CRE, cordis, 9 septembre 2013, n° 30-38-11
COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE
Arrêt
sur le différend qui oppose la société ESPACE PRODUCTION INTERNATIONAL (EPI) à la société ELECTRICITE DE STRASBOURG relatif aux conditions de raccordement d’une installation de production photovoltaïque au réseau public de distribution d’électricité
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Liebert - Champagne
Rapporteur :
M. Delarocque
Avocats :
Me Olszak, Me Cognet
Le comité de règlement des différends et des sanctions,
Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 2 mars 2011, sous le numéro 30-38-11, présentée par la société ESPACE PRODUCTION INTERNATIONAL (ci-après « la société EPI »), société anonyme à directoire et conseil de surveillance, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Saverne sous le numéro 390 625 382, dont le siège social est situé 1, rue de l’Europe, 67520 Marlenheim, représentée par son représentant légal, ayant pour avocat, Maître Nicolas OLSZAK, cabinet Olszak avocats, 5, rue de la Mésange, 67000 STRASBOURG et 8, en Nexirue, 57000 METZ.
La société EPI a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie du différend qui l’oppose à la société ELECTRICITE DE STRASBOURG (ci-après « la société ES » ) sur les conditions de raccordement au réseau public de distribution d’électricité d’un projet de centrale photovoltaïque situé sur la commune de Dinsheim sur Bruche.
Il ressort des pièces du dossier que la société EPI a souhaité développer un projet de centrale photovoltaïque en toiture d’une puissance de 740 kWc situé sur le territoire de la commune de Dinsheim sur Bruche.
La société ELECTRICITE DE STRASBOURG est le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité sur le territoire de cette commune.
Le 31 août 2010, la société ELECTRICITE DE STRASBOURG a reçu la demande de raccordement adressée par la société EPI.
Le 7 février 2011, la société ELECTRICITE DE STRASBOURG a indiqué à la société EPI, après plusieurs relances de la part de cette dernière, que sa demande était concernée par la suspension de l’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations utilisant l’énergie radiative du soleil prévue par les dispositions du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010, que dans ces conditions elle ne pouvait plus lui adresser de proposition technique et financière, qu’enfin elle devait au titre des dispositions de l’article 5 dudit décret présenter une nouvelle demande complète de raccordement à l’issue de la période de suspension.
Estimant que les conditions de raccordement au réseau public de distribution de son installation de production n’étaient pas satisfaisantes, la société EPI a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie d’une demande de règlement du différend qui l’oppose à la société ELECTRICITE DE STRASBOURG.
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Dans ses observations, la société EPI relève que la décision de la société ELECTRICITE DE STRASBOURG est intervenue le 7 février 2011, soit dans un délai de cinq mois après le dépôt du dossier de demande de raccordement au réseau public de distribution présentée par ses soins le 31 août 2010, qu’en conséquence la société ELECTRICITE DE STRASBOURG n’a pas respecté le délai de trois mois impératif fixé par l’article 13 du cahier des charges type de concession du réseau public d’électricité et les articles 6.3 et 6.4 de la procédure de traitement des demandes de raccordement des installations individuelles de production et de consommation d’électricité aux réseaux publics de distribution d’électricité de Strasbourg en date du 29 février 2010.
Elle considère que le non-respect dudit délai de trois mois, que rien ne motive, ni ne justifie, doit être qualifié de refus d’accès au réseau.
La société EPI soutient que l’attitude de la société ELECTRICITE DE STRASBOURG est une manœuvre dilatoire et abusive, constitutive d’un refus irrégulier et abusif d’accès au réseau en violation des dispositions de l’article 23 de la loi du 10 février 2000.
Elle ajoute qu’il y a donc lieu d’enjoindre, sur le fondement des dispositions de l’article 38 de la loi du 10 février 2000 et de l’arrêté du 12 janvier 2010, à la société ELECTRICITE DE STRASBOURG, sous astreinte, de lui transmettre une proposition technique et financière correspondant aux tarifs applicables à la date du 31 août 2010.
Dès lors la société EPI demande au comité de règlement des différends et des sanctions de :
- déclarer la société EPI recevable et bien fondée en sa demande ;
- constater que la société ELECTRICITE DE STRASBOURG lui oppose un refus d’accès au réseau abusif et irrégulier, en violation des dispositions de l’article 23 de la loi du 10 février 2000 ;
- enjoindre à la société ELECTRICITE DE STRASBOURG d’adresser à la société EPI une proposition technique et financière dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de sa décision, avec astreinte de 500 euros par jour de retard.
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Par décision du 29 avril 2011, le comité de règlement des différends et des sanctions a suspendu l’instruction de la présente demande de règlement de différend.
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Le 6 juin 2011, la société EPI a formé un recours contre cette décision devant la Cour d’appel de Paris.
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Par courrier du 5 septembre 2012, le Directeur Général de la Commission de régulation de l’énergie a invité la société ELECTRICITE DE STRASBOURG à présenter ses observations dans le cadre de la réouverture de l’instruction de la présente demande de différend.
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Vu les observations en défense n° 1, enregistrées le 11 octobre 2012, présentées par la société ELECTRICITE DE STRASBOURG, société anonyme, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Strasbourg sous le numéro 558 501 912, dont le siège social est situé 26, boulevard du Président Wilson, 67932 Strasbourg Cedex 9, représentée par son représentant légal, ayant pour avocat Maître Romain GRANJON, cabinet ADAMAS Affaires publiques, 55, boulevard des Brotteaux, 69006 Lyon.
La société ELECTRICITE DE STRASBOURG considère que la demande tendant à lui faire injonction d’adresser à la société EPI une proposition technique et financière correspondant aux tarifs applicables à la date du 31 août 2010 ne relève pas de la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions. Elle soutient que l’expiration du délai de trois mois ne fait pas naître automatiquement une proposition technique et financière, enfin à titre surabondant que la demande telle qu’elle est formulée n’a pas de sens d’un point de vue juridique dès lors que la proposition technique et financière fixe le coût du raccordement, non le tarif d’achat d’électricité.
Elle soutient que la demande d’injonction à la société ELECTRICITE DE STRASBOURG d’adresser une proposition technique et financière sans que le décret du 9 décembre 2010 ne puisse être opposé est vouée au rejet dès lors que le comité de règlement des différends et des sanctions ne peut s’opposer à l’application d’un acte réglementaire.
La société ELECTRICITE DE STRASBOURG estime concernant la demande de constat de refus d’accès au réseau que cette demande doit être rejetée dès lors qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du comité de règlement des différends et des sanctions de procéder à des constats en l’absence de toute décision en vertu de l’article L. 134-19 du code de l’énergie et que sa lettre du 7 février 2011, laquelle ne fait qu’appliquer le décret du 9 décembre 2010, ne constitue pas un refus d’accès au réseau.
En conséquence, la société ELECTRICITE DE STRASBOURG demande au comité de règlement des différends et des sanctions de rejeter l’ensemble des prétentions de la société EPI.
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Par arrêt du 23 mai 2013, la cour d’appel de Paris a déclaré que le recours de la société EPI à l’encontre de la décision de suspension du comité de règlement des différends et des sanctions était irrecevable.
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Vu les pièces du dossier ;
Vu le code de l’énergie, notamment ses articles L. 134-19 et suivants ;
Vu le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 suspendant l’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations utilisant l’énergie radiative du soleil ;
Vu le décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l’énergie ;
Vu la décision du 20 février 2009 relative au règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie ;
Vu la décision du 7 mars 2011 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie, relative à la désignation d’un rapporteur et d’un rapporteur adjoint pour l’instruction de la demande de règlement de différend enregistrée sous le numéro 30-38-11 ;
Vu la décision n° 344972 et autres du 16 novembre 2011 du Conseil d’Etat, société Ciel et Terre et autres ;
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Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique du comité de règlement des différends et des sanctions, composé de Madame Monique LIEBERT - CHAMPAGNE, président, Madame Sylvie MANDEL, Monsieur Roland PEYLET et Monsieur Christian PERS, membres du comité, qui s’est tenue le 9 septembre 2013, en présence de :
Monsieur Mathieu CACCIALI, représentant le directeur général et le directeur juridique empêchés,
Monsieur Thibaut DELAROCQUE, rapporteur, et Monsieur Didier LAFFAILLE, rapporteur adjoint,
Le représentant de la société EPI, Maître Nicolas OLSZAK,
Le représentant de la société ELECTRICITE DE STRASBOURG, Maître Gaëlle COGNET,
Après avoir entendu :
- le rapport de Monsieur Thibaut DELAROCQUE, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de Maître Nicolas OLSZAK pour la société EPI ; la société EPI persiste dans ses moyens et conclusions ;
- les observations de Maître Gaëlle COGNET pour la société ELECTRICITE DE STRASBOURG ; la société ELECTRICITE DE STRASBOURG persiste dans ses moyens et conclusions ;
Aucun report de séance n’ayant été sollicité ;
Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré le 9 septembre 2013, après que les parties, le rapporteur, le rapporteur adjoint, le public et les agents des services se sont retirés.
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Sur la compétence du Comité de règlement des différends et des sanctions
Aux termes des dispositions de l’article L. 134-19 du code de l’énergie :
« Le comité de règlement des différends et des sanctions peut être saisi en cas de différend :
1° Entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité ;
(…)
Ces différends portent sur l'accès auxdits réseaux, ouvrages et installations ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d'accès ou de désaccord sur la conclusion, l'interprétation ou l'exécution des contrats mentionnés aux articles L. 111-91 à L. 111-94, L. 321-11 et L. 321-12, ou des contrats relatifs aux opérations de transport et de stockage géologique de dioxyde de carbone mentionnés à l'article L. 229-49 du code de l'environnement.
La saisine du comité est à l'initiative de l'une ou l'autre des parties ».
Il ressort des pièces du dossier que, le 31 août 2010, la société ELECTRICITE DE STRASBOURG a reçu une demande de la société EPI pour le raccordement de son installation de production d’électricité.
La société EPI demande au comité de règlement des différends et des sanctions de considérer que l’attitude de la société ELECTRICITE DE STRASBOURG est une manœuvre dilatoire et abusive, constitutive d’un refus irrégulier et abusif d’accès au réseau en violation des dispositions de l’article 23 de la loi du 10 février 2000.
Ainsi, contrairement à ce que soutient la société ELECTRICITE DE STRASBOURG, la demande de la société EPI portant sur l’existence d’un refus d’accès au réseau, il existe donc bien un différend lié à l’accès au réseau entre, d’une part, la société EPI et, d’autre part, la société ELECTRICITE DE STRASBOURG, qui relève de la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions.
Sur le refus d’accès au réseau
La société EPI demande au comité de règlement des différends et des sanctions de constater que la société ELECTRICITE DE STRASBOURG lui oppose un refus d’accès au réseau abusif et irrégulier, le non-respect du délai de trois mois, que rien ne motive ni ne justifie, devant être ainsi qualifié de refus d’accès au réseau.
Le comité de règlement des différends et des sanctions est compétent pour apprécier les conditions dans lesquelles la procédure de traitement des demandes de raccordement a été conduite.
L’article 6.1.3 de la procédure de traitement des demandes de raccordement des installations individuelles de production et de consommation d’électricité aux réseaux publics de distribution d’électricité de Strasbourg prévoit que « le distributeur réalise une étude détaillée dans un délai de trois mois à compter de la réception de tous les éléments permettant d’instruire la demande ».
L’article 6.4 de ladite procédure précise que « le gestionnaire de réseau dispose d’un délai de trois mois conformément au cahier des charges DSP (distribution de service public), pour réaliser l’étude complète de raccordement et la transmettre à l’utilisateur sous la forme d’une PTF (délai réduit à six semaines pour une installation BT de moins de 36 kVA) ».
Il ressort des pièces du dossier, que la société ELECTRICITE DE STRASBOURG a accusé réception de la demande de raccordement de la société EPI le 31 août 2010, et qu’elle n’a pas sollicité la société EPI afin de lui fournir des éléments complémentaires.
Ainsi, la société ELECTRICITE DE STRASBOURG n’a pas respecté le délai de trois mois pour l’instruction de la demande de raccordement de la société EPI.
Le non-respect du délai de trois mois, s’il peut être constitutif d’un manquement à la procédure, ne saurait constituer par lui-même un refus d’accès au réseau. De plus, l’intervention du décret du 9 décembre 2010 précité ne permettait plus à la société ELECTRICITE DE STRASBOURG de renvoyer valablement une proposition technique et financière et laissait à l’intéressé la possibilité de présenter une nouvelle demande.
Dans ces conditions, la demande de la société EPI tendant à ce qu’un refus d’accès soit constaté ne peut qu’être rejetée.
Sur l’application du décret du 9 décembre 2010
La société EPI demande au comité de règlement des différends et des sanctions d’enjoindre à la société ELECTRICITE DE STRASBOURG de lui adresser, dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de sa décision, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, une proposition technique et financière.
L’article 1er du décret du 9 décembre 2010 dispose que l’« obligation de conclure un contrat d’achat de l’électricité produite par les installations mentionnées au 3° de l’article 2 du décret du 6 décembre 2000 susvisé est suspendue pour une durée de trois mois courant à compter de l’entrée en vigueur du présent décret. Aucune nouvelle demande ne peut être déposée durant la période de suspension ».
L’article 3 du même décret du 9 décembre 2010, prévoit que les « dispositions de l’article 1er ne s’appliquent pas aux installations de production d’électricité issue de l’énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau ».
L’absence d’envoi d’une proposition technique et financière ne permet pas de bénéficier des dispositions de l’article 3, qui instaurent un système dérogatoire, mais conduit à l’application des autres dispositions du décret, et notamment de celles de l’article 5 qui disposent qu’« à l’issue de la période de suspension mentionnée à l’article 1er, les demandes suspendues devront faire l’objet d’une nouvelle demande complète de raccordement au réseau pour bénéficier d’un contrat d’obligation d’achat ».
La légalité dudit décret du 9 décembre 2010 n’a pas été remise en cause par la décision du 16 novembre 2011 du Conseil d’Etat, société Ciel et Terre et autres.
Il résulte de ce qui précède que le comité de règlement des différends et des sanctions n’est pas en droit d’enjoindre à la société ELECTRICITE DE STRASBOURG de délivrer à la société EPI, en l’absence de nouvelle demande, une proposition technique et financière.
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DÉCIDE :
Article 1er. – L’ensemble des demandes de la société ESPACE PRODUCTION INTERNATIONAL est rejeté.
Article 2. – La présente décision sera notifiée à la société ESPACE PRODUCTION INTERNATIONAL et à la société ELECTRICITE DE STRASBOURG. Elle sera publiée au Journal officiel de la République française.