Cass. crim., 14 novembre 2007, n° 06-87.378
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dulin
Rapporteur :
Mme Degorce
Avocat général :
M. Di Guardia
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Bernard Z..., fonctionnaire de police placé en position de détachement, a été salarié de la Société française d'exportation de matériels, systèmes et services du ministère de l'intérieur (Sofremi) du 1er mars 1991 au 19 juin 1995, sous l'autorité des présidents successivement en fonction pendant cette période, Philippe X... et Bernard Y...; que ces derniers ont été cités devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'abus de biens sociaux pour avoir accepté de recruter et de salarier Bernard Z...sachant qu'il ne fournissait pas de réelles prestations de travail à la Sofremi ; que Bernard Z...a été poursuivi pour avoir recelé la somme de 207 893,05 euros correspondant aux rémunérations directes ou indirectes versées par la société ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Waquet, Farge et Hazan pour Philippe X... et Bernard Z...pris de la violation des articles 321-1 du code pénal, L. 242-6 3°, L. 242-30, L. 243-1, L. 244-1, L. 246-2 du code de commerce,6,8,591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et de réponse à conclusions, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a rejeté l'exception de prescription de l'action publique ;
" aux motifs que cette prescription n'a commencé à courir qu'au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; l'imputation comptable de l'emploi litigieux sur la masse salariale a créé une justification apparente des débits pouvant être constatés à la lecture des comptes sociaux ; l'inscription de Bernard Z...parmi les effectifs de la Sofremi, les déclarations à l'administration fiscale et aux organismes sociaux, les fiches de paie délivrées à Bernard Z...constituaient autant d'artifices destinés à dissimuler les paiements indus effectués ; ce n'est qu'au cours de l'information ouverte en 2001 que le caractère fictif de l'emploi de Bernard Z...est apparu ; aucun délai de plus de trois ans ne s'est écoulé entre cette révélation et les actes de poursuite effectués ;
" alors, d'une part, que le respect des obligations déclaratives quant à l'emploi d'un salarié et au règlement de son salaire, loin de caractériser une " dissimulation " de la fictivité éventuelle de cet emploi, constitue au contraire la révélation de l'embauche et met à même les différents organes de direction et de contrôle de la société d'en vérifier la réalité et la pertinence ; qu'en déduisant une " dissimulation " de la seule circonstance de l'exécution, par la société, de ses obligations légales de déclaration d'embauche et de salaires, et de délivrance de bulletins de paie, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" alors, d'autre part, qu'une dissimulation justifiant le report éventuel du point de départ de la prescription, s'entend d'un acte positif ou d'une abstention malicieuse ayant pour but et pour effet d'empêcher un contrôle normal sur l'opération critiquée ; que n'est pas dissimulée une opération dont les formes légales sont exécutées dans le moment même de sa conclusion, et dont l'existence est révélée aux nombreux organes de contrôle de la société, dès cette même conclusion, avec tous les éléments leur permettant d'en vérifier l'exactitude et l'utilité, sans aucun acte ni manoeuvre de nature à en cacher les tenants et aboutissants ; que la double circonstance que, d'une part, la Sofremi disposait d'organes de contrôle particulièrement renforcés, son conseil d'administration comprenant des représentants de l'Etat, assistés d'un commissaire du gouvernement, d'un contrôleur d'Etat et d'un collège de censeurs et était assisté d'un commissaire aux comptes, et que, d'autre part, l'embauche portait ouvertement sur la personne d'un syndicaliste policier notoirement connu sur le plan national, permettait à tout intéressé et notamment à tous les organes de contrôle, de connaître, dès la conclusion du contrat, l'engagement de Bernard Z..., et d'en apprécier la réalité, la pertinence et l'utilité ; qu'en reportant le point de départ de la prescription à raison d'une dissimulation inexistante, sans s'expliquer précisément sur ces circonstances qui l'excluaient nécessairement, la cour d'appel a encore méconnu les textes précités ;
" alors, de surcroît, que les prévenus rappelaient que la Sofremi avait pendant la période d'exécution du contrat, et à plusieurs reprises, fait l'objet d'enquêtes poussées de la part de la DST et des services de l'Etat ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces circonstances, de nature à démontrer que les autorités de poursuite avaient pu à cette occasion s'assurer des circonstances de l'embauche de Bernard Z..., et au besoin mettre l'action publique en branle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
" alors, enfin, qu'à supposer que l'infraction eût été prétendument dissimulée, le point de départ de la prescription de l'action publique doit être fixé par les juges du fond, par des motifs suffisants, permettant à la Cour de cassation d'exercer son contrôle ; qu'en affirmant que le caractère fictif de l'emploi serait apparu " au cours de l'information ouverte en 2001 ", sans expliquer de quelle information il s'agit (la présente procédure ayant été ouverte sur une citation directe faisant suite à une enquête préliminaire), ni en quoi cette information aurait " fait apparaître " ce qui était déjà notoirement connu, la cour d'appel a totalement privé sa décision de base légale au regard des textes précités " ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié pour Bernard Y..., pris de la violation des articles L. 242-6 3°, L. 242-30, L. 243-1, L. 244-1, L. 246-2 du code de commerce,6,8,591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a rejeté l'exception de prescription de l'action publique ;
" aux motifs que contrairement à ce que soutiennent les prévenus, la prescription n'est pas acquise ; que cette prescription n'a commencé à courir qu'au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; que l'imputation comptable de l'emploi litigieux sur la masse salariale a créé une justification apparente des débits pouvant être constatés à la lecture des comptes sociaux ; que l'inscription de Bernard Z...parmi les effectifs de la Sofremi, les déclarations à l'administration fiscale et aux organismes sociaux, les fiches de paie délivrées à Bernard Z...constituaient autant d'artifices destinés à dissimuler les paiement indus effectués ; que ce n'est qu'au cours de l'information ouverte en 2001 que le caractère fictif de l'emploi de Bernard Z...est apparu ; qu'aucun délai de plus de trois ans ne s'est écoulé entre cette révélation et les actes de poursuite effectués ; que l'exception sera rejetée ;
" alors que la dissimulation d'un délit, qui suppose l'occultation des actes qui en constituent l'élément matériel, ne peut résulter du seul respect des obligations légales ; qu'en énonçant que l'inscription parmi les effectifs, les déclarations fiscales et sociales et les fiches de paye délivrées à Bernard Z...constituaient des artifices destinés à dissimuler les paiements indus, sans relever l'existence d'actes caractérisant la dissimulation du versement des salaires indus, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour écarter la prescription de l'action publique, l'arrêt attaqué, après avoir constaté qu'il résultait des déclarations faites au cours d'une information judiciaire distincte que Bernard Z..., employé à la Sofremi, n'y avait exercé aucune activité, énonce que ce n'est qu'à la suite de l'ouverture de cette information, en 2001, qu'est apparu le caractère fictif de cet emploi ;
Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, d'où il résulte que l'absence de prestation de travail correspondant aux rémunérations versées à Bernard Z...n'est apparue et n'a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique qu'en 2001, soit moins de trois ans avant la demande d'enquête du procureur de la République du 6 mai 2003, premier acte interruptif de prescription, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;
Sur le second moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Waquet, Farge et Hazan pour Philippe X... et Bernard Z..., pris de la violation des articles 321-1 du code pénal, L. 242-6 3°, L. 242-30, L. 243-1, L. 244-1, L. 246-2 du code de commerce,591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Philippe X... et Bernard Y...coupable d'abus de biens sociaux et Bernard Z...coupable de recel d'abus de biens sociaux ;
" aux motifs que quand bien même Philippe X... et Bernard Y...n'ont tiré aucun bénéfice financier direct de l'infraction dénoncée, ils ont à tout le moins agi dans le souci de maintenir de bonnes relations avec des tiers ;
" alors que l'abus de biens sociaux n'est constitué que lorsque le dirigeant poursuivi a fait des biens ou du crédit de la société, un usage non seulement contraire à l'intérêt de celle-ci, mais également à des fins personnelles, ou pour favoriser une entreprise dans laquelle il serait intéressé directement ou indirectement ; que les juges du fond doivent caractériser le bénéfice personnel qu'aurait ainsi tiré le dirigeant poursuivi de l'opération critiquée ; qu'en se bornant à relever que Philippe X... et Bernard Y...auraient agi dans le souci de maintenir de bonnes relations avec des tiers, sans préciser de quels tiers il s'agit, ni caractérisé le moindre intérêt personnel qu'ils auraient tiré de l'emploi de Bernard Z..., la cour d'appel à privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés " ;
Sur le second moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié pour Bernard Y..., pris de la violation des articles L. 242-6 3°, L. 242-30, L. 243-1, L. 244-1, L. 246-2 du code de commerce,591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard Y...coupable d'abus de biens sociaux et l'a condamné à une amende de 5 000 euros :
" aux motifs que, quand bien même Philippe X... et Bernard Y...n'ont tiré aucun bénéfice financier direct de l'infraction dénoncée, ils ont à tout le moins agi dans le souci de maintenir de bonnes relations avec des tiers ;
" alors que le délit d'abus de biens sociaux suppose que l'acte incriminé ait été accompli dans l'intérêt personnel, direct ou indirect, du dirigeant ; que la cour d'appel ne pouvait se borner à énoncer que l'engagement d'un salarié avait été fait dans le souci de maintenir de bonnes relations avec des tiers, sans préciser si le maintien de ces bonnes relations avait un intérêt personnel ou au contraire, comme il était soutenu, n'était destiné qu'à préserver la clientèle de la société " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'après avoir relevé que Bernard Z...avait été embauché sur la demande insistante de François A..., directeur général de la police nationale, qui relayait lui-même des instructions reçues du conseiller à la présidence de la République, Michel B..., cette embauche ne correspondant à aucune nécessité, l'arrêt énonce que Philippe X... et Bernard Y...ont agi dans le souci de maintenir de bonnes relations avec des tiers ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel, qui a caractérisé l'intérêt personnel pris par les prévenus, a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.