CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 18 avril 2013, n° 2012/02112
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Électricité Réseau Distribution France
Défendeur :
Tomca (SCI), TSE (SARL), Commission de Régulation de l’Énergie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Remenieras
Conseillers :
Mme Beaudonnet, Mme Leroy
Avocats :
Me Guénaire, Me Antomarchi, Me Ravetto
La société TSE développe, pour le çompte de la société civile immobilière Tomca, un projet de centrale photovoltaïque intégré au bâti, pour une puissance de production installée de 598,29kwc, sur le territoire de la commune de Jarville la Malgrange (Meurthe et Moselle).
Pour réaliser son projet, la société TSE a déposé le 30 juillet 2010, une demande de raccordement et une demande de contrat d'achat auprès de la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF), gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité sur le territoire de cette commune.
Le 21 septembre 2010, la société ERDF a confirmé que le dossier était complet et serait à l'étude à compter du 31 août 2010.
Courant novembre 2010, la société ERDF a proposé à la société TSE une convention de raccordement au réseau public de distribution.
Le 3 décembre-2010, la société TSE a renvoyé un exemplaire de la convention de raccordement, signé des deux parties, portant la date du 19 novembre 2010, accompagnée d'un chèque d'acompte.
Le 9 décembre 2010, le décret n° 2010-1510 suspendant l'obligation d'achat par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil a été adopté. Il prévoyait que l'obligation pour Electricité de France - et les entreprises locales de distribution, de conclure un contrat d'achat de l'électricité était suspendue pour une durée de trois mois, à compter de l'entrée en vigueur du décret, intervenue le 10 décembre 2010 ;
Le 3 janvier 2011, la société ERDF a informé la société TSE que son projet était concerné par les dispositions du décret précité ; qu'en effet, ce décret s'applique aux installations supérieures à 3 kW, dont le producteur n'a pas notifié au gestionnaire du réseau, avant le 2 décembre 2010, son accord sur la proposition et le versement de l'acompte ; qu'ayant réceptionné la proposition technique et financière (ci-après PTF) de raccordement, ainsi que le chèque d'acompte, seulement le 3 décembre 2010, ces dispositions sont opposables à la société TSE.
Le 7 février 201 1, la société TSE a contesté cette analyse, en répondant à la société ERDF que son courrier du 3 décembre 2010 n'était pas l'acceptation de la PTF mais celle de la convention de raccordement et a conclu que le décret du 9 décembre 2010 n'avait pas vocation à s'appliquer.
Le 9 février 2011, la société ERDF maintenait sa position, et renvoyait à la société TSE le chèque d'acompte et les pièces de son dossier, en l'invitant à présenter une nouvelle demande lorsque les dispositions d'obligation d'achat seraient connues.
C'est dans ces conditions que la société TSE saisissait le comité de règlement des différends et des sanctions (ci-après le CoRDiS), d'une demande de règlement du différend qui l'oppose à la société ERDF.
Par décision du 5 décembre 2011, le CoRDiS déclarait la demande de la société TSE irrecevable, et recevait I 'intervention volontaire de la société Tomca. Elle considérait que les dispositions du décret du 9 décembre 2010 n'étaient pas opposables à la société Tomca et qu'en conséquence, la convention de raccordement signée et notifiée par la société TSE pour le compte de la société Tomca, à ERDF, le 3 décembre 2010 devait être exécutée.
La société ERDF formait un recours à l'encontre de cette décision.
LA COUR
Vu la déclaration de recours comportant un exposé de moyens, déposée au greffe de la cour, le 3 février 2012 par la société ERDF, son mémoire déposé le 5 mars 2012, et ses conclusions récapitulatives n° 1 signifiées le 13 novembre 2012 aux termes desquels elle demande à la cour :
- d'annuler la décision du CoRDiS du 5 décembre 2011,
- de rejeter les conclusions de la société Tomca,
- de condamner la société Tomca à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société Tomca signifiées le 30 octobre 2012 et ses conclusions en réponse n° 2 déposées le 1er février 2013 aux fins de confirmation de la décision du CoRDiS et de condamnation de la société ERDF à lui payer la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les observations de la Commission de régulation de l'énergie déposées le 25 septembre 2012 tendant au rejet du recours ;
Vu les observations écrites du ministère public tendant aux mêmes fins ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 7 février 2013, les conseils des parties, qui ont été mises en mesure de répliquer, le conseil de la Commission de régulation de l'énergie et le ministère public ;
Sur ce,
Considérant qu'en application de l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, désormais codifié sous l'article L 314-1 du code de l'énergie, Electricité de France - et les entreprises locales de distribution - sont tenues de conclure, si les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national notamment par les installations fonctionnant à partir de sources d'énergie renouvelables ;
que cette loi a cependant prévu que, sous réserve du maintien des contrats en cours, l’obligation de conclure un contrat d'achat, peut être partiellement ou totalement suspendue par l'autorité administrative, pour une durée qui ne peut excéder dix ans, si cette obligation ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements ;
qu'en application de ces dispositions, le décret no 2010-1510 du 9 décembre 2010 a suspendu l'obligation à laquelle est tenue ERI)F de conclure un contrat d'achat pour une durée de trois mois à compter de son entrée en vigueur [le 10.12.2010] ;
que cependant, l’article 3 de ce décret énonce qu'il ne s'applique pas aux installations « dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, Son acceptation de la PTF de raccordement au réseau » ;Considérant que la société ERI)F fait valoir que le CoRDiS a commis une erreur de droit en écartant l'application au cas d'espèce, de l'article 3 du décret précité ; qu'en effet, il a, à tort, refusé de considérer que la convention de raccordement acceptée seulement le 3 décembre 2010, par la société Tomca, avait la même valeur qu'une PTF, de sorte que n'ayant pas été acceptée avant le 2 décembre 2010, l'article 3 du décret no 2010-1510 du 9 décembre 2010 devait recevoir application ;
Considérant que la société Tomca réplique qu'elle n'était pas concernée par l'article 3 du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 dont le champ d'application est limité aux seules PTF ; qu'en ce qui la concerne, la procédure était achevée à la date de l’entrée en vigueur du décret, puisqu'elle avait notifié son acceptation de la convention de raccordement, en retournant l'exemplaire signé, accompagné du chèque d'acompte dès le 19 novembre 2010 ;
Considérant que la procédure de traitement des demandes de raccordement mise en œuvre par ERDF prévoit en principe trois étapes dans l'instruction des demandes ; que l'étape 1 consiste dans l'accueil et la qualification de la demande de raccordement, l'étape 2 dans l'élaboration et l'envoi de l'offre de raccordement, et l'étape 3 dans l'élaboration de la convention de raccordement ;
Considérant qu'au terme de cette procédure, la PTF constitue une offre de raccordement ; que la convention de raccordement peut également valoir, dans certains cas, offre de raccordement ;
Mais considérant que cette qualification recouvre des situations juridiques différentes ;
qu'en effet, la PTF visée à l'étape 2 de la procédure, dont le contenu est défini à l'article 8 comprend "les éléments techniques et les éléments financiers de la prestation, le cas échéant, avec une marge d'incertitude, ainsi qu'un échéancier prévisionnel de l'étape de réalisation des travaux et de préparation de la mise en service elle engage ERDF "sur le montant de la contribution due par le demandeur, avec le cas échéant une marge d'incertitude, et sur le délai prévisionnel de mise en exploitation du raccordement" ; Elle constitue un engagement ferme et unilatéral de ERI)F à l'égard du demandeur, "de mettre à sa disposition une convention de raccordement dans un délai prédéfini " (article 8.3.4) ;
Considérant que la convention de raccordement visée à l'étape 3 précise les modalités techniques, juridiques et financières du raccordement et particulièrement, la consistance définitive des ouvrages et le montant définitif de la contribution à la charge du demandeur, lorsque le prix indiqué dans l'offre est estimatif (article 9 de la procédure de traitement de demandes) [surlignes ajoutées] ;
qu'elle est élaborée par ERI)F lorsqu'elle reçoit l'accord du demandeur sur l'offre de raccordement ;
que cependant, il est expressément prévu que la convention de raccordement peut être directement envoyée par ERDF au requérant, lorsque le montant de la contribution au coût du raccordement est déterminé de façon définitive au moment de l’établissement de l’offre et que les délais de réalisation des travaux sont maîtrisés ; dans ce cas, "la convention de raccordement vaut offre de raccordement"(article 9.1.2) ;
Considérant qu'il s'en déduit que, comme l'a relevé le CoRDiS, la PTF et la convention de raccordement n'ont pas la même nature ; qu'en effet, la première est un document préparatoire, au contenu incertain, susceptible de modifications, alors que la seconde, présente un caractère définitif ;
que dès lors, contrairement à ce que soutient ERI)F, l'article 3 du décret n'a pas vocation à s'appliquer à la convention de raccordement ;
Considérant qu'il est constant que dans le cas présent, ERDF faisant application de la procédure de traitement accélérée précitée figurant au point 9.1.2 de sa documentation technique de référence, n'a pas établi de PTF au bénéfice de la société Tomca mais lui a directement adressé une convention de raccordement comportant des caractéristiques techniques et un prix, définitivement arrêtés ;
Que par suite, les dispositions de l'article 3 du décret du 9 décembre 2010 qui ne vise que les PTF n'étant pas opposable à la société Tomca, il est sans intérêt pour la solution du litige de rechercher si celle-ci a notifié son accord à ERDF, le 19 novembre ou le 3 décembre 2010 ;
qu'il suffit en effet de constater qu'à la date de l'entrée en vigueur du décret suspendant l'obligation pour ERDF, de conclure un contrat d'achat de l'électricité, la société Tomca lui avait, en toute hypothèse, notifié la convention de raccordement signée, accompagnée du chèque d'acompte ; que dès lors, ERDF n'est pas fondée à suspendre la procédure à l'égard de cette dernière ; que la décision du CoRDiS doit être confirmée ;
Considérant que l'équité commande d'accueillir la demande de la société Tomca à hauteur de la somme de 4 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le recours de la société ERDF contre la décision du CoRDiS du 5 décembre 2011,
Condamne ERDF aux dépens et à payer à la société Tomca la somme de 4 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.