CA Grenoble, 1re ch., 6 décembre 2022, n° 21/04933
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Crédit Immobilier de France Développement (SA)
Défendeur :
Dauphin et Mihajlovic (Selarl), Gabarra Guieu Prud'homme Avocats (Selarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Clerc
Conseillers :
Mme Blatry, M. Desgouis
Avocats :
Me Mihajlovic, Me Gabarra
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [D] [W] et Mme [X] [E] épouse [W] ont souscrit auprès du Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne aux droits duquel se trouve désormais le Crédit Immobilier de France Développement (CIFD) deux prêts immobiliers pour financer l'acquisition de deux biens immobiliers en vente future en l'état d'achèvement dans le cadre du programme Appolonia':
le 4 novembre 2005, un prêt de 227.934€,
le 15 mai 2007, un prêt de 150.000€.
A la suite d'impayés, le CIFD a prononcé la déchéance du terme des prêts et a assigné les emprunteurs en paiement devant le tribunal de grande instance de Grenoble le 21 juillet 2010.
Par arrêt rendu par défaut le 20 novembre 2018, la cour d'appel de céans a infirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 novembre 2016 par le tribunal précité, et statuant à nouveau a':
déclaré recevable la demande du CIFD à l'encontre de M. et Mme [W],
condamné M. et Mme [W] à payer au CIFD les sommes suivantes :
226.361,45€ outre intérêts au taux de 4,40 % au titre du prêt n° 64691,
150.100€ outre intérêts au taux de 2% au titre du prêt n° 124743,
dit que les intérêts se capitaliseront dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil.
débouté le CIFD de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné M. et Mme [W] aux dépens d'appel avec recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Cet arrêt a été signifié à M. et Mme [W] le 18 février 2019.
Statuant sur l'opposition formée par M. et Mme [W], la cour d'appel de céans, par arrêt du 22 septembre 2020 a'rétracté l'arrêt du 20 novembre 2018 et statuant à nouveau, a':
condamné M. et Mme [W] à payer au CIFD les sommes suivantes :
au titre du prêt n° 64691, 227.811,95 € outre intérêts au taux de 4,40 %,
au titre du prêt 124743, 150.952,50€ outre intérêts au taux de 4,90 %,
dit que les intérêts se capitaliseront dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil,
débouté le CIFD de sa demande de dommages intérêts,
débouté M. et Mme [W] de leur demande de dommages intérêts,
dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur du CIFD,
condamné M. et Mme [W] aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le 30 décembre 2020, le CIFD a procédé au nantissement judiciaire provisoire des parts sociales détenues par M. et Mme [W] dans la SCI Docfergil en exécution de l'arrêt d'appel du 22 septembre 2020 et pour sûreté de la somme de 379.908,96€.
Ce nantissement a été dénoncé le 30 décembre 2020 à chacun des époux [W].
Selon acte extrajudiciaire du 29 janvier 2021, M. et Mme [W] ont assigné le CIFD devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Grenoble pour voir ordonner la mainlevée de ce nantissement provisoire des parts sociales et subsidiairement sa mainlevée à l'égard des parts sociales n° 128 à 256 , 257 à 384, 386 à 512 , sans préjudice des frais irrépétibles et des dépens.
Par jugement du 21 septembre 2021, le juge de l'exécution a ordonné la réouverture des débats à l'audience du 19 octobre 2021 en invitant le CIFD à communiquer l'acte de signification à avocat et à partie de l'arrêt du 22 septembre 2020 et les parties à s'expliquer sur le moyen soulevé d'office tiré de l'absence préalable de cette signification en cas de défaut de communication des actes réclamés.
Par jugement contradictoire du 16 novembre 2021, le juge de l'exécution a':
ordonné aux frais du CIFD la mainlevée du nantissement judiciaire des parts sociales détenues par M. et Mme [W] dans la SCI Docfergil,
condamné le CIFD aux dépens,
débouté les parties du surplus de leurs demandes.
La juridiction a retenu en substance que':
l'arrêt du 22 septembre 2020 fondant le nantissement litigieux était devenu définitif, pour avoir été signifié à avocat le 28 septembre 2020 et à partie le 22 octobre 2020,
si le CIFD démontre l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe, il est défaillant dans la preuve de circonstances mettant en péril le recouvrement de sa créance.
Par déclaration du 25 novembre 2021, le CIFD a relevé appel.
L'affaire a été fixée à bref délai le 2 décembre 2021.
Par conclusions déposées le 31 décembre 2021 sur le fondement des articles R. 512 , R.511-1 à R.511-8, L. 511-1, L.511-2, R.232-3 du code des procédures civiles d'exécution, 16 et 700 du code de procédure civile, le CIFD demande que la cour, le déclarant recevable et bien fondé en son appel et ses demandes, infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau':
constate l'existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de ses créances détenues à l'encontre de M. et Mme [W],
valide et déclare régulières les inscriptions de nantissement judiciaire provisoire réalisées le 30 décembre 2020 à l'encontre de M. et Mme [W] entre les mains de la SCI Docfergil,
en tout état de cause,
déboute M. et Mme [W] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
condamne les mêmes au paiement d'une somme de 3.000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en appel.
Par ordonnance juridictionnelle du 17 mai 2022, la présidente de la 1ère chambre, statuant sur le fondement de l'article 905-2 du code de procédure civile, a déclaré irrecevables les conclusions déposées par M. et Mme [W] le 14mars 2022, et a débouté le CIFD de sa demande au titre des frais irrépétibles.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 octobre 2022.
MOTIFS
A titre liminaire, il est relevé que le CIFD soutient, dans les motifs de ses écritures, une violation du contradictoire par le premier juge en faisant valoir que celui-ci a soulevé d'office le moyen tiré d'une absence de circonstances mettant en péril le recouvrement des créances, sans inviter les parties à s'en expliquer, pour ordonner la mainlevée du nantissement litigieux, alors même que les parties n'avaient pas inscrit au débat cette question.
Pour autant, le CIFD ne tire pas les conséquences de la violation dénoncée du principe du contradictoire en ce qu'il ne demande pas au dispositif de ses conclusions l'annulation du jugement déféré, sinon son infirmation au visa de l'existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance qu'il s'applique à démontrer, tout en défendant la régularité de l'inscription du nantissement judiciaire provisoire.
Sur la régularité de l'inscription du nantissement provisoire des parts sociales
Quand bien même les conclusions des intimés sont irrecevables en appel, la cour, est saisie, de par l'effet dévolutif de l'appel, de leurs prétentions soutenues devant le premier juge, sous réserve que ce dernier ait statué à leur égard'; or, le juge de l'exécution n'a pas statué sur les prétentions de M. et Mme [W] aux fins de nullité du nantissement pour absence de décompte distinct des sommes réclamées en principal, intérêts et frais, ni mention dans ce décompte des saisies antérieures, mais également au motif de l'absence d'une créance liquide du CIFD, s'étant limité à juger l'absence de l'une des conditions cumulatives exigées par l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution pour recourir à une mesure conservatoire.
En tout état de cause, il est rappelé que l'article R. 532-3 du code des procédures civiles d'exécution précise que «' Le nantissement des parts sociales est opéré par la signification à la société d'un acte contenant :
1° La désignation du créancier et celle du débiteur,
2° L'indication de l'autorisation ou du titre en vertu duquel la sûreté est requise,
3° L'indication du capital de la créance et de ses accessoires.
En outre, s'il s'agit d'une société civile immatriculée, l'acte de nantissement est publié au registre du commerce et des sociétés';
Le nantissement grève l'ensemble des parts à moins qu'il ne soit autrement précisé dans l'acte.'»
C'est à bon droit qu'en cause d'appel, le CIFD soutient la régularité de son nantissement de parts sociales, l'acte de nantissement de parts sociales du 30 décembre 2020 satisfaisant à ces conditions, y compris s'agissant de sa publication au RCS opérée le 19 janvier 2021, de sorte qu'il être déclaré régulier.
Sur les conditions du nantissement de parts sociales
Selon l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, «'Toute personne dont la créance paraît fondée dans son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.'»
L'article L. 512 -1 du même code précise que «'Même lorsqu'une autorisation préalable n'est pas requise, le juge peut donner mainlevée de la mesure conservatoire s'il apparaît que les conditions prescrites par l'article L. 511-1 ne sont pas réunies.
A la demande du débiteur, le juge peut substituer à la mesure conservatoire initialement prise toute autre mesure propre à sauvegarder les intérêts des parties.
La constitution d'une caution bancaire irrévocable conforme à la mesure sollicitée dans la saisie entraîne mainlevée de la mesure de sûreté, sous réserve des dispositions de l'article L. 511-4.'»
Ainsi, la cour se doit uniquement d'apprécier, au stade de sa saisine en tant que juge d'appel d'une décision du juge de l'exécution, l'existence d'une créance paraissant fondée dans son principe',le fond du droit n'ayant pas lieu d'être tranché, et l'existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance.
En l'espèce, n'est pas dans le débat le fait que le CIFD justifie bien d'une créance paraissant fondée en son principe en l'état de l'arrêt d'appel définitif du 22 septembre 2020'.
Doit être admise l'existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance du CIFD dès lors que':
M. et Mme [W] n'ont pas procédé au règlement, au moins partiel, de leur dette fixée par l'arrêt défintif du 22 septembre 2020, et les mesures d'exécution forcée pratiquées (qui ont permis de percevoir un virement de 641,18€ d'un tiers saisi le 21 janvier 2021) se sont avérées insuffisantes à recouvrer sa créance au titre des deux prêts qu'il chiffre à un total de 415.677,13€ selon décompte arrêté au 27 décembre 2021,
les hypothèques conventionnelles prises sur les biens immobiliers financés par les deux prêts sont insuffisantes à couvrir, en cas de vente, sa créance, la valeur de ces biens ayant été expertisée à 50.000€ et 80.000€ les 6 et 9 juillet 2020.
La décision querellée doit être en conséquence infirmée en ce qu'elle a ordonné la mainlevée du nantissement des parts sociales de M. et Mme [W] au motif de l'absence de preuve de circonstances de nature à mettre en péril le recouvrement de la créance du CIDF.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Parties succombantes, M. et Mme [W] sont condamnés aux dépens de première instance et d'appel ; ils sont dispensés en équité de verser une indemnité de procédure au CIFD.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Infirme la décision déférée en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit régulier et valide le nantissement judiciaire provisoire de parts sociales réalisé le 30 décembre 2020 à l'encontre de M. [D] [W] et Mme [X] [E] épouse [W] entre les mains de la SCI Docfergil,
Déboute le Crédit Immobilier de France Développement, venant aux droits du Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne, de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, y compris en appel,
Condamne M. [D] [W] et Mme [X] [E] épouse [W] aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.