Livv
Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 21 novembre 2016, n° 14/04574

PAU

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Pyrénées Gascogne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Morillon

Conseillers :

Mme Diximier, Mme Janson

JEX Tarbes, du 8 déc. 2014

8 décembre 2014

EXPOSE DU LITIGE :

Faits et procédure

Vu l'appel formé le 23 décembre 2014 par Madame Anne-Marie M. du jugement prononcé le 8 décembre 2014 par le juge de l'exécution près le Tribunal de Grande Instance de TARBES,

Vu les dernières conclusions de Madame Anne-Marie M. en date du 13 août 2015,

Vu les dernières conclusions de la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL PYRENEES GASCOGNE en date du 15 février 2015,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 25 mai 2016 et la fixation de l'affaire à l'audience du 5 septembre 2016,

Soutenant qu'elle serait créancière de Monsieur Jacques T. pour les sommes suivantes :

. 1 010 389,29 € au titre d'un prêt n° 51059504103, selon décompte arrêté au 3 février 2014,

. 674 511,63 € au titre d'un prêt n° 51059504203, selon décompte également arrêté au 3 février 2014,

. 27 862,89 €, arrêtée au 14 février 2014, au titre du solde débiteur d'un c ompte n° 51059080597,

la CRCAM Pyrénées a obtenu, le 3 mars 2014, du juge de l'exécution près le Tribunal de TARBES l`autorisation de pratiquer entre les mains de Madame Anne-Marie M., au préjudice de son ex-époux M. Jacques T., une saisie conservatoire pour sûreté et conservation de sa créance évaluée à la somme de 1 634 900,92 €.

Le 8 mars 2014, le procès-verbal de saisie conservatoire de créances a été signifié à Madame M. en qualité de tiers saisi.

Le 14 mars 2014, la saisie a été dénoncée à M. T..

Le 15 mars 2014, les actes de poursuite délivrés à Monsieur T.- dont son assignation en paiement - ont été signifiés à Madame M..

Par acte d'huissier du 2 avril 2014, Madame M. a fait assigner devant le juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de TARBES la CRCAM en annulation de la procédure de saisie conservatoire et en main - levée aux motifs que Monsieur T. ne disposait pas de titre exécutoire à son encontre permettant à son créancier de procéder à un recouvrement forcé.

Par jugement en date du 8 décembre 2014, le juge de l'exécution près le Tribunal de Grande Instance de Tarbes a :

. déclaré recevable mais mal fondée l'action introduite par Madame M. aux fins d'annulation de la saisie conservatoire pratiquée entre ses mains au préjudice de Monsieur Jacques T. le 8 mars 2014 par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PYRENEES GASCOGNE,

. débouté Madame M. de toutes ses demandes,

. condamné cette dernière à verser à la CRCAM la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 23 décembre 2014, Madame M. a interjeté appel de cette décision.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Par conclusions en date du 13 août 2015, Madame M. demande à la Cour de

. Vu le jugement rendu par le Juge de l'exécution de TARBES en date du 8 décembre 2014,

. Vu l'appel qu'elle a formé à l'encontre dudit jugement,

. le voir dire et juger recevable et bien fondé,

. voir confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré son action recevable,

. voir infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré son action infondée,

. en conséquence de quoi,

. voir prononcer les nullités du procès-verbal de saisie conservatoire en date du 5 mars 2014 et de la saisie conservatoire,

. voir ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire,

. voir condamner la CAISSE DU CREDIT AGRICOLE à lui verser les sommes de 4 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de ses prétentions, elle soutient que la saisie conservatoire est nulle dans la mesure où elle ne repose sur aucun titre exécutoire et que le procès-verbal de saisie est nul car il se réfère à un titre exécutoire qui n'existe pas.

Elle maintient que ces voies d'exécution abusives lui ont causé un préjudice .

Par conclusions en date du 15 février 2016, la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL PYRENEES GASCOGNE demande à la Cour de :

. Vu les articles L.112 1, R. 512 1, R.521 1 et R.523 1 et suivants du Code des procédures civiles d'exécution,

. statuer ce que de droit sur l'éventuelle mise en cause de Monsieur Jacques T. dans la présente instance,

. dire et juger que cette mise en cause, si elle était ordonnée par la Cour, incomberait à Madame Anne-Marie M., demanderesse à la contestation de la saisie conservatoire de créance,

. constater, dire et juger que les créances saisies entre les mains de Madame Anne-Marie M. en vertu du procès-verbal de saisie conservatoire de créance du 8 mars 2014 constituent des créances saisissables.

. constater l'entière régularité des opérations de saisie conservatoire.

. en conséquence,

. confirmer en toutes ses dispositions le jugement du juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Tarbes du 8 décembre 2014.

. à titre subsidiaire,

. cantonner la saisie conservatoire de créance du 8 mars 2014 aux créances dont l'arrêt de la Cour d'appel de Pau du 10 juin 2013 a dit Monsieur T. créancier envers son ex épouse, soit la somme de 401 482,50 €,

. dire Madame Anne-Marie M. mal fondée en l'ensemble de ses demandes et prétentions,

. l'en débouter en toutes fins qu'elles comportent,

. condamner Madame Anne-Marie M. à payer à la CRCAM Pyrénées Gascogne la somme de 2 500 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

. condamner Madame Anne-Marie M. en tous les dépens et dire qu'ils pourront être recouvrés par la SCP C. F., Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, elle s'en remet à la décision de la Cour sur la mise en cause de Monsieur T..

Elle soutient que la créance, objet de la saisie conservatoire, n'a pas besoin d'être consacrée par un titre exécutoire et qu'elle a un caractère saisissable.

***

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 mai 2016.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 5 septembre 2016.

Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessus.

SUR CE

I - SUR LA RECEVABILITE DE L'ACTION :

A - Sur la qualité et l'intérêt à agir de Madame M.

La CRCAM ne reprend pas en cause d'appel le moyen d'irrecevabilité soulevé devant le juge de l'exécution tenant au défaut d'intérêt à agir et au défaut de qualité de Madame M..

Il y a donc lieu de confirmer la décision de ce chef.

B - Sur la mise en cause de Monsieur T. :

Une saisie conservatoire met trois parties en présence : un créancier, un débiteur et un tiers saisi.

Cependant, dès lors que la contestation ne remet pas en cause les droits du saisi et ne lui fait pas grief, son intervention aux débats n'est pas nécessaire.

En l'espèce, la CRCAM ne démontre pas en quoi la contestation de la saisie conservatoire formée par Madame M. affecterait les droits de Monsieur T. qui lui-même n'a formé aucune contestation lorsque le procès-verbal de saisie conservatoire lui a été signifié.

En conséquence, le moyen développé de ce chef sera rejeté.

II - SUR LE FOND :

A - Sur l'absence de titre exécutoire :

La saisie conservatoire des créances tend à intercepter et à rendre indisponibles entre les mains du tiers les sommes que celui-ci doit au débiteur, lequel ne peut plus les percevoir.

La créance, objet de la saisie conservatoire, interceptée entre les mains du tiers, n'a pas besoin d'être consacrée par un titre exécutoire ni d'être liquide et exigible.

Elle doit seulement être certaine, être déjà entrée dans le patrimoine du débiteur et s'y trouver encore au moment où la saisie conservatoire est pratiquée.

En l'espèce, il en résulte donc que la créance de Monsieur T. à l'égard de Madame M. n'a pas à être consacrée par un titre exécutoire.

Il suffit qu'elle existe dans son patrimoine au jour de la saisie.

Or la saisie a été pratiquée le 8 mars 2014.

A cette date, avait déjà été prononcé le 10 juin 2013 par la cour d'appel un arrêt qui notamment :

'. disait que Monsieur Jacques T. était créancier envers l'indivision post conjugale des sommes de :

. 40 578,57 € au titre du financement de l'appartement de Piau Engaly,

. 146 703,48 € au titre du financement de l'appartement de Toulouse,

. 97 856,05 € au titre du financement de l'appartement du Cap d'Agde,

. disait que Monsieur Jacques T. était créancier envers l'indivision post conjugale des sommes de :

. 13 493,56 € au titre des charges afférentes à l'appartement de Piau Engaly,

. 14 466,50 € au titre des charges afférentes à l'appartement de Toulouse,

. 19 563,87 € au titre des charges afférentes à l'appartement du Cap d'Agde,

sous réserve de leur actualisation au jour du partage, et de la prise en compte des dépenses réglées jusqu'alors par Monsieur T. relativement aux trois immeubles indivis, au titre des charges de copropriété, de l'assurance habitation et des taxes foncières, à l'exclusion toutefois de toutes les dépenses relatives à l'occupation privative des biens dont s'agit (taxe d'habitation et charges courantes) ;

. disait que Monsieur Jacques T. était créancier envers son ex épouse des sommes de :

. 110 000 € au titre des travaux et aménagements réalisés sur l'immeuble de Sarrancolin appartenant en propre à cette dernière,

. 291 482,50 € au titre des impositions par lui réglées pour son compte.'

Ainsi, le 8 mars 2014, jour de signification du procès-verbal de saisie conservatoire, Monsieur T. était reconnu créancier envers Madame M. pour la somme totale de 401 482,50 € ( 110 000 € + 291 482,50 € ) et créancier envers l'indivision post - conjugale pour celle de 332 662,03 €.

Ce jour-là, ces sommes étaient effectivement entrées dans son patrimoine dans la mesure où le pourvoi en cours ne modifiait pas cet état de fait puisqu'il était dépourvu de tout effet suspensif et que l'arrêt de la Cour de Cassation annulant partiellement la créance de Monsieur T. sur son épouse n'avait pas été encore rendu ( prononcé le 15 avril 2015).

En conséquence, ce premier moyen soulevé de ce chef par Madame M. sera rejeté.

B - Sur la nullité du procès verbal de saisie conservatoire :

Madame M. invoque la nullité du procès verbal de saisie conservatoire au motif qu' il mentionne que ' Monsieur T. est créancier ... en vertu de l'arrêt de la cour d'appel de PAU du 13 juin des sommes suivantes ...' que justement cet arrêt ne constitue pas un titre exécutoire et que les mentions du procès verbal de saisie sont inexactes concernant l'énumération des ' créances' de Monsieur T..

Cependant, d'une part, il vient d'être rappelé que la créance, objet de la saisie entre les mains du tiers saisi, n'a pas besoin d'être consacrée par un titre exécutoire.

D'autre part, le fait que le procès - verbal de saisie conservatoire ait intégré dans les créances que détenait Monsieur T. envers Madame M. des créances qu'il détenait à l'égard de l'indivision post conjugale ne rend pas nul pour autant ledit acte.

En conséquence, ce second moyen soulevé de ce chef par Madame M. sera rejeté.

C - Sur la nullité de la saisie conservatoire :

Il a été rappelé précédemment que la créance, objet de la saisie conservatoire, interceptée entre les mains du tiers, n'a pas besoin d'être consacrée par un titre exécutoire ni d'être liquide et exigible.

Elle doit seulement être certaine, être déjà entrée dans le patrimoine du débiteur et s'y trouver encore au moment où la saisie conservatoire est pratiquée.

Les dispositions de l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ' selon lesquelles ' Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement' et qui sont invoquées par l'appelante qui soutient que la créance de Monsieur T. n'apparaît pas fondée et que même si elle existe son recouvrement n'est pas menacée ' ne sont pas applicables à la créance, objet de la saisie, mais à la créance, cause de la saisie conservatoire.

En conséquence, le troisième moyen soulevé de ce chef sera rejeté.

D - Sur le cantonnement de la saisie :

Si Monsieur T. est effectivement créancier envers Madame M. au jour de la saisie pour une somme de 401 482,50 €, il n'est pas démontré qu'il soit créancier pour une somme supérieure à celle-ci.

En effet, la somme de 332 662,03 € dont l'arrêt du 10 juin 2013 l'a reconnu créancier ne court qu'envers l'indivision post conjugale.

Or, même s'il est constant que les créanciers personnels d'un indivisaire, à défaut de pouvoir saisir la part indivise de leur débiteur, peuvent prendre dessus des sûretés, il n'en demeure pas moins que présentement, les parts respectives de Madame M. et de Monsieur T. dans l'indivision post conjugale ne sont ni déterminées ni déterminables en l'état, en l'absence d'achèvement des opérations de liquidation et partage de ladite indivision.

En conséquence, la saisie conservatoire pratiquée par la CRCAM entre les mains de Madame M. ne sera pas annulée mais cantonnée à la seule somme de 401 482,50 €.

III - SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :

A - Sur les dommages intérêts :

Madame M. sollicite l'octroi de dommages - intérêts aux fins de réparer le préjudice moral qu'elle a subi en raison de la mise en oeuvre de deux procédures d'exécution forcée successives qu'elle estime totalement abusives.

Cependant, il vient d'être relevé que la saisie conservatoire critiquée est dépourvu de tout caractère excessif.

En conséquence, elle sera déboutée de sa demande en dommages intérêts, faute pour elle de démontrer l'existence d'une quelconque faute commise par la CRCAM.

Le jugement attaqué sera confirmé de ce chef.

B - Sur les dépens :

La partie qui succombe - Madame M. - sera condamnée aux dépens, avec distraction au profit de l' avocat qui la sollicite.

C - Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Il n'apparaît pas inéquitable de condamner Madame M. à verser à la CRCAM la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile tout en la déboutant de sa propre demande formée sur le fondement de cette disposition.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement en date du 8 décembre 2014 prononcé par le juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Tarbes en ce qu'il a déclaré recevable l'action formée par Madame M., qu'il l'a déboutée de sa demande en dommages intérêts et qu'il l'a condamnée aux dépens outre au versement d'une somme de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Déboute Madame M. de ses demandes en nullité du procès-verbal de saisie conservatoire, et de saisie conservatoire et de sa demande en main levée de la saisie conservatoire,

Cantonne la saisie conservatoire pratiquée par la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL PYRENEES GASCOGNE entre les mains de Madame M. à hauteur de la somme de 401 482,50 €,

En conséquence,

Valide la saisie conservatoire à hauteur de la somme de 401 482,50 €,

Y ajoutant,

Condamne Madame M. à verser à la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL PYRENEES GASCOGNE la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Madame M. en tous dépens,

Autorise la SCP C. F., Avocat qui en a fait la demande à recouvrer directement ceux de dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.