Cass. 3e civ., 14 décembre 2022, n° 21-19.377
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Boyer
Avocats :
Me Soltner, SARL Le Prado - Gilbert, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Delamarre et Jehannin, SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° W 21-19.377 et F 21-19.547 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 mai 2021), la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon, devenue la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône (la CPAM), a souhaité regrouper ses services en un siège unique, à construire.
3. A cette fin, la société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne (la SCI) a cédé un immeuble en l'état futur d'achèvement à la société Cicobail, qui a consenti un crédit-bail à la CPAM.
4. La SCI, maître de l'ouvrage, a confié la maîtrise d'oeuvre d'exécution à la société Cogedim gestion, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa France), la conception et le contrôle d'exécution du marché « voix, données, images » (VDI) à la société Bureau d'études rhodanien de génie climatique et d'aéraulique (la société BERGA), assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), le lot VDI ayant été confié à la société Tiso, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société Generali assurances IARD, qui a sous-traité une partie des travaux à la société Ineo com Centre Est (la société Ineo), assurée en responsabilité décennale auprès de la société Axa Corporate Solutions, aux droits de laquelle vient la société XL Insurance Company, et en responsabilité civile professionnelle auprès de la société AIG Europe Limited.
5. La réception des travaux par la SCI, la livraison des ouvrages à la société Cicobail et la prise de possession des lieux par la CPAM sont intervenues le 20 mars 2006.
6. Se plaignant de désordres affectant le câblage du réseau informatique, ne permettant pas à celui-ci d'atteindre le débit contractuellement garanti, et de dysfonctionnements des prises numériques, la société Cicobail et la CPAM ont, après expertise, assigné la SCI en réparation, laquelle a appelé en garantie les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs.
Examen des moyens
Sur les quatrième et cinquième moyens du pourvoi principal de la SCI et sur le troisième moyen du pourvoi principal de la société Cogedim- Gestion, ci-après annexés
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal de la SCI, sur le moyen du pourvoi provoqué de la société BERGA et de la MAF dans le pourvoi n° W 21-19.377 et sur le premier moyen du pourvoi provoqué de la société BERGA et de la MAF dans le pourvoi n° F 21-19.547, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
8. Par leur moyen, la SCI, la société BERGA et la MAF font grief à l'arrêt de dire que les désordres n'étaient pas apparents et relèvent de la garantie biennale, que la société Cicobail n'était pas forclose en son action à l'encontre de la SCI, de condamner celle-ci à payer à la société Cicobail une certaine somme en réparation des travaux de reprise, la société BERGA et la MAF, faisant en outre grief à l'arrêt de les condamner in solidum à garantir la SCI dans la limite de la part de responsabilité de la société BERGA à hauteur d'une certaine somme, alors « que dans son avis de mars 2006 sur le câblage réalisé sur l'immeuble Zola, M. [R] [O] concluait expressément de la manière suivante : "je prononce la non-conformité du câblage informatique de l'immeuble Zola aux normes et règles de l'art des systèmes de câblages" et "je me dégage par ce document de toute responsabilité de bon fonctionnement des équipements informatiques utilisant ce système de câblage" ; qu'il en résulte que M. [O] avait, dès ce rapport de mars 2006, réalisé avant la réception de l'immeuble et la prise de possession des lieux par la CPAM du Rhône, indiqué que le système de câblage informatique, pris dans son ensemble, n'était pas conforme aux règles de l'art, et qu'il en résulterait des difficultés de fonctionnement dont le salarié n'entendait pas subir la responsabilité ; qu'en conséquence, ce document, remis avant la réception à la CPAM du Rhône, elle-même mandatée par l'acquéreur, la société Cicobail, ainsi qu'à la SCI Zola, avait révélé, dans toute son ampleur aux parties intéressées le dysfonctionnement du système informatique ; qu'en retenant à l'inverse "que l'ensemble des désordres n'étaient pas apparents", la cour d'appel a dénaturé l'avis de M. [O], en violation de l'interdiction faite aux juges du fond de dénaturer les documents qui leur sont soumis. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel, par une analyse de la portée de l'avis écrit de M. [O], préposé de la CPAM qui avait procédé à une visite de contrôle des installations avant la réception, dont elle a reproduit les conclusions sans en dénaturer les termes, a souverainement retenu que les constatations localisées et non exhaustives de ce technicien, portant sur le cheminement des câbles, quelques non-conformités et des défauts d'exécution ainsi que le doute émis par celui-ci sur un éventuel vieillissement prématuré de l'installation et sur ses performances en régime normal de fonctionnement, ne caractérisaient pas le caractère apparent à la réception des vices de conception et d'exécution affectant le système global de câblage dans son ensemble, ne permettant pas à celui-ci d'atteindre le débit contractuellement garanti d'un gigabit par seconde, ni les dysfonctionnements de 5 % des prises numériques qui n'avaient pas été vérifiées, lesquels ne pouvaient se révéler qu'en régime permanent et après une mise en service totale.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal de la SCI
Enoncé du moyen
11. La SCI fait grief à l'arrêt de dire que les désordres subis par la société Cicobail sont au nombre de deux, soit le dysfonctionnement du câblage informatique dans son ensemble et le caractère défectueux de cent cinquante prises RJ 45, soit 5 % du nombre total des prises, de dire que ces deux désordres relèvent de la garantie biennale de bon fonctionnement des éléments d'équipement et de condamner, en conséquence, la SCI à réparation, alors « que les désordres ne compromettant pas la solidité de l'ouvrage ni ne le rendant impropre à sa destination, affectant un élément dissociable de l'immeuble, non destiné à fonctionner, relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun et non de la garantie de bon fonctionnement ; que le câblage électrique et les prises de courant sont des équipements par essence inertes qui, intrinsèquement, ne fonctionnent pas en sorte qu'ils ne relèvent pas de la garantie de bon fonctionnement, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun ; qu'en retenant pourtant que "le câblage informatique est bien un élément qui n'est pas inerte car comme le développe M. [O] il a pour vocation le transport de signaux électriques d'un équipement électronique à un autre, ce transport devant se faire en dégradant au minimum le signal. Il a donc bien une fonction active. Il en est de même des prises qui permettent aux équipements de les mettre en fonctionnement", la cour d'appel a violé l'article 1792-3 du code civil, par fausse application. »
Réponse de la Cour
12. Ayant relevé que le câblage informatique avait pour vocation le transport de signaux électriques d'un équipement électronique à un autre, en dégradant au minimum le signal, et que les prises numériques qui y étaient associées avait pour but de mettre en fonctionnement les équipements ainsi reliés, la cour d'appel en a exactement déduit que l'installation numérique, qui n'était pas inerte, relevait de la garantie biennale de bon fonctionnement.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le huitième moyen du pourvoi principal de la SCI
Enoncé du moyen
14. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter son recours en garantie à l'encontre de la société Cogedim-Gestion au titre de la condamnation à payer le solde de travaux du sous-traitant, alors :
« 1°/ que l'architecte chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre d'exécution supporte l'obligation de rappeler au maître de l'ouvrage, qui a connaissance d'un sous-traitant non agréé, son obligation de mettre en demeure l'entrepreneur principal de s'acquitter de ses obligations ; qu'en déboutant pourtant la SCI Zola de son action en garantie contre la société Cogedim- Gestion, maître d'oeuvre d'exécution, fondée sur le défaut d'agrément de la société Ineo com centre est en retenant que « les maîtres d'oeuvres n'ont pas d'obligation de délivrer des conseils juridiques au maître d'ouvrage s'agissant de ses obligations en matière de sous-traitance », la cour d'appel a violé l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°/ que l'architecte chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre d'exécution supporte l'obligation de rappeler au maître de l'ouvrage, qui a connaissance d'un sous-traitant non agréé, son obligation de mettre en demeure l'entrepreneur principal de s'acquitter de ses obligations ; que la compétence du maître de l'ouvrage en matière immobilière ne dispense aucunement l'architecte de cette obligation, et qu'elle implique simplement, si l'architecte méconnaît ladite obligation, que l'entrepreneur principal et le maître d'oeuvre ont chacun commis une faute les obligeant à contribuer à la réparation du dommage causé au sous-traitant ; qu'en déboutant pourtant la SCI Zola de son action en garantie contre la société Cogedim-Gestion, maître d'oeuvre d'exécution, fondée sur le défaut d'agrément de la société Ineo au seul prétexte que « la SCI Zola est un promoteur professionnel qui ne peut valablement ignorer l'étendue de ses obligations en la matière », la cour d'appel a violé l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
15. La cour d'appel, qui a souverainement retenu que la SCI, professionnel de l'immobilier, avait eu connaissance de l'existence du sous-traitant sur le chantier, a pu en déduire que, le devoir de conseil du maître d'oeuvre ne lui faisant pas obligation d'informer le maître de l'ouvrage des démarches utiles qu'il lui incombait d'exécuter personnellement pour satisfaire aux prescriptions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, ni des conséquences du défaut de respect de ces prescriptions, son recours contre la société Cogedim-Gestion ne pouvait être accueilli.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal de la société Cogedim- Gestion
Enoncé du moyen
17. La société Cogedim-Gestion fait grief à l'arrêt de dire que les désordres relevaient de la garantie biennale de bon fonctionnement et de la condamner à relever et garantir la SCI à hauteur de 25 % de la condamnation prononcée contre celle-ci, alors « que ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage ; qu'en l'espèce, en énonçant que l'insuffisance de débit du réseau informatique ne saurait relever des dispositions spécifiques de l'article 1792-7 du code civil réservées aux éléments d'équipement dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage dans la mesure où le réseau informatique répond à la fois aux besoins de fonctionnalité numérique de l'ouvrage nécessaire dans tout bâtiment abritant une entreprise et aux besoins de l'activité professionnelle propre du locataire, la cour d'appel s'est abstenue de tirer les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il résultait que la fonction du réseau informatique, en ce qu'il devait permettre un débit d'un gigabit par seconde, était exclusivement de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage, en violation de l'article 1792-7 du code civil. »
Réponse de la Cour
18. La cour d'appel a retenu que le réseau informatique répondait aux besoins de la fonctionnalité numérique de l'ouvrage nécessaire à tout bâtiment abritant une entreprise, ayant ainsi fait ressortir qu'il n'était pas spécifique à l'activité professionnelle exercée dans celui-ci, ce dont elle a exactement déduit que, n'entrant pas dans le champ d'application de l'article 1792-7 du code civil, il relevait de la garantie biennale de bon fonctionnement.
19. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal de la SCI
Enoncé du moyen
20. La SCI fait grief à l'arrêt de fixer sa part de responsabilité, au titre du premier dommage relatif au câblage informatique, à hauteur de 20 % et de condamner ses co-cobligés à la garantir seulement à hauteur de leur part de responsabilité, alors « que l'obligation de délivrance conforme est une obligation de résultat dont le vendeur est tenu à l'égard de l'acquéreur, sans faute de sa part ; que le vendeur en l'état futur d'achèvement, à supposer qu'il ait manqué à son obligation de conformité de résultat dispose donc contre les locataires d'ouvrage, tenus en raison de leur faute, d'un recours intégral dès lors que le coresponsable non-fautif dispose contre le responsable fautif d'un recours contributif intégral ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le premier élément ayant contribué aux désordres du système informatique résiderait dans l'utilisation de câbles en acier, cependant qu'était prévue dans la notice descriptive contractuelle, qualifiée de documents contractuels, l'utilisation de câbles en tôle ajourée ; qu'elle a relevé que « dans le CCTP établi par le BET Berga, un changement a été opéré pour des câbles en acier » ; qu'elle en a déduit que « la SCI Zola est responsable d'une non-conformité contractuelle fondamentale, et le BET Berga d'une erreur de conception dans la rédaction d'un CCTP qui est selon l'expert judiciaire qualifié de méconnaissance des normes de compatibilité électromagnétiques » ; que, même à l'admettre, il en résultait que la société Zola n'était tenue qu'au titre d'une non-conformité contractuelle, non fautive, le BET Berga ayant quant à lui commis une véritable faute dans la conception du CCTP ; que la cour d'appel a encore constaté que « cette erreur majeure s'est aggravée par divers défauts de mise en oeuvre du CCTP imputables aux entrepreneurs en charge des travaux tant Tiso, que son sous-traitant Ineo » relevant ainsi qu'ils avaient commis des fautes ; que la cour d'appel a encore constaté qu'était imputable aux sociétés Cogedim-Gestion et BET Berga un « défaut de surveillance », c'est-à-dire une faute ; qu'il en résultait que la société Zola était tenue à réparer le dommage au titre d'une supposée non-conformité contractuelle, donc sans faute, quand les autres intervenants à l'acte de construire avaient commis des fautes, en sorte que l'exposante disposait d'un recours contributif intégral contre les autres coresponsables ; qu'en attribuant pourtant à la SCI Zola une part de responsabilité de 20 %, et en ne lui accordant donc qu'un recours contributif partiel contre les constructeurs, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en la cause, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1646-1, 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1382, devenu 1240, du code civil :
21. Selon le premier de ces textes, le vendeur d'immeuble à construire est tenu, de plein droit, des garanties légales des articles 1792 et suivants du code civil.
22. Aux termes du second, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
23. Aux termes du troisième, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
24. Il résulte de la combinaison de ces textes que le vendeur d'immeuble à construire condamné à réparation au titre d'une responsabilité de plein droit ne peut, dans ses recours contre les constructeurs, conserver à sa charge une part de la dette de réparation que si une faute, une immixtion ou une prise délibérée du risque est caractérisée à son encontre (3e Civ., 14 novembre 1991, pourvoi n° 90-10.050, Bull. 1991, III, n° 272) .
25. Pour n'accueillir que partiellement le recours de la SCI à l'encontre des constructeurs fautifs et laisser à sa charge 20 % de la dette de réparation, l'arrêt retient que la SCI était responsable d'une non-conformité contractuelle fondamentale.
26. En se déterminant ainsi, sans caractériser, dans ses rapports avec les locateurs d'ouvrage, une faute de la SCI, une immixtion ou une acceptation délibérée du risque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le septième moyen du pourvoi principal de la SCI
Enoncé du moyen
27. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Ineo une certaine somme au titre du solde de marché de sous-traitance, alors « que si le maître de l'ouvrage, qui connaissait l'existence d'un sous-traitant non déclaré, commet une faute en omettant de mettre en demeure l'entrepreneur principal de s'acquitter de ses obligations, le préjudice causé de ce chef au sous-traitant ne correspond pas au solde du marché de sous-traitance mais aux sommes que le sous-traitant aurait pu recouvrer s'il avait pu exercer l'action directe ou bénéficier d'une caution ; qu'en condamnant pourtant, en l'espèce, la SCI Zola à payer à la société Ineo une somme de 202 589,99 euros TTC, correspondant au solde du marché de sous-traitance tel qu'admis dans la procédure collective de la société Tiso, entrepreneur principal, la cour d'appel a violé l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 et 1382, devenu 1240, du code civil :
28. Selon le premier de ces textes, le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant, mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter des obligations qui lui incombent et, lorsque le sous-traitant est accepté et que ses conditions de paiement ont été agréées, doit exiger de l'entrepreneur principal, si le sous- traitant ne bénéficie pas d'une délégation de paiement, qu'il justifie avoir fourni la caution.
29. Il résulte du second que le sous-traitant est fondé à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle du maître de l'ouvrage qui ne s'est pas conformé à ses obligations en matière de sous-traitance en rapportant la preuve de son préjudice.
30. Il est jugé que le manquement du maître de l'ouvrage qui, ayant eu connaissance de l'existence d'un sous-traitant sur un chantier, s'est abstenu de mettre en demeure l'entrepreneur principal de s'acquitter des obligations qui lui incombent en lui présentant le sous-traitant, fait perdre à celui-ci le bénéfice de l'action directe. Il en résulte que le préjudice du sous-traitant s'apprécie au regard de ce que le maître d'ouvrage restait devoir à l'entrepreneur principal à la date à laquelle il a eu connaissance de la présence de celui-ci sur le chantier (3e Civ., 31 mars 2010, pourvoi n° 09-13.513) ou des sommes qui ont été versées à l'entreprise principale postérieurement à cette date (3e Civ., 16 septembre 2003, pourvoi n° 02-12.924).
31. En revanche, lorsque le sous-traitant est agréé et que ses conditions de paiement ont été acceptées, le manquement du maître de l'ouvrage à son obligation d'exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie, sauf délégation de paiement, d'avoir fourni une caution prive le sous-traitant du bénéfice du cautionnement ou de la délégation de paiement lui assurant le complet paiement du solde de ses travaux. Il en résulte que le préjudice réparable est alors égal à la différence entre les sommes que le sous-traitant aurait dû recevoir si une délégation de paiement lui avait été consentie ou si un établissement financier avait cautionné son marché et celles effectivement reçues, même si celle-ci est d'un montant supérieur à celui qui aurait été dû en exécution de l'action directe (3e Civ., 18 février 2015, pourvois n° 14-10.604, 14-10.632, Bull. 2015, III, n° 20).
32. Pour condamner la SCI à payer à la société Ineo le solde de son marché, l'arrêt retient que le maître de l'ouvrage a eu connaissance de l'existence du sous-traitant le 22 novembre 2005 et que la société Ineo justifie de sa créance sur l'entreprise principale à hauteur de la somme de 202 589,98 euros.
33. En se déterminant ainsi, sans rechercher le montant des sommes encore dues par le maître de l'ouvrage à l'entreprise principale à la date à laquelle le premier a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le moyen du pourvoi incident de la société BERGA et de la MAF dans le pourvoi n° W 21-19.377, sur le premier moyen du pourvoi principal de la société Cogedim-Gestion et sur le second moyen du pourvoi provoqué de la société BERGA et de la MAF dans le pourvoi n° F 21-19.547, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
34. Par leur moyen, la société BERGA et la MAF font grief à l'arrêt de déclarer la SCI recevable en son appel en garantie et de les condamner in solidum à la garantir partiellement de la condamnation prononcée à son encontre, alors « que l'appel en garantie formé par le vendeur d'un immeuble à construire contre un constructeur au titre d'une condamnation fondée sur une garantie légale est soumis au délai de forclusion propre à cette garantie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné la SCI Zola 276 Villeurbanne, vendeur de l'immeuble en l'état futur d'achèvement, à payer à la société Cocibail, acheteur de cet immeuble, la somme de 461 444,20 euros en réparation des désordres affectant le système de câblage et les prises électriques RJ 45, sur le fondement de la garantie biennale de bon fonctionnement des éléments d'équipement dissociables ; que pour appliquer les règles de prescription propres aux responsabilités contractuelle et délictuelle à l'appel en garantie exercé par la SCI Zola 276 Villeurbanne contre la société BET Berga relativement à cette condamnation et juger cet appel en garantie recevable, la cour d'appel a retenu que dès lors que la SCI avait perdu sa qualité de maître de l'ouvrage à compter de la réception, la garantie biennale de bon fonctionnement des éléments d'équipement dissociables n'était pas en jeu dans ses rapports avec les locateurs d'ouvrage ; qu'en statuant ainsi, la cour a violé les articles 1646-1, 1792-3 et 1792-4-1 du code civil. »
35. Par le premier moyen de son pourvoi principal, la société Cogedim fait grief à l'arrêt de déclarer la SCI recevable en son appel en garantie et de la condamner à la garantir partiellement de la condamnation prononcée à son encontre, alors « que l'appel en garantie exercé par le vendeur d'un immeuble à construire, au titre d'une condamnation fondée sur une garantie légale, contre un locateur d'ouvrage, est soumis au délai de forclusion propre à cette garantie légale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné la SCI Zola 276 Villeurbanne, vendeur de l'immeuble en l'état futur d'achèvement, à payer à la société Cocibail, acheteur de cet immeuble, la somme de 461 444,20 euros en réparation des désordres affectant le système de câblage et les prises électriques RJ 45, au titre de la garantie biennale de bon fonctionnement des éléments d'équipement dissociables ; qu'en énonçant, pour faire application des règles de prescription propres aux responsabilités contractuelle et délictuelle à l'appel en garantie exercé par la SCI Zola 276 Villeurbanne contre la société Cogedim-Gestion relativement à cette condamnation, que dès lors que la SCI avait perdu sa qualité de maître de l'ouvrage à compter de la réception, la garantie biennale de bon fonctionnement des éléments d'équipement dissociables n'était pas en jeu dans ses rapports avec les locateurs d'ouvrage, la cour d'appel a violé les articles 1646-1,1792-3 et 1792-4-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1646-1, 1792, 1792-3 et 1792-4-1 du code civil :
36. Selon le premier de ces textes, le vendeur d'un immeuble à construire est tenu, à compter de la réception des travaux, des obligations dont les architectes, entrepreneurs et autres personnes liées au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage sont eux-mêmes tenus en application des articles 1792, 1792-1, 1792-2 et 1792-3 du présent code.
37. En application des deux suivants, si l'action fondée sur ces garanties légales se transmet en principe avec la propriété de l'immeuble aux acquéreurs, le maître de l'ouvrage ne perd pas la faculté de l'exercer quand elle présente pour lui un intérêt direct et certain. Tel est le cas lorsqu'il a été condamné à réparer les vices de cet immeuble (3e Civ., 20 avril 1982, pourvoi n° 81-10.026, Bull. 1982, III, n° 95 ; 3e Civ., 9 février 2010, pourvoi n° 08-18.970 ; 3e Civ., 12 novembre 2020, pourvoi n° 19-22.376, publié).
38. En application du quatrième, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article.
39. Enfin, les dommages qui relèvent d'une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun (3e Civ., 13 avril 1988, pourvoi n° 86-17.824, Bull. 1988, III, n° 67).
40. Il résulte de la combinaison de ces textes et de ces principes que le vendeur d'immeuble à construire, condamné sur le fondement de la garantie décennale ou biennale à réparer les désordres subis par l'acquéreur, ne peut exercer ses recours contre les locateurs d'ouvrage que sur le même fondement et dans le délai de forclusion propre à chacune de ces garanties.
41. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion biennale opposée au recours de la SCI contre les locateurs d'ouvrage et accueillir partiellement les demandes de celle-ci à leur encontre, l'arrêt retient que, la SCI ayant perdu sa qualité de maître de l'ouvrage, la garantie biennale n'est pas en jeu, de sorte qu'elle est fondée à agir à leur encontre sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun dans le délai de prescription courant à compter du jour de la connaissance effective du dommage.
42. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
43. Aux termes de ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
44. La cassation prononcée des chefs de dispositif déclarant recevable le recours de la SCI contre les sociétés BERGA et Cogedim, condamnant celles-ci à la garantir dans les proportions qu'elle fixe et laissant à la SCI une part de la charge de la dette entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif répartissant la charge de la dette entre coobligés du chef du premier dommage biennal relatif au câblage informatique.
45. La cour d'appel ayant condamné la SCI à payer à la société BERGA un solde de facture, après avoir relevé que celle-ci avait été condamnée à garantir le maître de l'ouvrage à hauteur de sa part de faute dans la survenance des désordres, la cassation des chefs de dispositif, critiqués par le moyen du pourvoi incident la société BERGA et de la MAF dans le pourvoi n° W 21-19.377 et le second moyen du pourvoi provoqué de la société BERGA et de la MAF dans le pourvoi n° F 21-19.547, ayant déclaré recevable la SCI en son recours contre la société BERGA et ayant condamné celle-ci à garantir la SCI, entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif condamnant la SCI à payer le solde de facture de la société BERGA qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
Mise hors de cause
46. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Cicobail, la CPAM et la société XL Insurance Company, venant aux droits de la société Axa corporate solutions.
47. En application du même texte, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause les sociétés Axa France, BERGA, Ineo, AIG Europe Limited, Generali assurances IARD et la MAF, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- infirme le jugement déféré en ce qu'il a dit la société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne irrecevable en ses appels en garantie contre la société Bureau d'études rhodanien de génie climatique et d'aéraulique et la société Cogedim-Gestion et déclare la société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne recevable en ses appels en garantie à l'encontre celles-ci ;
- fixe le partage de responsabilité, pour le premier dommage biennal relatif au câblage informatique comme suit : société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne : 20 % ; société Bureau d'études rhodanien de génie climatique et d'aéraulique : 25 % ; Cogedim gestion : 25 % ; Tiso : 25 % ; Ineo com Centre Est : 5 % ;
- fait droit aux appels en garantie de la société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne à l'encontre de la société Bureau d'études rhodanien de génie climatique et d'aéraulique, solidairement avec la Mutuelle des architectes français et de la société Cogedim-Gestion ;
- condamne la société Bureau d'études rhodanien de génie climatique et d'aéraulique, solidairement avec la MAF, son assureur, à relever et garantir la société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne de la condamnation à 421 305,53 euros au titre des reprises du dommage du câblage informatique dans la limite de sa part de responsabilité de 25 % soit 105 326,38 euros ;
- condamne la société Cogedim-Gestion à relever et garantir la société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne de la condamnation à 421 305,53 euros au titre des reprises du dommage du câblage informatique dans la limite de sa part de responsabilité de 25 % soit 105 326,38 euros HT ;
- condamne la société Ineo com Centre Est, solidairement avec AIG Europe Limited à relever et garantir la société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne de la condamnation à 421 305,53 euros au titre des reprises du dommage du câblage informatique dans la limite de sa part de responsabilité de 5 % soit 21 065,28 euros HT ;
- fixe la créance de la société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne au passif de la procédure collective de la société Tiso, limitée à sa part de responsabilité à hauteur de 25 % soit la somme de 105 326,38 euros HT ;
- confirme le jugement sur la condamnation de la société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne à payer à la société Bureau d'études rhodanien de génie climatique et d'aéraulique le solde de sa facture du 28 septembre 2007, soit 37 889,28 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2010 date des conclusions valant mise en demeure avec capitalisation annuelle des intérêts chaque 5 novembre à compter de novembre 2011 ;
- confirme le jugement déféré sur la condamnation de la société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne à payer le solde du marché de sous-traitance à la société Ineo com Centre Est, soit la somme de 202 589,99 euros TTC outre intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2006 ;
- condamne, in solidum avec la société civile immobilière Zola 276 Villeurbanne et la société Ineo com solidairement avec son assureur la AIG Europe Limited, les sociétés Cogedim-Gestion et Bureau d'études rhodanien de génie climatique et d'aéraulique ainsi que la Mutuelle des architectes français aux dépens de première instance et d'appel,
l'arrêt rendu le 11 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Dit y avoir lieu de mettre hors de cause les sociétés Cicobail, XL Insurance Company SE, venant aux droits de la société Axa Corporate Solutions, et
la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, anciennement dénommée caisse primaire d'assurance maladie de Lyon ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause les sociétés Axa France IARD, Bureau d'études rhodanien de génie climatique et d'aéraulique, Ineo com Centre Est, AIG Europe Limited, Generali assurances IARD et la Mutuelle des architectes français.