CA Rennes, 2e ch., 5 juillet 2019, n° 18/04340
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cap Marine (SARL)
Défendeur :
Comptoir le la Mer (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Christien
Conseillers :
M. Pothier, Mme Gelot-Barbier
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Cap marine, qui fabrique des vêtements de style marin sous sa marque éponyme, a approvisionné la société Comptoir de la mer, qui commercialise au travers de son réseau de distribution de détail des articles en lien avec le monde maritime, de 1993 à 2016.
Prétendant que la société Cap marine avait rompu brutalement leurs relations commerciales établies en refusant sans préavis d'honorer ses commandes des 21 octobre 2016 et 24 août 2017, la société Comptoir de la mer a, par requête du 29 janvier 2018, saisi le juge de l'exécution de Nantes qui, par ordonnance 30 janvier suivant, l'a autorisée à faire pratiquer une saisie conservatoire des comptes ouverts par la société Cap Marine auprès du Crédit agricole afin d'avoir sûreté d'une créance indemnitaire évaluée à 300 000 euros.
La saisie a été réalisée par procès-verbal du 27 février 2018 et dénoncée à la débitrice le 28 février 2018.
La société Comptoir de la mer a alors, par acte du 27 mars 2018, fait assigner la société Cap marine devant le tribunal de commerce de Rennes, lequel a, par jugement du 16 octobre 2018, condamné celle-ci au paiement des sommes de 134 113,99 euros à titre de dommages-intérêts et de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et a rejeté la demande d'exécution provisoire.
La société Cap marine a relevé appel de cette décision le 27 novembre 2018, le recours étant toujours pendant devant la cour d'appel de Paris.
Corrélativement, contestant l'existence de la créance invoquée ainsi que la menace de recouvrement alléguée, la société Cap marine avait, par acte du 14 mars 2018, fait assigner la société Comptoir de la mer devant le juge de l'exécution de Nantes en rétractation de l'ordonnance autorisant la saisie conservatoire, subsidiairement en annulation de l'ordonnance et du procès-verbal de saisie, en mainlevée de la saisie conservatoire et en paiement de dommages-intérêts.
Par jugement du 18 juin 2018, le juge de l'exécution a :
• débouté la société Cap marine de sa demande de rétractation et d'annulation de l'ordonnance du 30 janvier 2018,
• déclaré nul le procès-verbal de saisie conservatoire du 27 février 2018 en ce que la mesure n'avait pas été exécutée dans l'établissement bancaire teneur du compte identifié dans l'ordonnance,
• en conséquence, ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire,
• condamné la société Comptoir de la mer au paiement d'une somme de 79,50 euros à titre de dommages-intérêts,
• débouté la société Cap marine de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive,
• condamné la société Comptoir de la mer au paiement d'une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
• débouté les parties du surplus de leurs demandes,
• rappelé que l'exécution provisoire était de plein droit.
La société Cap marine a relevé appel de cette décision le 27 juin 2018, en demandant à la cour de :
• déclarer la société Cap marine recevable en ses demandes,
• confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :
• déclaré nul le procès-verbal de saisie conservatoire et ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire,
• condamné la société Comptoir de la mer au paiement de la somme de 79,50 euros à titre de dommages-intérêts,
• condamné la société Comptoir de la mer au paiement d'une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
• infirmer le jugement attaqué pour le surplus,
• débouter la société Comptoir de la mer de ses demandes,
• rétracter l'ordonnance du 30 janvier 2018, entraînant subséquemment la nullité du procès-verbal de saisie conservatoire du 27 février 2018 et la mainlevée de ladite saisie,
• en tout état de cause, condamner la société Comptoir de la mer au paiement d'une indemnité de 12 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
La société Comptoir de la mer conclut principalement à l'irrecevabilité de l'appel pour défaut d'intérêt.
Subsidiairement, elle demande à la cour de confirmer le jugement attaqué et, en tout état de cause, de condamner la société Cap marine au paiement des sommes de 10 000 euros pour appel abusif et de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Cap marine le 9 mai 2019 et pour la société Comptoir de la mer le 9 mai 2019, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 23 mai 2019.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Faisant valoir que la société Cap marine avait demandé et obtenu la mainlevée de la saisie conservatoire litigieuse subséquemment à l'annulation du procès-verbal de saisie, et que, partant, l'ordonnance autorisant la saisie est devenue caduque faute d'avoir été valablement exécutée dans les trois mois de son prononcé, la société Comptoir de la mer en déduit que l'appel est dépourvu d'intérêt et devrait être déclaré irrecevable.
Cette fin de non recevoir ne pouvait qu'être soumise à la cour, dès lors que l'appel de la décision attaquée doit être, conformément à l'article R. 121-20 du code des procédures civiles d'exécution, instruit et jugé selon les règles applicables à la procédure à bref délai sans désignation d'un conseiller de la mise en état, et que le président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée n'a, conformément aux articles 905-1 et 905-2 du code de procédure civile, le pouvoir juridictionnel de statuer que sur les incidents relatifs à la caducité de l'appel principal, à la recevabilité de l'appel incident et à la recevabilité des conclusions au regard de ces textes, ce pouvoir n'étant de surcroît pas exclusif.
Cependant, il ne pourra qu'être observé que la société Cap marine sollicitait à titre principal devant le juge de l'exécution la rétractation de l'autorisation de saisie conservatoire du 30 janvier 2018 en contestant l'existence de la créance indemnitaire invoquée ainsi que la menace pesant sur le recouvrement de celle-ci, la contestation de la régularité des opérations de saisie à laquelle le juge a fait droit n'étant invoquée qu'à titre subsidiaire.
En outre, s'il résulte de l'article R. 511-6 du code des procédures civiles d'exécution que l'ordonnance autorisant la saisie est caduque si elle n'a pas été exécutée dans les trois mois de son prononcé, il demeure qu'elle a en l'espèce été effectivement exécutée et que l'appel porté sur le chef du jugement ayant refusé de la rétracter aurait pour effet, s'il était suivi par la cour, de rendre l'annulation du procès-verbal de saisie sans objet.
Il s'en déduit que la société Cap marine a bien un intérêt légitime à faire appel d'un jugement ayant rejeté sa demande principale pour ne faire droit qu'à une demande formée à titre subsidiaire.
La société Cap marine fait à cet égard grief au juge de l'exécution d'avoir refusé de rétracter son ordonnance autorisant la saisie conservatoire, alors qu'il n'existait pas de relations commerciales établies avec la société Comptoir de la mer, que la rupture n'est imputable qu'à la société Comptoir de la mer qui a elle-même réduit le volume de ses commandes, et qu'enfin la société Comptoir de la mer aurait fautivement organisé la fabrication et la commercialisation de copie de ses productions ce qui justifiait une rupture sans préavis.
Cependant, par d'exacts motifs, le juge de l'exécution a, au vu des pièces produites et des explications fournies, pertinemment relevé que les parties avaient bien entretenu des relations commerciales de 1993 à 2016 caractérisées par des commandes et des livraisons régulières, peu important que le flux commercial n'ait généré qu'une faible proportion du chiffre d'affaires réalisé par la société Comptoir de la mer, que la commande effectuée au titre de la 'pré-saison' 2017 témoignait de la volonté de la société Comptoir de la mer de poursuivre ces relations commerciales et que son volume modeste ne pouvait laisser préjuger d'une rupture partielle alors qu'elle a été complétée en août 2017 et pouvait encore l'être en cours d'année, qu'au demeurant les termes du courrier de la société Cap marine du 7 septembre 2017 témoignait bien de la volonté de celle-ci de rompre à son initiative leurs relations commerciales, et que les allégations de concurrence déloyale ou de parasitisme de nature à justifier une rupture sans préavis étaient insuffisamment étayées.
De surcroît, les juges du fond ont depuis lors, par jugement du 16 octobre 2018, également constaté que les parties entretenaient des relations commerciales établies depuis 1993, que l'échange de courriers des 25 août et 7 septembre 2017 témoigne de ce que la rupture sans préavis résulte bien de la seule initiative de la société Cap marine, le volume de commandes annuelles ne pouvant s'apprécier au vu de la seule commande de 'pré-saison' dont la relative diminution des quantités commandées ne pouvait s'interpréter comme une rupture partielle imputable à la société Comptoir de la mer, et que, dans le secteur économique de l'habillement, où le style des vêtements marins est très codifié et où les marques de distributeur s'inspirent usuellement des grandes marques de prêt à porter qui, elles-mêmes, s'inspirent des créations de la grande couture, la société Cap marine ne démontrait pas suffisamment en quoi la société Comptoir de la mer se serait placée dans son sillage pour tirer des bénéfices de la vente de produits similaires.
Étant rappelé que, selon les dispositions de l'article L. 442-6-I § 5° du code de commerce, le fait, pour tout producteur, de rompre brutalement une relation commerciale établie sans préavis tenant compte de la durée de la relation engage la responsabilité de son auteur, il résulte de ce qui précède qu'il existe bien en la cause une apparence de créance fondée en son principe au sens de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution.
Au soutien de sa demande de rétractation de l'autorisation de saisie conservatoire, la société Cap marine, qui vante la solidité de sa situation comptable, dont les capitaux propres sont positifs et les résultats bénéficiaires, ainsi que la bonne qualité de sa cotation par la Banque de France, prétend encore que la société Comptoir de la mer ne justifierait pas de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de cette créance.
Mais, le juge de l'exécution a là encore, par d'exacts motifs, relevé à juste titre que le gérant de la société Cap marine avait, par des courriers successifs des 9 octobre et 2 novembre 2017, informé la société Comptoir de la mer qu'il n'était plus en mesure d'honorer financièrement les commandes et qu'il prévoyait de mettre en sommeil sa société.
En outre, la société Comptoir de la mer produit des attestations de MM. M. et M., exploitant des points de vente appartenant au réseau de distribution de la société Comptoir de la mer, desquelles il ressort que le gérant de la société Cap marine exprimait ouvertement que le litige opposant les parties faisait peser des incertitudes sur ses activités.
Il en résulte qu'il existait bien des menaces objectives sur le recouvrement de la créance indemnitaire de la société Comptoir de la mer, de sorte qu'il n'y pas lieu de rétracter l'ordonnance du 30 janvier 2018 ayant autorisé la saisie conservatoire sur le constat pertinent que les conditions d'application de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution étaient réunies.
Les autres dispositions du jugement attaqué, qui sont exemptes de critique, seront d'autre part confirmées.
La société Comptoir de la mer ne démontre pas que le droit de la société Cap marine d'agir en justice et d'exercer les voies de recours que la loi lui ouvrait ait en l'espèce dégénéré en abus.
Sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive sera donc rejetée.
Il serait en revanche inéquitable de laisser à sa charge l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Déclare l'appel recevable ;
Confirme le jugement rendu le 18 juin 2018 par le juge de l'exécution de Nantes en toutes ses dispositions ;
Y additant, déboute la société Comptoir de la mer de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la société Cap marine à payer à la société Comptoir de la mer une somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Cap marine aux dépens d'appel ;
Accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.