Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1 et 9, 9 juin 2022, n° 21/04976

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Univers (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Denjoy

Conseillers :

Mme Tarin-Testot, M. Tatoueix

Avocats :

Me Berthier-Laignel, Me Soulas

JEX Marseille, du 11 mars 2021, n° 21/11…

11 mars 2021

FAITS ET PROCEDURE

La SCI Univers a fait l'acquisition, par acte du 2 octobre 2003, d'une parcelle cadastrée à [Adresse 6], section H n° [Cadastre 1].

La SCI Univers a obtenu l'autorisation, par ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Marseille du 12 octobre 2016, d'inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur chacune des parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 8] appartenant à M. [X] [T], invoquant une créance de dommages-intérêts qu'elle évaluait à 110 000 euros, pour trouble anormal de voisinage qu'elle imputait à ce dernier comme étant l'un des auteurs de travaux ayant détérioré ses locaux.

Par la suite, toutefois, le juge de l'exécution, par décision du 6 juin 2017, a ordonné la mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire portant sur la parcelle [Cadastre 8] et a cantonné ses effets sur la parcelle [Cadastre 7].

Puis, par décision du 26 mars 2020, le juge de l'exécution a ordonné la mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire subsistant sur la parcelle [Cadastre 7].

Toutefois, la SCI Univers a déposé le 19 juin 2017 une nouvelle requête aux fins d'inscription d'hypothèques judiciaires provisoires sur les mêmes parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 8] invoquant une nouvelle créance qu'elle a évaluée provisoirement à la somme de 108 300 euros, invoquant avoir fait délivrer une assignation à M. [T] devant le tribunal de grande instance de Marseille le 27 avril 2017 aux fins d'obtenir la condamnation de celui-ci à lui payer une indemnité d'occupation de 78 300 euros et 30 000 euros de dommages-intérêts, pour occupation de sa parcelle sans droit ni titre.

Par ordonnance du 20 juin 2017, le juge de l'exécution a autorisé la SCI Univers à faire inscrire de nouvelles hypothèques judiciaires provisoires sur les mêmes parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 8].

La SCI Univers a fait publier ses hypothèques provisoires sur les parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 8] en vertu de l'ordonnance du 20 juin 2017, le 28 juin 2017.

Puis, par jugement du juge de l'exécution du 8 février 2018, il a été ordonné la mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire inscrite sur la parcelle [Cadastre 7].

Toutefois, les formalités de radiation proprement dite de ces prises d'hypothèques n'ont pas été effectuées.

Par la suite, la SCI Univers a ainsi pu faire procéder le 24 juin 2020 au renouvellement de ses inscriptions prises le 28 juin 2017, qui arrivaient à expiration à l'issue de leur durée de validité de trois ans.

Par acte d'huissier du 29 janvier 2021, M. [T] a fait assigner la SCI Univers en procédure à jour fixe devant le juge de l'exécution, suivant autorisation du président du tribunal judiciaire de Marseille, aux fins de mainlevée du renouvellement des hypothèques provisoires publiées initialement le 28 juin 2017 portant sur les parcelle [Cadastre 7] et [Cadastre 8] et a demandé à être autorisé à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur la parcelle [Cadastre 1] appartenant à la SCI Univers.

Par le jugement contradictoire dont appel, rendu le 11 mars 2021, le juge de l'exécution a :

- déclaré irrecevables les demandes respectives de M. [T] et de la SCI Univers aux fins d'inscription d'hypothèques judiciaires provisoires,

- rejeté la demande de la SCI Univers tendant à la nullité de l'assignation,

- débouté M. [T] de l'intégralité de ses demandes,

- condamné M. [T] à payer à la SCI Univers la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

M. [X] [T] a interjeté appel de chacune des dispositions du jugement par déclaration expédiée au greffe de la cour le 26 mars 2021.

Suivant dernières conclusions, notifiées le 11 mars 2022, M. [X] [T] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, statuant à nouveau de :

- ordonner la mainlevée du renouvellement de l'inscription hypothécaire initialement publiée le 28 juin 2017 volume 2017V1939 suivie de son renouvellement le 24 juin 2020 V 1530 en ce qu'il affecte la parcelle sise [Adresse 3] cadastrée section [Cadastre 4]H[Cadastre 7] et la parcelle cadastrée [Cadastre 4]H[Cadastre 8] sur le lot sis [Adresse 3], issues de la division de la parcelle cadastrée [Cadastre 4]H[Cadastre 2] sise [Adresse 3],

- ordonner la radiation desdites hypothèques à la charge et aux frais de la SCI Univers, dans un délai de 8 jours à compter du prononcé de la décision à intervenir puis sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard dès le lendemain de la signification de la décision à intervenir,

- condamner la SCI Univers à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi que 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeter l'ensemble des demandes adverses,

- condamner la SCI Univers aux dépens.

M. [X] [T] expose en substance que les hypothèques en litige qui ont été prises sur ses parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 8] l'ont été successivement pour garantir une créance de 110 000 euros correspondant à un prétendu préjudice de jouissance, qui a été ramené en définitive à une somme globale de 23 395 euros à laquelle ont été condamnés in solidum 3 débiteurs, par jugement du tribunal judiciaire de Marseille du 3 février 2022, puis pour garantir une créance de 108 300 euros mais que cette dernière a été fixée à zéro à son égard par un arrêt de cette cour du 22 novembre 2018, devenu définitif.

L'appelant ajoute que la SCI Univers lui a réclamé par la suite en justice une somme de 300 000 euros d'indemnité d'occupation et que ses prétentions ont été déclarées prescrites et irrecevables par jugement rendu le 6 septembre 2021, de sorte qu'en définitive, la seule créance dont peut justifier la SCI à son égard se monte à une somme totale de 23 395 euros outre 3 000 euros d'indemnité de procédure dont il est redevable in solidum avec deux autres débiteurs, soit une créance dérisoire par comparaison avec la valeur des terrains qui faisaient l'objet des hypothèques judiciaires provisoires autorisées initialement.

Par ailleurs, sur le plan des garanties, l'appelant expose qu'il dispose d'un patrimoine mobilier et immobilier largement suffisant pour garantir le paiement de la seule créance dont justifie encore la SCI, qui résulte du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Marseille le 3 février 2022.

Il précise que bien que des parcelles hypothéquées restent en principe cessibles, aucun notaire n'accepte de rédiger un acte de vente dans ces conditions, et que le risque encouru actuellement est la caducité imminente des permis de construire ce qui entraînerait la réduction de moitié de la valeur des terrains, ce de façon irréversible, puisque le PLU de la zone a changé dans le sens d'une moindre constructibilité.

La SCI Univers, qui a formé appel incident du jugement, demande à la cour, suivant dernières conclusions notifiées le 19 juillet 2021, de réformer la décision entreprise et de :

- déclarer nulle l'assignation qui lui a été signifiée le 29 janvier 2021 et, en conséquence, de débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes,

- reconventionnellement, l'autoriser à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier appartenant à M. [T] cadastré [Cadastre 8] pour sûreté, conservation et paiement de sa créance indemnitaire évaluée provisoirement à 173 409,20 euros et une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur la parcelle [Cadastre 7] pour préservation de son autre créance indemnitaire évaluée provisoirement à la somme de 333 140 euros,

- condamner M. [T] à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- subsidiairement, dire que les formalités de radiation seront effectuées par M. [T] et à sa charge,

- débouter ce dernier de sa demande de condamnation à hauteur de 30 000 euros ainsi que de sa demande d'indemnité de procédure.

La SCI Univers expose en substance :

- qu'il incombait à la partie adverse de procéder à sa charge et à ses frais aux formalités de radiation des hypothèques judiciaire provisoires dont la mainlevée avait été ordonnée,

- que depuis les jugements rendus par le juge de l'exécution le 6 juin 2017 puis le 26 mars 2020, elle ne bénéficie plus d'aucune inscription en garantie de sa créance de 173 409,20 euros,

- qu'elle a fait renouveler l'inscription des hypothèques autorisées par l'ordonnance du 20 juin 2017 et relève que l'appelant n'a jamais procédé aux formalités de radiation qui lui incombaient en vertu des articles 2240 et 2241 (Sic) du code civil.

Elle ajoute que la situation d'insolvabilité de son débiteur, M. [T], est d'autant plus d'actualité que ce dernier a dernièrement fait apport à une SCI d'un bien lui appartenant.

Elle estime en tout état de cause que la vente projetée par M. [T] n'est en rien compromise par la présence d'inscriptions d'hypothèques provisoires dès lors que l'article L.531 ' 2 du code des procédures civiles d'exécution énonce que les biens grevés d'une sûreté judiciaire demeurent aliénables et que, selon les dispositions de l'article R.532 ' 8 du CPCE, la part revenant aux créanciers dans la distribution du prix est consignée auprès de la caisse des dépôts et consignations, formalité qui incombe au notaire rédacteur de l'acte.

Elle estime également que rien ne justifie que les frais de mainlevée du renouvellement de l'inscription sur la parcelle [Cadastre 8] soient assumés par elle.

Il est renvoyé, pour le surplus, aux conclusions notifiées par la SCI Univers le 19 juillet 2021 pour le détail de son argumentation.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la demande de nullité de l'assignation présentée par la SCI Univers sur le fondement de l'article 56 du code de procédure civile :

La SCI Univers expose à l'appui de sa demande de ce chef que l'assignation qui lui a été délivrée devant le juge de l'exécution ne comportait aucun moyen en droit, contrairement à ce qu'impose l'article 56, 2° du code de procédure civile, et que cette carence lui est hautement préjudiciable car ne lui ayant pas permis d'organiser correctement sa défense.

Il s'agit d'un cas de nullité de forme tel que régi par les articles 112 et suivants du code de procédure civile qui suppose la démonstration d'un grief ainsi qu'il résulte de l'article 114 alinéa 2 du même code.

Or, en premier lieu, en l'espèce le contexte du litige et la multiplication des contentieux ayant, antérieurement à l'assignation délivrée le 29 janvier 2021, opposé les parties a permis à la SCI Univers d'avoir une parfaite connaissance et compréhension des tenants et aboutissants de ce que demandait M. [T].

Par ailleurs et surtout, la nullité d'un acte de procédure peut être couverte par la régularisation ultérieure de l'acte si cette régularisation ne laisse subsister aucun grief ainsi qu'il résulte de l'article 115 du code de procédure civile. Or en l'espèce dans des conclusions récapitulatives devant le juge de l'exécution prises pour l'audience du 11 février 2021, le demandeur avait précisé que ses prétentions en droit étaient fondées sur les dispositions des articles L. 512 ' 1 et R. 512 ' 1 du code des procédures civiles d'exécution.

Par conséquent, en l'absence de tout grief, la prétention de la SCI Univers à voir déclarer l'assignation nulle pour défaut de motivation en droit ne peut être retenue.

Le jugement est confirmé sur ce point par substitution de motifs.

Sur les demandes de l'appelant :

Sur la charge du coût des formalités de radiation :

Les jugements du juge de l'exécution ayant ordonné la mainlevée des hypothèques judiciaires provisoires précédemment ordonnées n'ont pas précisé, en l'absence de demande sur ce point, sur qui reposait la charge du coût des formalités de mainlevée .

Vu l'article L. 512 ' 2 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire.

En l'espèce, en particulier, l'initiative prise par la SCI Univers de faire renouveler en juin 2020 les inscriptions d'hypothèques provisoires prononcées en juin 2017 était abusive, car en juin 2020, la SCI ne pouvait méconnaitre la teneur réelle de ses créances envers M. [T] puisque dès cette époque, sa créance d'indemnité d'occupation tel qu'alléguée envers M. [T] avait déjà été fixée à zéro par l'arrêt de cette cour du 22 novembre 2018 et que par ailleurs, l'expert judiciaire désigné dans le cadre du litige pour trouble anormal de voisinage avait évalué son préjudice à moins de 41 000 euros toutes causes confondues.

Dans les faits, le montant du préjudice subi par la SCI pour trouble anormal de voisinage a été ramené par le jugement du 3 février 2022 à 23 395 euros toutes cause confondues outre une indemnité de procédure de 3 000 euros, le tout mis à la charge de trois débiteurs dont M. [T], tenus in solidum.

Or, les frais occasionnés par les formalités de mainlevée font partie du préjudice causé par la mesure conservatoire.

La SCI Univers sera dès lors condamnée en infirmation du jugement à rembourser à l'appelant sur justificatifs les frais occasionnés par les formalités de mainlevée des hypothèques judiciaires conservatoires subsistant sur les parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 8],

Par conséquent il y a lieu, infirmant le jugement déféré en toutes ses dispositions, de :

- ordonner la mainlevée du renouvellement de l'inscription hypothécaire initialement publiée le 28 juin 2017 volume 2017V1939 suivie de son renouvellement le 24 juin 2020 V 1530 en ce qu'il affecte la parcelle sise [Adresse 3] cadastrée section [Cadastre 4]H[Cadastre 7] et la parcelle cadastrée [Cadastre 4]H[Cadastre 8] sur les lots sis [Adresse 3], issues de la division de la parcelle cadastrée [Cadastre 4]H[Cadastre 2] sise [Adresse 3],

- dire que ces formalités de radiation seront effectués par toute partie intéressée mais dans tous les cas aux frais exclusifs de la SCI Univers,

- condamner cette dernière à rembourser à M. [X] [T] les frais des formalités de mainlevée précités sur production des justificatifs.

Sur la demande de dommages-intérêts M. [X] [T] :

Vu l'article L. 512 ' 2 du code des procédures civiles d'exécution, l'abus de droit de procéder à des mesures conservatoires abusives est sanctionné par des dommages-intérêts.

En l'espèce c'est de façon tout à fait abusive ainsi qu'il a été relevé ci-avant que la SCI Univers a multiplié les prises d'hypothèques judiciaires provisoires injustifiées pour garantie de créances hypothétiques envers M. [T], abusant de son droit, ce qui a dans les faits bloqué la vente des parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 8] appartenant à son débiteur lequel était par ailleurs suffisamment solvable, ce qu'elle savait parfaitement puisqu'elle savait notamment, comme ses conclusions le démontrent, que ce dernier était propriétaire d'un bien immobilier constituant sa résidence principale.

Toutefois en faisant état d'un risque de dévalorisation de ses parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 8], l'appelant ne démontre aucun préjudice actuel. Le rejet de sa demande de dommages-intérêts, sera donc confirmé.

Tout autre demande sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté la SCI Univers de sa demande de nullité de l'assignation et débouté M. [X] [T] de sa demande de dommages-intérêts,

Statuant à nouveau pour le surplus,

Ordonne la mainlevée de l'inscription d'hypothèque initialement publiée le 28 juin 2017 volume 2017V1939 suivie de son renouvellement le 24 juin 2020 V 1530 en ce qu'il affecte la parcelle sise [Adresse 3] cadastrée section [Cadastre 4]H[Cadastre 7] et la parcelle cadastrée [Cadastre 4]H[Cadastre 8] sur le lot sis [Adresse 3], parcelles issues de la division de la parcelle [Cadastre 2], cadastrée [Cadastre 4]H[Cadastre 2] sise [Adresse 3],

Condamne la SCI Univers à rembourser à l'appelant le coût des formalités de radiation et mainlevée desdites hypothèques judiciaires provisoires, sur production des justificatifs,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SCI Univers à payer à M. [X] [T] la somme de 6 000 euros et la déboute de sa demande de ce chef,

Condamne la SCI Univers aux dépens de première instance et d'appel.

Rejette le surplus des demandes.