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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 29 novembre 2022, n° 20/01125

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lor (EURL)

Défendeur :

In Extenso Mont Blanc (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pirat

Conseillers :

Mme Real Del Sarte, Mme Steyer

Avocats :

Me Bistolfi, SELARL Arma

T. com. d’Annecy, du 15 sept. 2020

15 septembre 2020

Faits et procédure

La société Lor (Eurl) dirigée par M. [D] [N] est une société holding.

Elle détenait jusqu'en 2014 la totalité du capital social :

- de la SA Plein sud qui exerçait une activité de transports publics et privés,

- de la société Eolia location dont l'activité était la location de matériel.

Au cours de l'année 2014, la société Lor et les sociétés Thot corporation dirigée par M. [F], LD logistique dirigée par M. [M], holdings de plusieurs sociétés ayant une activité dans le transport frigorifique sur les secteurs Rhône Alpes, Bourgogne Franche Comté, Vallée du Rhône, Languedoc Roussillon, se sont rapprochées pour envisager les conditions dans lesquelles elles pourraient mettre en commun leurs filiales et créer ainsi un groupe spécialisé dans l'activité de transport frigorifique, la société G7 investissement (SAS).

Le but de ce regroupement était de réaliser des économies d'échelle et de développer des synergies (d'exploitation, commerciale, administrative et d'achat) afin de conquérir de nouvelles parts de marché dans un secteur très concurrentiel dominé par quelques acteurs majeurs.

Ces trois sociétés ont demandé à la société In extenso Mont blanc (In extenso) exerçant la profession d'expert-comptable et commissaire aux comptes, et expert-comptable du groupe de M. [F], de les assister dans ce projet et lui ont confié une mission de rédaction des actes juridiques.

Suivant acte sous seing privé en date du 21 novembre 2014, la société Lor a cédé à la société G7 investissement, représentée par M. [F], 972 actions sur les 4 404 actions qu'elle détenait dans la société Plein Sud, représentant 22% du capital social et des droits de vote de cette dernière au prix de 481 476 euros, payable au moyen d'un crédit vendeur de 84 mensualités constantes d'un montant de 6 232,52 euros, incluant un taux d'intérêt annuel de 2,40%, la première échéance intervenant le 1er janvier 2015, la dernière le 1er décembre 2021,

Aux termes de cet acte, le cessionnaire G7 investissement a expressément renoncé à la souscription d'une garantie d'actif et de passif déclarant avoir une parfaite connaissance des engagements de la société Plein sud.

Parallèlement, la société Lor apportait au capital de la société G7 investissement le solde de sa participation dans le capital de la société Plein sud soit 3 433 actions valorisées à la somme de 1 700 000 euros, rémunérées par l'attribution à la société Lor de 9 030 actions de la société G7 investissement, représentant 20% du groupe G7.

Par ailleurs, suivant acte sous privé du 21 novembre 2014, la société Lor a cédé à la société Rol location, représentée par M. [F], la totalité des 10 000 parts sociales composant le capital social de la sarl Eolia location qu'elle détenait, au prix de 168 524 euros payable au moyen d'un crédit vendeur de 84 mensualités constantes d'un montant de 2 181,48 euros, incluant un taux d'intérêt annuel de 2,40%, la première échéance intervenant le 1er janvier 2015, la dernière le 1er décembre 2021.

Aux termes de cet acte, le cessionnaire a expressément renoncé à la souscription par le cédant d'une garantie d'actif et de passif déclarant avoir une parfaite connaissance des engagements de la société Eolia location.

A la suite de la fusion absorption entre les sociétés Rol location et Eolia location, la société Rol location prenait la dénomination de G7 Location éolia rol.

A l'issue des différentes opérations de cession, fusion, les associés de la holding Groupe G7 investissement étaient :

- La société holding Thot corporation présidée par M. [F] à hauteur de 70% du capital,

- La société holding Lor ayant pour gérant M. [N] à hauteur de 20% du capital,

- La société holding LD logistique ayant pour gérant M. [M] à hauteur de 10% du capital

M [F] était désigné président de la holding G7 investissement, la société Lor était désignée directeur général, de même que LD logistique.

A compter du mois de mai 2017, la société G7 investissement a cessé de rembourser le crédit-vendeur relatif à la cession de la société Plein Sud puis a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Grenoble du 5 décembre 2017.

Par acte du 11 février 2019, la société Lor a fait assigner la société In Extenso à comparaître devant le tribunal de commerce d'Annecy aux fins de voir engager sa responsabilité et de la voir condamner au paiement de dommages et intérêts dus au titre de manquements à son devoir de conseil en tant que rédacteur de l'acte juridique.

Par jugement rendu le 15 septembre 2020, le tribunal de commerce d'Annecy a :

constaté que la société Lor ne rapporte pas la preuve de l'existence ni d'une faute, ni d'un préjudice indemnisable, ni d'un lien de causalité entre les préjudices invoqués et les fautes alléguées,

débouté en conséquence la société Lor de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de la société In extenso Mont Blanc,

condamné la société Lor à verser à la société In extenso Mont-Blanc la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration au Greffe du 5 octobre 2020, la société Lor a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

 

Prétentions des parties

Par conclusions d'appelant n°4 notifiées par voie électronique le 26 août 2022, et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Lor demande à la cour de :

Vu l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance numéro de 2016-131 du 10 février 2016,

Vu l'ordonnance du 19 septembre 1945 organisant la profession d'expert-comptable,

Vu le jugement du tribunal de commerce d'Annecy du 15 septembre 2020 numéro RG 2019J00055,

- déclarer la société Lor recevable et bien fondée en son appel,

Et en conséquence,

- réformer le jugement du tribunal de commerce d'Annecy du 15 septembre 2020 numéro RG 2019J00055, en ce qu'il a :

«constaté que la société Lor ne rapporte pas la preuve de l'existence ni d'une faute, ni d'un préjudice indemnisable, ni d'un lien de causalité entre les préjudices invoqués et les fautes alléguées

débouté en conséquence, la société Lor de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de la société In extenso,

condamné la société Lor à verser à la société In extenso Mont-Blanc la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance »,

Statuant à nouveau,

- dire et juger que la société In extenso a été défaillante dans l'exécution de son devoir de conseil et d'information ainsi que de son devoir général de loyauté, de prudence et de diligence dont elle était tenue à l'égard de la société Lor,

En conséquence,

- condamner la société In extenso à payer à la société Lor :

- la somme de 324 301,47 euros découlant de non règlement du crédit-vendeur prévu à l'acte du 21 novembre 2014,

- la somme de 2 497 487 euros au titre de la perte de la valeur patrimoniale de la société Plein sud pour la société Lor,

- la somme de 2 160 000 euros au titre du préjudice lié à la perte de revenus pour la société Lor, découlant de la révocation de ses fonctions de directeur général de la société G7 investissement,

- la somme de 78 706,29 euros outre intérêts au taux légal à compter 9 juillet 2018 au titre du préjudice découlant du non-règlement du crédit-vendeur prévu à l'acte de cession du 21 novembre 2014 intervenu entre la société Lor et la société Rol location,

- la somme de 800 000 euros au titre de la perte de la valeur patrimoniale de la société Eolia location pour la société Lor,

- la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société In extenso aux entiers dépens, avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Audrey Bollonjeon, avocat associé de la Selurl Bollonjeon.

Par conclusions d'intimée n°2 notifiées par voie électronique le 19 août 2022, et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société In Extenso demande à la cour de :

Vu les articles 1134 et 1147 (anciens) du code civil,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté l'ensemble des demandes de la société Lor à l'encontre de la société In extenso,

En conséquence,

- constater que la société Lor ne rapporte pas la preuve de l'existence ni d'une faute, ni d'un préjudice indemnisable, ni du lien de causalité entre les préjudices invoqués et les fautes alléguées,

- débouter en conséquence la société Lor de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre d'In extenso,

- condamner la société Lor à verser à In extenso la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 29 août 2022 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 27 septembre 2022.

 

Motifs et décision

I - Sur les manquements imputés à la société In Extenso

L'article 22, alinéa 7 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et règlementant le titre et la profession, dans sa version applicable aux faits de l'espèce énonce que les experts comptables, outre leur mission habituelle qui est d'établir ou fiabiliser la comptabilité de leurs clients, « peuvent également donner des consultations, effectuer toutes études et tous travaux d'ordre statistique, économique, administratif, juridique, social ou fiscal et apporter leur avis devant toute autorité ou organisme public ou privé qui les y autorise mais sans pouvoir en faire l'objet principal de leur activité et seulement s'il s'agit d'entreprises dans lesquelles ils assurent des missions d'ordre comptable de caractère permanent ou habituel ou dans la mesure où lesdites consultations, études, travaux ou avis sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés. »

La responsabilité civile de l'expert-comptable peut être engagée sur le plan contractuel, vis à vis de ses clients, pour manquements dans l'exercice de sa mission, notamment pour manquement à son devoir d'information et de conseil.

Il a ainsi l'obligation d'assurer la conformité de l'acte au droit applicable mais également celle de valider la capacité des parties à contracter.

Le rédacteur d'actes est tenu de prendre toutes dispositions utiles pour assurer l'efficacité des actes qu'il instrumente eu égard aux buts poursuivis par les parties.

Il doit informer son client des différentes exigences qui conditionnent la validité de l'acte qu'il envisage de conclure et vérifier qu'elles sont satisfaites.

Dans l'hypothèse d'un unique rédacteur d'acte, ce dernier doit donc veiller à l'équilibre de l'ensemble des intérêts en présence et prendre l'initiative de conseiller les parties à la convention sur la portée et les incidences, notamment juridiques et fiscales, des engagements souscrits de part et d'autre ainsi que sur les conséquences de l'opération projetée.

Les clauses définissant les contours des obligations de conseil ne sont pas forcément nulles, la décharge de responsabilité stipulée en faveur d'un expert-comptable rédacteur d'acte ne le dispensant toutefois aucunement de son obligation de conseil et de mise en garde.

Il ne peut exister de dispense de ce devoir de conseil en fonction des compétences et des connaissances du client.

Conformément au droit commun, la preuve de la faute incombe au demandeur, la faute s'appréciant in abstracto.

Il est, par ailleurs, constant que l'expert-comptable est tenu d'une obligation de moyens.

1°) Sur l'existence de crédits vendeurs et l'absence de garantie souscrite en cas d'impayés

La société Lor fait valoir qu'il avait été prévu initialement un paiement comptant, par les sociétés G7 investissement et Rol location, des actions ou parts qu'elle leur a vendues, qu'au dernier moment il lui a été imposé un paiement par crédit vendeur qu'elle ne pouvait refuser alors que les négociations étaient trop avancées, qu'elle a ainsi dû s'incliner et qu'au surplus la société In extenso a manqué à son devoir de conseil en ne prévoyant pas la mise en place de sûretés en garantie du règlement des crédits vendeur.

Elle ajoute que la société G7 a obtenu un financement d'un montant total de 3 400 000 euros dont 1 300 000 euros débloqués par la Caisse d'Epargne, qui devaient servir au financement de l'acquisition, notamment des parts sociales de la société Plein sud, sommes qui ont été utilisées par la société Transports [F] pour renflouer une partie de ses dettes, le reste des crédits ayant été injecté dans la société devenue G7 investissement.

Selon l'appelante, en inscrivant ces sommes dans les comptes de la société G7 investissement et en ne l'informant pas de l'existence de ces crédits, tout en lui imposant un crédit vendeur, la société In extenso s'est rendue complice d'un dol commis par la société G7 investissement à son détriment.

Sur l'imposition à la société Lor d'un crédit vendeur

Au soutien de ses prétentions, la société Lor produit tout d'abord une « lettre d'intention » de M. [F], dont chaque page porte le tampon « projet » et qui n'est ni signée, ni datée, mais dont on comprend, d'après la teneur des écrits, qu'elle a été rédigée fin mai 2014 («A la suite de nos diverses rencontres notamment celle du 30 avril 2014 en présence de nos conseils respectifs et du 21 mai dernier à [Localité 3] » (...) « la présente offre est valable jusqu'au mercredi 4 juin 2014 à minuit »).

Ce projet prévoyait :

- Une acquisition partielle, par la société Transports [F], de titres de la société Plein Sud détenus par la société Lor, le quantum devant être fixé avec les rapports de parité retenus pour les échanges de titres,

- Un apport en nature des titres en pleine propriété de la société Plein Sud restant détenus par Lor à la société Transports [F],

- L'acquisition par la société Transports [F] auprès de la société Lor de la totalité des titres de la société Direct sud,

- Un apport en nature des titres de la société Eolia location détenus par Lor à la société Transports [F].

Il était précisé que :

L'apport en nature par la société Lor de la totalité des titres de la société Eolia location et du solde des titres de Plein sud à la société Transports [F] donnerait lieu en échange à l'émission de nouvelles actions de cette dernière société attribuée à la société Lor et représentant 20% du capital société de la future holding G7 investissement.

Le prix ferme et définitif pour l'acquisition des titres de la société Plein sud qui ne seraient pas apportés serait de 650 000 euros avec cette précision : « si l'opération de rapprochement aboutissait dans les conditions évoquées, le prix ci-dessus arrêté serait payé au comptant à la signature des ordres de mouvements établis pour la cession des titres, par chèque de banque. »

Or, ce n'est pas ce montage qui a finalement été retenu et convenu entre les parties, ainsi qu'il résulte de l'historique de la constitution du groupe G7, relaté par la société AJ partenaires dans son rapport du 10 septembre 2018, proposant un projet de plan de redressement du groupe par continuation de l'activité.

En effet :

' Les 10 000 parts sociales composant le capital social de la société Direct sud, détenues par Lor, ont été cédées pour un euro à la société N7 Rhône (ex N7 froid) et non à la société Transports Guebet.

' La société Lor a cédé à la société G7 investissement (ex Transports [F]) 972 parts sur les 4 405 parts composant le capital social de la société Plein sud, moyennant un prix de 481 476 euros.

' La société Lor a cédé à la société Rol location et non à la société Transports [F], la totalité des parts qu'elle détenait dans la société Location Eolia pour un prix de 168 524 euros.

' La société Lor a apporté à la société G7 investissement le reste des titres de la société Plein sud qu'elle détenait représentant une valeur de 1 700 000 euros et a perçu en rémunération 9 030 actions dans la société G7 investissement.

Il est produit, par ailleurs, un compte rendu de réunion du 4 novembre 2014, réunissant les futurs associés de la société G7 investissement. Celui-ci précise, certes, que les deux acquisitions permettant l'intégration du groupe Plein sud au groupe G7 seront réglées :

« au moyen d'un crédit vendeur accordé par Lor afin que l'échéance mensuelle de crédit vendeur lui permette de faire elle-même face à ses propres échéances de prêts. Ainsi le crédit vendeur serait d'une durée alignée sur celle des prêts restants à courir (7 ans environ), le taux d'intérêt restant à définir »,

Mais pour autant, rien n'établit que la société Lor se soit vue « imposer » ce mode de règlement lors de cette réunion du 4 novembre 2014, alors qu'il résulte tant du projet de lettre d'intention et de ce même compte rendu que de nombreuses réunions entre les futurs associés se sont tenues (« la prochaine réunion se déroulera à [Localité 5] le jeudi 11 décembre 2014 à 8h30 ») et que les négociations ont duré plusieurs mois.

Or, force est de constater que la société Lor ne produit pas les échanges et compte-rendus antérieurs qui auraient permis de suivre l'évolution des discussions et des décisions, ce alors que les négociations ont débuté en mars 2014.

Par ailleurs, il résulte des termes du projet de lettre d'intention, que des réunions se sont déroulées entre M. [F] et M. [N] en présence de leurs conseils respectifs.

A cet égard, les actes du 21 novembre 2014 de cessions de titres intervenues entre Lor d'une part et la société Rol location, la société G7 investissement, d'autre part, mentionnent :

« Les parties reconnaissent et déclarent,

avoir arrêté et convenu exclusivement entre elles le prix, ainsi que les charges et conditions de la présente cession, que le prix exprimé et déterminable aux termes des présentes, représente l'intégralité du prix convenu, sous les peines édictées par l'article 1837 du code général des impôts;

donner décharge pure et simple entière et définitive au rédacteur de l'acte, reconnaissant que l'acte a été établi et dressé sur leurs déclarations, sans que ce dernier soit intervenu entre elles ni dans la négociation, ni dans la détermination du présent acte. »

La société Lor n'apporte ainsi pas la preuve de ce qu'elle aurait été contrainte d'accepter au dernier moment, sous la pression, un crédit vendeur au lieu et place d'un règlement comptant.

Sur les prêts contractés par la société Transports [F] (G7 investissement) pour l'acquisition des titres°)

Il résulte de l'historique de la constitution du groupe G7, relaté par l'administrateur AJ Partenaires, les éléments de fait suivants :

- Le 30 juillet 2014 la société Transports [F] a procédé à l'acquisition des 4 500 actions composant le capital de la société N7 froid moyennant le prix de 2 537 497 euros.

- Le même jour, elle procédé à l'acquisition de deux autres sociétés du groupe N7 froid ( M. [M]) :

Rol location 1 500 parts,

RBO, 1 part sociale,

pour un montant de 1 400 000 euros.

Ces acquisitions par la société Transports [F], qui représentent un montant total de 3 937 497 euros, ont été financées par des fonds propres de la société à hauteur de 500 000 euros et par des emprunts octroyés par le pool bancaire, BPI France, Banque populaire des Alpes et Caisse d'épargne Rhône Alpes pour un montant total de 3 400 000 euros réparti ainsi :

BPI France 800 000 euros

Banque populaire des Alpes 1 300 000 euros

Caisse d'épargne Rhône Alpes 1 300 000 euros

Ainsi, la société Lor ne peut sérieusement soutenir que les emprunts contractés par la société Transports Goubey (G7 investissement) auraient été utilisés par cette dernière pour renflouer ses déficits et que le reste aurait été injecté dans ladite société, alors qu'elle savait pertinemment que ces prêts qui ont donné lieu à des garanties hypothécaires sur les biens de G7 investissement, étaient contractés pour l'acquisition des sociétés composant le groupe.

Ces opérations concernant le groupe N7 froid ont eu lieu antérieurement à l'entrée de la société Lor dans le capital de la société G7 investissement en janvier 2015, ainsi qu'à la cession d'une partie des titres détenus sur la société Plein sud au profit de G7 investissement, intervenue en novembre 2014.

Mais pour autant, la société Lor en qualité de future associée de G7 (20% des parts) et son gérant M. [N] en qualité de futur directeur général de la société (les statuts de G7 et le pacte d'associés ont été signés le 19 janvier 2015) étaient parfaitement au fait des diverses opérations, acquisitions, fusions, qui ont conduit à la création du groupe G7 par étapes successives, en concertation entre les trois créateurs et associés de ce dernier, M. [F], M. [N] et M. [M].

A cet égard, le compte-rendu de la réunion du 4 novembre 2014, déjà évoqué, montre que M. [N] était déjà très impliqué dans le groupe en cours de constitution, qu'il était nécessairement au courant des crédits souscrits pour l'acquisition par la société G7 des titres du groupe N7 froid et que, contrairement à ses assertions, il avait connaissance des comptes arrêtés au 31 mars 2014 et des résultats déficitaires de la société G7.

En effet, cette réunion avait pour ordre du jour, d'une part la finalisation du groupe G7, d'autre part, la présentation aux banques de l'avancement du groupe.

S'agissant de la finalisation, il était précisé que les trois futurs associés s'étaient entendus pour confier à M. [N] le suivi « administratif et financier » du groupe et ce dernier indiquait être en train de mettre en place les tableaux de bord nécessaires à ce suivi.

Par ailleurs, les trois créateurs du groupe et futurs associés présentaient au pool de banquiers ayant octroyé les prêts, l'avancement des opérations de constitution du groupe, les outils de suivi qui allaient être mis en place, une fois l'harmonisation du système informatique achevée, et enfin il était répondu aux questions posées relatives aux comptes arrêtés au 31 mars 2014.

Il est ainsi établi que la société Lor était parfaitement au courant de l'existence des emprunts contractés pour les besoins de l'opération ainsi que de l'état financier de la société G7 investissement.

Sur l'absence de sûretés en vue de garantir le paiement des crédits vendeur

Au regard de la durée des négociations, de la connaissance par M. [N], gérant de la société Lor, de la situation financière de la société G7, dans laquelle, avant même la cession des titres et l'apport des parts sociales restantes, il a assumé des responsabilités, mais aussi de l'économie des actes de cessions qui ont dispensé la société Lor de fournir une garantie d'actif et de passif, et enfin de l'expérience de chef d'entreprise de M. [N], aucune faute relative à un défaut de conseil ne peut être retenue à l'encontre de la société In extenso, étant précisé au surplus que le préjudice invoqué n'est que purement éventuel dans la mesure où la société G7 investissement bénéficie d'un plan de redressement depuis le 5 février 2019 prévoyant le remboursement de 100% du passif social.

Il en est, à fortiori, de même pour le crédit vendeur consenti par la société Lor à la société Rol location, cette dernière n'ayant, en ce qui la concerne, fait l'objet d'aucune procédure collective et la société Lor ayant obtenu un titre à son encontre (ordonnance de référé du tribunal de commerce de Lyon du 18 octobre 2018- pièce 16 Lor)

Le jugement qui a rejeté la demande en paiement de la somme de 324 301,47 euros au titre du non règlement des crédits vendeur sera confirmé.

2°) Sur la révocation ad nutum des fonctions de directeur général et ses conséquences

L'article L. 227-5 du code de commerce, relatif aux sociétés par actions simplifiées, dispose que les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée.

Cette disposition est complétée par l'article L. 227-6 qui, depuis la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, envisage expressément la possibilité de désignation d'une ou plusieurs personnes portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, exerçant les pouvoirs confiés au président, seul organe de direction légalement obligatoire.

Par ailleurs, l'article L. 227-1, qui, en règle générale et sous réserve de leur compatibilité, prévoit que les dispositions relatives aux SA sont applicables aux SAS, exclut expressément l'application des articles L. 225- 17 à L. 225-102-2, de sorte que les dispositions relatives à la révocation des président, directeurs généraux et directeurs généraux délégués (articles L. 225- 47 et L. 225-55) ne s'appliquent pas aux SAS.

Ainsi, les conditions dans lesquelles les dirigeants d'une société par actions simplifiée peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu'il s'agisse des causes de la révocation ou de ses modalités.

En matière de sociétés par actions simplifiées, il est admis que, dans le silence des statuts, la règle supplétive concernant les modalités de la révocation à appliquer est la révocation ad nutum. (Com., 9 mars 2022, n°19 25 795).

En l'espèce, les statuts prévoient à l'article 19.3 « révocation » que « le Directeur Général peut être révoqué à tout moment, sans qu'il soit besoin d'un juste motif, par décision du comité de pilotage. Cette révocation n'ouvre droit à aucune indemnisation. »

D'une part, cette clause est parfaitement valable, d'autre part en explicitant très clairement les conditions dans lesquelles la révocation du directeur général pouvait intervenir, le rédacteur a ainsi permis aux parties d'être éclairées sur les risques encourus et n'a commis aucune faute, M. [N] ne pouvant sérieusement soutenir qu'il n'aurait pas compris la portée de cette clause et encore moins qu'il aurait signé les statuts sans les lire.

Son argumentation est d'autant plus malvenue, qu'alors que la révocation était possible sans invoquer un juste motif, cette dernière est intervenue pour des motifs précis qui ont été débattus lors de l'assemblée générale ordinaire annuelle du 23 mars 2017, puis d'une réunion du comité de pilotage du 28 avril 2017.

En effet, lors de l'assemblée générale du 23 mars 2017, compte tenu de la situation financière difficile de la société G7, l'assemblée a adopté et entériné la décision du comité de pilotage de réduire à compter du 1er avril 2017, à hauteur de moitié, la rémunération facturée par chacun des associés pour son mandat social, à savoir pour la société Lor une rémunération ramenée de 252 000 euros à 126 000 euros, résolution à laquelle cette dernière s'est opposée en votant contre.

Par ailleurs, cette même assemblée a décidé, à la suite de la condamnation in solidum des sociétés G7 sud et Lor dans des contentieux prudhommaux de demander à la société Lor le remboursement de la moitié des condamnations prud'hommales et des frais d'avocat. M. [N] a voté contre.

Enfin l'assemblée a adopté la résolution n° 12 suivante, seul M. [N] ayant voté contre :

« L'assemblée générale rappelle que la société G7 investissement est présidente de la filiale G7 sud et que G7 investissement est représentée au sein de G7 sud par M. [N].

Après que le président a rappelé le contexte et les tâches confiées lors de la constitution du groupe à M. [N] (tâches liées au back office, à l'informatique, à la supervision et l'encadrement des services comptables, de facturation, qualité et financier), l'assemblée générale décide de supprimer à M. [N] la représentation de G7 investissement au sein de la filiale G7 sud afin qu'il se consacre exclusivement aux tâches confiées et ce à compter de ce jour.

De plus l'assemblée générale constatant que les services encadrés par M. [N] sont localisés sur [Localité 4] et sur [Localité 6], elle décide, et ce à compter du 1er mai 2017 que le bureau de rattachement de M. [N] ne sera plus [Localité 3] mais [Localité 4] avec des déplacements réguliers et hebdomadaires sur [Localité 6]. »

A la suite de cette assemblée générale, le comité de pilotage s'est réuni le 28 avril 2017 pour délibérer sur la révocation de la société Lor de ses fonctions de directeur général de la société.

Il résulte du compte rendu que le président a, au préalable, exposé en détail, exemples à l'appui, qu'il était reproché à la société Lor des conflits entre ses propres intérêts et les intérêts du groupe G7, ainsi que la volonté de M. [N] de faire passer son intérêt personnel et donc celui de la société Lor avant l'intérêt du groupe, conflits d'intérêts incompatibles avec l'exercice de son mandat de directeur général.

M [N], invité à s'exprimer, n'a pas émis de contestation, déclarant ne rien avoir à dire, et les membres du comité de pilotage ont décidé à deux voix pour et une voix contre, la révocation à effet immédiat de la société Lor de ses fonctions de directeur général.

Ainsi, loin d'avoir subi les conséquences d'une disposition statutaire qu'elle considère injuste ou déséquilibrée la société Lor a été révoquée pour des motifs précis, et dans le respect du contradictoire.

En outre, c'est à tort que la société Lor fait valoir que, ne détenant que 20% du capital social de la société G7 investissement, elle s'est retrouvée dépouillée de tout pouvoir décisionnel, les seuls pouvoirs appartenant réellement à la société Thot corporation (Transports [F]), cliente historique du cabinet In extenso Mont Blanc et seule véritable bénéficiaire du montage juridique créé par ce dernier.

En effet, si aux termes des statuts, les décisions en assemblée générale sont prises à la majorité des voix des associés disposant du droit de vote, présents ou représentés, et que le droit de vote attaché aux actions de capital est proportionnel à la quotité de capital qu'elles représentent, chaque action de capital donnant droit à une voix au moins, il n'en est pas de même des décisions prises par le comité de pilotage qui le sont à la majorité des membres présents ou représentés, chaque membre disposant d'une voix.

Il en résulte que la révocation de la société Lor de ses fonctions de directeur général par le comité de pilotage, résulte non pas d'un montage juridique qui aurait été élaboré par l'expert-comptable afin de favoriser la société Transport [F] (Thot gestion) associée majoritaire, mais tout simplement de la décision de deux associés, dont un minoritaire, qui ont voté cette révocation au regard des manquements de la société Lor à ses obligations et des conflits d'intérêts existant avec la société G7, conflits auquel l'expert-comptable est totalement étranger.

A cet égard, il sera noté que la société AJ partenaires, dans son rapport du 10 septembre 2018 précité, a analysé les difficultés de la société G7 ayant conduit à son redressement judiciaire.

Après avoir pointé des difficultés sur le plan conjoncturel liées à une pénurie de chauffeurs qui a entrainé un très gros dérapage des charges sociales, et la présence d'une forte concurrence ayant empêché de renégocier les prix avec les clients, l'administrateur a relevé que sur le plan structurel, l'intégration des groupes Plein sud et N7 froid n'avait pas été sans difficulté sur le plan opérationnel, la réorganisation de ces deux entités s'étant terminée seulement à la fin du 2ème semestre 2017.

L'administrateur a ensuite indiqué : « En outre l'ancien dirigeant du groupe Plein sud, M. [N], avait pris les fonctions de directeur financier et désorganisé les équipes restantes. Celui-ci a été révoqué en avril 2017. »

Enfin la société Lor ne saurait imputer à la société In extenso les préjudices résultant de la perte de valeur des actions qu'elle détenait dans le capital de la société G7, ainsi que son exclusion en qualité d'associé en 2021.

Vainement, fait-elle valoir qu'à la suite de sa révocation de sa fonction de directeur général, elle s'est retrouvée empêchée de se retirer de la société G7 investissement, du fait de l'existence dans le pacte d'associés d'une clause de sortie prévoyant une décote du prix de rachat des titres, dégressive dans le temps.

En effet, cette clause s'applique en cas de « révocation pour juste motif du représentant de G7 investissement, mandataire social, consistant en une faute grave ou lourde telle que définie en matière de droit du travail pour la rupture du contrat de travail des cadres supérieurs. »

En l'espèce, rien n'établit que les motifs de révocation de la société Lor entraient dans ce cadre.

Par ailleurs, et en tout état de cause, la société Lor a fait l'objet d'une exclusion en sa qualité d'associée, suivant assemblée générale du 6 mai 2021, décision qui conformément à l'article 16 des statuts est nécessairement intervenue en prenant en compte le vote de chaque associé et non le nombre de titres détenus par ces derniers.

Cette exclusion a entrainé le rachat par la société G7 investissement des titres apportés par la société Lor.

Cette dernière fait valoir la perte de valeur des titres qu'elle avait apportés en novembre 2014, et qui représentaient à l'époque, selon elle, une somme de 2 497 487 euros.

Cette perte de valeur des titres apportés (1 700 000 euros et non 2 497 487 euros) est avérée puisque lors de l'assemblée du 28 juin 2019 les associés, dont M. [N], ont voté à l'unanimité la résolution suivante : « Compte tenu des résultats du groupe, la valeur unitaire vénale d'une action de la société mère G7 investissement est de zéro euro quel que soit le motif de l'opération de rachat de titres. »

Pour autant elle n'est aucunement imputable à un quelconque manquement de la société In extenso qui n'a commis aucune faute dans l'exécution de sa mission de rédacteur.

En revanche, il apparaît clairement que les préjudices invoqués par la société Lor ont pour cause les difficultés engendrées par cette opération de croissance externe dans laquelle elle s'est engagée en toute connaissance de cause, ainsi que la mésentente qui s'est installée entre les associés.

Le jugement, qui a rejeté l'intégralité des demandes de la société Lor, sera confirmé.

B - Sur les demandes accessoires

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société In extenso,

La société Lor qui échoue en son appel est tenue aux dépens exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Lor à payer à la société In extenso Mont blanc la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Lor aux dépens d'appel.