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Décisions

Cass. crim., 13 décembre 2000, n° 99-84.855

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rouen, du 10 juin 1999

10 juin 1999

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que Patrice X... et Philippe Y... ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs d'abus de pouvoirs sociaux pour le premier, en sa qualité de président du conseil d'administration de la société Eure Expertise, et de complicité de ce délit pour le second, en sa qualité d'administrateur de la même société, pour avoir passé, le 6 juin 1986, une convention, contraire aux intérêts de celle-ci, avec la société France Expertise Associés dans laquelle Patrice X... était l'un des administrateurs et Philippe Y..., directeur général ;

Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables des faits reprochés, l'arrêt attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, que la convention conclue, procédant à une véritable sous-traitance de l'objet social en raison de la nature, du volume, de la durée et du coût des prestations qui en font l'objet, et du fait que la rémunération de Patrice X..., désormais salarié de France Expertise Associés, détaché par celle-ci, était facturée par cette dernière à Eure Expertise, ne portait pas sur des opérations courantes conclues à des conditions normales au sens de l'article 102 de la loi du 24 juillet 1966, mais relevait des articles 101 et 103 de cette loi et qu'elle aurait dû être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration ;

Que les juges relèvent qu'en signant la convention sans avoir obtenu cette autorisation, les prévenus ne pouvaient ignorer l'irrégularité de l'acte et l'avantage financier que devait en retirer France Expertise Associés, que Patrice X... a bien, de mauvaise foi, fait des pouvoirs qu'il possédait un usage contraire aux intérêts de la société Eure Expertise, que Philippe Y... s'est bien rendu complice de ce délit et que les conséquences dommageables résultent très nettement des résultats d'Eure Expertise après l'application de la convention ;

Mais attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, qui ne démontrent pas, d'une part, que lors de la signature de la convention litigieuse, les prévenus aient sciemment cherché à favoriser France Expertise Associés au détriment d'Eure Expertise, et, d'autre part, qu'une atteinte ait été portée aux intérêts de cette dernière, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le moyen additionnel de cassation, proposé pour Patrice X... et Philippe Y..., pris de la violation des articles 437 de la loi du 24 juillet 1966, 2, 3 et 591 du Code de procédure pénale :

" en ce que la Cour a déclaré recevable l'action civile exercée à titre personnel par deux actionnaires (Joël et Michel Z...) d'une société anonyme d'expertise comptable (la société Eure Expertise) en réparation du prétendu préjudice subi du fait de l'abus de pouvoirs sociaux commis par le président (Patrice X...) et par un administrateur (Philippe Y...) de cette société ;

" aux motifs que l'abus de pouvoirs sociaux reproché aux prévenus était susceptible d'affecter la détermination du bénéfice social de la société Eure Expertise, et était de nature à causer un préjudice direct tant à la société elle-même qu'à ses actionnaires ; que la constitution de partie civile de Joël et Michel Z..., qui étaient actionnaires de la société Eure Expertise, en tant qu'ils entendaient exercer l'action sociale du fait de la défaillance de la société Eure Expertise et en leur nom personnel en qualité d'actionnaire, était donc recevable en la forme, les deux actions, si elles impliquaient un préjudice distinct, pouvant être exercées conjointement (arrêt p. 26 et 27) ;

" alors que les faits d'abus de pouvoirs sociaux ne sont susceptibles de causer un préjudice direct qu'à la société elle-même ; que la Cour ne pouvait retenir la possibilité d'un préjudice causé aux actionnaires " ;

Vu l'article 437. 4°, de la loi du 24 juillet 1966 ;

Attendu que la dévalorisation du capital social découlant du délit d'abus de pouvoirs, commis par un dirigeant de société, constitue non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même ;

Attendu que, pour déclarer recevable l'action civile exercée à titre personnel par deux actionnaires de la société Eure Expertise qui invoquaient, à titre de préjudice, la réduction du capital social intervenue et leur éviction de la société, les juges énoncent que le délit retenu à l'encontre des prévenus, susceptible d'affecter la détermination du bénéfice social de la société Eure Expertise, est de nature à causer un préjudice direct tant à la société elle-même qu'à ses actionnaires ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe susénoncé ;

D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 10 juin 1999 ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi :

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.