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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 19 septembre 2013, n° 2012/15279

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Électricité Réseau Distribution France (SA)

Défendeur :

Ardennes Energy (SARL), Solareo (SAS), Commission de Régulation de l’Énergie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Remenieras

Conseillers :

Mme Beaudonnet, Mme Leroy

Avocats :

Me Teytaud, Me Gognet, Me Coussy, Me Cacciali

CoRDiS, du 2 juill. 2012, n° 03-38-12

2 juillet 2012

La société Ardennes Energy, qui souhaite développer un projet de centrale photovoltaïque intégré au bâti, pour une puissance de production installée de 606,06 kwc, sur le territoire de la commune de Wadelincourt (Ardennes), a fait déposer le 3 1 août 2010, par l'intermédiaire de son mandataire, la société Solareo, une demande de raccordement auprès de la société Electricité Réseau Distribution France (ci-après ERDF), gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité sur le territoire de cette commune et une demande de contrat d'achat.

Le 6 septembre 2010, ERDF a accusé réception du dossier et le 23 novembre suivant, elle a communiqué à la société Solareo une convention pour le raccordement du projet photovoltaïque, qui fixait à 8 542, 10 euros le montant des travaux de raccordement, et prévoyait leur réalisation pour le mois de juin 2011.

La société Solareo a renvoyé le 3 décembre 2010, un exemplaire, signé le 30 novembre 2010, de la convention de raccordement, ainsi qu'un chèque d'acompte de 4 271,05 euros mais, le 3 janvier 2011, ERDF a informé la société Solareo, de ce que la "proposition technique et financière" de raccordement, ainsi que le chèque d'acompte, ayant été envoyés le 3 décembre 2010, son projet entrait dans le champ d'application du décret du 9 décembre 2010, suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil.

La société ERDF a également retourné l'acompte et les pièces du dossier à la société Solareo et l'a invitée à faire une autre demande lorsque les nouvelles dispositions d'obligation d'achat seraient connues.

C'est dans ces conditions que la société Ardennes Energy et la société Solareo ont saisi le comité de règlement des différends et des sanctions (CoRdis) de la Commission de régulation de l'énergie, du différend qui les oppose à la société ERDF en lui demandant :

- d'ordonner à ERDF d'exécuter la convention de raccordement signée le 30 novembre 2010 avec la société Ardennes Energy,

- de fixer le délai imparti à ERDF pour exécuter les travaux nécessaires au raccordement de l'installation de production de la société Ardennes Energy et de fixer le délai imparti à cette dernière pour mettre en service son installation de production. 

Par décision du 2 juillet 2012, le CoRdis a décidé que la société ERDF ;

  • exécutera la convention de raccordement (article 1)
  • exécutera les travaux de raccordement dans le délai de six mois et deux jours à compter de la notification de la présente décision ( article 2).

Sur ce,

Vu le recours en annulation contre cette décision déposée le 9 août 2012 par la société ERDF, ses conclusions déposées les 23 octobre 2012 et 30 avril 2013 et 31 mai 2013 aux termes desquelles elle demande à la Cour :

* d'annuler les articles I et 2 de la décision du CoRdis et de rejeter les demandes des sociétés Ardennes Energy et Solareo, en faisant valoir :

- en premier lieu, qu'en décidant que "les dispositions (..) de l'article 3 du décret du 9 décembre 2010 ne permettent pas à la société ERDF, qu'elles qu'en soient les conséquences sur l'obligation d'achat, laquelle soulève une question distincte, de refuser d'exécuter une convention de raccordement", le CoRdis a méconnu le sens de cet article et dénaturé ses écritures, puisqu'elle avait constaté l'inapplication à l'espèce de l'article 3 pour conclure à la suspension du projet en vertu des articles 1er et 5 du décret ;

- qu'en second lieu, en faisant échapper le projet litigieux à la suspension, aux motifs qu'une convention de raccordement "ne se résume pas à une simple proposition technique et financière" et que la convention avait ici été "signée et notifiée avant ( ... ) la date d'entrée en vigueur du décret", le CoRdis n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a interprété de manière erronée les articles 1er, 3 et 5 du décret,

* de condamner les sociétés Ardennes Energy et Solareo à lui payer la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions déposées le 3 1 janvier 2013 par les sociétés Ardennes Energy et Solareo, leurs observations récapitulatives et responsives no 2 et 3 respectivement déposées les 26 avril et 27 mai 2013 qui, estimant que la société ERDF n'est pas fondée à refuser d'exécuter la convention de raccordement et à solliciter qu'elles déposent une nouvelle demande :

  • réclament la confirmation de la décision du Cordis,
  • demandent que soit ordonné à la société ERDF de poursuivre la procédure de raccordement sans que les retards dans l'exécution de la convention de raccordement n'aient de conséquences sur le contrat d'achat avec EDF, aux motifs :

- que la société Ardennes Energy a accepté une convention de raccordement qui échappe aux dispositions du décret no 2010-1510 du 9 décembre 2010,

- qu'en ce qui la concerne, la procédure était achevée à la date de I'entrée en vigueur du décret, puisqu'elle avait notifié le 3 décembre 2010 son acceptation de la convention de raccordement, accompagnée du chèque d'acompte ; qu'il s'agit donc d'exécuter une convention dûment formalisée, et que le décret litigieux n'édicte aucune suspension d'exécution des conventions de raccordement, contrairement à ce que prétend la société ERDF,

* demande la condamnation de la société ERDF au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les observations de la Commission de régulation de l'énergie déposées le 18 mars 2013 aux fins de rejet du recours ;

Vu les observations écrites du ministère public tendant aux mêmes fins ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 4 juin 2013, les conseils des parties, qui ont été mises en mesure de répliquer, le conseil de la Commission de régulation de l'énergie et le ministère public ;

LA COUR,

Sur la procédure :

Considérant que dans ses conclusions déposées le 31 mai 2013, la société ERDF demande le rejet des écritures de la société Ardennes Energy et de la société Solareo déposées le 27 mai 2013 ;

Considérant qu'en application de l'article 11-2 modifié du décret n o 2000-894 du 11 septembre 2000, la date limite de communication des observations écrites des parties et de dépôt au greffe était fixée au 30 avril 2013, l'audience de plaidoiries devant se tenir le 4 juin 2013 ;

Que dès lors, les conclusions de la société Ardennes Energy et de la société Solareo ont été déposées hors délai ;

Mais considérant que les sociétés défenderesses se sont contentées de faire état d'un arrêt de cette cour, rendu le 1 8 avril 2013, qu'elles ont ajouté aux pièces déjà communiquées, sans invoquer aucun moyen nouveau ;

qu'aucune atteinte n'ayant été portée aux droits de la défense, la demande tendant à écarter les conclusions du 27 mai 2013 sera rejetée ;

Sur la demande de la société ERDF :

Considérant que dans la mesure où dans le cadre du présent recours, la cour est tenue de statuer sur le différend né du refus de ERDF d'exécuter la convention de raccordement signée par la société Ardennes Energy, il est sans utilité d'examiner le grief tendant à l'annulation de la décision du CoRdis tiré de ce qu'il aurait dénaturé les écritures de la société ERDF ;

Considérant qu'en application de l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, désormais codifié sous l'article L 314-1 du code de l'énergie, Electricité de France - et les entreprises locales de distribution - sont tenues de conclure, si les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par les installations de production d'électricité issue de l'énergie radiative du soleil ;

que l'article 1er du décret no 2010-1510 du 9 décembre 2010 suspend, pour une durée de trois mois à compter de l'entrée en vigueur de ce décret [le 10.12.2010], l'obligation à laquelle est tenue EDF de conclure un contrat d'achat d'électricité ;

que l'article 3 du décret énonce que les dispositions de l'article 1er ne s'appliquent pas aux installations « dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau » ;

que l'article 5 prévoit que "à l'issue de la période de suspension mentionnée à l'article 1er, les demandes suspendues devront faire l'objet d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau pour bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat »;

Considérant qu'il est constant en l'espèce et non discuté, que comme le permet sa documentation technique de référence (article 9.1.2) pour le cas où les conditions techniques et financières ainsi que les délais de réalisation des raccordements peuvent être définitivement arrêtés, la société ERDF a adressé directement à la société Ardennes Energy, une convention de raccordement, sans lui avoir au préalable envoyé une " proposition technique et financière" (PTF) ;

Considérant que la société ERDF ne conteste pas par ailleurs, que la dérogation prévue à l'article 3 du décret ne concerne que les cas d'acceptation d'une PTF avant la date du 2 décembre 2010 ;

qu'elle soutient que la convention de raccordement signée le 30 novembre 2010, est une « simple » proposition de convention et qu'elle est donc assimilable à une PTF mais que la société Ardennes Energy ne pouvait bénéficier de la dérogation prévue l'article 3 dans la mesure où la convention n'avait pas été retournée avant le 2 décembre 2010 ;

qu'elle fait valoir qu'à supposer que, comme l'a décidé le CoRdis, la convention ne soit pas assimilable à une PTF, il n'en a pas tiré les conséquences juridiques qui s'imposaient, en considérant que le projet échappait à la suspension ;

qu'elle estime en effet que l'exclusion du bénéfice de la dérogation prévue à l'article 3 conduit à faire application de la suspension prévue à l'article 1er du décret, dès le 10 décembre 2010, à toutes les installations qui ne bénéficient pas d'un contrat d'achat d'électricité déjà conclu à cette date, ce qui était le cas de la société Ardennes Energy, peu important qu'ait été ou non signée une convention de raccordement avant le 10 décembre 2010 ; qu'en vertu des dispositions combinées des articles 1 et 5, la demande de la société Ardennes Energy est devenue caduque et qu'elle est tenue d'en déposer une nouvelle ;

Considérant, en premier lieu, s'agissant de la nature de la convention de raccordement, que c'est à juste titre que le CoRdis a dit qu'elle n'était pas assimilable à une PTF ;

qu'en effet, aux termes de l'article 8 de la procédure de traitement de demandes élaborée par ERDF, elle-même, la PTF comprend "les éléments techniques et les éléments financiers de la prestation, le cas échéant, avec une marge d'incertitude, ainsi qu'un échéancier prévisionnel de l'étape de réalisation des travaux et de préparation de la mise en service elle engage ERDF "sur le montant de la contribution due par le demandeur, avec le cas échéant une marge d'incertitude, et sur le délai prévisionnel de mise en exploitation du raccordement "

Considérant que selon l'article 9.1.1 de cette procédure, la convention de raccordement précise les modalités techniques, juridiques et financières du raccordement et particulièrement, la consistance définitive des ouvrages et le montant définitif de la contribution à la charge du demandeur, lorsque le prix indiqué dans l'offre est estimatif [surlignes ajoutées] ;

qu'elle peut être directement envoyée par ERDF au requérant, lorsque le montant de la contribution au coût du raccordement est déterminé de façon définitive au moment de l'établissement de l'offre et que les délais de réalisation des travaux sont maîtrisés (article

Considérant qu'il découle de ce qui précède que la PTF et la convention de raccordement n'ont pas la même nature ; que la première est un document préparatoire, au contenu incertains susceptible de modifications, alors que la seconde présente un caractère définitif ;

que pour ce motif tiré de l'absence d'assimilation de la convention de raccordement à la proposition technique et financière, l'article 3 du décret du 9 décembre 2010 qui fait seulement référence à cette dernière, n'avait pas vocation à s'appliquer au cas d'espèce ;

Considérant en second lieu, que la société ERDF soutient que, dès lors que la société Ardennes Energy ne bénéficiait ni de la dérogation prévue à l'article 3, ni d'un contrat d'achat d'électricité conclu à la date du 10 décembre 2010, il devait être fait application de l'article du décret ; qu'elle en déduit que la suspension prévue par ce texte entraîne de plein droit, conformément à l'article 5 du décret, "la caducité des demandes de raccordement en cours de traitement" et en l'espèce, de la convention de raccordement signée par la société Ardennes Energy, et implique le dépôt, par cette dernière, d'une nouvelle demande de raccordement ;

Mais considérant que comme l'observe le CoRdis, le contrat de raccordement aux réseaux publics et le contrat d'achat d'électricité relèvent chacun d'une réglementation spécifique et d'opérateurs distincts, le premier permettant l'accès au réseau d'électricité et le raccordement de l'installation au producteur, et relevant de la compétence d'ERDF, et le second correspondant à la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité entre le producteur, et EDF ;

Considérant que la question qui se pose ici est celle de savoir si la société ERDF pouvait, sur le fondement du décret du 9 décembre 2010, suspendre le processus de raccordement des installations de la société Ardennes Energy, qui bénéficiait d'une convention de raccordement signée et notifiée à la date de l'entrée en vigueur du décret ;

Considérant qu'en soutenant que l'application de la suspension prévue à l'article 1er du décret obligeait le producteur concerné à déposer une nouvelle demande de raccordement dans les conditions fixées à l'article 5, la société ERDF ajoute au texte, dont aucune de ses dispositions ne vise la convention de raccordement et encore moins ne prévoit sa suspension, alors qu'elle a été signée et notifiée avant le 10 décembre 2010, date de l'entrée en vigueur du décret ;

Considérant que dès lors, c'est à juste titre que le CoRdis a décidé que la société ERDF ne pouvait invoquer le décret du 9 décembre 2010 pour refuser d'exécuter la convention de raccordement conclue par la société Ardennes Energy à cette date, que le recours de la société ERDF sera rejeté ;

Sur les demandes formées par la société Ardennes Energy et la société Solareo :

Considérant que dans la mesure où le recours formé devant la cour d'appel n ' est pas suspensif, la demande de la société Ardennes Energy et de la société Solareo tendant à ordonner à ERDF d'exécuter la procédure de raccordement est sans objet ;

Considérant que l'équité commande d'accueillir leur demande à hauteur de la somme de 4000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Dit n'y avoir lieu d'écarter les conclusions déposées le 27 mai 2013 par les sociétés Ardennes Energy et Solareo ;

Rejette le recours de la société ERDF contre la décision du CoRDiS du 2 juillet 2012 ;

Rejette la demande des sociétés Ardennes Energy et Solareo tendant à ordonner à ERDF d'exécuter la procédure de raccordement ;

Condamne ERDF aux dépens et à payer à la société Ardennes Energy et à la société Solareo la somme globale de 4 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.