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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 5, 5 octobre 2021, n° 21/06259

PARIS

Ordonnance

Autre

PARTIES

Défendeur :

Vintimille Hotel (SNC), Société Générale (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseiller :

Mme Le Cotty

JEX Paris, du 11 mars 2021, n° 20/81669

11 mars 2021

Le 30 septembre 2020, la société Résidence du Moulin Rouge a fait pratiquer une saisie conservatoire de créances au préjudice de la société Vintimille Hôtel, entre les mains de la Société Générale, à hauteur de la somme de 24.786,61 euros, sur le fondement d'un bail commercial du 8 juillet 1983, renouvelé en dernier lieu le 7 août 2013.

Le 2 novembre 2020, la société Vintimille Hôtel a assigné la société Résidence du Moulin Rouge devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris en mainlevée de la saisie conservatoire.

Par jugement du 11 mars 2021, le juge de l'exécution a donné mainlevée de la saisie conservatoire et condamné la société Résidence du Moulin Rouge au paiement de la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 29 mars 2021, la société Résidence du Moulin Rouge a relevé appel de cette décision.

Par acte du 13 avril 2021, elle a assigné la société Vintimille Hôtel et la Société Générale en référé devant le premier président afin que soit ordonné le sursis à exécution du jugement entrepris dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel.

Par conclusions déposées à l'audience du 7 septembre 2021, elle demande de :

- à titre liminaire, débouter la société Vintimille Hôtel de sa demande en nullité de l'assignation ;

- surseoir à l'exécution de la décision du juge de l'exécution du 11 mars 2021 ;

- condamner la société Vintimille Hôtel à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir à titre liminaire que son assignation n'est pas nulle dès lors qu'elle contient le fondement juridique de la demande.

Sur le fond, elle soutient qu'en imposant au créancier l'obtention d'une autorisation judiciaire préalable, le juge de l'exécution a violé l'article L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution, qui ne prévoit pas une telle autorisation en présence d'un loyer impayé et d'un bail écrit.

Elle ajoute que le principe de proportionnalité des mesures conservatoires et d'exécution ne permet pas d'écarter une mesure en raison des difficultés rencontrées par le débiteur et ce, d'autant moins que le juge de l'exécution a rejeté les moyens pris de la force majeure, de l'exception de délivrance ou de la perte partielle de la chose louée, confirmant ainsi que la situation exceptionnelle liée à l'épidémie de Covid-19 était sans incidence sur le caractère fondé et exigible de sa créance.

Elle soutient également que, contrairement à ce que le juge de l'exécution a retenu, ni la valeur du fonds de commerce ni aucune circonstance tenant à l'activité du preneur ne peuvent être prises en considération dans l'appréciation de la régularité de la saisie conservatoire.

Elle fait valoir en conséquence que les conditions de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution étaient réunies, à savoir une créance fondée en son principe et des circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.

Enfin, elle soutient que c'est à tort que le juge de l'exécution a retenu que l'hôtel exploité par la société Vintimille relevait des dispositions du décret n° 2020-1766 du 30 décembre 2020 pris pour l'application de l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (tout en écartant leur application en l'espèce), les activités hôtelières n'ayant pas été affectées par les mesures de police administrative prises pendant la crise sanitaire et n'ayant pas été contraintes de fermer leurs locaux.

Par conclusions déposées à l'audience du 7 septembre 2021, la société Vintimille Hôtel demande, au visa de l'article R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution, de :

- constater que, compte tenu des circonstances exceptionnelles résultant de l'épidémie de Covid-19, la société Résidence du Moulin Rouge aurait dû solliciter l'autorisation préalable du juge de l'exécution pour pratiquer une saisie conservatoire ;

- constater que la prétendue créance n'est pas menacée dans son recouvrement et que, de ce fait, les conditions de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas réunies ;

- constater que les sommes saisies au titre du solde de loyers et charges du 1er trimestre 2020 et des loyers et charges du 2ème trimestre 2020 sont dépourvues de toute exigibilité ;

- constater que le jugement entrepris a écarté l'application de la loi du 14 novembre 2020 et de son décret d'application ;

En conséquence,

- dire et juger que la société Résidence du Moulin Rouge n'établit pas l'existence de motifs sérieux d'annulation ou de réformation de la décision du juge de l'exécution ;

- débouter la société Résidence du Moulin Rouge de sa demande de sursis à l'exécution de la décision du 11 mars 2021 ;

- la débouter de toutes ses demandes ;

En tout état de cause,

- condamner la société Résidence du Moulin Rouge à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître M., Cabinet B., avocat.

Elle fait valoir qu'elle exploite un hôtel depuis 1983 et que le contexte épidémique de 2020 a entraîné une baisse importante de son chiffre d'affaires, celui-ci étant inexistant pour les mois d'avril, mai et juin 2020, ce qui a caractérisé les circonstances exceptionnelles retenues par le juge de l'exécution pour imposer une autorisation judiciaire préalable à la mesure de saisie conservatoire.

Elle ajoute que les conditions prévues par l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas réunies dès lors, d'une part, qu'aucune menace ne pèse sur le recouvrement de la créance, ayant toujours fait face à ses obligations sans difficulté, d'autre part, que la créance n'est pas fondée en son principe comme correspondant à la période exceptionnelle du 17 mars au 30 juin 2020, pour laquelle elle doit bénéficier d'une franchise totale de loyers et charges sur le fondement du droit commun des contrats, notamment la force majeure, l'exception d'inexécution et la perte partielle de la chose louée.

Elle soutient encore que la saisie conservatoire était privée d'effet en application des dispositions de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020.

A l'audience du 7 septembre 2021, les conseils des parties ont été entendus en leurs observations au soutien de leurs écritures.

La Société Générale n'a pas comparu ni personne pour elle.

SUR CE,

Sur l'exception de nullité de l'assignation

La société Vintimille Hôtel n'a pas repris, dans le dispositif de ses conclusions déposées à l'audience, sa demande d'annulation de l'assignation.

En tout état de cause, l'assignation délivrée le 13 avril 2021 précisait l'objet de la demande (le sursis à exécution de la décision du juge de l'exécution) et son fondement juridique (l'article R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution), qui figurait en première page de l'acte.

L'exception de nullité pour absence de fondement juridique, en application de l'article 56 du code de procédure civile, ne peut donc qu'être rejetée.

Sur les moyens sérieux de réformation

En application de l'article R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution, en cas d'appel, un sursis à l'exécution des décisions prises par le juge de l'exécution peut être demandé au premier président de la cour d'appel. La demande est formée par assignation en référé délivrée à la partie adverse et dénoncée, s'il y a lieu, au tiers entre les mains de qui la saisie a été pratiquée. Jusqu'au jour du prononcé de l'ordonnance par le premier président, la demande de sursis à exécution suspend les poursuites si la décision attaquée n'a pas remis en cause leur continuation ; elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires si la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la mesure. Le sursis à exécution n'est accordé que s'il existe des moyens sérieux d'annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour.

Aux termes de l'article L. 511-1, alinéa 1er, du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.

Par exception au principe d'autorisation du juge de l'exécution, l'article L. 511-2 du même code dispose qu'une autorisation préalable n'est pas nécessaire en cas de loyer resté impayé dès lors qu'il résulte d'un contrat écrit de louage d'immeubles.

L'article L. 512-1 précise que, même lorsqu'une autorisation préalable n'est pas requise, le juge peut donner mainlevée de la mesure conservatoire s'il apparaît que les conditions prescrites par l'article L. 511-1 ne sont pas réunies.

En l'espèce, il est constant que la saisie conservatoire a été pratiquée sur le fondement d'un contrat écrit de bail commercial et pour des loyers impayés. Dès lors, l'autorisation préalable du juge de l'exécution n'était pas nécessaire.

Dans sa décision du 11 mars 2021, après avoir écarté l'irrégularité de la saisie conservatoire au regard des dispositions de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, le juge de l'exécution a ordonné sa mainlevée en se fondant sur l'article L. 111-7 du code des procédures civiles d'exécution, selon lequel le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance, l'exécution de ces mesures ne pouvant excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation.

Sur ce fondement, il a estimé que, dans les circonstances exceptionnelles liées à la crise sanitaire, « indépendantes de la volonté des parties, l'emploi d'une mesure conservatoire sans autorisation judiciaire préalable pour le paiement du terme du 2ème trimestre de l'année 2020, échu le 1er avril 2020, ou pour le paiement du loyer au titre de la deuxième quinzaine du mois de mars 2020 n'[était] pas proportionné, compte tenu de la valeur du fonds de commerce en cause, aux nécessités de conservation de la créance ».

Il a donc retenu que l'absence d'autorisation judiciaire préalable rendait la mesure disproportionnée, dans les circonstances particulières de la crise sanitaire.

La société Résidence du Moulin Rouge fait à juste titre état d'un moyen sérieux de réformation de ce chef dès lors qu'aucun texte ne permet au juge de l'exécution d'imposer une autorisation judiciaire préalable lorsque celle-ci est expressément écartée par la loi.

Il convient de préciser que, si l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 prévoit que, pendant la période où le locataire est affecté par une mesure de police administrative, le bailleur ne peut pratiquer de mesures conservatoires qu'avec l'autorisation du juge, le juge de l'exécution a écarté, en l'espèce, l'application de ces dispositions et il est constant que les hôtels n'ont pas fait l'objet de mesures de fermeture administrative pendant la crise sanitaire.

En outre, la disproportion ne s'apprécie pas, en matière de mesures conservatoires, au regard de l'absence d'autorisation préalable du juge mais au regard des abus liés à l'objet ou au coût de la mesure, le créancier ne pouvant se livrer à des procédures multiples et inutiles, générant des frais excessifs et injustifiés, en particulier en présence de créances modiques voire inexistantes, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. La disproportion ne s'apprécie pas davantage au regard de la valeur du fonds de commerce en cause.

Il convient également de relever qu'en l'absence de fermeture administrative de l'hôtel exploité par la société Vintimille Hôtel, celle-ci n'a pas subi de perte partielle de la chose louée justifiant l'application de l'article 1722 du code civil, même s'il n'est pas contestable qu'elle a souffert des mesures de restriction de la circulation de la population et de l'absence de tourisme international.

C'est dès lors en dépit de l'existence d'une créance fondée en son principe au titre des loyers du 2ème trimestre de l'année 2020 et de la deuxième quinzaine du mois de mars 2020, que le juge de l'exécution a lui-même constatée, qu'il a donné mainlevée de la saisie conservatoire.

Enfin, les menaces pesant sur le recouvrement de la créance sont réelles au regard des difficultés financières de la société Vintimille Hôtel, dont celle-ci fait elle-même état en invoquant une baisse de son chiffre d'affaires de 72%, et qui résultent également d'une dette locative croissante, s'élevant désormais à 77.636,78 euros selon le décompte produit, arrêté au 6 juillet 2021.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la société Résidence du Moulin Rouge justifie de moyens sérieux de réformation de la décision entreprise et la demande de sursis à exécution sera accueillie.

La société Vintimille Hôtel sera tenue aux dépens de la présente instance et condamnée au paiement de la somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Ordonnons qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris du 11 mars 2021 ;

Condamnons la société Vintimille Hôtel aux dépens de la présente instance ;

La condamnons à payer à la société Résidence du Moulin Rouge la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

ORDONNANCE rendue par Mme Rachel LE COTTY, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.