Cass. 1re civ., 25 mai 2023, n° 22-14.651
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Créations Guiot de Bourg (SARL)
Défendeur :
Hermès Sellier (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duval-Arnould
Rapporteur :
M. Chevalier
Avocats :
SARL Cabinet François Pinet, SCP Piwnica et Molinié, Mme Mallet-Bricout
Exposé du litige
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 janvier 2022), la société Hermès Sellier commercialise depuis plusieurs années un bijou en métal précieux « Chaîne d'Ancre » sous forme de bracelet et de collier composé d'une succession de maillons entrelacés entre eux formant une chaîne qui s'attache avec un fermoir en forme de T et décline cette composition dans une gamme de bijoux.
2. Ayant constaté, à la suite d'une retenue douanière, que la société Guiot de Bourg commercialisait des bracelets, des colliers, des boucles d'oreilles et des boutons de manchette portant atteinte, selon elle, à ses droits d'auteur sur le bijou « Chaîne d'Ancre » et ses dérivés et que ces bijoux étaient mis en vente sur internet, elle a assigné cette société en contrefaçon et en concurrence déloyale.
Moyens
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société Créations Guiot de Bourg fait grief à l'arrêt de dire la société Hermès Sellier recevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur sur le bijou « Chaîne d'ancre » exploité sous forme de bracelet et de collier, les boutons de manchettes Marine, les boutons de manchette Mini Chaîne d'ancre, le bracelet Granville, la bague Chaîne d'Ancre mini, la bague Maillon Ancre, le bijou Farandole et les boucles d'oreille Farandole, de dire que la bague « Chaîne d'ancre enchaînée grand modèle » de la société Hermès Sellier est protégée par le droit d'auteur et de dire la société Hermès Sellier recevable à agir en contrefaçon de droits sur les modèles communautaires DM/063981 et DM/078873 dont elle est titulaire, alors :
« 1°/ que pour être protégeable au titre du droit d'auteur, une œuvre doit être originale et porter l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en matière d'arts appliqués, la seule transposition d'éléments du domaine public dans un autre domaine ne suffit pas, à elle seule, à caractériser l'apport créatif de l'auteur ; que pour reconnaître le bénéfice de la protection du droit d'auteur au bijou « Chaîne d'ancre » revendiqué par la société Hermès Sellier, la cour d'appel se borne à énoncer, par motifs propres, que leur auteur a « fait œuvre de création en modifiant de façon substantielle tant la taille, la matière que les caractéristiques mêmes de la tige interne qui est perpendiculaire chez Hermès et non évasée de chaque côté comme pour les chaînes de navire, transformant pour la première fois les chaînes de l'industrie marine en bijou en les combinant avec un fermoir spécifique en forme de T ne répondant pas seulement à une nécessité technique et fonctionnelle mais résultant d'un choix créatif », et par motifs adoptés, que l'auteur « a transposé dans l'univers de la joaillerie pour la première fois en 1938 la physionomie des chaînes de navire empruntée au domaine public de l'industrie navale qu'il a combinée à un fermoir spécifique très visible » et « fait preuve d'effort créatif en donnant un aspect différent à la chaîne marine pour créer des bijoux dont les caractéristiques révèlent ses partis pris esthétiques et l'empreinte de sa personnalité »; qu'en se bornant ainsi à caractériser la transposition d'éléments du domaine public au domaine de la bijouterie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que, pour être protégeable au titre du droit d'auteur, une œuvre doit être originale et porter l'empreinte de la personnalité de son auteur ; que pour reconnaître le bénéfice de la protection du droit d'auteur aux bijoux boutons de manchettes Marine, boutons de manchette Mini-chaîne d'ancre, bracelet Granville, bague Chaîne d'ancre mini, bague Maillon d'ancre, collier, bracelet et boucle d'oreille Farandole revendiqués par la société Hermès Sellier, la cour d'appel se borne à énoncer, par motifs propres, qu'ils ont « une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique » et, par motifs adoptés, qu' « il ressort de la présentation des caractéristiques de chaque bijou une physionomie propre à laquelle aucune antériorité n'est opposée, traduisant un parti pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur »; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si et en quoi chaque bijou dont la protection était sollicitée, résultait d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de leur auteur, seul de nature à leur conférer le caractère d'une œuvre originale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle. »
Motivation
Réponse de la Cour
4. En premier lieu, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de dire la société Hermès Sellier recevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur sur le bijou « Chaîne d'ancre » exploité sous forme de bracelet et de collier, les boutons de manchettes Marine, les boutons de manchette Mini Chaîne d'ancre, le bracelet Granville, la bague Chaîne d'Ancre mini, la bague Maillon Ancre, le bijou Farandole et les boucles d'oreilles Farandole ainsi que des droits sur les modèles communautaires DM/063981 et DM/078873 dont elle est titulaire, le moyen critique des motifs qui ne sont pas le soutien du dispositif qu'il attaque.
5. En second lieu, en retenant que la bague « Chaîne d'ancre enchaînée grand modèle » de la société Hermès Sellier se présente comme la combinaison d'un anneau ouvert fait de l'assemblage de trois chaînes incurvées composées de maillons « Chaîne d'Ancre » sous forme de trois rangées de tailles différentes, juxtaposées les unes aux autres et que cette combinaison spécifique traduit des partis pris esthétiques lui conférant une originalité empreinte de modernité, la cour d'appel en a caractérisé l'originalité.
6. Inopérant pour partie, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
Moyens
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
7. La société Créations Guiot de Bourg fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a commis des actes de contrefaçon en important et commercialisant le collier et le bracelet Chaîne d'Ancre, les boutons de manchette Marine, les boutons de manchette Mini Chaine d'Ancre, le bracelet Granville, la bague Chaîne d'Ancre mini, la bague Maillon Ancre, le bijou Farandole et les boucles d'oreille Farandole, portant atteinte aux droits patrimoniaux d'auteur de la société Hermès Sellier et aux droits de ses modèles communautaires DM/063981 et DM/078873, de lui interdire la poursuite de ces agissements, d'ordonner la destruction des bijoux saisis à ses frais une fois la décision devenue définitive et de la condamner à payer à la société Hermès Sellier la somme de 35 000 euros du fait des atteintes aux droits d'auteur et celle de 5 000 euros du fait des atteintes aux droits des modèles, alors « que la cassation à intervenir sur le premier moyen relatif au champ d'application de la protection au titre du droit d'auteur et du droit des dessins et modèles entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de l'arrêt constatant l'existence d'actes de contrefaçon et condamnant la société Créations Guiot de Bourg à les réparer, et ce en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Motivation
Réponse de la Cour
8. Le premier moyen étant rejeté, le deuxième, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est sans portée. Moyens Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. La société Créations Guiot de Bourg fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Hermès Sellier la somme de 40 000 euros au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, alors :
« 1°/ que la commercialisation d'une gamme de produits est insuffisante à caractériser la commission d'actes de concurrence déloyale distincts de ceux sanctionnés au titre de la contrefaçon ; que pour dire que la société Créations Guiot de Bourg a commis des actes de concurrence déloyale, la cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, qu'elle avait commercialisé une gamme entière de bijoux reproduisant les bijoux contrefaits, caractérisant la volonté délibérée de générer par la création d'un effet de gamme un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ;
2°/ que la reproduction d'un produit emblématique est insuffisante à caractériser la commission d'actes de concurrence déloyale distincts de ceux sanctionnés au titre de la contrefaçon ; que pour dire que la société Créations Guiot de Bourg a commis des actes de concurrence déloyale, la cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, qu'elle a commercialisé une gamme de bijoux reproduisant le motif iconique de la société Hermès auquel cette société a consacré d'importants budgets promotionnels ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ;
3°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif ; que la société Créations Guiot de Bourg contestait dans ses conclusions d'appel l'action en concurrence déloyale de la société Hermès Sellier en rappelant qu'elle avait " acquis une grande partie des bijoux objets du litige auprès de la société Saga, qui avait obtenu judiciairement la liberté de vendre le modèle de bracelet en maille marine, bijou du domaine public " ; qu'en la condamnant pour des faits de concurrence déloyale sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Motivation
Réponse de la Cour
10. La cour d'appel a retenu que la société Créations Guiot de Bourg avait commercialisé une gamme entière de colliers, bracelets, boutons de manchette et boucles d'oreilles copiant les bijoux de la société Hermès Sellier, créant ainsi un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle, la société Hermès Sellier exploitant ces bijoux depuis de nombreuses années au point que le motif « chaîne d'Ancre », devenu son motif iconique et auquel elle a consacré d'importants budgets promotionnels, est reconnu par les professionnels comme son emblème.
11. Sans être tenue de répondre à un moyen inopérant, elle a ainsi caractérisé des actes de concurrence déloyale et parasitaire, distincts de la contrefaçon.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.