CA Grenoble, ch. com., 8 décembre 2011, n° 09/03110
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
MOISSON DE VAUX
Défendeur :
AUX SALAMANDRES (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur Jean-Louis BERNAUD
Vice-président :
Mme Annick ISOLA
Conseiller :
Mme Fabienne PAGES
Avoués :
SCP GRIMAUD, SELARL DAUPHIN & MIHAJLOVIC
Avocats :
Me JULIEN, Cabinet DELAFON
Mme Bénédicte MOISSON de VAUX est propriétaire d'un immeuble à usage de commerce et d'habitation situé à TAULIGNAN (Drôme) qui est donné en location à la SARL AUX SALAMANDRES pour l'exercice d'une activité de café restaurant selon bail renouvelé du 11 octobre 1999 pour une durée de neuf années à compter du 1er février 1997.
Elle a fait délivrer au preneur, par acte d'huissier du 25 juillet 2005, un congé avec offre de renouvellement pour l'échéance du 31 janvier 2006 moyennant un nouveau loyer de 8 400 € par an.
Le principe du renouvellement a été accepté, mais les parties sont en désaccord sur le montant du loyer .
Après une expertise ordonnée par jugement préparatoire du 13 novembre 2007 le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Valence, par jugement du 16 juin 2009, à débouté la bailleresse de sa demande de fixation du loyer à la valeur locative après avoir estimé qu'il n'était pas justifié d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité.
Mme Bénédicte MOISSON de VAUX a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 22 juillet 2009.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 15 septembre 2011 par Madame Bénédicte MOISSON de VAUX qui demande à la cour de fixer le loyer exigible à compter du 1er février 2006 à la somme annuelle de 10 375 € et de condamner la SARL AUX SALAMANDRES au paiement de la différence entre le nouveau loyer et le loyer actuellement acquitté avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 2006, outre une indemnité de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, aux motifs que l'expert judiciaire n'a pas répondu à l'ensemble des questions qui lui étaient posées, que l'ouverture à TAULIGNAN au cours du bail expiré (2003) du musée de la soie, qui draine plus de 13 000 visiteurs par an, constitue objectivement un facteur de déplafonnement du loyer compte tenu de la nature du commerce, que par référence au loyer du seul commerce de même nature implanté dans la commune (café des artistes) la valeur locative doit être fixée à 72,87 € le mètre carré de surface utile pondérée sans abattement pour vétusté comme le préconise à tort l'expert alors que la toiture a été réparée, que l'ensemble des travaux de réparation, autres que ceux
relevant de l'article 606 du Code civil, sont à la charge du locataire et que l'emplacement est particulièrement favorable.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 12 octobre 2011 par l'EURL AUX SALAMANDRES qui sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de l'appelante au paiement d'une indemnité de procédure de 3000 € aux motifs que comme la commission de conciliation l'expert judiciaire, qui a précisément et objectivement motivé son avis, a considéré que la création du musée de la soie n'avait pas eu de répercussions particulières sur les commerces du village, ce qui fait obstacle au déplafonnement, que la valeur locative doit être déterminée par référence aux loyers des différents commerces du village et pas seulement sur la base du loyer de l'immeuble refait à neuf dans lequel est exploité le café des artistes, lequel dispose d'un emplacement privilégié sur le parking en face du musée de la soie, que les infiltrations en provenance de la toiture perdurent à défaut de réalisation des travaux de réfection beaucoup plus importants que la vétusté de l'immeuble rend indispensables.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le déplafonnement
Il résulte des opérations d'expertise judiciaire que le musée de la soie, ouvert depuis le mois de juillet 2003, reçoit plus de 13 000 visiteurs par an et que dès l'année 2004 près de 12 000 entrées ont été comptabilisées.
L'expert a relevé qu'à l'exception des mois de décembre et janvier le musée est ouvert tous les jours y compris le week-end, et que sa clientèle est constituée en majorité de groupes dans le cadre d'un circuit couplé avec la visite du château de Grignan.
Il a procédé à une enquête sommaire auprès des commerçants du village qui lui ont indiqué que le musée n'avait pas eu d'impact commercial.
Il en a conclu dans un premier temps que cet équipement touristique n'avait pas modifié notablement les facteurs locaux de commercialité, avant de nuancer son propos sur ce point dans sa réponse aux dires des parties « en laissant au magistrat le soin d'apprécier ».
L'apport d'une clientèle potentielle de 13 000 personnes par an, soit en moyenne 45 par jour ouvrable, dans un bourg présentant déjà un intérêt touristique particulier ( l'expert indique que la commune de TAULIGNAN offre à ses visiteurs des remparts du XIVe siècle une église, une chapelle et un musée d'art sacré) , constitue objectivement un événement présentant un intérêt pour le commerce considéré de bar restaurant au sens de l'article R. 145 '6 du code de commerce.
Aucune étude menée par le comité départemental du tourisme de la Drôme ne vient en effet démontrer que la fréquentation du musée ne s'est pas accompagnée d'une augmentation des visites touristiques du village, l'opinion de quelques commerçants interrogés par l'expert ne pouvant se substituer à une enquête sérieuse sur le comportement des visiteurs du musée.
De la même façon, eu égard à la dimension très restreinte du bourg, il ne peut être sérieusement soutenu que l'augmentation substantielle du nombre de touristes n'a profité qu'au commerce concurrent à l'enseigne « le café des artistes », dont l'expert indique qu'il est implanté en face du musée.
Contrairement à l'opinion du premier juge, la cour estime par conséquent que la création du musée de la soie au cours de la période de référence a entraîné une modification notable des facteurs locaux de commercialité au sens de l'article L. 145 ' 34 du code de commerce, ce qui doit conduire au déplafonnement du loyer de renouvellement.
Sur la valeur locative
Il résulte du rapport de l'expert judiciaire Patricia COTTE que l'immeuble abritant le commerce comprend :
' un sous-sol à usage de garages et de caves d'une superficie totale de 175,95 m²,
' un premier niveau au rez-de-chaussée surélevé composé d'une salle de bar, d'une cuisine, d'une salle de restaurant, de toilettes et d'une terrasse d'une superficie totale de 178,25 m²,
' un étage à usage d'appartement d'une superficie totale de 138,40 m², y compris une terrasse de 25 m²,
' un deuxième étage occupé par des combles d'une superficie de 73,35 m².
L'expert retient une surface utile pondérée totale de 203,41 m² après application de divers coefficients qui ne sont pas techniquement contestés .
Il décrit l'immeuble comme étant en mauvais état, vétuste et en partie insalubre.
Par référence aux loyers payés par trois commerçants voisins (un café, une épicerie et une boulangerie) il retient une valeur locative annuelle de 45 € le mètre carré de surface utile pondérée, à laquelle il applique un abattement général de 0,7 pour tenir compte de la superficie importante des locaux et du mauvais état du foncier.
Il propose ainsi une valeur locative annuelle de 6 400 €.
La bailleresse ne peut sérieusement soutenir que seuls les loyers des commerces de même nature constituent des éléments de comparaison utiles, ni par voie de conséquence qu'au cas particulier la valeur locative doit être déterminée par référence au seul loyer étudié par l'expert afférent au commerce de bar à l'enseigne le café des artistes, soit 72,87 € le mètre carré de surface utile pondérée.
Compte tenu du nombre très faible de commerces situés dans un voisinage proche, il est en effet nécessaire pour déterminer un prix de marché ayant une réelle signification économique de prendre en compte les loyers pratiqués à proximité du commerce considéré, quelle que soit la destination des lieux ; étant observé
que l'article R. 145 '7 du code de commerce exige que les références proposées de part et d'autre portent sur plusieurs locaux, dont il n'exclut pas qu'ils puissent abriter des commerces de nature différente.
En l'absence d'autres références proposées par les parties la valeur moyenne de base de 45 € le mètre carré de surface utile pondérée retenue par l'expert sera par conséquent entérinée.
S'il est établi par l'attestation de l'entrepreneur Patrick BERNARD que la propriétaire a entrepris dans le courant du mois de mai 2009 des travaux de réparation de la toiture de l'immeuble, il résulte notamment du constat d'huissier établi le 10 mai 2010 que des infiltrations persistent y compris dans la salle de bar/restaurant.
Selon l'attestation susvisée les travaux n'étaient d'ailleurs destinés qu'à remédier aux « fuites les plus importantes », ce qui confirme le mauvais état général de la toiture de l'immeuble, ainsi que le manquement de la bailleresse à son obligation de procéder aux grosses réparations de clos et de couvert.
C'est par conséquent à juste titre que pour tenir compte du mauvais état d'entretien du foncier et de la grande superficie des locaux l'expert a proposé un abattement de 0,7 qui doit être maintenu.
Le loyer de renouvellement exigible à compter du 1er février 2006 sera par conséquent fixé à la somme annuelle hors taxes et hors charges de 6 400 € (203,41 m² X 45 € X 0,7).
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau :
' écarte la règle du plafonnement,
' dit et juge que le loyer du bail renouvelé le 1er février 2006 doit être fixé à la valeur locative,
' fixe le loyer à compter de cette date à la somme annuelle de 6 400 € hors taxes et hors charges,
' dit que conformément à la règle posée par l'article 1155 du Code civil chaque terme de loyer supplémentaire exigible à compter du 1er février 2006 portera intérêt au taux légal à compter de son échéance,
' dit n'y avoir lieu à application de part ou d'autre de l'article 700 du code de procédure civile,
Fait masse des entiers dépens, y compris les frais d'expertises judiciaire, et les partage par moitié entre les parties dont distraction pour ceux d'appel au profit des avoués de la cause qui en ont fait la demande.
SIGNE par Monsieur BERNAUD, Conseiller, faisant fonction de Président et par Madame LEICKNER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.