CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 5 avril 2019, n° 17/11261
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Moderne de Construction et d'entretien (SAS)
Défendeur :
Elisée (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dabosville
Conseillers :
Mme Durand, Mme Leblanc
EXPOSÉ DU LITIGE
Faits et procédure
Suivant acte d'engagement du 20 septembre 2013, la Société Immobilière d'Economie Mixte de la Ville de Paris (SIEMP) a confié à la Société Moderne de Construction et d'Entretien (SMCE) la réalisation des travaux de construction de 7 logements au [...] moyennant le prix de 1 207 718,75 € HT.
Suivant contrat signé le 19 mai 2014, la société SMCE a sous-traité à la société Entreprise Elisée les lots n° 3 Etanchéité, et 4 Charpente Couverture moyennant le prix de 46 062,20 € HT.
La SMCE a fait appel à la société ELISEE pour réaliser les travaux découlant des lots N°3 (Etanchéité) et 4 (Charpente-Couverture) et a signé avec elle le 19 mai 2014 un contrat de sous traitance pour un montant de 46 062,20 euros pour les 2 lots, avec paiement direct par le maître d'ouvrage.
Par lettre du 17 février 2015, portant la mention 'Lettre recommandée avec AR + lettre simple + courriel', la société SMCE a constaté l'abandon du chantier par la société Elisée, précisé que cet abandon valait résiliation du marché à ses torts exclusifs, et ajouté qu'elle faisait procéder à la réalisation de ses travaux en ses lieu et place.
Par acte du 30 octobre 2015, la société SMCE a fait assigner la société Elisée devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de résiliation du contrat et condamnation au paiement des sommes de 51 770,70 € HT, 780 € et 62 240 €.
La société Elisée a conclu au rejet de ces demandes et à la condamnation de la société SMCE au paiement des sommes de 29 662,20 € ou subsidiairement 18 000 € à titre de dommages et intérêts.
Décision déférée
Par jugement du 27 janvier 2017, le tribunal a statué de la façon suivante :
Constate la résiliation du contrat de sous-traitance du 19 mai 2014 par la SAS SOCIÉTÉ MODERNE DE CONSTRUCTION ET D'ENTRETIEN « SMCE » aux torts de la SARL ELISEE
Condamne la SARL ELISEE à payer à la SAS SOCIÉTÉ MODERNE DE CONSTRUCTION ET D'ENTRETIEN « SMCE » la somme 2.303,11 euros HT au titre des pénalités de retards avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2015 ;
Condamne la SARL ELISEE à payer à la SAS SOCIÉTÉ MODERNE DE CONSTRUCTION ET D'ENTRETIEN « SMCE» la somme de 260 € au titre de la prise en charge des frais d'huissiers ;
Déboute la SAS SOCIÉTÉ MODERNE DE CONSTRUCTION ET D'ENTRETIEN « SMCE » de ses autres demandes ;
Déboute la SARL ELISEE de ses demandes de dommages et intérêts ;
Ordonne l'exécution provisoire ;
Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du cpc ;
Condamne la société ELISEE aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 € dont 13,52 € de TVA.
La Société Moderne de Construction et d'Entretien a interjeté appel le 07 juin 2017.
Demandes des parties
Par conclusions du 1er septembre 2017, signifiées à la société intimée le 02 octobre 2017, la Société Moderne de Construction et d'Entretien forme les demandes suivantes :
Vu les articles 1134 et 1147 et 1152 du Code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
1/ CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Paris le 27 janvier 2017 en ce qu'il a constaté la résiliation du contrat de sous-traitance du 19 mai 2014 par la société SMCE aux torts de la société ELISEE et en qu'il a condamné la société ELISEE à verser à la société SMCE :
- Condamné la société ELISEE à verser à la société SMCE la somme 2 303,11 euros HT au titre des pénalités de retard avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2016 ;
- Condamné la société ELISEE à verser à la société ELISEE la somme de 260 euros au titre de la prise en charge des frais d'huissiers ;
- Ordonné l'exécution provisoire ;
- Condamné la société ELISEE aux dépens de première instance ;
- Débouté la société ELISEE de ses demandes de dommages et intérêts.
2/ INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Paris le 27 janvier 2017 en ce qu'il a débouté la société SMCE du surplus de ses demandes et,
Statuant à nouveau, et y ajoutant, il demandé à la Cour de :
- RECEVOIR la société SMCE en son appel et l'y déclarée bien fondée ;
- DIRE ET JUGER que la société ELISEE s'est montré défaillante dans le respect des obligations lui incombant en vertu de son marché ;
- DIRE ET JUGER que la société SMCE a éprouvé un préjudice en lien direct avec les retards, malfaçons et graves défaillances de la société ELISEE responsable qui est nettement supérieur au montant de la clause pénale ;
- CONDAMNER la société ELISEE à verser à la société SMCE une somme de 7 164,03 euros du fait du surcoût supporté par SMCE pour la fourniture du bois,
- CONDAMNER la société ELISEE à verser à la société SMCE la somme de 42 244,96 euros HT du fait de la reprise des malfaçons ;
- CONDAMNER la société ELISEE à verser à la société SMCE la somme de 3 840 euros au titre des pénalités pour retard de fourniture des documents ;
- CONDAMNER la société ELISEE à verser à la société SMCE une somme de 4 666 euros au titre des frais d'encadrement en réparation du préjudice réellement subi ;
- DÉBOUTER la société ELISEE de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
- CONDAMNER la société ELISEE à verser à la société SMCE la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société ELISEE à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, dont la distraction au profit de Maître Sylvie V. D., en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Malgré signification de la déclaration d'appel le 31 juillet 2017, à l'étude de l'huissier de justice, la société Elisée n'a pas constitué avocat. Il sera statué par défaut, en application de l'article 473 alinéa 1 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 décembre 2018.
MOTIFS
A/ Sur la résiliation du contrat
Les premiers juges ont constaté que la résiliation du contrat, aux torts de la société Elisée, était intervenue en application de l'article 13-2 des conditions générales du contrat de sous-traitance.
L'article 13-2 des conditions générales du contrat de sous-traitance stipule que la défaillance contractuelle dûment établie du sous-traitant peut entraîner de plein droit la résiliation du contrat après mise en demeure adressée par lettre recommandée avec AR comportant :
- l'indication des manquements auxquels il doit être mis fin,
- la référence aux dispositions du présent article,
- éventuellement les dispositions qui doivent être mises en œuvre par le sous-traitant,
et que, lorsque la mise en demeure est restée infructueuse à l'expiration d'un délai de 8 jours, l'entreprise principale notifie au sous-traitant par LRAR la décision de résiliation et la date à laquelle il sera procédé à un constat contradictoire d'état des lieux et d'avancement des travaux, ce constat étant, en l'absence d'un représentant du sous-traitant, réputé contradictoire et opposable à son égard.
Les lettres de mise en demeure produites par la société appelante ne visent pas les dispositions de l'article 13-2 et sont adressées aux fins d'application des pénalités de retard et non aux fins de résiliation. Par ailleurs, la mise en demeure du 13 février 2015 d'avoir, sous huit jours, à apporter les éléments indiscutables validant les ouvrages ou d'en faire 'les reprises qui s'imposent', ne fait pas état d'une résiliation encourue et ne fait pas référence à l'article 13-2 du contrat. Dans ces conditions, la résiliation n'est pas intervenue dans les conditions prévues au contrat.
Néanmoins, il est établi que la société Elisée a abandonné le chantier. En effet, par courriel du 16 février 2015 adressé à divers intervenants dont la société SMCE, la société Elisée a indiqué 'Comme convenu nous ferons passer un huissier cette semaine pour constater les travaux réalisés, à compter de ce jour il n'y aura personne de notre société tant que notre facture ne sera pas payée et nous annulons toutes les commandes en cours pour non-paiement'. Il a été constaté par la suite qu'effectivement, elle avait quitté le chantier. Ainsi :
- dans le cadre d'un constat réalisé le 18 mars 2015, l'huissier de justice précise : 'je constate par ailleurs, comme j'ai pu le constater à trois autres reprises et donc pour la quatrième fois ce jour, l'absence totale de personnel de la société Elisée sur le chantier.' ;
- et par constat du 23 mars 2015, l'huissier précise : 'je constate que deux personnes, qui reconnaissent être des employés de la société Elisée, sont présentes sur place.
Ces derniers, auxquels je me présente et expose l'objet de mon intervention sur place, me déclarent qu'ils sont arrivés aux alentours de 10 h 30, ce jour, 23 mars 2015 et ils reconnaissent ne pas être venus depuis plus d'un mois.'.
Or contrairement à ce que la société Elisée indique dans son courriel du 16 février 2015, cet abandon du chantier n'était pas justifié par une exception d'inexécution. En effet, par acte modificatif signé le 15 octobre 2015, la société Elisée a accepté de réduire le montant maximum à verser par paiement direct au sous-traitant à la somme de 21 390 €, et la cour constate qu'elle n'a pas formé en première instance de demande en paiement d'un solde de facture, mais des demandes de dommages et intérêts.
L'abandon du chantier constitue en conséquence un manquement contractuel suffisamment grave pour justifier le prononcé de la résiliation du contrat de sous-traitance aux torts de la société sous-traitante, en application des dispositions de l'article 1184 du code civil. Ainsi, le jugement doit être confirmé en ce que la résiliation a été constatée, aux torts de la société Elisée.
B/ Sur les demandes de dommages et intérêts formées par la société SMCE
> Dommages et intérêts alloués par les premiers juges
La société Elisée, non constituée en appel, ne critique pas les dispositions du jugement la condamnant à régler à la société SMCE les sommes de :
- 2 303,11 € HT à titre de pénalités de retard outre intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2015,
- 260 € au titre de la prise en charge des frais d'huissier.
Ces dispositions seront confirmées.
> Dommages et intérêts pour la reprise des malfaçons
La société SMCE conclut que la société ETBI est intervenue pour la reprise des lots Couverture Etanchéité et Bardage balcons pour un montant de 34 698 € HT et la société Tene pour reprendre des malfaçons, à hauteur de 5 832,18 € HT. Elle produit, en appel, des factures, et chiffre sa demande à la somme de 42 244,96 € HT.
La société SMCE ne démontre pas avoir convoqué la société Elisée aux constats des 18 et 23 mars 2015. En effet :
- le 18 février 2015, l'huissier rapporte qu'elle constate que la société Elisée est absente, 'bien que, ainsi que me le déclare Monsieur Daniel B., elle ait été régulièrement convoquée par lettre simple, lettre recommandée par courriel pour assister à ce constat d'état d'avancement des travaux' ;
- le 25 février 2015, l'huissier expose qu'elle est requise par la société SMCE afin de procéder à toutes constatations utiles relatives aux échanges entre SMCE et les sociétés intervenant sur le chantier, 'réunion à laquelle elles ont été conviées', sans préciser si elle a vérifié l'existence de ces convocations.
En revanche, lors du constat du 16 février 2015, l'huissier de justice a indiqué 'je prends acte du fait qu'ont été convoquées par courrier recommandée ...', ce qui suggère qu'elle l'a effectivement constaté. Ce constat est dès lors contradictoire à l'égard de la société Elisée.
Dans le cadre de ce constat, l'huissier de justice a relevé notamment en divers endroits, s'agissant de la société Elisée, des problèmes d'étanchéité et des stigmates d'infiltrations d'eau, des volets battants non posés dans un logement, des huisseries métalliques non conformes dans un autre logement, et des huisseries en bois extérieures qui ne ferment pas dans un autre logement encore.
Cependant, force est de constater qu'en l'absence de précision concernant la nature des travaux réalisés et réglés à hauteur de 21 390 €, soit moins de la moitié du montant des travaux commandés, la société SMCE ne démontre pas que les travaux ayant généré ces désordres ont été réglés à sa sous-traitante. Dans ces conditions, elle ne démontre pas la réalité de son préjudice.
Cette demande de dommages et intérêts doit en conséquence être rejetée.
> Reprise des travaux pour le compte de la société Elisée
La société SMCE chiffre cette demande à 7 164,03 € HT et produit à cet égard une facture établie par elle et trois factures établies par la société Sefcco. Elle précise que c'est la société Elisée qui devait fournir le bois pour le lot Charpente et qu'en raison de la défaillance de la sous-traitante, elle a dû prendre à sa charge le règlement de cette fourniture.
Il est vrai que, contrairement au devis de la société Elisée, le devis établi par la société ETBI le 11 mars 2015 ne prévoit pas la fourniture du bois. Cependant, le procès-verbal de constat du 16 février 2015 établi contradictoirement à l'égard de la société Elisée ne permet pas de déterminer l'état d'avancement des travaux de la société Elisée à la date à laquelle celle-ci a abandonné le chantier, de sorte qu'il n'est pas établi que des travaux nécessitant la fourniture de bois restaient à faire. Au demeurant, l'une des factures de la société Sefcco est antérieure au devis ETBI et fait état d'une commande du 13 février 2015.
Cette demande doit en conséquence être rejetée.
> Pénalités pour retard de fourniture de documents
Le taux de plafonnement des pénalités de retard, illisible sur la photocopie des conditions générales du contrat de sous-traitance produite, est, au vu de la pièce intitulée 'décompte détaillé incidence planning', de 5 %, soit une somme de 2 303,11 € déjà allouée plus haut.
La société SMCE entend y ajouter une somme de 3 840 € qu'elle estime justifiée par les comptes-rendus de chantier actant les retards de transmission, notamment des plans, sans préciser comment cette somme est calculée. Elle vise les dispositions de l'article 1152 du code civil qui permettent au juge de modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue.
Les comptes-rendus de chantier font état de rappels adressés à la société Elisée pour la fourniture de notes de calculs ou de plans. Cependant, il n'est pas établi que le retard sanctionné par les pénalités de retard appliquées à la SMCE, chiffrées par le maître d'ouvrage à 70 000 € HT dans un courriel du 10 novembre 2016, ait pour cause ces retards imputables à la société Elisée.
En conséquence cette demande doit être rejetée.
> Frais d'encadrement
La société SMCE expose qu'elle a dû mobiliser son personnel en raison des défaillances de la société Elisée qu'elle a dû reprendre ou faire reprendre, ce afin d'apaiser le mécontentement du maître d'ouvrage, du maître d'œuvre et des autres intervenants. Elle précise qu'elle limite sa demande à 4 666 €, compte tenu des défaillances des autres entreprises sous-traitantes, Favreau et Feralu.
La production des bulletins de salaire de janvier à mai 2015 d'un chef d'équipe de la société SMCE ne suffit pas à démontrer que le retard reproché à la société Elisée soit directement à l'origine d'une augmentation des charges de la société SMCE. En conséquence cette demande doit être rejetée.
> Ainsi, le jugement sera confirmé en ce que les demandes de dommages et intérêts excédant les sommes de 2 303,11 € HT, à titre de pénalités de retard, et 260 € au titre de la prise en charge des frais d'huissier, ont été rejetées.
C/ Sur les demandes reconventionnelles formées en première instance par la société Elisée
Faute de comparaître, la société Elisée ne renouvelle pas ces demandes en appel. Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce que ces demandes ont été rejetées.
D/ Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel seront mis à la charge de la société SMCE qui sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement,
Confirme le jugement,
Y ajoutant,
Déboute la société Moderne de Construction et d'Entretien SMCE de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Moderne de Construction et d'Entretien SMCE aux dépens d'appel.