CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 21 mars 2023, n° 22/03697
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance (SA), SCP BTSG
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Texier, Mme Dubois-Stevant
Avocats :
Me Guizard, Me Badier-Charpentier, Me Leopold Couturier, Me Dean, Me Dalat
FAITS ET PROCÉDURE :
Par jugement du 19 juin 2014, le tribunal de grande instance de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. [S] [R], exerçant la profession d'avocat et a désigné la SCP BTSG, en la personne de Maître [X] en qualité de mandataire judiciaire.
Le 22 juillet 2014, la BNP Paribas Personal Finance (la BNP) a déclaré au passif de la procédure collective à titre privilégié et échu une créance de 2.775,51 euros représentant les sommes impayées antérieurement au jugement d'ouverture et 'à titre indicatif en cas de conversion ultérieure en liquidation judiciaire', une créance de 1.306.101,81 euros au titre du capital exigible, montant auquel s'ajoutent les intérêts et accessoires échus ou à échoir de la date du jugement de redressement judiciaire au jour du paiement effectif, le taux des intérêts de retard étant de 5%.
Le18 mars 2015, la SCP BTSG a informé la BNP que sa créance était contestée en totalité au motif que l'encours n'était que de 1,2 millions d'euros et avait été réduit à 1,1 millions d'euros lors de la restructuration du prêt par mobilisation partielle d'un contrat d'assurance-vie.
Par courrier en réponse du 29 avril 2015, la banque a répondu qu'elle maintenait sa créance, en produisant les éléments relatifs à la restructuration du prêt.
Par ordonnance du 16 février 2016 (rectifiée le 3 mai 2016 à la suite d'une erreur matérielle sur le nom du débiteur), le juge-commissaire a admis la créance déclarée par la BNP au passif de M.[R] à hauteur de 2.775,51 euros à titre échu et à hauteur de 1.303.326,20 euros à échoir, outre intérêts au taux contractuel de 5%, à titre hypothécaire.
Le10 mars 2016, le tribunal a adopté le plan de redressement de M.[R] prévoyant un apurement du passif estimé à 476.248 euros sur trois ans et la vente d'un actif immobilier détenu en SCI et désigné la SCP BTSG en qualité de commissaire à l'exécution du plan. Par jugement du 7 février 2019, la durée du plan a été allongé de 3 à 9 années :
- année 3 : règlement forfaitaire de 100.000 euros,
- années 4 à 9 : paiement du solde définitivement admis à 100% en 6 annuités constantes et égales.
Par déclarations des 1er mars 2016 et 23 mai 2016, M.[R] a interjeté appel des ordonnances des 16 février et 3 mai 2016 admettant la créance de la BNP.
Par acte en date du 6 octobre 2016, M.[R] a fait assigner la BNP devant le tribunal de grande instance de Paris pour contester le TEG stipulé dans l'acte de prêt du
9 juillet 2004.
Par arrêt du 7 février 2017, la présente cour a confirmé l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté le moyen pris de la violation de l'article L622-27 du code de commerce, l'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau, a dit M.[R] recevable en ses contestations, l'a invité à saisir le juge compétent dans le mois de la signification de l'arrêt à peine de forclusion, a sursis à statuer jusqu'à la décision à intervenir, ordonné la radiation de l'affaire et qu'elle pourra être rétablie sur justification de la levée de la cause de sursis, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et ordonné l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de procédure collective.
Statuant sur l'action engagée par M.[R] contre la BNP, le tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 30 janvier 2020, a déclaré recevable l'intervention de la SCP BTSG, mais irrecevables comme étant prescrites, les demandes de M. [R].
Par arrêt du 24 novembre 2020, la présente cour, saisie de l'appel de l'ordonnance du juge-commissaire, a ordonné le maintien du sursis à statuer jusqu'à ce que la cour d'appel (5-9) statue sur l'appel relevé à l'encontre du jugement du 30 janvier 2020, ordonné la radiation de l'affaire et dit que l'affaire pourra être rétablie à la diligence de l'une des parties sur production de l'arrêt à intervenir dans l'instance d'appel enregistrée sous le n° RG 20-4956.
Par arrêt du 25 novembre 2021, la cour d'appel de Paris (5-9) a pour l'essentiel confirmé le jugement du 30 janvier 2020 en toutes ses dispositions et a débouté M.[R] de l'ensemble de ses demandes.
Le 28 mars 2022, M.[R] a formé un pourvoi en cassation, contre l'arrêt du 25 novembre 2021, qui était pendant au jour des débats devant la cour.
La BNP a sollicité le rétablissement de l'affaire.
Par conclusions n°4 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 24 mai 2022, M.[R] demande à la cour de :
- prononcer l'irrecevabilité de la demande de remise au rôle présentée par la BNP compte tenu du pourvoi interjeté à l'encontre de l'arrêt du 25 novembre 2021 et de surseoir à statuer jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation et le cas échéant, de l'arrêt de la cour d'appel de renvoi en cas de cassation,
- subsidiairement, infirmer en toutes leurs dispositions les ordonnances rendues les 16 février 2016 et 3 mai 2016.
- statuant à nouveau, dire que la BNP ne justifie d'aucun intérêt à agir compte tenu du fait que sa créance n'a pas été intégrée au plan de redressement de M.[R] et qu'elle n'obéit pas aux règles de la procédure collective, en conséquence, déclarer sans objet la demande de fixation de créance et par voie de conséquence, rejeter en totalité, la créance d'un montant de 1.306.326,30 euros (dont 2.775,51 euros à titre échu) à titre hypothécaire, déclarée par la BNP à son passif, laquelle est devenue sans objet, la banque entendant poursuivre le recouvrement de sa créance hors procédure collective.
-en tout état de cause, vu les dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, juger irrecevable et malfondée la demande de paiement provisionnel de la BNP, rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de BNP et la condamner à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 20 mai 2022, la société BNP Paribas Personal Finance demande à la cour de :
- révoquer le sursis à statuer prononcé par arrêt du 7 février 2017, maintenu par arrêt du 24 novembre 2020, et procéder au rétablissement de l'affaire enrôlée initialement sous le n°16/05449, confirmer l'ordonnance du 16 février 2016 sauf à ce qu'il soit pris en compte le fait que sa créance est désormais exigible à l'égard de M.[R], fixer ainsi la créance de la BNP à la procédure collective de M. [R] à la somme de 1.228.236,86 euros à titre privilégié (hypothèque conventionnelle), montant de sa créance au 22 mars 2022 outre intérêts au taux de5,00% à compter du 23 mars 2022 jusqu'au paiement définitif, déclarer irrecevable ou à défaut mal fondé M.[R] en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions et l'en débouter le cas échéant intégralement, ordonner en tout état de cause, en dépit notamment d'un éventuel maintien du sursis à statuer, et par application de l'article L626-21 alinéa 3 du code de commerce, le versement immédiat en sa faveur de la somme de 818.824,56 euros, outre, annuellement, et jusqu'au 7 février 2024, la somme de 204.706,14 euros, à défaut, ordonner le paiement provisionnel de la somme de 1.228.236,86 euros selon les modalités de règlement qu'il plaira à la cour de fixer et condamner M.[R] à lui payer 5.000 euros en application de l'article du 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La SCP BTSG, ès qualités de mandataire judiciaire de M.[R], n'a pas reconclu suite au rétablissement de l'affaire.
M.[R] a par acte du 6 mai 2022 signifié à l'Ordre des avocats du barreau de Paris ses conclusions.
MOTIFS
- Sur la recevabilité de la demande de remise au rôle
M.[R] soulève l'irrecevabilité de la demande de remise au rôle présentée par la BNP le 28 janvier 2022, soutenant que la cause de sursis à statuer n'a pas disparu dès lors que l'arrêt du 25 novembre 2021 n'est pas définitif, un pourvoi ayant été formé.
L'arrêt du 24 novembre 2020 avait maintenu le sursis à statuer, qui avait été ordonné le 7 février 2017, jusqu'à ce que la cour d'appel (5-9) statue sur l'appel formé à l'encontre du jugement du 30 janvier 2020.
La cour d'appel de Paris (5-9) ayant par arrêt du 25 novembre 2021 statué sur l'appel relevé contre le jugement du 30 janvier 2020 en le confirmant, la cause de sursis prévue par l'arrêt du 24 novembre 2020 avait bien disparu à la date de la demande de rétablissement présentée le 28 janvier 2022 par la BNP. La circonstance que l'arrêt du 25 novembre 2021 est frappé de pourvoi étant à cet égard inopérante, l'arrêt du 24 novembre 2020 n'ayant pas sursis à statuer jusqu'à un arrêt d'appel irrévocable.
La BNP était en conséquence recevable à demander le rétablissement de l'affaire en application de l'article 383 du code de procédure civile, le sursis sollicité par M.[R] s'analysant en effet en une nouvelle demande de sursis à statuer et non de maintien du sursis déjà ordonné.
- Sur la demande de sursis à statuer
M.[R] expose que l'arrêt du 25 novembre 2021 frappé de pourvoi n'étant pas définitif, il doit être sursis à statuer jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation et le cas échéant jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel de renvoi en cas de cassation. Il soutient que la solution du pourvoi est susceptible d'avoir une incidence directe sur la fixation de la créance et que le moyen pris de l'absence d'effet suspensif du pourvoi n'est pas opérant dès lors qu'il ne s'agit pas d'exécuter la décision dont appel mais d'en tirer les conséquences dans le cadre d'une autre décision.
La BNP s'oppose au maintien du sursis à statuer ordonner il y a plus de 5 ans, arguant que la demande de M.[R] tend à conférer au pourvoi un effet suspensif d'exécution que la loi ne lui reconnait pas.
Le pourvoi de M.[R], pendant devant la Cour de cassation, tend à contester la régularité du TEG mentionné dans l'offre de prêt et à obtenir la déchéance de tout droit de la BNP aux intérêts sur l'ensemble des conventions de prêt et liminairement à contester la fin de non-recevoir tirée de la prescription que le jugement du 30 janvier 2020, puis l'arrêt du 25 novembre 2021 ont accueillie.
Compte tenu de ce pourvoi, l'arrêt rendu par la cour d'appel (5-9) le 25 novembre 2021 n'est pas irrévocable, quand bien même il résulte de l'article 579 du code de procédure civile que le pourvoi n'est pas suspensif d'exécution.
Le pourvoi en cours est bien susceptible, en cas de cassation, d'avoir une incidence sur la créance déclarée par la BNP au passif de M.[R].
Il convient donc d'ordonner un nouveau sursis à statuer jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation à intervenir et en cas de cassation avec renvoi jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel de renvoi.
- Sur la demande de confirmation de l'ordonnance du juge-commissaire formée par la BNP
La présente cour ayant par arrêt du 7 février 2017, devenu irrévocable, infirmé l'ordonnance du juge-commissaire du 16 février 2016 qui avait admis la créance de la BNP, la banque est irrecevable à demander à la cour, à la faveur du rétablissement de l'affaire, de confirmer l'ordonnance du 16 février 2016 ' sauf à ce qu'il soit pris en compte le fait que la créance de la BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE est désormais exigible à l'égard de M.[R]', le moyen pris de ce que la déchéance du terme serait contractuellement intervenue depuis n'étant nullement susceptible de permettre à la cour de modifier sa décision ayant renvoyé à la saisine du juge du fond.
- Sur la demande en paiement de la BNP au titre de l'article L626-21 du code de commerce
Nonobstant le maintien du sursis à statuer, la BNP demande que lui soit immédiatement versée en application de l'article L626-21 du code de commerce une somme de 818.824,56 euros, outre annuellement et jusqu'au 7 février 2024, la somme de 204.706,14 euros ou à défaut une provision de 1.228.236,86 euros selon les modalités de règlement qu'il plaira à la cour de fixer.
M.[R] soulève l'absence d'intérêt à agir de la BNP en ce que sa créance ne fait pas partie du plan de redressement modifié et en ce qu'elle ne peut prétendre voir à nouveau statuer pour fixer le montant désormais échu d'une créance précédemment admise à échoir. Il invoque également l'irrecevabilité de la demande de paiement provisionnel comme étant nouvelle en cause d'appel. Il souligne que par ordonnance du 30 mai 2021 le juge-commissaire s'est déclaré incompétent pour connaître d'une telle demande.
La fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la BNP sera rejetée dès lors que la BNP a bien déclaré une créance au passif de M.[R] et la circonstance que le liquidateur ne l'a pas mentionnée dans le plan, alors que conformément à l'article L 626-21 du code de commerce l'inscription d'une créance au plan ne préjuge pas de son admission définitive au passif de ce plan, sa contestation faisant obstacle (sous réserve de l'autorisation de paiement provisionnel) au paiement des dividendes du plan jusqu'à son admission définitive, n'ayant pas pour effet de priver la banque d'intérêt à agir.
L'article L626-21 du code de commerce, inséré dans une section traitant du jugement arrêtant le plan de sauvegarde et de son exécution, dispose en son alinéa 3 que
' Les sommes à répartir correspondant aux créances litigieuses ne sont versées qu'à compter de l'admission définitive des créances au passif. Toutefois, la juridiction saisie du litige peut décider que le créancier participera à titre provisionnel, en tout ou partie, aux répartitions faites avant l'admission définitive'.
La demande en paiement provisionnel de la BNP est consécutive au nouveau sursis à statuer sollicité par M.[R], un tel sursis retardant d'autant la possibilité pour la banque de percevoir des dividendes au titre du plan en cours. Si cette demande en paiement est nouvelle en cause d'appel, elle n'est pas à ce titre irrecevable dès lors que, conformément à l'article 564 du code de procédure civile, elle s'inscrit dans la survenance d'un fait nouveau, à savoir la nouvelle décision de sursis à statuer.
Il ressort de la pièce 17 pièces produite par M.[R], que par ordonnance du 30 mai 2021, le juge-commissaire a rejeté la requête que la BNP avait présentée sur le fondement de l'article L626-21 du code de commerce pour obtenir le versement à titre provisionnel d'une somme annuelle de 199.283,55 euros sur cinq ans, et de 996.417, 75 euros selon les modalités de répartition à fixer. Pour statuer ainsi, le juge-commissaire a considéré qu'à défaut de dispositions expresses, la compétence reconnue au juge-commissaire en application de les articles L 643-3 et R643-2 du code de commerce pour statuer sur une demande en paiement provisionnel d'une créance définitivement admise au passif, ne pouvait être étendue en cas de créance litigieuse, non encore admise définitivement au passif, la juridiction saisie au sens de l'article L 626-21 du code de commerce s'entendant du juge auquel est soumise la créance litigieuse.
Dans la présente instance, par arrêt du 7 février 2017 devenu irrévocable, la cour d'appel a jugé que la contestation élevée par M.[R] excédait les pouvoirs juridictionnels du juge-commissaire et invité ce dernier à saisir le juge du fond, ce qui a été fait et a donné lieu à l'arrêt du 25 novembre 2021 frappé de pourvoi sur lequel il n'a pas encore été statué, de sorte qu'en l'état aucune décision irrévocable n'est intervenue sur le montant de la créance de la BNP à l'égard de M.[R]. Il s'ensuit que la présente cour, qui n'est plus la juridiction saisie de la contestation de la créance, n'est pas la juridiction saisie du litige au sens de l'article L626-21 alinéa 3 du code de commerce pour connaître de la demande en paiement de la provision.
La demande en paiement d'une provision sera en conséquence jugée irrecevable dans la présente instance.
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens seront réservés, de même que les demandes en paiement d'indemnités procédurales.
PAR CES MOTIFS,
Déclare recevable la demande de remise au rôle de l'affaire après l'arrêt de la cour d'appel de Paris (5-9) en date du 25 novembre 2021,
Ordonne un nouveau sursis à statuer jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation à intervenir sur le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt du 25 novembre 2021 et en cas de cassation avec renvoi jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel de renvoi,
Dit la BNP Paribas Personal Finance irrecevable en sa demande de confirmation de l'ordonnance du juge-commissaire 'sauf à ce qu'il soit pris en compte le fait que la créance de la BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE est désormais exigible à l'égard de M.[R]',
Déclare la BNP Paribas Personal Finance irrecevable en sa demande de paiement provisionnel,
Réserve les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne la radiation de l'affaire, dit qu'elle sera rétablie à la demande de la partie la plus diligente lorsque la cause du sursis à statuer aura été levée et qu'en ce cas elle sera instruite sous le contrôle du conseiller de la mise en état.