CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 8 décembre 2022, n° 22/01612
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pruvost
Conseillers :
Mme Lefort, M. Trarieux
Avocats :
Me Braun, Me Armando, Me Domain, Me Courrege
Déclarant agir en vertu d'une ordonnance sur requête rendue par le juge de l'exécution de Paris le 9 juillet 2021, la société [G] et Cie a, le 12 juillet 2021, dressé un procès-verbal de saisie conservatoire portant sur divers meubles de valeur, entre les mains de la société Auctionart Rémy le Fur et associés, maison de ventes volontaires, et à l'encontre de M. [K], pour avoir conservation de la somme de 200 000 euros. Cette mesure d'exécution, qui s'est révélée infructueuse, n'a pas été dénoncée au débiteur.
Ce dernier ayant assigné la société [G] et Cie devant le juge de l'exécution de [Localité 3] en vue d'obtenir notamment la rétractation de l'ordonnance sur requête susvisée, la mainlevée de la saisie conservatoire, et la condamnation de la créancière au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, ce magistrat a selon jugement en date du 8 décembre 2021 :
- déclaré irrecevables les demandes de M. [K], faute d'intérêt à agir, après avoir relevé que dès la délivrance de l'assignation, le 4 août 2021, la saisie conservatoire querellée était caduque ;
- débouté la société [G] et Cie de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné M. [K] au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Selon déclaration en date du 18 janvier 2022, M. [K] a relevé appel de ce jugement.
En ses conclusions notifiées le 28 septembre 2022, il a exposé :
- que la saisie conservatoire ne lui ayant jamais été dénoncée il en avait été informé par le tiers saisi, une maison de ventes volontaires, à qui il avait confié la vente de ses biens dans le but de régler une dette fiscale ;
- que la société [G] et Cie n'avait pas à connaître l'existence de cette dette ;
- que si le commissaire-priseur, Maître Le Fur, n'avait pas immédiatement répondu, le 13 juillet 2021, que les biens en cause étaient destinés à être vendus, la saisie conservatoire lui aurait été dénoncée ;
- que l'intention de nuire de la société [G] et Cie est manifeste, et elle a ainsi terni les relations commerciales qu'il a avec Maître Le Fur ;
- qu'il n'existe aucune créance paraissant fondée en son principe ;
- qu'en effet, il n'a pas de lien contractuel avec la société [G] et Cie, laquelle n'avait jamais émis à son encontre de facture du montant de la somme réclamée (200 000 euros) ;
- que s'il est mis en examen pour avoir confectionné des chaises prétendument d'époque qui avaient été acquises au prix fort par le château de [Localité 4], la société [G] et Cie est, elle aussi, mise en examen dans ce dossier par le juge d'instruction de Pontoise ;
- que lors du dépôt de la requête devant le juge de l'exécution, la société [G] et Cie n'avait pas encore la qualité de partie civile, laquelle lui a été reconnue par un arrêt de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Versailles en date du 19 octobre 2021.
M. [K] a en conséquence demandé à la Cour d'infirmer le jugement et de :
- rétracter l'ordonnance sur requête du juge de l'exécution de [Localité 3] ;
- mettre à la charge de la société [G] et Cie les frais générés par la saisie conservatoire litigieuse ;
- la condamner au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- la condamner à lui régler la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses conclusions notifiées le 24 juin 2022, la société [G] et Cie a répliqué :
- qu'elle exerce une activité d'antiquaire à [Localité 3], étant spécialisée dans les oeuvres d'art et meubles du XVIIIe :
- qu'elle a acquis de M. [K], par l'intermédiaire de M. [T], deux chaises destinées à la reine Marie-Antoinette, qui étaient donc censées dater du XVIIIe, et ce, pour la somme de 200 000 euros ;
- qu'au mois de janvier 2015 elle les a revendues pour la somme de 2 000 000 euros mais que plus tard, l'acquéreur les lui a restituées, émettant des doutes sur leur authenticité ;
- qu'il s'avère qu'en réalité, c'est M. [K] qui a réalisé ces chaises, une procédure pénale étant en cours ;
- qu'au mois de juin 2021, avait été annoncée la mise en vente à l'hôtel Drouot de la collection de M. [K], ladite vente devant être réalisée par Maître Le Fur au mois de juillet 2021 ;
- qu'il est apparu que ces meubles avaient été saisis par l'administration fiscale si bien que, par application des articles L 141-2 du code des procédures civiles d'exécution et L 262 du Livre des procédures fiscales, ils étaient devenus indisponibles ; que c'est pour cette raison que la saisie conservatoire litigieuse, qui ne pouvait avoir aucun effet, n'a pas été dénoncée au débiteur ;
- que ce dernier est irrecevable à agir faute d'intérêt, car la saisie conservatoire est privée de toute efficacité, et est au demeurant caduque faute d'avoir été dénoncée au débiteur, et faute par elle d'avoir informé le tiers saisi de l'existence d'une procédure tendant à obtenir un titre exécutoire comme prévu à l'article R 511-8 du code des procédures civiles d'exécution ;
- que M. [K] ne peut se plaindre de ce qu'elle a appris, à l'occasion de cette procédure, que la vente aux enchères de ses biens allait avoir lieu car ladite vente était publique ;
- qu'elle peut invoquer une créance paraissant fondée en son principe dans la mesure où M. [K] lui a vendu des fausses chaises XVIIIe, ladite créance n'ayant pas de nature contractuelle.
La société [G] et Cie a en conséquence demandé à la Cour de confirmer le jugement et de condamner M. [K] au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Il n'est contesté par aucune des parties que la saisie conservatoire querellée est désormais caduque faute d'avoir été dénoncée au débiteur dans les délais impartis par l'article R 522-5 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution (8 jours). Par ailleurs, l'autorisation donnée par le juge de l'exécution en son ordonnance sur requête du 9 juillet 2021 est elle aussi caduque par application de l'article R 511-6 du même code, puisque la mesure conservatoire n'a pas été exécutée dans un délai de trois mois à compter de la date de l'ordonnance. En cet état de la procédure, aucune mesure conservatoire n'est actuellement en cours ni ne peut être mise en place.
Le juge de l'exécution en a déduit à juste titre que l'appelant avait perdu tout intérêt à agir du chef de la rétractation de l'ordonnance sur requête et de la mainlevée de la saisie conservatoire, et il en est de même de sa demande à fin de mise à la charge de la créancière des frais générés par ladite saisie conservatoire. En revanche, reste à trancher la question de savoir si un préjudice lui a été causé, la demande y relative pouvant être maintenue même si à ce jour les biens ne sont plus saisis. En effet un préjudice peut être invoqué si le débiteur établit notamment que le tiers saisi a pris connaissance d'informations le concernant à l'occasion de la saisie conservatoire et que cela lui a causé un dommage. Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a déclaré M. [K] irrecevable en sa demande de dommages et intérêts.
Les biens lui appartenant n'ont été indisponibles que du 12 juillet 2021, date de la saisie conservatoire, au 20 juillet 2021 soit huit jours plus tard, date limite à laquelle cette saisie aurait dû lui être dénoncée.
A l'appui de sa demande de dommages et intérêts, laquelle n'a pas à se fonder sur une quelconque faute du créancier en pareille matière, M. [K] soutient que ses relations commerciales avec Maître Le Fur ont été ternies, et que la société [G] et Cie a appris l'existence de sa dette vis-à-vis de l'administration fiscale.
Il s'avère que Maître Le Fur a appris l'existence de la dette fiscale dont s'agit, mais non pas par le fait de la saisie conservatoire querellée. En effet, à la suite de la mise en place de celle-ci, par email du 13 juillet 2021, le tiers saisi a informé l'huissier de justice instrumentaire de ce qu'il avait déjà entre ses mains une saisie conservatoire de l'administration fiscale en date du 9 juillet 2021 pour un montant total de 1 539 887 euros. Si l'appelant se plaint de ce que ses relations professionnelles avec la société Auctionart Remy le Fur et associés ont été ainsi ternies, la société [G] et Cie y est totalement étrangère.
M. [K] soutient également qu'il a subi un préjudice, dans la mesure où l'existence de cette vente au bénéfice de l'administration fiscale ne devait pas être portée à la connaissance de la société [G] et Cie. Il est exact que si la vente en question avait été publiée dans la presse et que la société [G] et Cie, qui exerce une activité d'antiquaire à [Localité 3] portant sur le commerce d'oeuvres d'art et de meubles du XVIIIe, en avait nécessairement connaissance, elle n'était pas censée savoir qu'elle avait pour finalité de régler une importante dette fiscale. Elle a ainsi, à l'occasion de la saisie conservatoire querellée, appris que la partie adverse était redevable d'une dette de cette nature. Le préjudice causé à M. [K] n'est pas pour autant caractérisé, car si il ne souhaitait pas que l'intéressée en soit informée, il ne démontre aucunement en quoi cela lui a causé un dommage. Il sera rappelé que tant lui-même que M. [G] sont impliqués dans des activités délictueuses, étant tous deux mis en examen du chef de tromperie sur une marchandise commise en bande organisée, alors que M. [K] est également mis en examen des chefs de recel en bande organisée de biens provenant d'un délit et de blanchiment aggravé, et que M. [G] a la qualité de témoin assisté des chefs de blanchiment aggravé de fraude fiscale, recel et blanchiment en bande organisée. Par ailleurs, les infractions pénales reprochées à M. [K] ont été largement évoquées dans la presse, notamment à la suite de son incarcération survenue le 10 juin 2016, et le fait que l'intéressé se soit adonné à la fraude fiscale était loin d'être inenvisageable, ce que l'intimée ne pouvait ignorer.
M. [K] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société [G] et Cie.
M. [K] sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
- INFIRME le jugement en date du 8 décembre 2021 en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de dommages et intérêts de M. [K] ;
et statuant à nouveau :
- DEBOUTE M. [U] [K] de sa demande de dommages et intérêts ;
- CONFIRME le jugement pour le surplus ;
- REJETTE la demande de la société [G] et Cie fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNE M. [U] [K] aux dépens d'appel.