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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 mai 2023, n° 20/17817

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kaplan (SAS)

Défendeur :

Société Financière de Gestion et de Participation (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Lesenechal, Me Courtillé, Me Lallement, Me Cledat

T. com. Paris, du 26 oct. 2020, n° 20180…

26 octobre 2020

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Kaplan exerce une activité principale de transport public routier de marchandises, de location de véhicules industriels pour le transport de marchandises avec ou sans conducteur, et de commissionnaire de transport. Elle est spécialisée dans le transport routiers de fret interurbains et de logistique dit "du dernier kilomètre".

La SAS Société Financière de Gestion et de Participation (ci-après, "la SAS Sofigep"), qui exerce une activité principale de holding, détient des participations dans diverses sociétés exploitant des magasins à l'enseigne Franprix dans l'intérêt desquelles elle assure un service centralisé de fourniture de prestations d'assistance à la gestion commerciale et de logistique commerciale.

Par acte du 28 août 2008, la SAS Kaplan et la SAS Sofigep ont conclu, à compter du 1er juin 2007 pour une durée de trois ans tacitement renouvelables par tranches annuelles, un "contrat de location de véhicules avec chauffeur" ayant pour objet la livraison à domicile de produits achetés par les clients des magasins à l'enseigne Franprix et stipulant un nombre de livraisons minimales. Le contrat était successivement renouvelé par avenants des 9 et 10 juillet 2012 et 13 mai 2013.

Par courrier du 18 octobre 2013, la SAS Sofigep notifiait à la SAS Kaplan la cessation de leurs relations commerciales concernant la livraison de commandes passées en ligne (dites "Coursengo").

Par lettre du 28 janvier 2014, la SAS Kaplan adressait à la SAS Sofigep une facture de régularisation d'un montant de 607 786,50 euros au motif que les minima de livraisons garantis par le contrat, qui ne concernait selon elle que les livraisons Coursengo à l'exclusion des "laissé-caisse" (ou "livraisons traditionnelles") qui faisaient l'objet de relations non formalisées, n'avaient pas été atteints en 2013. Les parties tentaient vainement de transiger et les relations commerciales se poursuivaient pour les seules livraisons traditionnelles.

Par courrier du 15 décembre 2017, la société Distribution Franprix, dénonçant des défaillances dans les livraisons mécontentant les clients et désorganisant les magasins (retards, défaut de livraison, interversions de colis, attitude inappropriée des livreurs) depuis sa prise de contrôle par le groupe de transports Warning, a mis en demeure la SAS Kaplan de respecter ses obligations et d'appliquer son plan d'action.

Insatisfaite des prestations de la SAS Kaplan qui réclamait de son côté le paiement d'une facture de régularisation pour l'année 2017 calculée sur la base des minima garantis dans le contrat du 28 août 2008, la SAS Sofigep lui a notifié le 24 mai 2018 la fin de leurs relations contractuelles au 31 décembre 2018 en lui indiquant qu'elle pouvait néanmoins être sélectionnée à l'issue de la procédure d'appel d'offres que le groupe Casino initiait parallèlement.

Par lettre de son conseil du 25 juin 2018, la SAS Kaplan mettait en demeure la SAS Sofigep de lui payer les montants dus au titre du minimum garanti pour l'année 2017 et pour la période de préavis outre une indemnité contractuelle pour résiliation anticipée du contrat du 28 août 2008 et des dommages et intérêts réparant le préjudice né de la rupture brutale partielle des relations en 2017, année durant laquelle le nombre des livraisons a selon elle chuté de 20 %, soit un total de 1 471 764,50 euros HT.

Les échanges entre les parties n'aboutissant pas à un règlement amiable du litige naissant, la SAS Kaplan a, par acte d'huissier signifié le 10 octobre 2018, assigné la SAS Sofigep devant le tribunal de commerce de Paris en paiement des minima garantis avant et après rupture des relations et de l'indemnité contractuelle de résiliation anticipée ainsi qu'en indemnisation du préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 26 octobre 2020, le tribunal de commerce de Paris a débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes et condamné la SAS Kaplan à payer à la SAS Sofigep une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe le 9 décembre 2020, la SAS Kaplan a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 27 août 2021, la SAS Kaplan, demande à la cour, au visa des articles 1134 (articles 1103 et 1104 nouveau), 1184 alinéa 2 (1221 nouveau) et 2224 du code civil, L. 442-6 I 5° et L. 110-4 du code de commerce, L. 3223-1 du code des transports et 700 du code de procédure civile :

- de juger la SAS Kaplan recevable et bien fondée en son appel ;

- statuant à nouveau, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris du 26 octobre 2020 et de rejeter tous moyens et prétentions de la SAS Sofigep ;

- sur les fins de non-recevoir soulevées par la SAS Sofigep, de :

*qualifier la convention liant les parties de contrat de location de véhicules industriels avec conducteurs ;

*juger que la prescription annale applicable en matière de contrat de transport n'est pas applicable au contrat de location de véhicule avec conducteur liant les parties ;

*juger que les dispositions de l'article L. 3223-1 du code des transports ne sont pas applicables aux relations entre les parties, celles-ci étant liées par une convention écrite ;

*juger que l'aménagement contractuel de la prescription prévu aux conditions générales n'est pas applicable à l'action en paiement de la SAS Kaplan, celle-ci étant fondée sur des créances périodiques ;

*rejeter les fins de non-recevoir soulevées par la SAS Sofigep ;

- sur l'exécution du contrat du 28 août 2008, sa rupture et ses conséquences, de :

*juger que le contrat conclu en 2008 a pour unique périmètre les livraisons Coursengo ;

*juger que le contrat conclu entre les parties prévoit un minimum annuel garanti de livraisons et une indemnité en cas de résiliation anticipée ;

*juger que la SAS Sofigep a résilié de manière anticipée le contrat sans respecter la période de préavis contractuellement prévue ;

*juger que la SAS Sofigep a manqué à ses obligations relatives au minimum garanti contractuellement prévu ;

*juger que la SAS Sofigep est redevable de l'indemnité contractuellement prévue en cas de résiliation anticipée ;

*condamner, en conséquence, la SAS Sofigep à verser à la SAS Kaplan :

°la somme de 607 786,50 euros HT au titre du minimum garanti contractuellement prévu pour la période antérieure à la résiliation anticipée ;

°la somme de 448 500 euros HT au titre du minimum garanti contractuellement prévu pour la période de préavis au cours de laquelle le contrat aurait dû exécuter ;

°la somme de 327 750 euros HT au titre d'indemnité contractuellement prévue en cas de résiliation anticipée ;

- sur les relations commerciales établies hors cadre contractuel ferme, de :

*juger que la SAS Sofigep et la SAS Kaplan entretenaient des relations commerciales établies ;

*juger que la SAS Sofigep a rompu brutalement ses relations commerciales établies avec la SAS Kaplan et ce même partiellement ;

*condamner, en conséquence, la SAS Sofigep à verser à la SAS Kaplan la somme de 255 259,08 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière en raison de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- condamner la SAS Sofigep à payer, en cause d'appel, à la SAS Kaplan une somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SAS Sofigep aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Pascale Flauraud, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 1er juin 2021, la SAS Sofigep demande à la cour, au visa des anciens articles 1134 (1103 et 1104 nouveaux), 1152 et 1226 (1231-5 nouveau) du code civil et des articles L. 442-6 I 5° (ancien) et L. 133-6 et "L. 3223-1 du code de commerce" ainsi que des dispositions du décret n° 2014-644 du 19 juin 2014 portant approbation du contrat type de location de véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandises et des articles L. 1432-4 et D. 3221-1 du code des transports :

- sur l'exécution du contrat de 2008 :

*d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que les demandes formées par la SAS Kaplan sur le fondement du Contrat du 28 août 2008 ne sont pas prescrites ;

*de dire et juger par conséquent que les demandes en paiement formées par la SAS Kaplan au titre de l'exécution et de la résiliation du contrat de 2008 sont irrecevables car prescrites ;

*confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté au fond la SAS Kaplan de ses demandes formées au titre de l'exécution et/ou de la résiliation du contrat de 2008, lesquelles sont dénuées de fondement puisque le contrat de 2008 couvrait dès l'origine les livraisons traditionnelles ;

*débouter en conséquence la SAS Kaplan de toutes ses demandes formées à l'encontre de la SAS Sofigep au titre de l'exécution du Contrat 2008 ;

- sur les relations commerciales établies, de :

*confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Kaplan de ses demandes fondées sur un prétendue rupture de relations commerciales établies faute de rupture brutale ;

*débouter en conséquence la SAS Kaplan de toutes ses demandes à ce titre

- sur la demande de production de pièces, de faire injonction à la SAS Kaplan de produire une extraction détaillée de sa comptabilité, sous format Excel, révélant le chiffre d'affaires réalisé avec les différents magasins sous enseigne Franprix de 2007 à 2018 ;

- en tout état de cause, de :

*confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS Kaplan au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens ;

*et y ajoutant, condamner la SAS Kaplan à verser à la SAS Sofigep la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la Selarl Bdl Avocats en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 septembre 2022. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur l'exécution du contrat de 2008 et sa rupture.

a)Sur la recevabilité des demandes.

Moyens des parties.

Au soutien de sa fin de non-recevoir, la SAS Sofigep expose que, la qualification retenue par les parties ne liant pas le juge, le contrat de 2008 est présumé être un contrat de transport en ce qu'il avait pour objet le déplacement de marchandises des magasins à l'enseigne Franprix au domicile de leurs clients sous la responsabilité de la SAS Kaplan, la facturation étant forfaitaire, au tonnage ou au voyage. Elle ajoute que cette dernière, à qui incombe la preuve de la qualification de contrat de location de véhicule avec chauffeur, ne combat pas cette présomption, le fait que les opérations de transport restent à sa charge et que les véhicules soient à disposition exclusive du locataire étant sur ce point inexact et insuffisant. Elle en déduit la prescription de l'action par application de l'article L 133-6 du code des transports. A défaut, elle explique que, l'article L. 3223-1 du code des transports prévoyant l'application de plein droit des clauses de contrats types et le décret n° 2014-644 du 19 juin 2014 définissant un contrat type stipulant en son article 19 une prescription annale, cette dernière est acquise sur ce fondement également. Subsidiairement, elle oppose l'article 31 des conditions générales du contrat de 2009 qui prévoit une prescription d'un an et qui est valable au sens de l'article 2254 du code civil, la demande ne portant pas sur des créances payables par année mais sur des indemnités.

En réponse, la SAS Kaplan expose que le contrat de 2008 est un contrat de location de véhicule avec chauffeur et non un contrat de transport, la présomption découlant de la réalisation d'un déplacement de marchandises étant renversée par les missions qui lui étaient effectivement confiées (mise à disposition exclusive de véhicules avec leur personnel de conduite, opérations de transport à la charge de la SAS Sofigep). Elle ajoute que les clauses du contrat type défini par le décret n° 2014-644 du 19 juin 2014 ne s'appliquent, conformément à l'article L. 3223-1 du code des transports, qu'en l'absence de convention écrite et que l'article 2254 du code civil exclut l'abrègement conventionnel de la prescription, l'action portant sur des créances périodiques déterminées annuellement.

Réponse de la cour,

En vertu des articles 31 et 32 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir étant irrecevable.

Et, conformément à l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

- Sur la qualification du contrat.

Au sens des dispositions des articles 1156 et suivants (devenus 1188 et suivants) du code civil, qui constituent non des normes juridiques s'imposant à elle, mais un guide d'interprétation des conventions à l'usage des parties et du juge, le tribunal interprète les stipulations manquant de clarté en recherchant la commune intention des parties contractantes sans s'arrêter au sens littéral des termes et en donnant à celles-ci le sens qui leur permet de produire un effet plutôt que celui qui les annihile en considération de la matière et de l'économie générale du contrat dont les clauses sont interdépendantes. L'intention des parties au jour de la conclusion peut être éclairée par leur comportement contemporain de la formation du contrat et adopté durant son exécution.

Il ressort des dispositions combinées des articles L. 133-1 et suivants du code de commerce et L. 1432-2 du code des transports que le contrat de transport de marchandises s'entend de la convention par laquelle, moyennant rétribution, un opérateur professionnel, le transporteur (dénommé "voiturier" en transport terrestre), se charge, selon un mode de transport et un itinéraire qu'il détermine, de déplacer d'un lieu à un autre une certaine quantité de marchandises appartenant à autrui. Déclinaison du contrat d'entreprise dotée d'un régime propre, il implique la réalisation par le transporteur de sa prestation personnellement et en toute indépendance, son régime de responsabilité découlant de sa maîtrise technique et commerciale de l'opération de transport (exécution matérielle, organisation et direction).

Conformément aux articles L. 3223-1 et D. 3223-1 du code des transports ainsi qu'à l'annexe VIII visée par ce dernier ne modifiant pas sur ce point les annexes des décrets n° 2002-566 du 17 avril 2002 et n° 2014-644 du 19 juin 2014 en vigueur à l'époque des faits, le contrat de location de véhicule avec conducteur est celui par lequel une personne, le loueur, met contre rémunération à la disposition exclusive d'une autre, le locataire, un véhicule avec son personnel de conduite pour assurer un transport de marchandises en fournissant les moyens et services nécessaires à son utilisation. Le loueur, qui fournit les moyens du transport, ne s'engage pas à effectuer le déplacement de marchandises qu'il ne prend pas en charge et n'a ainsi pas la qualité de transporteur.

Le critère essentiel de distinction est ainsi, la qualification des parties ne liant pas le juge et le déplacement de marchandises étant commun, la maîtrise de celui-ci par le transporteur déterminée en considération de l'objet du contrat, de son économie générale et des prestations effectivement fournies. Les articles 5 et 6 du contrat type de location d'un véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandises sont à ce titre éclairants en ce qu'ils distinguent les opérations de conduite à la charge du loueur (conduite proprement dite, protection contre le vol et préparation technique du véhicule, manipulation et surveillance de ses équipements spéciaux, vérification avant le départ du bon positionnement de la marchandise chargée) et les opérations de transport assumées par le locataire (définies par opposition comme toute opération qui n'est pas de conduite telle la fixation des points de chargement et de déchargement, des délais de livraison et des itinéraires ainsi que la prise en charge du chargement et de l'arrimage de la marchandise). Le pouvoir de décision et de direction sur l'opération de transport est décisif.

Le transport public étant le mode d'exploitation normal d'un véhicule pour le transport de marchandises à titre onéreux, les parties admettent l'existence en droit positif d'une présomption simple de transport public, la preuve contraire incombant à celui qui revendique la qualité de loueur, soit la SAS Kaplan (en ce sens, Com., 28 mai 1991, n° 89-16.656 et Com., 15 juin 2011, n° 10-16.927).

Cette dernière exerçant une activité principale de transport public de marchandises, de location de véhicules industriels pour le transport de marchandises avec ou sans conducteur et de commissionnaire de transport (sa pièce 1, extrait Kbis), celle-ci n'est pas un critère utile de qualification, peu important que seule son activité de transport routier de marchandises soit visée en préambule du contrat, ces termes étant également employés pour la définition de la location de véhicules avec conducteur par l'article D. 3223-1 du code des transports et par les décrets définissant la teneur des contrats types, qui mentionnent également celui de "livraison".

Par acte du 28 août 2008, la SAS Kaplan et la SAS Sofigep ont conclu, à compter du 1er juin 2007 pour une durée de trois ans tacitement renouvelable par tranches annuelles, un "contrat de location de véhicules avec chauffeur" ayant pour objet la livraison à domicile de produits achetés par les clients des magasins à l'enseigne Franprix et stipulant un nombre de livraisons minimales. Le contrat était successivement renouvelé par avenants des 9 et 10 juillet 2012 et 13 mai 2013.

Alors que le champ lexical du contrat renvoie, comme l'intégralité de ses conditions générales qui confient en leur article 3 au locataire la pleine maîtrise des opérations de transport, à la qualification de contrat de location de véhicule avec conducteur, ses conditions particulières livrent les indices concordants suivants qui confortent cette dernière:

- les dix véhicules loués par la SAS Kaplan sont mis à la disposition exclusive des magasins représentés par la SAS Sofigep selon des horaires qu'elle a déterminés, les produits étant préalablement conditionnés pour le transport par ces derniers (article 4). Si les conducteurs vérifient avant le départ le chargement de la marchandise, son calage et son arrimage (article 7) et "participent" aux opérations de chargement du véhicule (article 5), celles-ci n'en sont pas moins effectuées sous le contrôle du seul locataire et des magasins dont il assure la logistique : tant l'idée d'une simple participation du conducteur que la nécessité d'obtenir l'accord préalable du loueur induisent l'absence de transfert de la responsabilité des opérations de chargement. De fait, l'article 7 ne prévoit l'irresponsabilité du locataire que dans l'hypothèse d'une surcharge qui caractériserait une inexécution de son obligation de vérification du chargement avant départ par le loueur ;

- la SAS Sofigep fixe les heures et les modalités de livraison aux clients, déterminées en fonction de leurs commandes, ainsi que les points de chargement et de déchargement des marchandises dont elle définit la nature et la quantité, sous réserve du contrôle de sécurité effectué par le conducteur avant le départ (articles 4 et 7 ne dérogeant pas à l'article 3 des conditions générales stipulant que la SAS Sofigep conserve la charge des marchandises transportées) ;

- la possibilité pour le locataire de peindre les véhicules loués à ses couleurs ou d'y apposer ses publicités (article 13).

Les seuls éléments en faveur de la qualification de contrat de transport résident dans :

- la libre détermination par les conducteurs de l'itinéraire (article 5 dérogeant à l'article 3 des conditions générales), le loueur conservant à sa charge les frais afférents à la circulation et au stationnement des véhicules loués (article 12) ;

- l'inscription de la SAS Kaplan au registre électronique national des entreprises de transport par route (pièce 19 de la SAS Sofigep). Cet argument a néanmoins peu de portée car il ne peut suffire à combattre le moyen tiré de la nature réelle des prestations fournies et car les registres des loueurs et des transporteurs avaient fusionné à la date d'extraction de la liste produite (articles R. 3211-1 et R. 3211-7 du code des transports) ;

- la rémunération forfaitaire fonction du nombre de livraisons (article 6), en ce qu'elle est indépendante de la distance parcourue. Toutefois, les livraisons étant toutes opérées dans un rayon maximal de 5 kilomètres des magasins (article 4), constat qui prive d'intérêt concret la détermination de la rémunération en fonction du kilométrage accompli, ce critère perd en pertinence.

Le fait que les factures produites mentionnent uniquement le transport routier de marchandises, dans sa citation de l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa version applicable, n'est en revanche pas pertinent puisque ce texte concerne également la location de véhicules avec ou sans conducteur.

Appréciés globalement, ces éléments révèlent, confirmant ainsi la lettre du contrat et la dénomination choisie par les parties, que la SAS Sofigep, qui n'avait pas la main sur les itinéraires dont la détermination était toutefois secondaire au regard du périmètre réduit des livraisons, avait la pleine maîtrise des horaires appliqués aux conducteurs et des modalités et des heures de livraison dont elle assurait seule, à travers les magasins qu'elle représentait, le chargement avec la simple participation des chauffeurs. Hors hypothèse d'une surcharge dont la prévention incombait à ces derniers dans le cadre des opérations de vérification avant chargement (opération de conduite au sens du contrat type), elle conservait la responsabilité de la marchandise transportée. Elle avait ainsi le pouvoir de décision et de direction sur l'opération de transport.

En conséquence, le contrat conclu était un contrat de location de véhicule industriel avec conducteur et non un contrat de transport routier de marchandises.

-Sur la prescription abrégée.

Au regard de la qualification du contrat, la prescription de l'article L. 133-6 du code de commerce n'est pas applicable. Et, l'article L. 3223-1 du code des transports ne prévoyant l'application de plein droit des clauses de contrats types établis par voie réglementaire qu'en l'absence de convention écrite, condition qui fait ici défaut, la prescription de l'article 19 du décret n° 2014-644 du 19 juin 2014 ne régit pas non plus le litige.

Demeure la question de l'application de la prescription conventionnelle.

Aux termes de l'article 31 des conditions générales, les actions fondées sur le contrat de location sont prescrites dans le délai d'un an à compter de l'évènement qui leur a donné naissance.

Mais, aux termes de l'article 2254 du code civil, la durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties. Elle ne peut toutefois être réduite à moins d'un an ni étendue à plus de dix ans. Les parties peuvent également, d'un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d'interruption de la prescription prévues par la loi. Néanmoins, ces dispositions ne sont pas applicables aux actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, aux actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts.

La SAS Kaplan sollicite, au titre des manquements de la SAS Sofigep dans l'exécution du contrat du 28 août 2008, sa condamnation à lui payer le montant des minima garantis pour la période antérieure à la résiliation (1er janvier au 20 octobre 2013) puis pour la durée du préavis inexécuté qui aurait dû selon elle courir du 21 octobre 2013 au 20 avril 2014. Elle agit au visa des articles 1134, 1184 alinéa 2 et 1353 du code civil dans leur rédaction applicable au litige et sollicite ainsi non l'indemnisation de préjudices mais une exécution forcée en nature du contrat. Elle demande par ailleurs le paiement d'une indemnité contractuelle de résiliation anticipée sur le même fondement.

Quoique traitées de manière uniforme, ces prétentions ont, à raison de leur objet et de leur fonction, des natures distinctes :

- le paiement des minima garantis dus pour la période antérieure à la résiliation est effectivement une demande d'exécution forcée en nature du contrat. Il porte sur des sommes conventionnellement prévues qui sont devenues exigibles, à les supposer fondées en leur principe et en leur mesure, pendant la durée d'exécution du contrat ;

- le règlement du montant des minima garantis pendant la période de préavis non respecté a en revanche une nature indemnitaire puisque le contrat, rompu selon le raisonnement de la SAS Kaplan, n'a par hypothèse pas été exécuté. Sa demande ne tend pas à l'exécution forcée du préavis, qui n'est plus possible au sens de l'article 1184 du code civil, mais à compenser les effets de sa privation sur la SAS Kaplan, empêchée de percevoir pendant sa durée les minima garantis au sens de l'article 1150 (ancien) du code civil ;

- le versement de l'indemnité de résiliation est également, ainsi que sa qualification l'indique, purement indemnitaire : elle ne correspond pas à une contrepartie contractuelle mais, conformément à l'article 14 du contrat opposé, à la réparation du préjudice causé par l'anticipation sur le terme stipulé.

Au regard de cette distinction, il est certain que les deux créances indemnitaires ne sont pas visées par la restriction posée par l'article 2254 du code civil in fine, peu important leurs modalités de calcul et leur assiette qui n'affectent ni leur nature ni leur objet et n'en font pas des créances payables par année. L'action les concernant, introduite plus de quatre ans après le fait générateur que constitue la rupture alléguée du contrat, est prescrite.

En revanche, les minima garantis étant, en application de l'article 6 du contrat, calculés et payés annuellement, le paiement des sommes dues au titre de l'exécution du contrat jusqu'à la résiliation prétendue porte sur une créance payable annuellement, peu important que la facture de régularisation produite pour en justifier vise une période plus courte. Soumise à la prescription quinquennale de droit commun définie à l'article L. 110-4 du code de commerce, l'action, introduite le 10 octobre 2018 pour un fait générateur résidant dans la notification de la rupture anticipée du 18 octobre 2013, n'est pas prescrite.

En conséquence, le jugement du tribunal de commerce sera :

- confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription au titre du paiement des minima garantis pour la période du 1er janvier au 20 octobre 2013 ;

- infirmé en ce qu'il l'a rejetée pour la demande en paiement des minima garantis durant la période de préavis non-exécuté et pour l'indemnité contractuelle de résiliation.

Statuant à nouveau, la Cour déclarera irrecevables ces deux dernières demandes.

b) Sur le bienfondé des demandes.

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS Kaplan expose que le contrat du 28 août 2008 à effet au 1er juin 2007 ne concernait que la livraison Coursengo par une flotte dédiée, les livraisons traditionnelles faisant l'objet de relations commerciales informelles, interprétation confirmée par le projet de protocole d'accord transactionnel de décembre 2014. Elle précise que 42 000 livraisons étaient garanties sur la période du 1er janvier au 20 octobre 2013 (soit 42 semaines) et que la SAS Sofigep n'en a commandé que 6 766, les livraisons de laissé-caisse ne devant pas être prises en compte. Elle estime le prix unitaire de 17,25 euros HT applicable, la révision du prix remontant aux facturations de 2012 qui n'ont jamais été contestées. Elle ajoute que, conformément à l'article 1353 du code civil, il incombe à la SAS Sofigep de démontrer qu'elle s'est libérée de son obligation de commandes minimales et s'oppose sur ce fondement à la demande de production forcée. Elle expose par ailleurs que le minimum garanti est également dû pendant la période de préavis inexécuté du 21 octobre 2013 au 20 avril 2014 en application de l'article 14 du contrat de 2008, la demande à ce titre étant distincte de celle portant sur l'indemnité contractuelle de résiliation qui ne s'analyse pas en une clause pénale.

En réponse, la SAS Sofigep expose que le contrat de 2008 couvrait les livraisons Coursengo et traditionnelles, le projet de protocole confidentiel n'étant pas exploitable à raison de sa confidentialité. Elle ajoute que la SAS Kaplan ne justifie pas du nombre de livraisons en débat qui ne se réduit quoi qu'il en soit pas aux seules livraisons Coursengo, le minimum garanti ayant ainsi été excédé. Elle précise que les livraisons traditionnelles se sont poursuivies pendant la période de préavis et que l'article 14 stipulant l'indemnité de résiliation a été supprimé dans l'avenant du 13 mai 2013, la SAS Kaplan ne justifiant de surcroît d'aucun préjudice, constat qui fonde la réduction du quantum stipulé puisque cet article s'analyse en une clause pénale.

Réponse de la cour,

Aux termes du préambule du contrat du 28 août 2008, la SAS Sofigep "a décidé de confier à la société KAPLAN ['] le service de livraison des achats devant être acheminés de certains des magasins au domicile des clients". L'acte n'opère aucune distinction entre les livraisons Coursengo et les "laissé-caisse" et couvre ainsi les unes comme les autres. Il est clair et ne mérite aucune interprétation (ubi lex non distinguit).

Surabondamment, en admettant que cette absence de distinction soit la marque d'une imprécision supposant une corroboration par des éléments extrinsèques, ceux opposés par la SAS Kaplan sont tardifs, équivoques ou sans pertinence et sont contredits par les actes d'exécution plus proches dans le temps de la formation du contrat, et de ce fait plus apte à en éclairer les conditions.

En effet, la concomitance entre la création du service Coursengo et la conclusion du contrat (ses pièces 22, non contestée en sa teneur, et 23) est un argument de contexte de peu de poids puisque les deux types de commandes ont toujours été traités en parallèle et que le contrat, dont personne ne prétend qu'il fût d'adhésion, n'y fait pas référence, y compris dans son préambule. Au contraire, alors que la relation d'affaires a immédiatement porté sur les livraisons Coursengo et traditionnelles, la rédaction d'un acte unique induit leur intégration globale dans le périmètre contractuel.

Et, si l' "accord transactionnel" de 2014 rédigé par la SAS Sofigep (sa pièce 17) peut, malgré sa confidentialité, être produit en justice par la SAS Kaplan pour les besoins de la défense de ses droits, il n'est qu'un projet, par hypothèse non finalisé et non accepté par les parties. Ses stipulations, qui étaient susceptibles d'évolution et étaient destinées à justifier les concessions réciproques visées en son article 1, ne sont pas pertinentes pour éclairer la volonté commune des parties en 2008, un instrumentum provisoire ne pouvant par ailleurs être le siège d'un aveu extrajudiciaire au sens de l'article 1354 (devenu 1383) du code civil ou participer de la constitution d'une présomption de fait au sens de l'article 1382 (anciennement 1353) du même code.

Les seuls éléments potentiellement pertinents à raison de leur contenu évoqués par la SAS Kaplan résident dans le courrier d'"arrêts des relations commerciales" du 18 octobre 2013 (sa pièce 6) et dans la correspondance qu'il a suscitée. Le premier est effectivement contraire à la lettre du contrat dont il circonscrivait l'objet au "service de livraison des achats ['] des clients ayant passés (sic) commande sur le site e-commerce "coursengo" ", site dont la fermeture emportait la cessation de la "relation commerciale" et la fin du contrat au 20 octobre 2013. La seconde révèle que la SAS Sofigep a confirmé cette restriction en février puis en avril 2018 (pièces 9 et 11 de la SAS Kaplan). Mais, outre le fait que, adressées à distance de la conclusion du contrat par le gérant qui n'en était pas signataire, ces lettres, qui n'ont pas fait obstacle à la poursuite effective des relations commerciales, peuvent difficilement éclairer l'intention des parties au jour de sa formation, les réponses et le comportement de la SAS Kaplan traduisent un désaccord profond des parties sur la portée de cet arrêt "et rendent équivoques leurs affirmations appréciées globalement. Ainsi, dès le 31 octobre 2013 (sa pièce 16), elle soutenait que le contrat de 2008 portait" notamment "sur les livraisons Coursengo et demandait" d'intégrer des livraisons de remplacement" pour compenser la cessation de cette activité, l'idée même d'une intégration présupposant l'unité de la relation commerciale dont le contrat était le seul support. Plus tard, dans sa facture du 31 janvier 2018, à rebours de la logique qui présidait à l'établissement de sa facture de régularisation du 28 janvier 2014 (sa pièce 7), elle faisait application des minima garantis stipulés au contrat pour l'année 2017, soit pour des livraisons traditionnelles (sa pièce 8). Elle prétendait enfin le 2 mars 2018 que la résiliation ne concernait que l'activité Coursengo et que "l'activité principale n'était absolument pas concernée" (sa pièce 10). A cette divergence, qui exclut la pertinence de ces échanges tardifs pour éclairer la commune intention des parties au jour de la formation du contrat, s'ajoute la versatilité des positions exprimées, les parties les ayant, sans raison connue, inversées dès l'introduction de l'instance.

Au contraire, tous les éléments moins éloignés de la conclusion de l'acte du 28 août 2008 relatifs à son exécution confirment sa lettre et établissent l'intégration dans son périmètre de toutes les livraisons sans distinction, constat logique puisque les modalités d'achat adoptées par les clients n'ont aucune incidence sur les prestations matérielles accomplies par la SAS Kaplan :

- les différentes factures produites (pièces 21.1 à 21.4 de l'appelante) révèlent que les livraisons, quoique distinguées formellement, faisaient l'objet d'une facturation commune indépendamment de leur objet, les livraisons traditionnelles et Coursengo ainsi que les retraits en magasin figurant fréquemment sur les mêmes factures, même hors mois de janvier au cours duquel était calculé le nombre total de livraisons nécessaire au contrôle du respect du minimum annuel garanti (article 6 du contrat). Le seul élément les différenciant plus notablement est l'écart entre leurs prix unitaires jusqu'en octobre 2011, leurs montants étant ensuite alignés à hauteur de 17,25 euros (pièce 21.1, facture n° 2011100082). Or, le seul prix correspondant aux stipulations contractuelles est celui des courses traditionnelles, initialement fixé à 15 euros conformément à l'article 6, jusqu'en septembre 2011 inclus tandis que celui des livraisons Coursengo était dès l'origine supérieur (16 ou 18 euros). De ce fait, les livraisons présentant un lien certain avec le contrat sont les "laissé-caisse" et non les Coursengo ;

- les courriers de prolongation du contrat des 9 et 10 juillet 2012, émanant du signataire de l'acte de 2008 et du responsable des livraisons à domicile, et l'avenant du 16 mai 2013, conclu avec ce dernier, n'opèrent aucune distinction selon les modalités de commande des clients et évoquent indifféremment le contrat, les accords ou les relations commerciales (pièces 4 et 5 de la SAS Kaplan).

Aussi, même en admettant le recours à des éléments extrinsèques postérieurs à la conclusion du contrat, ceux-ci ne sont pas suffisants, en eux-mêmes comme pris en combinaison, pour fonder une distinction que sa lettre et ses actes d'exécution n'opèrent pas : la relation contractuelle intégrait toutes les livraisons, quelles que soient les modalités d'achat adoptées par les clients. L' "arrêt des relations commerciales "n'ayant pas fait obstacle à leur poursuite pour les livraisons traditionnelles, le courrier du 18 octobre 2013 ne pouvait notifier que la fin des livraisons Coursengo et non la résiliation de la convention, ce qui explique qu'il ne prévoit aucun préavis à la différence de la lettre du 24 mai 2018 (pièce 3 de la SAS Sofigep).

Cette analyse a deux conséquences.

D'une part, toutes les livraisons doivent être prises en considération pour apprécier le respect des minima garantis, fixés par le contrat à 52 000 livraisons par an et réduit à 42 000 sur la période pertinente. Le chiffre d'affaires correspondant à la somme des prestations fournies, l'attestation du commissaire aux comptes de la SAS Kaplan (sa pièce 19) permet, en divisant le chiffre d'affaires de l'année 2013 avec les magasins Franprix par le prix unitaire de 17,25 euros pratiqué, de déterminer le nombre de livraisons qui excède 155 000 sur la période de référence telle qu'elle est stipulée à l'article 6 du contrat. Et, bien qu'elle conteste ce calcul, la SAS Kaplan reconnaît dans ses écritures au sens de l'article 1356 du code civil un "volume d'activité [d']environ 120 000 livraisons par an". Aussi, le seuil de commandes ayant été largement dépassé, la demande de la SAS Kaplan est infondée et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef sans qu'il soit nécessaire d'examiner la demande de production forcée présentée par la SAS Sofigep.

D'autre part, et surabondamment au regard de la fin de non-recevoir prononcée, le contrat, régulièrement poursuivi, n'a pas été résilié. Aussi, aucun préavis n'était contractuellement dû à la SAS Kaplan et le respect du minimum garanti doit être apprécié en tenant compte de l'intégralité des livraisons. A nouveau, au regard de l'attestation du commissaire aux comptes de la SAS Kaplan et de son aveu, le seuil contractuel a été atteint sur la période de référence. Et, faute de rupture, l'article 14 du contrat, qui a de surcroît était supprimé pour quatre ans par l'avenant du 16 mai 2013 (sa pièce 5), n'est pas applicable.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la SAS Kaplan au titre du paiement des minima garantis pour la période du 1er janvier au 20 octobre 2013.

2°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies.

Moyens des parties,

Au soutien de ses prétentions, la SAS Kaplan expose que l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce s'applique au contrat de 2008 peu important la stipulation d'un préavis par ailleurs inexécuté. Elle précise que les relations commerciales, stables peu important l'éventuelle variation du parc de magasins, ont été poursuivies avec la SAS Sofigep en sa qualité de donneur d'ordres en charge de la logistique commerciale des magasins à l'enseigne Franprix. Elle ajoute que la chute imprévisible et inexpliquée des commandes à compter de 2017 caractérise une rupture brutale partielle aggravée en 2018.

En réponse, la SAS Sofigep expose que l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce n'est pas applicable, la relation qui s'est poursuivie entre les magasins Franprix et la SAS Kaplan étant régie de plein droit par le contrat type de transport ou de location de véhicule avec chauffeur, tous deux stipulant un préavis de trois mois. Elle conteste par ailleurs l'existence d'une relation établie en 2017 et 2018, la SAS Kaplan ne justifiant d'aucune espérance légitime et raisonnable de poursuite des relations et la réduction du courant d'affaires étant causée par des dysfonctionnements qui lui sont imputables, ainsi que la brutalité alléguée, la baisse des commandes n'excédant pas 6 % en 2017 et s'expliquant, comme celle de 2018, par l'évolution naturelle du parc des magasins et les défaillances de la SAS Kaplan. Elle soutient enfin que la SAS Kaplan ne démontre ni le principe ni la mesure de son préjudice, la production forcée d'une "extraction détaillée de sa comptabilité, sous format Excel, révélant le chiffre d'affaires réalisé avec les différents magasins sous enseigne Franprix (en faisant apparaître le détail du chiffre d'affaires des Livraisons Traditionnelles et Livraisons Coursengo) de 2007 à 2018" étant sollicitée sur ce point.

Réponse de la cour,

En application de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L. 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque "la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale"). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

Par ailleurs, L. 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Ce dernier, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu'une modification contractuelle négociable et non imposée n'est pas la marque d'une rupture partielle brutale).

- Sur l'application de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce.

Il est désormais acquis que les relations commerciales se sont poursuivies en exécution du contrat de 2008, qualifié de contrat de location de véhicule avec conducteur et non de contrat de transport. Aussi, les moyens tirés de l'absence de lien commercial ou contractuel avec la SAS Sofigep et de l'application des articles L. 1432-4 et D 3222-1 du code des transports sont inopérants. Et, les parties étant liées par une convention écrite, les stipulations du contrat type de location de véhicule industriel avec chauffeur ne régissent pas leurs relations conformément à l'article L. 3223-1 de ce code.

En conséquence, l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce est applicable.

- Sur l'existence de relations commerciales établies.

Les relations commerciales noués entre les parties ont débuté le 1er juin 2007 (article 3 du contrat) et ont généré un flux d'affaires continu et significatif jusqu'à la rupture partielle alléguée de 2017 (pièce 19 de la SAS Kaplan qui mentionne un chiffre d'affaires compris entre 2 264 170,78 euros et 2 681 579,45 euros entre 2013 et 2016 inclus pour un montant moyen annuel de livraisons supérieur aux 120 000 livraisons qu'elle revendique). Et, s'il est exact que le contrat était à durée déterminée et conclu pour une durée initiale de trois ans (article 3), il a été régulièrement renouvelé, en dernier lieu pour une durée "ferme" de quatre ans le 13 mai 2013 (pièces 4 et 5 de la SAS Kaplan). Aussi, malgré la variation du parc des magasins concernés, cette relation commerciale était stable, suivie et habituelle, la SAS Kaplan pouvant légitimement espérer un maintien du flux d'affaires, au moins jusqu'au terme reporté au 31 décembre 2018.

A cet égard, non seulement la SAS Sofigep, qui adopte de surcroît une argumentation contraire à celle développée pour les besoins de l'interprétation du contrat, ne peut se prévaloir du protocole transactionnel puisqu'il n'était qu'un projet non signé, mais la perspective de la survenance du terme n'est pas de nature à affecter les prévisions raisonnables de la SAS Kaplan qui n'invoque pas une rupture totale des relations le 31 décembre 2018, et ne dénonce ainsi pas l'insuffisance du préavis, mais une rupture partielle en 2017 et 2018, qui elle n'a été précédée d'aucun préavis (pages 32 et suivantes de ses écritures).

- Sur la caractérisation d'une rupture brutale partielle.

La SAS Kaplan ne produit aucun élément sur la structure du marché et sur la part du flux d'affaires avec la SAS Sofigep dans la réalisation de son chiffre d'affaires global. Elle n'invoque aucun état de dépendance économique. L'unique élément soutenant la thèse d'une rupture partielle réside dans la baisse du chiffre d'affaires sur les années 2017 et 2018.

Cette dernière, réelle, n'est cependant pas de 20 % mais de 12,22 % en 2017 au regard de la moyenne du chiffre d'affaires pour les années 2013 à 2016 incluses qui s'établit à 2 412 836,95 euros (pièce 19 de la SAS Kaplan). Et, le flux d'affaires était sujet à variations, le chiffre d'affaires ayant ainsi été réduit de 15,57 % entre 2013 et 2014/2015. Aussi, cette seule baisse, qui s'inscrit dans ma mesure des fluctuations antérieures, n'est ni brutale ni constitutive d'une rupture partielle.

La réduction constatée en 2018, de l'ordre de 49 % par rapport à la moyenne du chiffre d'affaires sur la période 2013 à 2016, est pour sa part significative, quoique les minima garantis soient respectés. Néanmoins, la SAS Kaplan reconnaissait dans son courrier du 29 décembre 2017 (sa pièce 20) la réalité d'une part des dysfonctionnements persistants qui lui étaient reprochés dans la mise en demeure du 29 décembre 2017 (pièce 2 de la SAS Sofigep : retards ou défauts de livraisons, interversions de colis, attitude inappropriée du livreur, absence de réponse aux appels des magasins Franprix confrontés à ces difficultés). Si elle annonçait un plan d'action pour y remédier, tout en concédant une réorganisation interne liée au changement de contrôle du groupe impliquant des "tests", et partant de potentiels échecs, ces inexécutions contractuelles expliquent pour partie la réduction du courant d'affaires. Surtout, la SAS Sofigep précise sans être contredite sur ce point, que, durant l'année 2018, 69 magasins Franprix ont été transférés à des franchises tandis que 10 étaient fermés. Cette modification du parc, dont il n'est pas prétendu qu'il ait connu par le passé pareille évolution, fonde objectivement la baisse des commandes par des éléments exogènes exclusifs d'une volonté de rompre de la SAS Sofigep.

Enfin, même en suivant le raisonnement de la SAS Kaplan, l'indemnisation qu'elle sollicite, assise sur la perte de sa marge en 2017 et 2018 par rapport à la moyenne des chiffres d'affaires des trois années précédentes, tend à réparer non le préjudice né de la brutalité de la rupture, qui réside dans la perte de la marge sur coûts variables dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé, mais celui résultant de la seule variation du chiffre d'affaires, la moyenne des trois dernières années étant ainsi érigée en garantie contractuelle. Elle ne propose d'ailleurs aucune évaluation de la durée du préavis dont elle aurait été privée. Aussi, le préjudice allégué, inexistant sous cette présentation, est sans lien avec la faute imputée à la SAS Sofigep.

En conséquence, les demandes de la SAS Kaplan sont infondées et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef, la demande de production forcée de pièces présentée par la SAS Sofigep étant de ce fait privée d'objet.

3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens.

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Succombant en son appel, la SAS Kaplan, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel, qui seront recouvrés directement par la Selarl BDL Avocats conformément à l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la SAS Sofigep la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par la SAS Société Financière de Gestion et de Participation au titre de la demande en paiement des minima garantis durant la période de préavis non-exécuté et de l'indemnité contractuelle de résiliation ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Déclare irrecevables comme prescrites les demandes de la SAS Kaplan au titre du paiement des minima garantis durant la période de préavis non-exécuté et de l'indemnité contractuelle de résiliation ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SAS Kaplan au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SAS Kaplan à payer à la SAS Société Financière de Gestion et de Participation la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Kaplan à supporter les entiers dépens d'appel qui seront recouvrés directement par la Selarl BDL Avocats conformément à l'article 699 du code de procédure civile.