CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 19 septembre 2013, n° 2012/15281
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Électricité Réseau Distribution France (SA)
Défendeur :
ACMM (Sté), Commission de Régulation de l’Énergie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Remenieras
Conseillers :
Mme Beaudonnet, Mme Leroy
Avocats :
Me Teytaud, Me Gognet, Me Coussy
La société ACMM, qui a entrepris de développer une installation photovoltaïque d'une puissance de 142,8 kwc, en toiture d'un bâtiment situé sur le territoire de la commune de Marigny le Chatel (10 350), a fait déposer le 30 août 2010, par l'intermédiaire de son mandataire, la société Solareo, une demande de raccordement auprès de la société Electricité Réseau Distribution France (ci-après ERDF), gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité sur le territoire de cette commune.
Le 3 septembre 2010, ERDF a accusé réception du dossier et le 18 novembre suivant, elle a communiqué à la société Solareo une offre de raccordement du projet photovoltaïque composée d'une convention de raccordement, et d'une convention d'exploitation.
La société ACMM a renvoyé le 3 décembre 2010, un exemplaire, signé le 30 novembre 2010, des conventions de raccordement et d'exploitation, ainsi qu'un chèque d'acompte mais le 31 décembre 2010, ERDF a informé la société ACMM, de ce que la « proposition technique et financière » de raccordement, ainsi que le chèque d' acompte, ayant été envoyés le 3 décembre 2010, son projet entrait dans le champ d'application du décret du 9 décembre 201 0, suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil.
La société ERDF a également retourné l'acompte et les pièces du dossier à la société ACMM et l'a invitée à faire une autre demande lorsque les nouvelles dispositions d'obligation d'achat seraient connues.
C'est dans ces conditions que la société ACMM a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDis) de la Commission de régulation de l'énergie, du différend qui l'oppose à la société ERDF en lui demandant :
* d'ordonner à ERDF d'exécuter la convention de raccordement et d'exploitation passée avec la société ACMM,
* de fixer le délai imparti à ERDF pour exécuter les travaux nécessaires au raccordement de l'installation de production et de fixer le délai imparti à ACMM, pour mettre en service son installation de production.
Par décision du 2 juillet 2012, le CoRDis a décidé que la société ERDF
* exécutera la convention de raccordement (article l)
* exécutera les travaux de raccordement dans le délai de quatorze semaines à compter de la notification de la présente décision ( article 2).
Sur ce,
Vu le recours en annulation contre cette décision déposée le 9 août 2012 par la société ERDF, et ses conclusions déposées les 23 octobre 2012, 30 avril 2013 et 31 mai 2013 aux termes desquelles elle demande à la Cour :
* d'annuler les articles 1 et 2 de la décision du CoRDis et de rejeter les demandes de la société ACMM, en faisant valoir :- en premier lieu, qu'en décidant que "les dispositions (..) de l'article 3 du décret du 9 décembre 2010 ne permettent pas à la société ERDF de refuser d'exécuter une convention de raccordement", le CoRDis a méconnu le sens de cet article et dénaturé ses écritures, puisqu'elle avait constaté l'inapplication à l'espèce de l'article 3 pour conclure à la suspension du projet en vertu des articles 1er et 5 du décret ;
- qu'en second lieu, en faisant échapper le projet litigieux à la suspension, aux motifs qu'une convention de raccordement "ne se résume pas à une simple proposition technique et financière" et que la convention avait ici été "signée et notifiée avant ( ... ) la date d'entrée en vigueur du décret", le CoRDis n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et â interprété de manière erronée les articles 1er, 3 et 5 du décret,
* de condamner la société ACMM à lui payer la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions et les observations récapitulatives et responsives n° 2 et 3 respectivement déposées les 31 janvier 2013, 26 avril et 27 mai 2013 par la société ACMM - et par la société Solareo, son mandataire - qui, estimant que la société ERDF n'est pas fondée à refuser d'exécuter la convention de raccordement et à solliciter le dépôt d'une nouvelle demande
* réclament la confirmation de la décision du CoRDis,
* demandent que soit ordonné à la société ERDF de poursuivre la procédure de raccordement aux motifs :
- que la société ACMM a accepté une convention de raccordement qui échappe aux dispositions du décret no 2010-1510 du 9 décembre 2010,
- qu'en ce qui la concerne, la procédure était achevée à la date de l'entrée en vigueur du décret, puisqu'elle avait notifié le 3 décembre 2010 son acceptation de la convention de raccordement, accompagnée du chèque d'acompte ; qu'il s'agit donc d'exécuter une convention dûment formalisée, et que le décret litigieux n'édicte aucune suspension d'exécution des conventions de raccordement, contrairement à ce que prétend la société ERDF,
* demandent la condamnation de la société ERDF au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les observations de la Commission de régulation de l'énergie déposées le 18 mars 2013 aux fins de rejet du recours ;
Vu les observations écrites du ministère public tendant aux mêmes fins ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 4 juin 2013, les conseils des parties, qui ont été mises en mesure de répliquer, le conseil de la Commission de régulation de l'énergie et le ministère public ;
LA COUR,
Sur la procédure :
Considérant que dans ses conclusions déposées le 31 mai 2013, la société ERDF demande le rejet des écritures de la société ACMM déposées le 27 mai 2013 ;
Considérant qu'en application de l'article 11-2 modifié du décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000, la date limite de communication des observations écrites des parties et de dépôt au greffe était fixée au 30 avril 2013, l'audience de plaidoiries devant se tenir le 4 juin 2013 ;
Que dès lors, les conclusions de la société ACMM ont été déposées hors délai ;
Mais considérant que la société défenderesse s'est contentée de faire état d 'un arrêt de cette cour, rendu le 18 avril 2013, qu'elle a {jouté aux pièces déjà communiquées, sans invoquer aucun moyen nouveau ;
qu'aucune atteinte n'ayant été portée aux droits de la défense, la demande tendant à écarter les conclusions du 27 mai 2013 sera rejetée ;
Sur la demande de la société ERDF :
Considérant que dans la mesure où dans le cadre du présent recours, la cour est tenue de statuer sur le différend né du refus de ERDF d'exécuter la convention de raccordement signée par la société ACMM, il est sans utilité d'examiner le grief tendant à l'annulation de la décision du CoRDis tiré de ce qu'il aurait dénaturé les écritures de la société ERDF ;
Considérant qu'en application de l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, désormais codifié sous l'article L 314-1 du code de l'énergie, Electricité de France - et les entreprises locales de distribution - sont tenues de conclure, si les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par les installations de production d'électricité issue de l'énergie radiative du soleil ;
que l'article 1er du décret no 2010-1510 du 9 décembre 2010 suspend, pour une durée de trois mois à compter de l'entrée en vigueur de ce décret [le 10.12.2010], l'obligation à laquelle est tenue EDF de conclure un contrat d'achat d'électricité , que l'article 3 du décret énonce que les dispositions de l'article 1er ne s'appliquent pas aux installations « dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau » ;
que l'article 5 prévoit que "à l'issue de la période de suspension mentionnée à l'article 1er, les demandes suspendues devront faire l'objet d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau pour bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat " ;
Considérant qu'il est constant en l'espèce et non discuté, que comme le permet sa documentation technique de référence (article 9.1.2) pour le cas où les conditions techniques et financières ainsi que les délais de réalisation des raccordements peuvent être définitivement arrêtés, la société ERDF a adressé directement à la société ACMM, une convention de raccordement, sans lui avoir au préalable envoyé une "proposition technique et financière" (PTF) ;
Considérant que la société ERDF ne conteste pas par ailleurs, que la dérogation prévue à l'article 3 du décret ne concerne que les cas d'acceptation d'une PTF avant la date du 2 décembre 2012 ;
qu'elle soutient que la convention de raccordement signée le 30 novembre 2010, est une « simple » proposition de convention et qu'elle est donc assimilable à une PTF mais que la société ACMM ne pouvait bénéficier de la dérogation prévue l'article 3 dans la mesure où la convention n'avait pas été retournée avant le 2 décembre 2010 ;
qu'elle fait valoir qu'à supposer que, comme l'a décidé le CoRDis, la convention ne soit pas assimilable à une PTF, il n'en a pas tiré les conséquences juridiques qui s'imposaient, en considérant que le projet échappait à la suspension ;
qu'elle estime en effet que l'exclusion du bénéfice de la dérogation prévue à l'article 3 conduit à faire application de la suspension prévue à l'article 1er du décret, dès le 10 décembre 2010, à toutes les installations qui ne bénéficient pas d'un contrat d'achat d 'électricité déjà conclu à cette date, ce qui était le cas de la société ACMM, peu important qu'ait été ou non signée une convention de raccordement avant le 10 décembre 2010 ; que dès lors, en vertu des dispositions combinées des articles 1 et 5, sa demande est devenue caduque et qu'elle tenue d'en déposer une nouvelle ;
Considérant, en premier lieu, s'agissant de la nature de la convention de raccordement, que c'est à juste titre que le CoRDis a dit qu'elle n'était pas assimilable à une PTF ;
qu'en effet, aux termes de l'article 8 de la procédure de traitement de demandes élaborée par ERDF, elle-même, la PTF comprend « les éléments techniques et les éléments financiers de la prestation, le cas échéant, avec une marge d'incertitude, ainsi qu'un échéancier prévisionnel de l’étape de réalisation des travaux et de préparation de la mise en service » ; elle engage ERDF « sur le montant de la contribution due par le demandeur, avec le cas échéant une marge d'incertitude, et sur le délai prévisionnel de mise en exploitation du raccordement » ;
Considérant que selon l'article 9.1.1 de cette procédure, la convention de raccordement précise les modalités techniques, juridiques et financières du raccordement et particulièrement, la consistance définitive des ouvrages et le montant définitif de la contribution à la charge du demandeur, lorsque le prix indiqué dans l'offre est estimatif [surlignes ajoutées] ;
qu'elle peut être directement envoyée par ERDF au requérant, lorsque le montant de la contribution au coût du raccordement est déterminé de façon définitive au moment de l'établissement de l'offre et que les délais de réalisation des travaux sont maîtrisés (article
Considérant qu'il découle de ce qui précède que la PTF et la convention de raccordement n'ont pas la même nature ; que la première est un document préparatoire, au contenu incertain, susceptible de modifications, alors que la seconde présente un caractère définitif ;
que pour ce motif tiré de l'absence d'assimilation de la convention de raccordement à la proposition technique et financière, l'article 3 du décret du 9 décembre 2010 qui fait seulement référence à cette dernière, n'avait pds vocation à s'appliquer au cas d'espèce ;
Considérant en second lieu que la société ERDF soutient que, dès lors que la société ACMM ne bénéficiait ni de la dérogation prévue à l'article 3, ni d'un contrat d' achat d'électricité conclu à la date du 1 0 décembre 2010, il devait être fait application de l'article 1 du décret ; qu'elle en déduit que la suspension prévue par ce texte entraîne de plein droit, conformément à l'article 5 du décret, "la caducité des demandes de raccordement en cours de traitement" et en l'espèce, de la convention de raccordement signée par la société ACMM, et implique le dépôt, par cette dernière, d 'une nouvelle demande de raccordement ;
Mais considérant que comme l'observe le CoRDis, le contrat d'achat d'électricité et le contrat de raccordement aux réseaux publics, relèvent chacun d'une réglementation spécifique et d'opérateurs distincts, le premier permettant l'accès au réseau d'électricité et le raccordement de l'installation au producteur, et relevant de la compétence d'ERDF, et le second correspondant à la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité entre le producteur, et EDF ;
Considérant que la question qui se pose ici est celle de savoir si la société ERDF pouvait, sur le fondement du décret du 9 décembre 2010, suspendre le processus de raccordement des installations de la société ACMM, qui bénéficiait d'une convention de raccordement signée et notifiée à la date de l'entrée en vigueur du décret ;
Considérant qu'en soutenant que l'application de la suspension prévue à l'article 1er du décret obligeait le producteur concerné à déposer une nouvelle demande de raccordement dans les conditions fixées à l'article 5, la société ERDF ajoute au texte, dont aucune de ses dispositions ne vise la convention de raccordement et encore moins ne prévoit sa suspension, alors qu'elle a été signée et notifiée avant le 10 décembre 201 0, date de l'entrée en vigueur du décret ;
Considérant que dès lors, c'est à juste titre que le CoRDis a décidé que la société ERDF ne pouvait invoquer le décret du 9 décembre 2010 pour refuser d'exécuter la convention de raccordement conclue par la société ACMM ;
que le recours de la société ERDF sera rejeté ;
Sur les demandes formées par la société ACMM
Considérant que dans la mesure où le recours formé devant la cour d'appel n'est pas suspensif, la demande tendant à ordonner à ERDF d'exécuter la procédure de raccordement est sans objet ;
Considérant que l'équité commande d'accueillir leur demande à hauteur de la somme de 4000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
Dit n'y avoir lieu d'écarter les conclusions déposées le 27 mai 2013 par la société ACMM ;
Rejette le recours de la société ERDF contre la décision du CoRDis du 2 juillet 2012 ;
Rejette la demande tendant à ordonner à ERDF d'exécuter la procédure de raccordement ;
Condamne ERDF aux dépens et à payer à la société ACMM la somme de 4 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.