d’État, société Ciel et Terre et autres.
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Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique, qui s’est tenue le 18 novembre 2015, du comité de règlement des différends et des sanctions, composé de Madame Monique LIEBERTCHAMPAGNE, président, Monsieur Claude GRELLIER, Madame Françoise LAPORTE et Monsieur Roland PEYLET, membres, en présence de :
Madame Alexandra BONHOMME, directrice juridique et représentant le directeur général empêché,
Monsieur Didier LAFFAILLE, rapporteur,
Les représentants de la société ERDF, assistés de Maître Gaëlle EZAN,
Après avoir entendu :
- le rapport de Monsieur Didier LAFFAILLE, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de Maître Gaëlle EZAN pour la société ERDF ; la société ERDF persiste dans ses moyens et conclusions ;
Aucun report de séance n’ayant été sollicité ;
Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré le 18 novembre 2015, après que les parties, le rapporteur, le public et les agents des services se sont retirés.
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Sur la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions
La société ERDF soutient que le comité de règlement des différends et des sanctions n’est pas compétent pour statuer sur les questions de tarif d’achat et que ni le comité, ni la société ERDF n’ont le pouvoir de faire échec à l’application du décret du 9 décembre 2010.
L’article L. 134-19 du code de l’énergie dispose que le « comité de règlement des différends et des sanctions peut être saisi en cas de différend : 1° Entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d’électricité […] sur l’accès auxdits réseaux […] ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d’accès ou de désaccord sur la conclusion, l’interprétation ou l’exécution des contrats mentionnés aux articles L. 111-91 à L. 111-94, L. 321-11 et L. 321-12 […], la saisine du comité est à l’initiative de l’une ou l’autre des parties […] ».
Il n’est pas contesté qu’une demande de raccordement a été enregistrée par la société ERDF, le 25 août 2010, et qu’il existe un différend portant sur le raccordement de l’installation de production au réseau public d’électricité lequel relève de la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions.
Sur la recevabilité de la demande de la société Druguet
La société Druguet a communiqué un extrait de Kbis de moins de trois mois. La demande est, donc, recevable.
Sur l’application du décret du 9 décembre 2010
La société Druguet demande au comité de règlement des différends et des sanctions la reconnaissance de la validité de son dossier CARD-I n° 0000287189 avec attribution de la date T0 au 25 août 2010.
La société ERDF indique que le projet de la société Druguet, n’ayant pas fait l’objet d’une proposition technique et financière acceptée à la date du 2 décembre 2010, n’a pu bénéficier de la dérogation prévue à l’article 3 du décret du 9 décembre 2010 et qu’il a été suspendu par application de son article 1er.
L’article 1er du décret du 9 décembre 2010 dispose que l’« obligation de conclure un contrat d’achat de l’électricité produite par les installations mentionnées au 3° de l’article 2 du décret du 6 décembre 2000 susvisé est suspendue pour une durée de trois mois courant à compter de l’entrée en vigueur du présent décret. Aucune nouvelle demande ne peut être déposée durant la période de suspension ».
L’article 3 du même décret du 9 décembre 2010, prévoit que les « dispositions de l’article 1er ne s’appliquent pas aux installations de production d’électricité issue de l’énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau ».
L’article 5 dudit décret dispose qu’« à l’issue de la période de suspension mentionnée à l’article 1er, les demandes suspendues devront faire l’objet d’une nouvelle demande complète de raccordement au réseau pour bénéficier d’un contrat d’obligation d’achat ».
Le décret du 9 décembre 2010 susvisé fait obligation au producteur qui n’a pu renvoyer avant le 2 décembre 2010 au gestionnaire de réseau une proposition technique et financière signée, de renouveler sa demande de raccordement à l’expiration du délai de trois mois pendant lequel toutes les demandes de contrat d’obligation d’achat sont suspendues.
En l’espèce, la société Druguet a adressé, le 16 août 2010, une demande de raccordement à la société ERDF pour son projet de centrale photovoltaïque. La société ERDF a indiqué à la société Druguet que sa demande était considérée comme complète à la date du 25 août 2010.
La société Druguet n’a pas reçu de proposition technique et financière avant le 2 décembre 2010 et n’a donc pas été en mesure de renvoyer une proposition technique et financière signée avant cette date.
La circonstance que le délai de trois mois suivant la qualification de la demande comme complète ait été dépassé ne permet pas de considérer que la société Druguet était titulaire, à l’expiration de ce délai, d’une proposition technique et financière implicite susceptible d’être acceptée et renvoyée avant le 2 décembre 2010.
Il résulte de ce qui précède que le comité de règlement des différends et des sanctions n’est pas en droit d’enjoindre à la société ERDF de délivrer, à ce jour, à la société Druguet une proposition technique et financière pour son projet aux conditions prévalant avant l’entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010.
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DÉCIDE :
Article 1er. – La demande de la société Import Export Druguet et Cie est rejetée.
Article 2. – La présente décision sera notifiée à la société Import Export Druguet et Cie et à la société Électricité Réseau Distribution France. Elle sera publiée au Journal officiel de la République française.