CE, 23 février 1998, n° 172735
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Considérant que la lettre circulaire du ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle du 18 janvier 1995 contient des mesures relatives à la définition légale du mannequin, aux conditions légales d'exercice de l'activité d'agence de mannequin, et aux modalités de recrutement des mannequins ; que le ministre du travail et des affaires sociales n'est pas fondé à soutenir que cette lettre-circulaire ne constituerait pas un acte faisant grief au seul motif qu'elle est adressée, non aux services déconcentrés de son administration, mais à des professionnels de la mode et de la publicité ;
Considérant que l'absence de la mention : "pour le ministre et par délégation" à côté de la signature du directeur des relations du travail qui a été apposée, par délégation régulière du ministre, sur la lettre circulaire du 18 janvier 1995, n'est pas de nature à entacher celle-ci d'illégalité ;
Sur les conclusions dirigées contre les paragraphes de la lettre-circulaire du 18 janvier 1995, qui ont trait à la définition du mannequin :
Considérant que l'article L. 763-I du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 90-603 du 12 juillet 1990 prévoit "qu'est considérée comme exerçant une activité de mannequin toute personne qui est chargée soit de présenter au public, directement ou indirectement, par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou ouvrage publicitaire, soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image, même si cette activité n'est exercée qu'à titre occasionnel" ;
Considérant que dans sa lettre-circulaire du 18 janvier 1995, le ministre indique, en ce qui concerne la définition légale de mannequin, que "peu importe, à cet égard, que la personne concernée exerce l'activité de mannequin à titre occasionnel ou professionnel, ou qu'elle exerce une autre profession à titre principal. Doivent ainsi notamment être considérés comme mannequins ... l'artiste-comédien qui tourne pour un film publicitaire" ;
Considérant, toutefois, que les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle définissent l'artiste-interprète comme la "personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique ..." ; que, lorsqu'un artiste interprète se livre, dans le cadre du tournage d'un film publicitaire, à une prestation répondant à cette définition, qui ne se réduit pas à la seule utilisation de son image, il ne se produit pas en qualité de mannequin, au sens des dispositions de l'article L. 763-1 du code du travail, précitées ; que, par suite, en n'excluant pas cette hypothèse du champ d'application, tel qu'elle l'explicite, des dispositions du code du travail relatives aux mannequins, la lettre-circulaire du 18 janvier 1995 a méconnu la portée de celles-ci ;
Sur les conclusions dirigées contre les paragraphes de la lettre-circulaire du18 janvier 1995, qui ont trait aux modalités de recrutement des mannequins :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 763-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi, déjà citée, du 12 juillet 1990 : "Est considérée comme exploitant une agence de mannequins toute personne physique ou morale dont l'activité consiste à mettre à la disposition provisoire d'utilisateurs, à titre onéreux, des mannequins qu'elle embauche et rémunère à cet effet" ; que le même article prévoit que seules peuvent exercer cette activité les personnes physiques ou morales titulaires d'une licence d'agence de mannequin ;
Considérant qu'après avoir rappelé que la loi du 12 juillet 1990 a conféré à ces personnes le monopole du placement des mannequins, la lettre-circulaire du 18 janvier 1995 énonce que le mannequin ne peut être recruté que par l'utilisateur, c'est-à-dire le bénéficiaire de la prestation demandée, ou par une agence de mannequins titulaire de la licence, en vue de sa mise à la disposition d'un utilisateur, et que tout intermédiaire qui aurait recours à un mannequin, sans passer par les services d'une agence, serait en infraction avec la loi du 12 juillet 1990 et passible, à ce titre, des pénalités prévues par cette loi ; que, sur ce point, la lettre-circulaire du 18 janvier 1995 se borne à interpréter certaines des dispositions de la loi du 12 juillet 1990 et n'a pas de caractère réglementaire ; que les conclusions ci-dessus mentionnées de la requête sont, par suite, irrecevables et ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat, par application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, à payer au SYNDICAT DES PRODUCTEURS INDEPENDANTS la somme de 100 F qu'il réclame, au titre du droit de timbre acquitté par lui ; qu'en revanche, les conclusions du syndicat qui tendent au remboursement d'une somme correspondant aux autres frais exposés par lui et non compris dans les dépens, sont, faute d'être chiffrées, irrecevables ;
Article 1er : La lettre-circulaire du 18 janvier 1995 du ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle est annulée, en tant qu'elle énonce que l'artiste-comédien qui tourne un film publicitaire doit être considéré comme un mannequin.
Article 2 : L'Etat paiera au SYNDICAT DES PRODUCTEURS INDEPENDANTS une somme de 100 F, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du SYNDICAT DES PRODUCTEURS INDEPENDANTS est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT DES PRODUCTEURS INDEPENDANTS et au ministre de l'emploi et de la solidarité.