Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 5, 17 mars 2011, n° 09/05882

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MICHAUD dit LANCELOT

Défendeur :

SUNSET PRODUCTIONS (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Françoise FROMENT

Conseiller :

Mme Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU

Avocats :

Me Caroline SITBON, Me Jean-marie GUILLOUX

Paris, du 5 juin 2009

5 juin 2009

Monsieur Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » a été embauché en contrat à durée déterminée en qualité d'artiste musicien par la société SUNSET PRODUCTION.

Contestant la rupture de la relation de travail, il a, le 15 octobre 2007, saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris lequel, par jugement de départage du 5 juin 2009, a dit quil n'était pas compétent pour connaître de sa demande tendant à la condamnation de la société SUNSET PRODUCTION au paiement de la somme de 6000€ pour absence de contrepartie à la cession des droits pour habillage radio sur 2 ans, que seul le tribunal de grande instance de Paris était compétent pour en connaître, pour le surplus, dit n'y avoir lieu à requalification du contrat de travail à durée déterminée conclu entre les parties le 16 septembre 2005, débouté Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » de ses demandes relatives à la requalification du contrat de travail et réservé les dépens et demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » a régulièrement relevé appel le 18 juin 2009 de la totalité de cette décision.

Assisté de son conseil, Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » a, lors de l' audience du 1er février 2011 , développé oralement ses conclusions, visées le jour même par le greffier, aux termes desquelles il sollicite l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, la condamnation de la société SUNSET PRODUCTION pour requalification du CDD en CDI pour absence d'indication expresse du motif de recours au CDD et de terme précis, et compte tenu de la compétence de la Cour concernant la rémunération pour la cession des droits pour l'habillage Radio pendant 2 ans, à lui payer les sommes suivantes :

- 6000 € d'indemnité pour violation des droits voisins : absence de contrepartie ni d'autorisation à la cession des droits pour habillage radio sur 2 ans

- 13 800 € d'indemnité de requalification du contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée

- 13 800 € d'indemnité de préavis -1 mois- et 138€ de congés payés afférents,

- 500 € d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement,

- 14 260 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud hommes.

Il demande en outre la condamnation de la société SUNSET PRODUCTION à lui remettre les certificats pour la caisse des congés payés, un contrat de travail conforme, une lettre de licenciement, un certificat de travail, une attestation ASSEDIC conforme, bulletin(s) de paye conforme, sous astreinte de 100€ par jour de retard à compter de la notification de la décision, sa condamnation à lui verser la somme de 3000€ à titre de l'article 700 outre les entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction.

Assistée de son conseil, la société SUNSET PRODUCTION a, lors de l'audience du 1er février 2011 , développé oralement ses conclusions, visées le jour même par le greffier, aux termes desquelles elle sollicite la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il a déclaré la juridiction prudhomale incompétente au profit du TGI de Paris , de dire que Jean-Marc MICHAUD ne peut se prévaloir que d'une qualité d' artiste de complément pour avoir prononcé la phrase « parlons-nous », que sa demande de paiement d'une rémunération de droits voisins au titre d'une qualité d'artiste interprète est infondée, donc le débouter de ses demandes tant principales que subsidiaires.

En tout état de cause, elle demande de rejeter la demande d'exécution provisoire et de condamner Jean-Marc MICHAUD à lui verser la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile outre les dépens.

MOTIFS ET DECISION DE LA COUR

Considérant, sur la demande de requalification du CDD en CDI, qu'il résulte des dispositions de l'article L1242-1 du code du travail que le contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet, de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; que l'article L1242-2 du code du travail énonce que le recours à un contrat à durée déterminée est possible dans les secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ; que l'article D1242-1 6 ) du code du travail dispose que les spectacles, l'action culturelle, l'audiovisuel, la production cinématographique et l'édition phonographique sont des secteurs d'activités dans lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ;

Considérant qu'en l'espèce, l'employeur, la société SUNSET PRODUCTION, exerce une activité de prestations techniques de l'audiovisuel et a embauché Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT », en sa qualité d'artiste pour intervenir sur des bandes annonces diffusées sur la station de radio EUROPE 1 ; qu'ainsi la société SUNSET PRODUCTION intervient dans un secteur d'activités dans lequel il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée et a embauché Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » en tant qu'artiste pour la réalisation d'un phonographe, emploi à caractère par nature temporaire ; que dès lors les conditions de l'article L1242-2 du code de travail sont remplies ;

Considérant que le contrat à durée déterminée doit, en application de l'article L1242-7 du code de travail, comporter un terme fixé avec précision dès sa conclusion, sauf dans les cas précis fixés par ce texte ; qu'il doit, en vertu de l'article L1242-12, être établi par écrit et comporter la définition précise de son motif ; qu à défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée ;

Considérant d'une part que dans le secteur de l'audiovisuel et de l'édition phonograhique, il est d'usage d'avoir recours à des contrats à durée déterminée pour l'enregistrement de phonogramme surtout en ce qui concerne des prestations artistiques concises ;

Qu'en espèce, le contrat litigieux signé en première page par Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT », artiste reconnu, expérimenté et au fait des pratiques de son milieu d'activité, a pour titre « contrat d'engagement d'un artiste musicien » ; que dans sa première partie intitulée « ENGAGEMENT », il stipule que « Le Producteur engage l'Artiste pour l'exécution de soninterprétation en vue de la réalisation du phonogramme visée ci-dessus » soit « Habillage Europe 1 » , 'aux conditions précisées ci-après' ; qu'il contient en outre les mentions suivantes « Nb de jours d'enregistrement : 1 » et « Date de début de l'enregistrement : 16/09/05 » ;

Que la prestation en cause consistait à enregistrer la phrase 'parlons-nous', composée donc de deux mots, sous plusieurs intonations, en un trait de temps et n'était pas destinée à être renouvelée ; qu'elle était donc par nature temporaire ;

Que dès lors le motif, la durée et le terme du contrat sont précisément déterminés au sens de l'article L 1242-12 du code de travail, la nature de la tâche confiée étant bien temporaire ; que par conséquent Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » doit être débouté de sa demande tendant à voir son contrat à durée déterminée requalifié en contrat à durée indéterminée et le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris sera confirmé sur ce point ;

Considérant que la compétence de la Cour concernant la rémunération pour la cession des droits pour l'habillage Radio n'est plus contestée ; que par conséquent la décision du Conseil des Prud'hommes de Paris , en ce qu'elle s'est reconnue incompétente pour statuer sur le litige relatif au rappel de salaire pour absence de contrepartie à la cession de droit, doit être infirmée ;

Considérant, sur la qualité d'artiste de complément du salarié, que l'article L212-1 du code de la propriété intellectuelle exclut les « artistes de complément » de la qualification d'artiste-interprète et par extension de la protection que ledit code reconnait à ces derniers notamment au titre des droits voisins ; qu'il est constant qu'un artiste de complément se distingue d'un artiste-interprète en ce que sa prestation est complémentaire ou accessoire, que sa personnalité ne transparaît pas dans sa prestation, et que son interprétation n'est pas originale ;

Que Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » a été embauché pour dire la phrase « parlons nous » sur plusieurs tons ; qu'en premier lieu cette phrase en raison de sa banalité, de sa construction grammaticale, de son utilisation consensuelle ne peut s'analyser en une 'uvre littéraire et artistique ; qu'en second lieu la phrase « parlons nous » est intégrée dans une bande annonce composée de dizaines d'autres éléments sonores et qu'elle représente seulement 4,7 secondes sur 1832 secondes, soit 0,26% ; qu'en troisième lieu, le fait de lire une phrase d'une grande banalité et concision sur des tons différents ne constitue pas une interprétation originale ; qu'en dernier lieu, Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » bien qu'étant un artiste avec une expérience et une qualité certaine dans ce milieu n'était pas identifiable à l'écoute de la phrase « parlons-nous » ;

Considérant qu'au vu de ces éléments, la qualité d'artiste-interprète doit être déniée à Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » pour lui reconnaître, en revanche, celle d'artiste de complément, peu important que sur son attestation ASSEDIC et son bulletin de paye il soit qualifié de façon erronée de « Comédien » ;

Considérant que la qualité d'artiste de complément exclut les artistes du bénéfice des droits voisins, tel que prévu par le code de propriété intellectuelle, notamment en terme de durée ; que par conséquent, Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » a à juste titre pu céder par contrat, sans limitation ni de temps ni de support, l'ensemble de ses droits sur son interprétation en contrepartie d'une somme forfaitaire ; que cette somme forfaitaire compte tenu du temps effectivement passé en studio et de la prestation, n'avait rien de dérisoire au vu des pratiques en vigueur dans la profession, au regard des pièces produites ; qu'il y donc lieu de débouter Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » qui a accepté les termes du contrat de ses demandes relatives à la reconnaissance de ses droits voisins ;

Considérant que la situation économique des parties ne justifie pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; que Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » succombant en ses prétentions supportera les dépens de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris sauf en ce qu'il s'était déclaré incompétent pour statuer sur le litige relatif aux droits voisins ;

Statuant à nouveau,

Dit que Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » doit avoir pour la prestation litigieuse le statut d'artiste de complément et par conséquent n'y avoir lieu à statuer sur l'existence et l'étendue de droits voisins ;

Dit que Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » avait justement cédé sans limitation les droits sur son interprétation en contrepartie d'une somme forfaitaire non dérisoire ;

Déboute Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » de ses demandes ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Jean-Marc MICHAUD dit « LANCELOT » aux dépens de première instance et d'appel.