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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 18 mars 2021, n° 18/07757

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

M. Nut, M. Dusausoy

T. com. Pontoise, du 20 juin 2018, n° 20…

20 juin 2018

EXPOSE DU LITIGE

La Sasu X-Gem (X-Gem) a pour activité la fabrication d'équipements de télécommunication.

M. Nicolas D. (M.D.) a bénéficié d'un contrat de travail, transféré le 1er août 2015, au sein de la société X-Gem. Il a été désigné le même jour directeur général de la société X-Gem par son actionnaire unique la société X-Trementerprise.

Le 28 janvier 2016, il s'est vu notifier une mise à pied conservatoire par M. Yann B., directeur des ressources humaines de la société X-Trementerprise. Il a été licencié pour faute lourde le 19 février 2016,

La cour de céans, par arrêt du 10 septembre 2020, a infirmé le jugement du conseil de prud'hommes du 28 septembre 2017 de Cergy Pontoise, qui avait jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.

Le 28 janvier 2016, il a, également, été révoqué de ses fonctions de directeur général de la société X-Gem, avec effet immédiat. La décision de révocation ne mentionne pas de motifs.

Le 29 janvier 2016, M. D. a contesté cette révocation par lettre avec demande d'accusé réception.

Par acte introductif d'instance du 17 juin 2016, M. Nicolas D. a assigné les sociétés X-Gem et X-Trementerprise devant le tribunal de commerce de Pontoise aux fins de voir juger qu'elles avaient commis une faute en le révoquant dans des conditions abusives, sollicitant des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 4 novembre 2016, les sociétés X-Gem et X-Trementerprise ont été placées en redressement judiciaire.

Par jugement du 30 mai 2018 du même tribunal , la procédure de redressement judiciaire de la société X-Gem a été convertie en liquidation judiciaire.

Par jugement du 23 juin 2018, le tribunal de commerce de Pontoise a:

- dit que la révocation de M. D. était intervenue de manière régulière,

- constaté que les sociétés X-Trementerprise et X-Gem ont produit les décisions de révocation des filiales étrangères pour lesquelles M. D. avait un mandat social,

- débouté M. D. de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné M. D. à payer au passif des sociétés X-Gem et X-Trementerprise, la somme de 7 500 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamné M. D. à payer, au passif des sociétés X-Gem et X-Trementerprise, la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, aux sociétés X-Gem et X-Trementerprise,

- condamné M. D. aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 15 novembre 2018, M. D. a interjeté appel du jugement.

Par jugement du 29 avril 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire de la société X-Trementerprise.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 21 janvier 2021 , M. D. demande à la cour de :

- dire et juger que la révocation de M. D. de son mandat social de directeur général de la société X-Gem est abusive,

- dire et juger que la révocation abusive de M. D. lui a causé un préjudice moral,

En conséquence :

- réformer le jugement du tribunal de commerce de Pontoise en date du 20 juin 2018 en ce qu'il a débouté M. D. de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

-fixer la créance de M. D. au passif de chacune des défenderesses, tenues solidairement, à une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- condamner la Scp S.-B. et Me Jean-Pierre A., ès qualités de co-liquidateurs des sociétés X-Gem et X-Trementerprise, à adresser à l'ensemble du personnel du groupe X-Trementerprise une copie de la décision à intervenir, dans les huit jours de la signification et sous astreinte de1.000 euros par jour de retard,et en la faisant traduire au préalable à leurs frais par un traducteur assermenté au choix de M. D., en anglais et en chinois,

- condamner solidairement la Scp S.-B. et Me Jean-Pierre A., ès qualités de co-liquidateurs des sociétés X-Gem et X-Trementerprise, à payer à M. D. la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 22 janvier 2021 , Me A. et la Scp S.-B., ès qualités, respectivement, de liquidateur judiciaire de la société X-Gem et co-liquidateurs judiciaires de la société X-Trementerprise, demandent à la cour de :

- confirmer la décision déférée dans toutes ses dispositions,

- débouter M. D. de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause,

- condamner M. D. à payer à la Scp S.-B. et Me Jean-Pierre A., ès qualités la somme de 15.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 janvier 2021 .

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

À titre liminaire, la cour , tenue par le seul dispositif des conclusions, rappelle qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes des parties tendant à «donner acte», « constater », « dire et juger », dans la mesure où elles ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

Par commodité, les organes de la procédure collective seront désignés par leur dénomination sociale : société X-Trementerprise et société X-Gem.

Sur la révocation de M. D.

M. D. rappelle que les règles de cessation du contrat de travail sont distinctes de celles de la révocation alors que les intimées se seraient fondées sur l'impossibilité de maintenir son mandat compte tenu de la procédure de licenciement engagée à son encontre. Il fait valoir que la révocation d'un mandataire social est libre à condition qu'elle ne soit pas abusive, que tel est le cas, cependant, en l'espèce puisqu'il n'a pas été convoqué à la réunion du conseil d'administration décidant de sa révocation, laquelle est brutale parce qu'avec effet immédiat et sans qu'il puisse ainsi faire valoir ses droits. Il soutient que les conditions de cette révocation dont a été informé l'ensemble du personnel dès le 29 janvier 2016, ont été vexatoires portant ainsi atteinte à son honneur et à sa réputation.

Les sociétés X-Gem et X-Trementerprise soutiennent, au visa de l'article L.227-5 du code de commerce, que les conditions de la révocation d'un mandataire social d'une société par actions simplifiée sont uniquement régies par les statuts, que l'article 11 des statuts prévoit que le directeur général peut être révoqué à tout moment, sans qu'il soit besoin d'un juste motif, qu'il appartient, dès lors, à M.D. de rapporter la preuve que les circonstances dans lesquelles la révocation est intervenue révèlent une brutalité, une malveillance intentionnelle, une publicité intempestive. Elles font valoir que tel n'est pas le cas, la révocation, justifiée par sa mise à pied en qualité de salarié, est régulière, M. D. ayant pu formuler ses observations contradictoirement. Elles expliquent que l'information de la révocation, effectuée en termes neutres ('divergences sur le Groupe'), portée à la connaissance du personnel, se justifiait par l'importance du poste occupé par M. D.. Elles exposent que l'image ou la réputation de M.D. n'a pas été altérée car il a retrouvé, dès le mois d'août 2016, un mandat social dans une société d'importance.

Sur ce,

La société par actions simplifiée est une forme sociale marquée par la liberté offerte aux actionnaires de déterminer librement la direction de la société (article L.227-5 du code de commerce : 'Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée').

La circonstance, comme en l'espèce, qu'il s'agisse d'une société par actions simplifiée à associé unique ne modifie pas cette situation, l'article L. 227-1, alinéa 2, du même code prévoit que ' lorsque cette société ne comporte qu'une seule personne, celle-ci est dénommée 'associé unique'. L'associé unique exerce les pouvoirs dévolus aux associés lorsque le présent chapitre prévoit une prise de décision collective'.

Dès lors, il appartient à l'actionnaire unique de déterminer dans les statuts les conditions de nomination et de révocation des dirigeants, étant précisé que le seul impératif est que soit désigné un président (article L. 227-6 du code de commerce), représentant légal de la société, mais qui peut toutefois être une personne morale (L.227-7 du même code), ce qui est le cas en l'espèce.

Il résulte des dispositions de l'article L.227-5 du code de commerce, de l'article 10, deuxième paragraphe, et de l'article 11 des statuts de la société X-Gem, que la révocation de son directeur général peut intervenir '....à tout moment, sans qu'il soit besoin d'un juste motif...'.

Si la révocation est libre sans qu'il soit besoin de la motiver, elle ne doit cependant pas être abusive. Tel est le cas lorsque le directeur général n'a pas été invité à présenter loyalement ses observations ou lorsque cette révocation est intervenue dans des conditions qui portent atteinte à sa réputation ou à son honneur.

Sur la loyauté

Il ne résulte pas des pièces versées que M.D. ait été convoqué ou ait participé à la réunion du 28 janvier 2016, tenue par l'actionnaire unique, la société X-Trementerprise, décidant sa révocation (relevé de décisions - pièce 12 intimées). Il a donc été empêché de présenter ses observations avant que la décision de le révoquer le 28 janvier 2016, ne soit prise.

La possibilité de révocation à tout moment, avec effet immédiat, même sans obligation de la motiver, ne dispensait pas les sociétés X-Trementerprise et X- Gem de respecter leur devoir de loyauté à l'égard du directeur général, en instaurant un débat préalable à la décision de révocation permettant d'entendre ses observations ou à tout le moins de lui permettre de les présenter. Les sociétés X-Trementerprise et X- Gem ont, dans les faits,

justifié cette révocation par des 'divergences sur le Groupe', dans un courriel adressé à l'ensemble du personnel du groupe le lendemain de la révocation. Elles soutiennent également dans leurs écritures que '....mis à pied de ses fonctions salariées, Monsieur Nicolas D. ne pouvait être maintenu dans ses fonctions de Directeur Général...', de sorte que la révocation reposait en définitive sur des motifs identifiés, étant observé que le licenciement pour faute lourde de M. D. a été considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse par la cour de céans.

Le courriel de M.D. du 28 janvier 2016 (13:46), jour de la révocation, à Franck B. président de la société X-Trementerprise, associée unique de la société X- Trem, relate un échange le matin, au cours duquel Franck B. aurait fait part de sa décision de mettre à pied, avec effet immédiat, à titre conservatoire M. D., décision relevant de la seule procédure de licenciement, sans que ne soit évoqué, par ailleurs, la révocation de ce dernier en qualité de mandataire social. Ce courriel ne permet pas d'établir qu'un débat contradictoire préalable à la révocation s'est instauré.

De même, la lettre recommandée avec demande d'avis de réception, du 29 janvier 2016 de M. D. à M. Franck B. est insuffisante à constater l'existence d'un échange contradictoire préalable à la décision de révocation alors que M. D. ne fait qu'y contester la décision de sa révocation qu'il considère 'brutale et vexatoire'.

Les sociétés X-Trem et X-Trementerprise ont ainsi manqué à leur devoir de loyauté envers M. D., en sa qualité de directeur général, fonction à laquelle il avait été nommé 6 mois plus tôt, nomination qui a eu pour effet de suspendre son contrat de travail au sein du groupe auquel il appartenait depuis plus de quinze ans.

Sur les circonstances de la révocation

M. D. soutient que sa révocation est intervenue dans des circonstances portant atteinte à sa réputation et son honneur. Il expose avoir été sommé de quitter l'entreprise immédiatement avec remise de ses téléphones et ordinateurs professionnels, sans pouvoir saluer ses collaborateurs. Il fait valoir que le message diffusé à l'ensemble du personnel le lendemain de sa révocation était offensant.

Les sociétés X-Gem et X-Trementerprise font valoir que l'information de la révocation n'a été communiquée qu'aux seuls salariés du groupe X-Trementerprise et non à l'extérieur, que cette information était nécessaire au regard des responsabilités de l'intéressé, qu'elle n'était ni intempestive, ni malveillante, et qu'elle a été mesurée 'malgré la gravité des faits reprochés'. Elle affirme que la défense faite à M. D. de saluer ses collaborateurs lors de son départ et la privation de son ordinateur et de son téléphone portable ne sont pas constitutives d'une révocation vexatoire.

Sur ce,

Les conditions entourant la révocation doivent respecter un équilibre entre les intérêts de la société qui la décide et ceux de la personne révoquée, intérêts entendus pour la société comme la protection de ses intérêts économiques, et pour le mandataire social, comme la préservation de son honneur et de sa réputation.

Il appartient à M.D. de rapporter la preuve du caractère brutal et vexatoire de sa révocation qui aurait attenté à son honneur et sa réputation.

La privation des outils de communication et l'interdiction de saluer les collaborateurs, non contestées par les intimées, conséquence de la révocation immédiate, peut se justifier au regard de la préservation des intérêts de la société.

De la lettre du 29 janvier 2016 de M. D., précédemment commentée, il se déduit que M. D. a été informé de sa révocation dès le 28 janvier, de sorte qu'il ne peut soutenir qu'il n'a connu sa révocation que lorsque le personnel en a été informé par le courriel du 29 janvier 2016 déjà évoqué.

En revanche, ce courriel, dont il n'est pas contesté qu'il a été envoyé à l'ensemble du personnel du groupe X-Trementerprise, en langue française, anglaise et chinoise, dans un but informatif - ce qui n'est pas critiquable en soi compte tenu des fonctions occupées par M. D. - a été rédigé en termes laissant à penser que le comportement de M. D. à l'égard du groupe était grave. En effet, y figure le motif de la révocation, certes, exprimé en termes neutres ('en raison de divergences sur le Groupe') complété, cependant, de la mention : 'Cette révocation entraîne la cessation immédiate de l'exercice de ses fonctions de mandataire social'. La mention de l'immédiateté de la cessation insinuant une urgence à mettre un terme au comportement de M. D. n'était pas nécessaire au but poursuivi visant à informer le personnel de la révocation.

Les sociétés X-Trem et X-Trementerprise ont ainsi engagé leur responsabilité, s'exposant à réparer le préjudice éventuellement subi par M. D..

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts

Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Sur ce,

M. D. fait valoir un préjudice moral qu'il évalue à 50.000 €. Il demande, également, à titre de réparation, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard la communication de la décision à intervenir à l'ensemble du personnel.

M. D. ne conteste pas avoir retrouvé, six mois après sa révocation, un mandat social auprès de la société HF Company d'une certaine importance puisqu'elle a réalisé un chiffre d'affaire de 42 millions d'euros au 1er trimestre 2016, de sorte que M. D. ne rapporte pas la preuve d'une atteinte à sa réputation.

En revanche, les circonstances de sa révocation brutale et vexatoire ont pu créer auprès de ses collaborateurs un doute sur son intégrité de sorte qu'il justifie d'un préjudice moral qui sera justement réparé par la somme de 2.500 euros supportée par chacune des sociétés, M. D. ayant déclaré sa créance auprès de chacune d'entre elles.

Il n'apparaît pas nécessaire à la réparation du préjudice de faire droit à la demande de condamnation, sous astreinte, de notification du présent arrêt auprès de l'ensemble du personnel compte tenu de l'ancienneté des faits, la révocation étant intervenue le 28 janvier 2016 plus de cinq ans auparavant, et de la procédure de liquidation judiciaire affectant chacune des sociétés intimées.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure prises par le tribunal seront infirmées.

Les sociétés X-Trem et X-Trementerprise qui succombent supporteront les dépens de première instance et d' appel .

Il sera alloué à M. D. une indemnité d'un montant total de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Les sociétés X-Trem et X-Trementerprise, seront en revanche, déboutées de leur demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du 20 juin 2018 du tribunal de commerce de Pontoise en toutes ses dispositions,

Statuant de nouveau,

Fixe, en conséquence, la créance de 2.500 € de M. Nicolas D. au passif de la liquidation de la société X-Gem, d'une part, et au passif de la liquidation de la société X-Trementerprise, d'autre part,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes

Y ajoutant,

Condamne, in solidum, Me A. et la Scp S.-B., ès qualités, respectivement, de liquidateur judiciaire de la société X-Gem et co-liquidateurs judiciaires de la société X-Trementerprise aux dépens de première instance et d' appel ,

Condamne, in solidum, Me A. et la Scp S.-B., ès qualités, respectivement, de liquidateur judiciaire de la société X-Gem et co-liquidateurs judiciaires de la société X-Trementerprise, à payer à M. Nicolas D. la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.