CA Rouen, ch. de la proximite, 28 février 2019, n° 18/02926
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
AGP Transport (SARL)
Défendeur :
Le Directeur Régional des Finances Publiques des Hauts de France et du Département du Nord
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lepeltier-Durel
Conseillers :
Mme Labaye, Mme Delahaye
FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES
Une vérification de comptabilité a été engagée le 19 janvier 2017 à l'encontre de la SARL AGP Transport par la 17ème brigade de vérification de la Direction Spécialisée de Contrôle Fiscal située à Evreux. Une proposition de rectification, suite à des irrégularités concernant l'exercice 2014, établie le 18 décembre 2017, a été notifiée à la société le 8 janvier 2018.
Par ordonnance du 20 février 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Évreux, saisi à la requête du service des finances publiques, qui invoquait des menaces sérieuses pour le recouvrement de sa créance, a autorisé la prise de mesures conservatoires à l'encontre de la SARL Aéroport-Gare-Port Transport, dénommé AGP Transport.
Le juge de l'exécution a ainsi autorisé la saisie conservatoire des comptes ouverts par la SARL AGP Transport auprès de la Caisse d'épargne d'Ile-de-France, agence de Cergy-Pontoise ainsi que la saisie de toutes créances détenues par le Syndicat des Transports d'Ile-de-France STIF et la société d'affacturage Natixis Factor.
La saisie n'a pas été effectuée auprès de la Caisse d'Epargne mais les saisies conservatoires ont été réalisées le 12 mars 2018 pour le Syndicat des Transports d'Ile de France et le 13 mars 2018 pour la société d'Affacturage Natixis Factor. Ces dernières ont été dénoncées le 19 mars 2018.
La société AGP Transport a saisi le juge de l'exécution le 17 avril 2018 en contestation des saisies pratiquées les 12 et 13 mars 2018.
Par décision du 19 juin 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Evreux a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 12 mars 2018 auprès du Syndicat des Transports d'Ile de France, le pôle de recouvrement spécialisé du Nord reconnaissant que cette saisie était nulle comme n'ayant pas été diligentée entre les mains de l'agent comptable du Syndicat.
Une nouvelle saisie conservatoire a été réalisée le 3 mai 2018 auprès du Syndicat des Transports de l'Ile de France et dénoncée le 4 mai 2018 à la SARL AGP Transport. Cet acte a également été contesté devant le juge de l'exécution.
Par acte du 17 mai 2018, la société AGP Transport a fait assigner M. le directeur régional des finances publiques des Hauts de France et du département du Nord devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Évreux aux fins d'obtenir la mainlevée des saisies conservatoires qu'elle estimait irrégulières et non fondées.
Par jugement du 3 juillet 2018, le juge de l'exécution, statuant contradictoirement, a déclaré recevables les demandes de la société AGP Transport mais l'a déboutée de ses demandes. Il l'a condamnée à payer au Comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Nord la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La SARL AGP Transport a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 13 juillet 2018.
Elle a notifié la déclaration d'appel et l'ordonnance fixant le calendrier de procédure à l'avocat du Directeur Régional des Finances Publiques par RPVA le 4 septembre 2018.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 2 octobre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, la société AGP Transport demande à la cour de :
- la dire recevable et bien fondée en son appel,
- infirmer le jugement entrepris,
- dire que le Comptable du Nord n'est pas recevable à engager une mesure conservatoire similaire à celle réalisée le 12 mars 2018, dont la contestation a été portée devant la juridiction le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Évreux,
- dire nulle et de nul effet la saisie conservatoire pratiquée le 3 mai 2018 entre les mains du STIF,
- dire qu'il n'existe aucune menace susceptible de compromettre le recouvrement de l'éventuelle créance du Trésor public,
- ordonner la mainlevée des saisies conservatoires pratiquées entre les mains du STIF,
- condamner le Directeur Régional des finances publiques des Hauts de France à lui régler la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de Me Véronique G., avocate.
La société AGP Transport soutient qu'ayant déjà diligenté une saisie en mars 2018, saisie qui faisait l'objet d'une contestation, le comptable des finances publiques ne pouvait en faire pratiquer une seconde en mai 2018, sur la base de la même ordonnance et entre les mains du même tiers, alors que litige sur la première n'était pas tranché.
Elle conteste le montant pour lequel la saisie a été pratiquée qui doit être cantonné au montant des droits dus, hors majorations et pénalités sur le fondement de l'article L.277 du livre des procédures fiscales, elle estime que le recouvrement de la créance n'est pas en péril, affirmant disposer d'actifs d'une valeur très supérieure au montant de la prétendue dette fiscale. Elle prétend que le juge de l'exécution a porté un avis personnel sur le contrôle en cours sans autres pièces que les explications de l'administration qu'elle a contestées. Elle affirme qu'une telle mesure conservatoire, d'une exceptionnelle gravité dans ses conséquences, ne se justifiait pas et pourrait la conduire à déclarer son état de cessation des paiements si la situation devait perdurer.
M. le Directeur Régional des Finances Publiques des Hauts de France et du département du Nord, par ses dernières écritures notifiées le 19 octobre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris,
- valider la saisie conservatoire pratiquée le 3 mai 2018 entre les mains du STIF,
- débouter la société AGP Transport de ses demandes,
- la condamner au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.
Le Directeur Régional soutient qu'une notification de redressement (dénommée proposition de rectification) confère à l'administration une créance fondée en son principe et peut dès lors servir de base à une demande de mesures conservatoires, même si la notification est contestée par le contribuable. Il expose que le principe de sa créance existe et est chiffré à la somme de 225.248 € pour les redressements concernant l'année 2014 et souligne que l'article L.277 du livre des procédures fiscales n'est pas applicable. Il affirme que la vérification opérée dans les locaux de l'entreprise aurait démontré de nombreuses irrégularités dans la comptabilité, ce qui a amené le vérificateur à la rejeter, que des anomalies détectées seraient également présentes sur 2015 et qu'une forte présomption existerait aussi pour 2016. Selon l'intimé, les actifs nets de la société ne sont pas ceux qu'elle décrit, elle a d'autres dettes et le recouvrement de sa créance est en péril.
Le Directeur Régional fait valoir que la première saisie de mars étant nulle, il pouvait en faire pratiquer une nouvelle dans le délai de l'article R.511-6 du code des procédures civiles d'exécution et ajoute que l'arrêt de la Cour de cassation invoqué par la société comme interdisant une seconde saisie concerne une situation différente.
SUR CE
Selon l'article L.511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.
Le premier juge a justement considéré que, en application du texte rappelé ci-dessus, il pouvait autoriser une mesure de saisie conservatoire des lors que le requérant présentait une créance paraissant fondée en son principe, mais pas nécessairement liquide et exigible ou incontestée et qu'ainsi, une notification de redressement ou une proposition de rectification conférait à l'administration fiscale une créance fondée en son principe pouvant servir de base à une demande de mesures conservatoires.
La pièce principale produite à l'appui de la requête aux fins de mesures conservatoires judiciaires du 9 février 2018 auprès du juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Evreux est la proposition de rectification du 18 décembre 2017 suite à la vérification de comptabilité engagée en janvier 2017 à l'encontre de la SARL AGP Transport par la 17ème brigade de vérification de la Direction Spécialisée de Contrôle Fiscal d'Evreux. Les opérations de contrôle ont mis en évidence, selon le service des finances publiques, des minorations de chiffre d'affaires taxable à la TVA, certaines facturations fictives, ce qui a un impact sur la TVA, les déductions au titre des amortissements, le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés, certaines factures comptabilisées qui n'auraient pas été engagées dans l'intérêt de l'entreprise, le véhicule de fonction du dirigeant, bien qu'acheté par la société, n'ayant pas été enregistré dans les écritures comptables et pas inscrit à l'actif, la taxe sur les véhicules de sociétés pour ce véhicule de 45 CV n'ayant pas été payée. Le total des rappels, rectifications, intérêts et pénalités s'élève à 225.248 €.
Par lettre du 15 janvier 2018, le conseil de la société AGP Transport a informé l'administration fiscale de son refus, à titre conservatoire, des propositions de rectification.
Il en résulte que l'administration fiscale justifie ainsi suffisamment d'une créance paraissant fondée en son principe.
Le comptable public du Pôle de Recouvrement Spécialisé du Nord a déposé une requête aux fins de mesures conservatoires judiciaires et le juge de l'exécution d'Evreux a rendu, le 20 février 2018, une ordonnance autorisant la prise de mesures conservatoires à concurrence de 225.248 €, sous la forme de saisies conservatoires de créances auprès de la Caisse d'Epargne, agence de Cergy Pontoise, du Syndicat des Transports d'Ile de France et de la société d'Affacturage Natixis Factor.
Des saisies conservatoires ont été réalisées le 12 mars 2018 auprès du Syndicat des Transports d'Ile de France et le 13 mars 2018 auprès de la société d'Affacturage Natixis Factor. Suite à un recours de la société AGP Transport, le 19 juin 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Evreux a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 12 mars 2018 auprès du Syndicat des Transports d'Ile de France, le pôle de recouvrement spécialisé du Nord, annulée pour ne pas avoir été diligentée entre les mains de l'agent comptable du Syndicat.
Avant même que la décision soit rendue, une nouvelle saisie conservatoire a été réalisée le 3 mai 2018 entre les mains du comptable public assignataire de la dépense, soit l'Agent Comptable du Syndicat des Transports de l'Ile de France, en application de l'article R.143-3 du code des procédures civiles d'exécution qui précise que tout acte de saisie est à peine de nullité, signifié ou notifié au comptable public assignataire de la dépense. La saisie a été régulièrement dénoncée le 4 mai 2018 à la SARL AGP Transport.
Pour des motifs que la cour adopte, notamment quant aux effets de la saisie conservatoire qui n'a pour conséquence, tant qu'elle n'est pas convertie, que de rendre les sommes indisponibles par le tiers saisi et qui n'a pas, contrairement à la saisie attribution, un effet attributif immédiat sur les sommes saisies, le juge de l'exécution a justement considéré que le créancier n'avait pas l'obligation de suspendre la mise en oeuvre des mesures d'exécution dans l'attente de sa décision sur la saisie de mars 2018, étant par ailleurs remarqué que l'article R.511-6 du code des procédures civiles d'exécution précise que l'autorisation du juge est caduque si la mesure conservatoire n'a pas été exécutée dans un délai de trois mois à compter de l'ordonnance, ce qui limite le délai dans lequel la saisie pouvait être pratiquée.
Si des mesures conservatoires ont été sollicitées pour la seule année 2014, la vérification de comptabilité est toujours en cours sur l'année 2015 et l'année 2016. Le Pôle de recouvrement spécialisé indique que les anomalies détectées en 2014 sont également présentes sur 2015 et une forte présomption existe aussi pour 2016, ce qui devrait conduire à de nouvelles propositions de rectification.
La société AGP Transport soutient qu'elle dispose d'actifs d'une valeur très supérieure au montant de la prétendue dette fiscale. Cependant, il est relevé que, si la société dispose d'un actif immobilisé net de 658.519 € au 31 décembre 2016, il est, pour l'essentiel, constitué de participations à hauteur de 374.321 €, sur la consistance desquelles aucune explication n'est apportée. Les constructions d'une valeur de 160.000 € ont été achetées à crédit et sont grevées d'un privilège de prêteur de deniers inscrit par la Caisse d'Epargne. Le matériel de transport d'une valeur brute de 531.117 € en 2015 est porté au bilan pour une valeur nette de 100.750 €, les chiffres étant pour l'exercice 2016, de 625.767 € en valeur brute et 42.303 € en valeur nette. Le bilan de l'exercice 2016 fait apparaître que la société a des dettes fiscales et sociales s'élevant à 235.767 €, des dettes auprès des établissements de crédit s'élevant à 174.886 € et des dettes fournisseurs pour 51.030 €, les chiffres étant respectivement de 183.259,00 €, 152.752,00 € et 17.865,00 € en 2017. Le résultat avant impôt de l'exercice clos au 31 décembre 2015 s'élève à 156.624 €, celui de 2016 s'élève à 183.454 €, celui de 2017 est de 61.205 €.
L'administration fiscale relève que 92 % du chiffre d'affaires réalisé par la société AGP Transport l'est avec le même client, le Syndicat des transports d'Ile de France et, si selon la société, il n'existe pas de risque sur la poursuite de ce marché, il n'est pas contesté que les marchés dont elle bénéficie ont été conclus seulement pour deux ans, 2017 et 2018. Le juge de l'exécution a, à juste titre, observé que l'existence d'un aléa important pèse nécessairement sur la pérennité de l'entreprise du fait de la courte durée du marché, la part prépondérante de son chiffre d'affaires étant réalisée avec ce seul client.
Il en résulte qu'existent des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance fiscale. Il n'y a donc pas lieu d'ordonner la mainlevée des saisies.
La société AGP Transport demande le cantonnement des saisies sur le fondement de l'article L.277 du livre des procédures fiscales.
Cet article précise notamment que le contribuable qui conteste le bien-fondé ou le montant des impositions mises à sa charge est autorisé, s'il en a expressément formulé la demande dans sa réclamation et précisé le montant ou les bases du dégrèvement auquel il estime avoir droit, à différer le paiement de la partie contestée de ces impositions et des pénalités y afférentes, ce qui suppose que les impositions ont déjà été mises en recouvrement et ont fait l'objet de la part du contribuable du dépôt d'une réclamation contentieuse assortie d'une demande de sursis de paiement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, l'imposition n'étant pas encore mise en recouvrement, les dispositions visées par la société AGP Transport ne sont donc pas applicables.
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux indemnités de procédure et dépens de première instance. En cause d'appel, la société AGP Transport supportera les dépens et devra verser à l'intimé une indemnité de procédure que l'équité commande de fixer à la somme de 2.500 €.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la société SARL Aéroport-Gare-Port Transport de ses demandes,
Condamne la société SARL Aéroport-Gare-Port Transport à payer à M. le Directeur Régional des Finances Publiques des Hauts de France et du département du Nord, agissant par le Comptable du Pôle de recouvrement spécialisé du Nord, la somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la société SARL Aéroport-Gare-Port Transport aux dépens de la procédure d'appel.