CA Aix-en-Provence, 15e ch. a, 13 septembre 2018, n° 16/23113
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
2211 Parkedale Limited (Sté), 1365 California Limited (Sté), 333/555 California Limited (Sté), 2400 Parkedale Limited (Sté), 2479-2495 Parkedale Limited (Sté), Jodaville Corporation (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boussaroque
Conseillers :
Mme Pochic, Mme Vignon
EXPOSE DU LITIGE
Par ordonnance sur requête rendue le 23 septembre 2015, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nice a autorisé les six sociétés canadiennes, 2211 Parkedale Limited, 1366 California Limited, 333/555 California Limited, 2400 Parkedale Limited, 2479-2495 Parkedale Limited et Jodaville Corporation, (ci-après les sociétés Parkedale et autres) à pratiquer une inscription d'hypothèque conservatoire sur la part indivise détenue par Monsieur Roy M. du bien sis à [...], immeuble cadastré sous la référence 0M212, outre un droit d'usage sur des parcelles communes cadastrées OM 213, 214 & OL 362 , pour garantir le recouvrement de la créance de chacune de ces sociétés à hauteur de la somme de 100.000 euros.
Cette procédure faisait suite à une première autorisation d'inscription provisoire en date du 14 octobre 2014 qui avait été annulée par jugement du 14 septembre 2015.
Par jugement du 12 décembre 2016, après décision avant dire droit du 24 octobre 2016, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nice saisi par Monsieur M. en rétractation de l'ordonnance sur requête du 23 septembre 2015, a écarté le moyen de caducité de l'ordonnance soulevé par le demandeur, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et condamné à payer à chacune des défenderesses la somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par déclaration du 26 décembre 2016 Monsieur M. a relevé appel total de cette décision et aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 11 mai 2018 il demande à la cour de :
- réformer le jugement déféré,
- constater la nullité et en tout état de cause, la caducité de l'ordonnance sur requête en date du 23 septembre 2015,
- constater la nullité et en tout état de cause, la caducité des inscriptions d'hypothèque judiciaire provisoire et conservatoire prise à son encontre au 2eme bureau du Service de la Publicité Foncière de Nice le 9 octobre 2015;
- ordonner la radiation de l'inscription hypothécaire prise en exécution de ladite requête ;
- à titre subsidiaire,
- rétracter l'ordonnance sur requête en date du 23 septembre 2015,
- ordonner la radiation de l'inscription hypothécaire prise en exécution de ladite requête ;
- en tout état de cause
- condamner conjointement et solidairement les sociétés Parkedale et autres à lui payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- condamner conjointement et solidairement les dites sociétés au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile aux dépens distraits au profit de Maître Mathilde R..
A l'appui de sa demande de nullité de l'ordonnance sur requête Monsieur M. invoque le caractère erroné des adresses des sociétés Parkedale et autres figurant tant sur la requête que sur l'ordonnance et les bordereaux d'inscription communiqués, vice dont il affirme avoir fait état dans ses écritures de première instance, et dont il soutient qu'il affecte la validité de la procédure.
Subsidiairement il soulève la caducité de la sûreté conservatoire en indiquant que la notification des inscriptions n'a pas été faite dans les formes, ni dans le délai de 8 jours prévu par l'article R 532-5 du code des procédures civiles d'exécution .
A titre très subsidiaire il affirme en substance que les conditions cumulatives requises par l'article L.511-1 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas réunies, les sociétés Parkedale et autres ne justifiant pas d'une qualité et d'un intérêt à agir individuel, ni d'un principe de créance à son égard, pas plus que des risques de recouvrement de la créance alléguée.
Par dernières conclusions en réponse notifiées le 31 mai 2018 les sociétés intimées demandent à la cour au visa des articles R 532-5, L 511-1 et suivants, R.5 11-1 et R 511-6 du code de procédure civile d'exécution, des articles 496, 114, 117, 648 et 454 du code de procédure civile et 2428 du code civil, de :
- in limine litis, écarter du débat la pièce 18 communiquée par Monsieur M. pour défaut de traduction,
- débouter Monsieur M. de sa demande tendant à voir déclarer nulle l'ordonnance sur
requête en raison de la prétendue absence d'indication du siège social des sociétés ayant sollicité
1'inscription des hypothèques.
- subsidiairement,
- dire et juger que ce vice de procédure est un vice de forme et que Monsieur M. n'a démontré aucun préjudice subi à ce titre.
- en tout état de cause ,débouter Monsieur M. de sa demande tendant à voir rétracter l'ordonnance du 23 septembre 2015.
- le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions.
- en conséquence, au fond :
- dire et juger que les inscriptions d'hypothèques provisoires inscrites par les sociétés 2211 PARKEDALE LIMITED, 1365 CALIFORNIA LIMITED, 333/555 CALIFORNIA LIMITED, 2400 PARKEDALE LIMITED, 2479-2495 PARKEDALE LIMITED, et JODAVILLE CORPORATION, sur le bien de Monsieur M. sont valables et parfaitement fondées.
- débouter Monsieur M. de sa demande de dommages et intérêts non fondée.
- le débouter de toutes ses demandes fins et conclusions.
- le condamner à régler 10.000 euros, à chacune des sociétés intimées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Les sociétés Parkedale et autres soulèvent l'irrecevabilité de l'exception de nullité de l'ordonnance sur requête pour défaut allégué d'indication de leur siège social, qui n'a pas été présentée dans l'assignation qui leur a été délivrée devant le premier juge, et n'a pas été évoqué lors de l'audience de plaidoirie. Subsidiairement elles indiquent que le changement de leur siège social en cours de procédure et la mention de leur ancien siège social sur la requête constitue une irrégularité de forme n'ayant causé aucun grief à Monsieur M. qui a valablement saisi le juge de l'exécution d'une contestation de la mesure conservatoire en les assignant à leur domicile élu.
Elles soutiennent que la notification des inscriptions faite à Monsieur M. le 15 octobre 2015 par la SCP d'huissiers L. est régulière en ce qu'elle comporte l'ensemble des informations prescrites par l'article R.532 du code des procédures civiles d'exécution et a été effectuée dans le délai de huit jours prévu par l'article R.532-5 du même code .
Elles affirment qu'en tout état de cause les irrégularités invoquées constituent des vices de forme qui ne sont susceptibles d'entraîner la nullité de l'acte qu'en cas de grief, dont l'appelant ne rapporte pas la preuve.
Au fond elles rappellent en substance avoir engagé le 12 décembre 2011 devant la cour suprême d'Ontario (Canada) une action en responsabilité de Monsieur M. pour les fautes commises dans l'exercice de son rôle de dirigeant de la société MOSS PROPERTY Inc et pour le détournement de fonds réalisé sous sa signature en qualité de dirigeant des sociétés Parkedale et autres et qu'elles sollicitent sa condamnation à la somme totale de 2.330.000 euros, en sorte que les hypothèques inscrites à hauteur de 600.000 euros soit 100.000 euros pour chacune d'elles, sont valables et non surévaluées, ajoutant que l'appelant ne possède plus aucun bien au Canada et ne démontre pas disposer de revenus suffisants pour faire face à ses obligations financières.
MOTIFS DE LA DÉCISION
* Sur la demande de rejet de la pièce n°18 communiquée par l'appelant:
L'absence de traduction de ce document rédigé en langue anglaise conduit à l'écarter des débats.
* Sur la demande de nullité de l'ordonnance sur requête du 23 septembre 2015:
Vu l'article 74 du code de procédure civile;
L'appelant soulève cette demande de nullité motif pris du caractère erroné de l'adresse des sociétés Parkedale et autres figurant sur cette ordonnance, erreur dont il a pu se convaincre au retour des assignations délivrées le 3 décembre 2015 devant le premier juge, au domicile élu en France de ces sociétés canadiennes.
Le dernier retour à l'huissier instrumentaire de la lettre prévue par l'article 658 du code de procédure civile date du 1er février 2016 et il ne ressort ni des termes du jugement déféré ni des conclusions échangées en première instance et notamment celles déposées par Monsieur M. le 14 novembre 2016, soit en toute connaissance de l'inexactitude de l'adresse indiquée par les sociétés défenderesses, que Monsieur M. a soulevé ce moyen devant le premier juge devant lequel il a conclu en dernier lieu et à titre principal à la caducité de l'inscription d'hypothèque conservatoire prise à son encontre et à celle de l'ordonnance sur requête ayant autorisé cette inscription, sollicitant à titre subsidiaire la rétractation de cette ordonnance.
Ainsi comme le relève à bon droit les intimées, Monsieur M. qui aurait pu soulever en première instance la nullité de l'ordonnance sur requête et qui ne l'a pas fait, est irrecevable à soutenir une telle exception pour la première fois en cause d'appel.
* Sur la demande de caducité de l'ordonnance sur requête et de l'inscription d'hypothèque provisoire :
Monsieur M. demande la mainlevée de la sûreté conservatoire au motif que la mesure serait caduque pour ne pas lui avoir été signifiée dans le délai et les formes requis par l'article R532-5 du code des procédures civiles d'exécution.
Toutefois contrairement à ce qui est prétendu la notification a été réalisée le 15 octobre 2015 soit dans le délai de 8 jours du dépôt , le 9 octobre 2015, des bordereaux d'inscription. En effet l'article 647-1 du code de procédure civile dispose que la date de notification, y compris lorsqu'elle doit être faite dans un délai déterminé, d'un acte judiciaire ou extra-judiciaire à l'étranger est, à l'égard de celui qui y procède, la date d'expédition de l'acte par l'huissier de justice ou le greffe , et en l'espèce conformément aux articles 3 et 10 de la convention de la Haye relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, la demande à l'autorité centrale canadienne aux fins de signification de l'acte a été effectuée le 15 octobre 2015 par Maître L., huissier de justice à Nice, qui le même jour a directement adressé à Monsieur M. par lettre recommandée avec avis de réception la « dénonce d'hypothèque provisoire ».
Par ailleurs Monsieur M. ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que cette lettre recommandée ne contenait pas , ainsi que l'affirment les intimées, l'ensemble des actes et informations requises par l'article R532-5 du code des procédures civiles d'exécution, et notamment les dates et références des inscriptions provisoires effectuées. Ces actes et informations figurent d'ailleurs expressément dans le corps de l'assignation qu'il a fait délivrer aux sociétés Parkedale et autres devant le premier juge.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de caducité de la saisie conservatoire.
* Au fond
En vertu des dispositions de l'article L.511-1 du code des procédures civiles d'exécution toute personne justifiant d'une apparence de créance et de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement peut solliciter du juge de l'exécution l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur.
L'apparence d'une créance de chacune des sociétés Parkedale et autres, fondée du moins en son principe, ressort des pièces de la procédure pendante devant la juridiction canadienne, engagée au mois de décembre 2011 par ces sociétés, propriétaires d'immeubles, à l'encontre de la société de gestion de biens MOSS PROPERTY MANAGEMENT INC. et de son directeur, Monsieur M., auquel elles reprochent des fautes commises dans l'exercice de son rôle de dirigeant de la société de gestion et des fautes personnelles commises dans le cadre des mandats sociaux accordés par chacune des sociétés demanderesses et pour lesquelles elles réclament réparation à hauteur de la somme totale de 2.330.000 euros. En défense M. M. et la société MOSS PROPERTY MANGAMENT INC. ont invoqué le non-respect des stipulations d'une convention de Management conclue avec les sociétés Parkedale et autres et ont formé des demandes reconventionnelles.
Dans le cadre de la médiation ordonnée par la chambre commerciale de la cour supérieure de justice de l'Ontario saisie du litige, un arbitre puis expert-comptable ont été désignés. Il ressort des extraits traduits du rapport de l'expert daté du 5 décembre 2017, communiqué par les intimées que sur la période de mai 2010 à décembre 2011 durant laquelle la société MOSS PROPERTY MANGAMENT INC dirigée par Monsieur M., gérait les biens immobiliers des sociétés Parkedale et autres, une somme de 912 000 CND $ ne peut avoir été dépensée dans l'intérêt des propriétés sous gestion et que des versements en faveur de parties liées ont été effectués à hauteur de 1.741.174 $, dont 1.635.119 $ en faveur de la société MERE INVESTMENTS, domiciliée et dirigée par Monsieur M., versements qui ont été comptabilisés sous la rubrique «dépenses mensuelles budgétées» mais pour lesquels aucun justificatif n'a été fourni à l'expert.
S'agissant des circonstances susceptible de menacer le recouvrement des créances, il n'est pas discuté, comme le rappellent les intimées ,que la société MOSS PROPERTY, qui était dirigée par Monsieur M., n'a désormais plus d'activité et ne pourra répondre des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre. En outre il est constant que Monsieur M. ne dispose plus d'aucun bien immobilier au Canada, depuis sa faillite personnelle en 1992. Les intimées invoquent par ailleurs, sans être contredites, la condamnation de l'appelant dans le cadre d'une action pénale initiée en 1995 par l'Etat Américain, lors de laquelle, Monsieur M. a admis sa culpabilité en reconnaissant des actes frauduleux commis à l'occasion de plusieurs procédures collectives.
Si comme le relève l'appelant, la mesure conservatoire dite « Mareva » ordonnée le 24 mai 2012 par le tribunal de la province d'Ontario à son encontre et à l'égard de la société LINK RESOURCE PARTNERC INC. dont il est associé, à la demande la société UNILAVOR, ayant droit économique des sociétés Parkedale et autres, a fait l'objet d'une mainlevée dans le courant de l'année 2013, cette mainlevée n'est intervenue qu'au terme d'un protocole transactionnel signé entre les parties et ne saurait à elle seule attester de la solvabilité de l'appelant lequel ne justifie pas de ses revenus postérieurement à l'année 2014. Et l'attestation de son conseil, Simaan M., datée du 3 décembre 2014 par laquelle cet avocat indique ne pas être au courant de difficultés que les sociétés Parkedale et autres auraient à recouvrer des condamnations contre son client dans le cas ou elles obtiendraient un jugement en leur faveur, est insuffisamment catégorique, pour écarter le risque pesant sur le recouvrement des créances invoquées par les intimées, eu égard à l'absence de justification suffisante de la situation financière de l'appelant et au montant de la créance invoquée.
Les conditions prescrites à l'article L.511-1 du code des procédures civiles d'exécution étant réunies, le jugement déféré qui a débouté Monsieur M. de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 23 septembre 2015 et de main levée de la sûreté conservatoire contestée, mérite confirmation.
Et la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par Monsieur M. a en conséquence été justement écartée.
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées et Monsieur M. succombant dans son recours supportera les dépens d'appel et sera tenu de verser à chacune des sociétés intimées la somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, lui-même ne pouvant prétendre au bénéfice de ces dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé en audience publique,
Ecarte des débats la pièce n°18 communiquée par Monsieur Roy M.,
Déclare irrecevable sa demande de nullité l'ordonnance sur requête du 23 septembre 2015,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Ajoutant,
Condamne Monsieur Roy M. à payer à chacune des sociétés intimées la somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne Monsieur Roy M. aux dépens d'appel.