CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 2 février 2011, n° 09/12509
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
BEMBERG épouse QUIRNO-LAVALLE
Défendeur :
SOFINORD (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme BARTHOLIN
Conseillers :
Mme IMBAUD-CONTENT, Mme DEGRELLE-CROISSANT
Avoués :
SCP ROBLIN - CHAIX DE LAVARENE, SCP TAZE-BERNARD - BELFAYOL-BROQUET
Avocats :
SELARL DMP AVOCATS, SCP FORESTIER & HINFRAY
Par acte sous seing privé du 25 septembre 2002 Mme QUIRNO LAVALLE a donné à bail commercial à la société SOFINORD des bureaux au cinquième étage d'un immeuble situé au [...] moyennant un loyer annuel en principal de 56 280 € hors taxes et hors charges.
L'acte stipulait « toutefois ce loyer sera ramené à la somme principale annuelle de 43 512 €pendant les six premières années du bail soit du 1er octobre 2002 au 30 septembre 2008 ».
Par un autre acte sous seing privé du même jour, Mme QUIRNO LAVALLE donnait à bail à SOFINORD des bureaux au deuxième étage du même immeuble moyennant un loyer annuel en principal de 56 280 € hors taxes et hors charges.
Le bail contenait également des clauses particulières prévoyant : « toutefois, ce loyer sera ramené à la somme principale annuelle de 38 905 € pendant les trois premiers mois de la location soit du 1er octobre 2002 au 31 décembre 2002 puis, le loyer sera ramené à la somme principale annuelle de 48 951 € pendant les six premières années du bail soit du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2009 »
Par lettre recommandée avec avis de réception datée du 1er octobre 2005, mais semble-t- il expédiée par son mandataire le 3 octobre 2005, Mme QUIRNO LAVALLE a fait notifier la révision des loyers concernant les deux baux à compter du 1er octobre 2005 dans l'attente de la publication des indices de référence.
La société SOFINORD a répliqué le 13 octobre 2005 que la demande de révision était irrecevable comme prématurée et qu'elle s'opposait au principe de la révision dans la mesure où le loyer aurait été forfaitairement convenu.
Le 29 octobre 2007 le juge des loyers commerciaux s'est déclaré incompétent pour connaître des contestations qui se sont élevées entre les parties sur l'irrecevabilité de la demande de révision soulevée par la SA SOFINORD et relatives à l'interprétation du contrat de bail et a renvoyé les parties devant le tribunal de grande instance qui a rendu les deux jugements déférés le 5 mai 2009.
Par des motivations identiques pour les deux jugements, les premiers juges, après avoir considéré que les baux liant les parties étaient des baux à palier compatibles avec l'article L. 145 ' 38 du code de commerce, que la demande de révision était recevable, le point de départ du délai de trois ans étant la date de la prise d'effet du bail, ont cependant constaté que la demande en révision ne pouvait être formulée qu'après trois ans et un jour soit en l'espèce à compter du 2 octobre 2005 et que la demande de la bailleresse, datée du 1er octobre 2005, était prématurée.
Ils ont en outre estimé qu'il importait peu que la demande ait été finalement transmise le 3 octobre 2005 ainsi qu'il résulte de l'accusé de réception et du bordereau de dépôt des courriers recommandés puisque la date de la demande établie le 1er octobre 2005 et à compter de celle-ci était prématurée.
Devant les juges de première instance, la bailleresse a modifié sa demande en sollicitant une révision à compter du 3 octobre 2005 et les premiers juges ont estimé que préalablement à la saisine du juge des loyers, la bailleresse n'avait notifié aucun mémoire pendant plus de 2 ans au soutien de cette nouvelle demande de telle sorte que l'action tendant à obtenir la révision à compter du 3 octobre 2005 était prescrite.
Dans les deux jugements du 5 mai 2009, le Tribunal de Grande Instance de Paris a
-débouté Mme BEMBERG épouse QUIRNO-LAVALLE de toutes ses demandes,
-dit n'y avoir lieu en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ni a exécution provisoire et a condamné Mme BEMBERG épouse QUIRNO LAVALLE aux entiers dépens-
Le 5 juin 2009 , Mme BEMBERG à interjeté appel deux décisions.
Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 6 octobre 2010, Mme BEMBERG épouse QUIRNO LAVALLE demande à la Cour de :
Vu l'article L. 145 ' 38 du code de commerce,
Vu les articles R. 145 ' 23 et suivants du code de commerce,
Vu les clauses et conditions du bail commercial en date du 25 septembre 2002,
Vu les notifications de révision en date du 3 octobre 2005 et 20 avril 2006,
' Constater que les parties sont bien convenues aux termes du bail commercial d'un loyer à palier, mais également d'une clause expresse de révision triennale,
' Constater que Mme BEMBERG épouse QUIRNO LAVALLE a notifié sa demande de révision par lettre recommandée accuse de réception datée du 1er octobre 2005, postée le 3 octobre et reçue le 6 octobre 2005 par la société SOFINORD,
' Donner acte à Mme BEMBERG épouse QUIRNO LAVALLE de ce qu'elle sollicite la révision du loyer à compter du jour de sa demande,
' Constater que Mme BEMBERG épouse QUIRNO LAVALLE a notifié le 14 septembre 2007 un mémoire en demande récapitulatif n°4 tendant à la fixation du loyer renouvelé à compter du 3 octobre 2005,
En conséquence,
Réformant le jugement,
' Déclarer la demande de révision du loyer recevable et bien-fondé et y faisant droit :
À titre principal,
' Fixer le loyer révisé à compter du 3 octobre 2005, à la somme annuelle en principal de 55 635 € hors charges et hors taxes,
Subsidiairement,
' Fixer le loyer révisé à compter du 20 avril 2006, à la somme annuelle en principal de 55 635 €, hors taxes et hors charges,
En tout état de cause,
' Dire que la société SOFINORD sera tenue au paiement des intérêts au taux légal sur les loyers arriérés conformément aux dispositions de l'article 1155 du Code civil
et leur capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du même code,
' Dire que le dépôt de garantie sera réajusté en conséquence, en application des dispositions du paragraphe « dépôt de garantie », en page quatre du bail,
' Débouter la société SOFINORD de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
' Condamner la société SOFINORD à payer à la requérante la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de la S. C. P. ROBLIN, avoué à la Cour, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 6 janvier 2010, la S. A. SOFINORD demande à la Cour de :
Vu les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce,
Vu les articles R. 145 '20 et suivants du code de commerce,
Vu les clauses et conditions du bail commercial en date du 25 septembre 2002,
Vu le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 mai 2009,
' Confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 5 mai 2009,
en toutes ses dispositions,
' Débouter purement et simplement Mme QUIRNO ' LAVALLE de l'ensemble de ses demandes,
En toute hypothèse,
' Condamner Mme QUIRNO LAVALLE à payer à la S. A. SOFINORD la somme de 3000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
' Condamner Mme QUIRNO LAVALLE aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés par la S.C.P. TAZE-BERNARD et BELFAYOL-BROQUET, avoué à la cour d'appel de Paris, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
DISCUSSION
1- SUR LA JONCTION
Mme QUIRNO LAVALLE a interjeté appel des deux jugements qui ont fait l'objet de deux instances ouvertes sous les numéros 09/12509 et 09/12513.
Il convient pour une bonne administration de la justice et compte tenu de la connexité des litiges d'ordonner la jonction des deux procédures qui se poursuivront sous le numéro 09/12509.
2- SUR LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES DE RÉVISION
Constitue un bail à palier un contrat ou l'évolution du montant du loyer, généralement progressif, est prévu d'avance pour le montant et la date à laquelle l'évolution doit se produire.
Cette évolution est indépendante des règles de révision triennale ou des évolutions d'indexation.
C'est ainsi à juste titre que les premiers juges faisant référence aux articles l'article L. 145 ' 37 et 145-38 du code de commerce ont qualifié les deux baux conclus entre les parties de baux à palier et ont déclaré le principe du droit à révision recevable.
Cependant la mise en œuvre du droit à révision est très encadrée tant pour sa forme que pour la date à laquelle il peut intervenir.
En application des dispositions de l'article L145-38 du code de commerce, il ne peut être effectué que 'trois ans au moins' après la date d'entrée en jouissance c'est à dire à période triennale échue et la demande ne peut être formée avant cette échéance, ces règles s'appliquant en matière de bail à palier, étant précisé que le délai de l'article L. 145 ' 38 du code de commerce est lui-même soumis à l'article 641 alinéa 2 du code de procédure civile.
En l'espèce, c'est la date de la lettre recommandée soit le 1er octobre 2005 et non celle de l'expédition ou de la réception qui doit être prise en compte.
Ainsi, la demande de révision pour les deux baux concernés, datée du 1er octobre 2005 était prématurée et il importe peu que lesdits courriers n'aient été expédiés que le lundi 3 octobre 2005 dans la mesure où la demande tendant à la révision du loyer au 1er octobre 2005 était irrecevable, le délai de trois ans n'étant pas expiré.
Les jugements de première instance seront confirmés de ce chef.
4- SUR LA PRESCRIPTION
Mme QUIRNO LAVALLE soutient encore que la demande de révision à compter du 3 octobre 2005 présentée devant les premiers juges n'encourt aucune prescription et serait recevable en application de l'article R 145-20 du code de commerce qui précise que 'le nouveau prix est dû à compter du jour de la demande et que le dépôt d'un mémoire préalable devant le juge des loyers n'interdit pas le dépôt de mémoires subséquents en cours d'instance, les parties pouvant modifier leurs prétentions sans restriction. Elle ajoute qu'un mémoire a bien été déposé le 31 janvier 2007 mais qu'il a été suivi d'un autre mémoire notifié au locataire par lettre recommandé avec avis de réception le 14 septembre 2007 soit avant l'expiration du délai de deux ans qui expirait le 3 octobre 2007.
Or, il résulte des articles R. 145 ' 23 et suivants du code de commerce que la formalité du mémoire préalable est obligatoire et que le délai de prescription en matière de révision triennale est de deux ans à compter de la demande de révision.
En l'espèce aucun mémoire préalable n'a été notifié pour une révision à la date du 3 octobre 2005 de telle sorte que l'action tendant à obtenir la révision à compter de cette date se trouve prescrite ainsi que l'ont fort justement relevé les premiers juges.
En effet le seul mémoire de Mme QUIRNO LAVALLE, daté du 30 janvier 2007, concerne une révision au 1er octobre 2005 qui est prématurée et de ce fait inopérante.
Mme QUIRNO LAVALLE, qui soutient qu'en application de l'article R. 145 ' 20 du code de commerce, le nouveau prix est dû à compter du jour de la demande et que cette dernière ne saurait encourir de prescription eu égard au mémoire n°4 récapitulatif du 14 septembre 2007, ne saurait être suivie dans son argumentation dans la mesure où, pour qu'une nouvelle demande soit recevable encore faut il que la demande initiale, à laquelle il est fait expressément référence soit elle-même recevable.
Or force est de constater que le 'mémoire n°4 récapitulatif' du 14 septembre 2007 qui suite et référence à la procédure initiale, à la lettre recommandée du 1er octobre 2005 sollicitant la révision du loyer à compter du 1er octobre 2005 ne saurait en rien régulariser la procédure initiale inopérante, qu'aucun autre mémoire sollicitant une révision à compter du 3 octobre 2005 n'a été notifié durant les deux ans qui ont suivi la première demande de ce chef qui est intervenue pour la première fois devant le juge de première instance le 3 mars 2009 soit plus de deux ans après son mémoire initial du 30 janvier 2007.
Il convient de confirmer les décisions précitées en toutes leurs dispositions.
5- SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Il sera fait droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et Mme QUIRNO LAVALLE est condamnée à payer à la SA SOFINORD une somme de 2500 € de ce chef, sa propre demande de chef étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
Ordonne jonction des deux procédures ouvertes sous les numéros 09/12509 et 09/12513 sous le numéro 09/12509
Confirme les jugements rendus par le tribunal de grande instance de Paris le 5 mai 2009 en toutes leurs dispositions
Déboute Mme QUIRNO LAVALLE de l'ensemble de ses demandes
Condamne Mme QUIRNO LAVALLE à payer à la SA SOFINORD une somme de 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel
Condamne Mme QUIRNO LAVALLE aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code procédure civile.