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Décisions

CA Metz, ch. com., 19 septembre 2019, n° 17/01594

METZ

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Mahle Behr France Hambach (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guiot-Mlynarczyk

Conseillers :

Mme Devignot, Mme Fournel

TGI Sarreguemines, du 21 mars 2017

21 mars 2017

EXPOSE DU LITIGE

M. K. a été employé à compter du 18 décembre 1995 par la SARL Behr Lorraine devenue ensuite la société Behr France Hambach en qualité de directeur administratif et financier. La société Behr Holding GmbH, associé unique de la société Behr France Hambach a décidé, selon procès-verbal du 23 juin 2010, de transformer cette dernière en SAS . M. B. a alors été nommé en qualité de président et M. K. en qualité de directeur général. En 2013, la société a été reprise par le groupe allemand Mahle et est devenue la SAS Mahle Behr France Hambach ( SAS Mahle BFH).

Par procès-verbal en date du 19 décembre 2014, l'associé unique la société Mahle Behr Holding GmbH, propriétaire de la SAS Mahle BFH, a pris acte de la démission de son président, M. B., en raison de son départ à la retraite, et de la fin des fonctions de directeur général de M. K. au 31 décembre 2014, conformément à l'article 13 des statuts. Parallèlement, M. G. était nommé en qualité de président à compter du 1er janvier 2015.

M. K. a sollicité sa réintégration par courrier en date du 03 février 2015.

Par acte d'huissier en date du 29 mai 2015, M. K. a fait assigner la SAS Mahle BFH devant le tribunal de grande instance aux fins de voir sa révocation déclarée nulle et sa réintégration ordonnée. Selon ses dernières conclusions récapitulatives, M. K. a demandé au tribunal de :

- juger nulle sa révocation

- ordonner sa réintégration dans son mandat de directeur général de la SAS Mahle BFH

- ordonner à la SAS Mahle BFH de procéder aux formalités consécutives dans un journal d'annonces légales et auprès du RCS de Sarreguemines dans un délai de 15 jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard

- subsidiairement, dire que sa révocation était abusive et condamner la SAS Mahle BFH à lui payer la somme de 200.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans le Républicain Lorrain, édition Sarreguemines, aux frais de la SAS Mahle BFH

- condamner la SAS Mahle BFH à lui payer la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

La SAS Mahle BFH a demandé au tribunal de dire et juger l'action de M. Pierre K. infondée, de le débouter de ses demandes et le condamner au paiement d'une somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Par jugement du 21 mars 2017, le tribunal de grande instance de Sarreguemines, chambre commerciale, a débouté M. K. de ses demandes et l'a condamné à payer à la SAS Mahle Behr France Hambach la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles

outre les dépens.

Le tribunal a relevé que les statuts stipulaient que la durée des fonctions de directeur général serait fixée dans l'acte de nomination sans pouvoir excéder celle des fonctions du président et que les conditions de révocation seraient fixées dans ce même acte de nomination. Il a ajouté que par délibération du 23 juin 2010, M. B. et M. K. avaient été respectivement nommés président et directeur général pour une durée indéterminée et sans limitation du droit de révoquer les mandataires sociaux. Le tribunal a considéré que s'il avait été donné un motif à la révocation des fonctions du directeur général, ce motif n'était pas nécessaire en vertu du principe discrétionnaire et que le fait d'avoir lié le sort du directeur général au départ du président ne constituait pas un abus. Il a en outre estimé que cette révocation en date du 19 décembre 2014 n'était ni brutale ni vexatoire, dans la mesure où elle était intervenue après une période de pourparlers entre les parties qui n'avaient pas abouti et alors qu'une procédure de licenciement de son poste de directeur financier avait déjà été engagée. Le tribunal a en outre constaté que toutes les prérogatives de direction avaient été retirées à M. K. en même temps que la délibération de révocation en date du 19 décembre 2014 et qu'il n'en avait donc pas été informé trois semaines plus tard. Il a enfin relevé que les fonctions de directeur général ne correspondaient à aucune prérogative propre par rapport à celles de directeur administratif et financier et que seul ce poste était d'ailleurs rémunéré.

Par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel de Metz le 8 juin 2017, M. K. a interjeté appel de ce jugement.

Il conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de :

- condamner la SAS Mahle BFH à lui payer la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans le Républicain Lorraine, édition de Sarreguemines, aux frais de la SAS Mahle BFH

- condamner la SAS Mahle BFH à lui payer la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, ainsi que la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Il expose que les conditions de direction de la société sont uniquement régies par les statuts, qui prévoient que le directeur général ne peut être nommé pour une durée supérieure à celle des fonctions de président mais que cette stipulation ne signifie pas que la fin du mandat de président entraîne automatiquement la fin du mandat du directeur général. Il précise que la transformation de la société en SAS et la rédaction des statuts étaient animées par la volonté de ne pas bloquer la gouvernance de la société en cas d'empêchement du

gérant, étant précisé que le président et le directeur général disposaient des mêmes pouvoirs. Il estime avoir été victime d'une révocation ad nutum, procédé illégal dans les sociétés par actions simplifiées. Il précise que la société entendait se séparer de lui et confier ses responsabilités à M. F., avant même que M. B. ne démissionne de son mandat de président. Pour établir par ailleurs le caractère abusif de sa révocation, il indique que la société l'a informé de la fin de son mandat plus d'un mois après la nomination du nouveau président et l'a laissé continuer à exercer son mandat de directeur général pendant plus de trois semaines alors qu'il n'était plus directeur général. Il précise en avoir été informé par le comité d'entreprise avant réception du courrier lui notifiant sa révocation, cette circonstance étant vexatoire et humiliante. Il ajoute que les circonstances de la révocation déguisées suffisent à rendre la révocation abusive, étant précisé que les droits de la défense et le principe du contradictoire n'ont pas été observés. S'agissant de la sanction, il indique qu'il maintient sa demande de nullité de la révocation et de réintégration car il reste intéressé par le sort de cette société qu'il a accompagné depuis sa création. Subsidiairement, il expose que le caractère abusif de la révocation justifie l'octroi de dommages et intérêts, du fait notamment de sa publication dans un journal d'annonces légales et de l'atteinte portée à sa réputation. Il précise à ce titre avoir dû quitter plusieurs de ses mandats dans les conseils d'administrations d'autres sociétés.

La SAS Mahle BFH conclut à la confirmation du jugement et demande à la cour de condamner M. K. au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens au titre de la 1ère instance, et au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens au titre de l'appel.

Elle expose en premier lieu que la cessation des fonctions de M. K. n'a pas résulté d'une révocation, mais de la démission du président de la société et de l'impossibilité de prolonger la durée des fonctions du directeur général au delà de celle des fonctions du président en application de l'article 13 des statuts. Elle soutient à ce titre que les statuts font du directeur général un auxiliaire du président, ce dernier décidant de sa nomination et disposant d'un ascendant hiérarchique. Elle ajoute que M. B., ancien président et rédacteur des statuts, a confirmé cette interprétation. Elle indique que l'identité de pouvoirs entre les fonctions du président et du directeur général invoquée par M. K. est relative puisqu'elle ne vaut que si la décision de nomination ou une décision ultérieure n'en ont pas décidé autrement et qu'il ne peut en être déduit qu'un maintien du directeur général après le départ du président est possible. Elle rappelle par ailleurs les dispositions de l'article 1162 du code civil, qui prévoient que, dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé (M. K. qui a participé à la rédaction des statuts) et en faveur de celui qui a contracté l'obligation (la SAS Mahle BFH).

L'intimée expose en second lieu qu'à supposer qu'il y ait eu révocation, celle-ci ne serait pas irrégulière. Elle précise à ce titre que la révocation ad nutum est de principe tant au regard du droit des sociétés, y compris pour les SAS , et même si les statuts sont silencieux sur ce point, qu'au regard des dispositions de l'article 2004 du code civil sur la libre révocabilité du mandat. Elle en déduit qu'aucun motif n'est dès lors nécessaire. Elle ajoute que cette révocation ne serait pas non plus abusive puisque la cessation des fonctions de directeur général résultait automatiquement de la cessation des fonctions du président et qu'aucune discussion contradictoire ou mise en œuvre des droits de la défense n'était requise. Elle précise par ailleurs que la publication de la cessation des fonctions de directeur général

était obligatoire. Elle ajoute que M. Pierre K. a été informé par courrier remis en main propre le 16 janvier 2015 de la décision de ne pas renouveler son mandat de directeur général, information réitérée par courrier recommandé le 22 janvier 2015 suite au refus de ce dernier de contresigner la lettre, étant précisé que le comité d'entreprise n'a pas été informé avant lui de cette décision puisqu'il en a été avisé lors de la réunion du 26 janvier suivant. Elle rappelle enfin que le mandat social de M. Pierre K. n'était pas rémunéré et que le tribunal de grande instance de Sarreguemines en a justement déduit que les fonctions de directeur général ne correspondaient à aucune prérogative ou activité propre par rapport à celles de directeur administratif et financier et que la révocation de M. K. n'a pas été faite de manière vexatoire ou détournée .

MOTIFS DE LA DECISION :

Vu les écritures déposées le 8 septembre 2017 par M. K. et le 6 novembre 2017 par la SAS Mahle BFH, auxquelles la Cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 7 février 2019 ;

Sur la révocation

Attendu au préalable qu'en application de l'article 954 du code civil, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ;

Qu'il convient de relever que si M. K. sollicite dans le corps de ses conclusions la nullité de la révocation de ses fonctions de directeur général ainsi que sa réintégration, ces prétentions ne sont pas reprises dans le dispositif de ses conclusions ; que la cour n'en est donc pas saisie et n'a pas à statuer sur ces demandes ;

Attendu que l'article L227-5 du code de commerce dispose que les statuts fixent les conditions dans lesquelles une société par actions simplifiées est dirigée ;

Qu'en l'espèce, les statuts disposent que «le président peut donner mandat à une personne morale ou une personne physique de l'assister en qualité de directeur général (...)La durée des fonctions du directeur général est fixée dans la décision de nomination sans que cette durée puisse excéder celle des fonctions du président. Les conditions de révocations sont fixées dans l'acte de nomination» ;

Que M. K. a été nommé directeur général par décision de la société Mahle Behr Holding GmbH, associé unique, du 23 juin 2010 ; que le procès-verbal de cette décision stipule que «l'associé nomme en qualité de président de la société, sans limitation de durée, M. B.» et que «l'assemblée générale nomme en qualité de directeur général, sans limitation de durée, M. K. » ; que l'acte de nomination ne prévoit aucune disposition au titre de la révocation du directeur général ni, plus largement, au titre de la cessation de ces fonctions ; qu'il faut en déduire, comme l'ont relevé les premiers juges, que l'intention des parties était de garder toute liberté sur ce point et de ne pas limiter les conditions de révocation ;

Attendu qu'en l'absence de disposition expresse, l'intention des parties découlant des statuts doit donc prévaloir ;

Qu'il sera relevé que le directeur général est nommé par le président et qu'il est prévu que la durée de ses fonctions ne peut excéder celles du président ; que ces dispositions traduisent un intuitu personnae et un lien de confiance forts entre le président et le directeur général ; que si les statuts prévoient que le directeur général a les mêmes pouvoirs que le président, le directeur général ne peut cependant perdurer si les fonctions du président cessent ; que son maintien est ainsi subordonné au maintien des fonctions de président, étant ajouté que la formulation de l'article 13 des statuts s'oppose clairement à l'interprétation de l'appelant qui affirme que les parties souhaitaient conserver une continuité dans la gestion et éviter une vacance du pouvoir en permettant au directeur général de rester même après le départ du président ;

Que M. B. dans son attestation, indique avoir participé à la rédaction des statuts et déclare «en ce qui concerne les fonctions de directeur général, il était prévu, comme de coutume d'ailleurs, que la durée soit liée à celle de la durée du mandat du président ; de ce fait, la fin du mandat du président devait entraîner la fin du mandat du directeur général » ;

Qu'ainsi, la décision du 19 décembre 2014 qui stipule que «conformément à l'article 13 des statuts, les fonctions de directeur général de M. K. prennent fin avec le départ du président, M. B., à savoir au 21.12.2014 » est bien conforme à la volonté des parties et aux statuts de la SAS Mahle BFH ;

Attendu, qu'en outre, au regard du droit commun du mandat et des dispositions de l'article 2004 du code civil, la libre révocation du mandat est de principe, étant précisé que l'article L 227-1 du code de commerce précise que les articles L 225-17 à L225-102-2 du même code (comprenant les conditions de révocation des fonctions de directeur général dans les sociétés anonymes) ne s'appliquent pas aux sociétés par actions simplifiée ;

Que le directeur général pouvait donc être révoqué ad nutum, sauf à ce qu'il soit établi que cette révocation était abusive ou vexatoire ;

Or attendu que c'est par de justes motifs qu'il convient d'adopter que les premiers juges ont considéré, d'une part, que le fait de lier le sort du directeur général à celui du président n'est pas constitutif d'un abus, et, d'autre part, que la révocation n'était ni brutale ni vexatoire dans la mesure où elle était intervenue après plusieurs mois de pourparlers n'ayant pas abouti, comme l'indique l'appelant lui-même dans ses courriers des 1er juillet 2014 et 17 septembre 2015 et alors qu'une procédure de licenciement était entamée ;

Qu'il sera ajouté qu'il résulte de l'arrêt de la cour d'appel de Metz en date du 28 février 2017 confirmant le jugement du conseil de prud'hommes de Metz du 12 février 2016, qu'il a été produit à hauteur de cour deux lettres des 16 et 22 janvier 2015 de la SAS Mahle BFH informant M. K. de la fin de son mandat de directeur général, donc antérieurement à l'information donnée au comité d'entreprise le 26 janvier 2015, et que le nouveau directeur général n'a été nommé que le 30 janvier 2015 ;

Qu'en conséquence, le jugement entrepris sera confirmé dans toutes ses dispositions ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Attendu que le jugement est confirmé sur les dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Qu'il convient de condamner M. K. qui succombe, aux dépens de l'appel ; qu'au regard de l'équité, il convient de le condamner à payer à la SAS Mahle BFH la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de le débouter de sa demande formée sur ce même fondement ;

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. K. à payer à la SAS Mahle BFH la somme de 2.500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE M. K. de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE M. K. aux dépens d'appel.