CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 7 mars 2019, n° 16/23108
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Moto Store Docks (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ponsot
Conseillers :
Mme Farssac, Mme Demarbaix
Vu le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 10 novembre 2016 ayant, notamment :
- débouté M. Christophe M. de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires,
- condamné M.M. à payer à la SAS Docks Station la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens ;
Vu la déclaration du 26 décembre 2016 par laquelle M. Christophe M. a relevé appel de cette décision ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 15 décembre 2018 aux termes desquelles M. Christophe M. demande à la cour de :
- réformer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 10 novembre 2016 en toutes ses dispositions,
- constater le caractère abusif des circonstances dans lesquelles il a été révoqué,
- condamner la société SAS Moto Store Docks à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de préjudice moral, augmentés des intérêts de droit au taux légal à compter de la présente assignation,
- condamner la société SAS Moto Store Docks à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société SAS Moto Store Docks aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 11 janvier 2019, aux termes desquelles la société SAS Moto Store Docks demande à la cour de :
- donner acte à M. M. qu'il ne critique pas le principe ni le bien-fondé de la décision de le révoquer de ses fonctions de directeur général de la SAS Moto Store Docks prise par le Président le 23 janvier 2014,
- dire et juger que M. M. ne démontre aucun abus dans le processus et les conditions ayant abouti à sa révocation,
- dire et juger que les décisions de nomination et de révocation du directeur général relèvent de la seule compétence du président, révocation qui n'a pas besoin d'être motivée dès lors que l'article L. 227-1 du code de commerce écarte, pour les sociétés par actions simplifiée telle que SAS Moto Store Docks, l'application de l'article L. 225-55 du code commerce exigeant de justes motifs,
- dire et juger que M. M. ne justifie de surcroît d'aucun préjudice spécifique distinct de celui éventuellement causé par sa révocation, ce dernier n'étant jamais indemnisable par application du principe de la révocation ad nutum du mandataire social,
- débouter M. M. pour le tout,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué,
- condamner M. M., en l'état d'une action tardive et mal-fondée, à payer à la société SAS Moto Store Docks la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP R. et associés ;
SUR CE, LA COUR
Attendu que M. Christophe M., M. Cyril V. et son épouse Mme Emmanuelle V. étaient les uniques associés de la société Docks Station, M. V. détenant 69,93 % du capital, M. M. 30 %, et Mme V. 0,07 % ;
Que la SAS Docks Station a fait l'acquisition de la totalité des titres de la SAS Station 7 qui exploite une concession BMW ; que la SAS Station 7 est elle-même l'actionnaire unique de la SAS Moto Store Docks ;
Que M. Cyril V. était président et M. M. directeur général de ces trois sociétés ;
Qu'à la suite de difficultés financières rencontrées par ces sociétés et de graves dissensions, M. M. a été révoqué par M. V. de ses fonctions de direction général de la société Station 7 par courrier du 22 janvier 2014, puis de ses fonctions de directeur général de la SAS Moto Store Docks par courrier du 23 janvier 2014, pour les mêmes raisons que celles évoquées dans le courrier du 22 janvier 2014 ;
Que faisant valoir que les circonstances dans lesquelles il avait été révoqué étaient abusives, M. Christophe M. a fait assigner la SAS Moto Store Docks devant le tribunal de commerce de Marseille, par acte en date du 3 octobre 2014, poursuivant sa condamnation à lui payer, avec exécution provisoire, la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que par le jugement entrepris, il a été débouté de ses demandes ;
Sur la révocation
Attendu que M. M. fait valoir qu'il était en arrêt maladie depuis le 9 janvier 2014 lorsque la lettre de révocation lui est parvenue et qu'il n'a pu faire valoir ses observations de sorte que le contradictoire n'a pas été respecté ; qu'il rappelle que le 9 janvier 2014 il s'était plaint par courrier à M. V. du harcèlement dont il était victime et de la volonté de ce dernier de l'évincer du groupe Station 7, puis que, par courrier de son avocat du 13 janvier 2014, il l'avait mis en demeure de l'informer des modalités de cession au groupe A. ;
Qu'il soutient que c'est à tort que le tribunal de commerce a retenu qu'ils avaient échangé sur leur différend préalablement à cette révocation ; qu'il fait, à cet égard, valoir, en premier lieu, que la lettre du 22 janvier 2014 n'émanait pas de la société Moto Store Docks mais de la société Station 7, qui a une personnalité juridique différente, de sorte qu'elle ne pouvait se prévaloir des motifs figurant dans la lettre de révocation adressée au même dirigeant par une autre société ; qu'il souligne, en second lieu, qu'il n'a pas été mis en mesure de présenter de quelconques observations, n'ayant appris qu'à réception du courrier du 23 janvier 2014 que les motifs figurant dans celui du 22 janvier 2014 étaient ceux ayant servi à le révoquer ;
Qu'il expose, s'agissant de son préjudice, qu'il a toujours eu un comportement exemplaire dans cette société tentant, quelles que soient les circonstances, de contribuer à sa pérennité, et que la brutalité et le caractère non contradictoire de sa révocation lui a causé un préjudice moral, qu'étant affaibli par la maladie lorsqu'elle est intervenue, son préjudice s'en est trouvé aggravé ; qu'il précise que le bruit a rapidement circulé au sein du 'petit monde' de l'automobile en région PACA qu'il s'était 'fait virer comme un malpropre' et qu'il a été contraint de s'exiler dans le Sud-Ouest pour reconstruire un avenir professionnel ;
Qu'en réponse la SAS Docks Station observe que M. M. ne discute à aucun moment les raisons de sa révocation ni sa régularité et n'élève en réalité qu'une critique formelle, consistant dans un parallèle avec le droit du licenciement d'un salarié ;
Qu'elle fait valoir qu'en application des articles 17 et 21 des statuts de la société, la décision de révocation du Directeur Général relève de la seule compétence du Président et précise qu'elle n'a pas à être motivée dès lors que l'article L.227-1 du code de commerce écarte pour les sociétés par actions simplifiées l'application de l'article L.225-55 du même code exigeant de justes motifs ;
Qu'elle souligne avoir matérialisé la révocation de M. M. par courrier du 23 janvier 2014 et l'avoir motivée en renvoyant à la décision de révocation identique prise dans la filiale opérationnelle Station 7, par courrier du 22 janvier 2014, expliquant en détail les motifs de sa perte de confiance ; qu'elle rappelle lui avoir fait grief de son désengagement soudain des affaires du groupe ' composé de la Holding Docks Station, de sa filiale Station 7 et de sa sous-filiale Moto Store Docks ' et sa stratégie personnelle contraire et préjudiciable à l'intérêt du groupe, au moment où il jouait sa survie ;
Qu'elle fait valoir que l'abus peut être caractérisé lorsque la révocation est adoptée dans des conditions intempestives et vexatoires portant atteinte à l'honneur et à la réputation du dirigeant évincé, mais que tel n'est pas le cas, l'absence de contradictoire, seule invoquée n'étant pas fautive en elle-même mais pouvant seulement être un élément d'appréciation de la brutalité de la décision ;
Qu'elle soutient que c'est M. M. qui, par un courrier du 9 janvier 2014 a multiplié les accusations infondées et, se désolidarisant de l'intérêt général du groupe, a imaginé un lien de subordination pour tenter de démontrer la persistance d'un ancien contrat de travail, dont il avait démissionné le 31 juillet 2012 ; qu'elle précise qu'il a été débouté de cette tentative par jugement du conseil des prud'hommes de Marseille le 18 janvier 2017, confirmé par arrêt de la cour du 7 juillet 2017 ; qu'elle fait valoir qu'il s'est, le 9 janvier 2014, mis en arrêt maladie pour un motif invérifiable (dépression nerveuse) puis que son conseil, par courrier du 13 janvier 2014, a reproché à M. V. d'avoir violé les statuts des sociétés du groupe et l'a mis en demeure de lui préciser comment il comptait évincer son client du groupe tout en prétextant que cette décision serait déjà acquise ;
Qu'elle déduit de ces initiatives que M. M. s'est, de lui-même, exclu du lien de confiance et de solidarité nécessaire au maintien de ses fonctions de directeur général et ne pouvait s'attendre à aucune autre décision que sa révocation dont il ne peut prétendre qu'elle serait survenue brutalement ;
Qu'elle souligne que la révocation est bien intervenue sur papier à en-tête de la société Moto Store Docks, le courrier du 22 janvier 2014 étant porté en annexe, et que c'est par souci de concision qu'elle a procédé par renvoi aux motifs qu'il contenait ;
Qu'elle fait valoir que M. M., directeur général de la société mère Docks Station, sa filiale Station 7 et sa sous-filiale Moto Store Docks, ne cumulait avec ses mandats sociaux aucun contrat de travail ; qu'ils formaient avec M. V. une direction collégiale soudée et uniforme, prenant ensemble les décisions pour l'ensemble du groupe, lequel comprenait également une SCI First Step, propriétaire des murs de Moto Store Docks, et une société soeur, la SARL Financière Vraimep chargée de centraliser la rémunération des deux associés dirigeants ; qu'elle
précise que dans le courrier du 22 janvier 2014 le Président avait consacré l'essentiel de ses développements et griefs à la situation du groupe en général, et sur la rupture du lien de confiance et de solidarité indispensable qui doit exister entre le président et son directeur général, de sorte qu'il pouvait parfaitement servir de motif à la révocation de M. M. de toutes les sociétés du groupe ;
Qu'elle estime qu'alors que le président tentait de sauver toutes les sociétés du groupe Station 7 et tous ses emplois, M. M. se rendant compte que la situation du groupe, au bord de la cessation des paiements, ne lui permettrait pas de négocier sa sortie comme il l'entendait avec le constructeur BMW France ou l'éventuel repreneur, a tenté de s'inventer un lien de subordination, s'est placé en arrêt maladie pour une cause invérifiable et initié des procédures à l'encontre de toutes les sociétés du groupe pour tenter d'en tirer profit ;
Qu'elle soutient que M. M. confond le préjudice lié à une déclaration de révocation infondée et irrégulière avec le préjudice spécifique, distinct et qu'elle conteste par ailleurs, que lui aurait éventuellement causé le manquement au seul principe du contradictoire ; qu'elle fait valoir qu'en l'état des courriers échangés M. M. savait pourquoi il était révoqué et n'avait nul besoin de s'en entretenir de vive voix avec le président ;
Attendu que la révocation du directeur général d'une SAS peut intervenir à tout moment et n'est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à sa réputation ou à son honneur ou si elle a été décidée brutalement, sans respecter l'obligation de loyauté dans l'exercice du droit de révocation ; que l'absence de déloyauté ressort notamment de la possibilité pour le dirigeant de s'expliquer sur les griefs dont il fait l'objet, ce qui suppose qu'il ait eu connaissance des motifs de sa révocation préalablement à la décision ;
Que la révocation de M. M. de son mandat de directeur général de la SAS Moto Store Docks, par courrier du 23 janvier 2014, à effet immédiat, a été prononcée 'pour les mêmes raisons que celles évoquées dans la lettre du 22 janvier 2014" qui y était jointe , laquelle avait pour objet sa révocation de son mandat de directeur général de la SAS Station 7 ;
Qu'il doit être rappelé que M. M. a adressé au président de la société Station 7, M. V., un courrier de 3 pages, le 9 janvier 2014, par lequel il élevait de nombreux griefs à son encontre, faisant suite à un entretien s'étant tenu le 7 janvier 2014 ; qu'il évoquait, dans cette lettre, l'intention du président de l'évincer, la suspicion de ce dernier à son égard, les reproches qui lui auraient été faits et le harcèlement dont il serait victime ; qu'il résulte par ailleurs de cette missive que M. M. revendiquait l'existence d'un contrat de travail faisant état, à plusieurs reprises, de sa qualité de préposé ou du lien de subordination contractuel les unissant, mais également du risque de perte définitive de son emploi ; qu'il indiquait par ailleurs il convient de vous rappeler la réalité des événements dont vous m'avez informé et pour lesquels vous vous apprêtez à m'exclure de facto de la société ;
Que l'avocat de M. M. a, le 13 janvier 2014, écrit au président de la société Docks Station : Mon client a appris récemment que vous auriez pour projet de faire entrer de nouveaux actionnaires au capital de la société Docks Station. Il a également eu connaissance en lisant le budget prévisionnel pour l'année 2014 que vous comptiez sans raison légitime 'l'évincer' purement et simplement de l'organigramme de votre groupe. [...] Veuillez me préciser les modalités selon lesquelles vous comptez procéder pour 'évincer' purement et simplement mon assisté de votre groupe et ce alors que cous lui avez indiqué votre décision comme acquise alors qu'il n'a commis aucune faute ' ;
Que par lettre du 22 janvier 2014 la société Station 7 a révoqué M. M. de son mandat de directeur général, se fondant notamment sur les courriers précités, lesquels avaient conduit à une rupture du lien de confiance et solidarité indispensable devant exister entre un président et son directeur général ;
Qu'il n'est pas contesté que la rupture du lien de confiance pouvait justifier la révocation de M. M. des trois sociétés du groupe, eu égard à l'étroitesse des liens unissant Docks Station, Station 7 et Moto Store Docks, qui toutes trois avaient les mêmes dirigeants ; que le renvoi fait par la société Moto Store Docks , pour les motifs de sa révocation, à la longue lettre de révocation du 22 janvier 2014 de son mandat dans la société Station 7 n'est, en lui-même, pas critiquable ; que, cependant, comme le souligne l'intimée elle-même, sont en cause non les motifs de la révocation, s'agissant d'une révocation ad nutum, mais les circonstances dans lesquelles elle est intervenue, M. M. en dénonçant la brutalité, faute de respect du contradictoire ;
Que la société Moto Store Docks ne justifie pas avoir mis M. M. en mesure de présenter ses observations sur la décision qu'elle envisageait de prendre à son égard, alors même qu'elle n'a pas été prise le même jour que sa révocation de ses fonctions au sein de la société Station 7 ; que si M. M. a eu l'occasion de s'exprimer sur des griefs qui avaient pu être évoqués relativement à ses fonctions au sein de la société Station 7, l'existence d'échanges concernant son mandat au sein de la société Moto Store Docks n'est pas établie, ni même alléguée ;
Que M. M. n'établit par aucune pièce que la dépression dont il souffrait, qui avait justifié son arrêt de travail du 9 janvier 2014 au 30 janvier 2014, ait été aggravée par la brutalité de la révocation ; qu'il ne justifie pas davantage de la rumeur qui aurait suivi cette révocation ;
Que le préjudice moral causé à M. M. par les circonstances de sa révocation sera justement réparé par des dommages et intérêts à hauteur de 2 000 euros ;
Que le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions ;
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Attendu que la SAS Moto Store Docks, qui succombe, sera condamnée aux dépens ; que ses prétentions sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront pour ce motif rejetées ;
Qu'il serait inéquitable que M. M. conserve la charge des frais non compris dans les dépens, exposés pour se défendre en justice ; que la société Moto Store Docks sera condamnée à lui payer la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile de ce chef ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement
Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 10 novembre 2016 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Condamne la SAS Moto Store Docks à payer à M. Christophe M. la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la brutalité de la révocation de son mandat de directeur général ;
Condamne la SAS Moto Store Docks à payer à M. Christophe M. la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SAS Moto Store Docks de ses prétentions au même titre ;
Condamne la SAS Moto Store Docks aux entiers dépens.