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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3 et 2, 7 mai 2019, n° 18/11112

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Messias

Conseillers :

Mme Durand, Mme Chalbos

T. com. Fréjus, du 25 juin 2018, n° 2017…

25 juin 2018

La SAS Adom a été constituée le 3 novembre 2014 entre Messieurs Arnaud D., Dominique C., Mathieu R. et Olivier J. pour l'exploitation d'une activité de bar brasserie restauration par la location gérance d'un fonds de commerce dénommé le Touring à Saint Raphaël. Monsieur Arnaud D. était nommé président de la société et Monsieur Mathieu R. directeur général.

La SAS Adom a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Fréjus du 4 juillet 2016, procédure convertie en liquidation judiciaire par jugement du 17 octobre 2016, Maître Anne D. étant désignée en qualité de liquidateur.

Par acte en date des 16 et 22 juin 2017, Maître D. a fait assigner Messieurs Arnaud D., Mathieu R. et Olivier J. devant le tribunal de commerce de Fréjus aux fins d'entendre, sur le fondement des articles L225-251 et L227-1 du code de commerce :

- constater que Monsieur Olivier J. et Monsieur Mathieu R. ont exercé de manière indépendante une activité positive de direction, c'est à dire accompli des actes de disposition des biens de la société,

- les dire et juger dirigeants de fait de la SAS Adom devant répondre, aux côtés de Monsieur D., des dissipations d'actifs constatés de juillet à octobre 2016,

- condamner Messieurs Arnaud D., Mathieu R. et Olivier J. au paiement des sommes suivantes :

- 10127,22 € au titre du détournement des immobilisations comptabilisées,

- 12000 € au titre du remboursement des paiements indus,

- 11999,96 € au titre du manque en caisse d'août 2016,

- 48882,83 € au titre des reconstitutions de recettes au 30 septembre 2016,

- 22903,51 € au titre du solde des cotations manquant,

- condamner Messieurs Arnaud D. et Olivier J. au paiement solidaire et conjoint de la somme de 2850 € au titre du remboursement de la facture Veolia, payée pour la SARL DJ immobilier,

- condamner Monsieur Olivier J. au paiement de la somme de 8280 € au titre de la restitution de remboursement indu,

- condamner Monsieur Mathieu R. au paiement de la somme de 20000 € au titre de la restitution de remboursement indu.

Par jugement du 25 juin 2018 le tribunal de commerce a débouté Maître D. de ses demandes, sauf en ce qui concerne la condamnation de Messieurs Arnaud D. et Olivier J. au paiement de la somme de 2850 € au titre du remboursement de la facture Veolia.

Le tribunal a notamment retenu à cet effet :

- que le fait que Messieurs R. et J. aient été titulaires de procurations sur le compte bancaire de la société ne faisait pas d'eux des dirigeants de fait, qualité qui n'était pas prouvée à leur encontre,

- que la preuve que les associés auraient récupéré des actifs de la société n'était pas rapportée,

- qu'il n'y avait eu aucune poursuite pénale ni reconstitution de la comptabilité par un expert comptable,

- que Monsieur R. avait déclaré avoir payé des dettes de la société grâce à des espèces de la société Adom.

Maître D. a interjeté appel de cette décision le 3 juillet 2018.

Par conclusions déposées et notifiées le 3 octobre 2018 elle demande à la cour de :

- dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté à l'encontre du jugement querellé, y faire droit,

- réformer ledit jugement en toutes ses dispositions sauf celle condamnant Messieurs D. et J. au paiement de la somme de 2850 €,

- pour le surplus statuant à nouveau, vu les articles L225-251 et L227-1 du code de commerce,

- constater que Monsieur Olivier J. et Monsieur Mathieu R. ont exercé de manière indépendante une activité positive de direction, c'est à dire accompli des actes de disposition des biens de la société,

- les dire et juger dirigeants de fait de la SAS Adom devant répondre, aux côtés de Monsieur D., des dissipations d'actifs constatés de juillet à octobre 2016,

- condamner Messieurs Arnaud D., Mathieu R. et Olivier J. au paiement solidaire et conjoint des sommes de :

- 10127,22 € au titre du détournement des immobilisations comptabilisées,

- 12000 € au titre du remboursement des paiements indus,

- 11999,96 € au titre du manque en caisse d'août 2016,

- 48882,83 € au titre des reconstitutions de recettes au 30 septembre 2016,

- 22903,51 € au titre du solde d'exploitation manquant,

- condamner Messieurs Arnaud D. et Olivier J. au paiement solidaire et conjoint de la somme de 2850 € au titre du remboursement de la facture Veolia, payée pour la SARL DJ immobilier,

- condamner Monsieur Olivier J. au paiement de la somme de 8280 € au titre de la restitution de remboursement indu,

- condamner Monsieur Mathieu R. au paiement de la somme de 20000 € au titre de la restitution de remboursement indu,

- condamner les requis au paiement solidaire et conjoint de la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP T. P. V. T..

Par conclusions déposées et notifiées le 19 octobre 2018, Monsieur R. demande à la cour de confirmer le jugement de première instance et de débouter Maître D. ès qualités de l'ensemble de ses demandes.

Les autres intimés n'ont pas constitué avocat.

Par conclusions communiquées le 1er mars 2019, le ministère public déclare s'en rapporter à la décision de la cour.

MOTIFS :

Maître D. fonde son action sur les dispositions des articles L225-251 du code de commerce, applicables aux SAS en vertu de l'article L227-1 du même code, et dont il résulte que les dirigeants des SA et des SAS sont responsables individuellement ou solidairement envers la société ou envers les tiers des fautes commises dans leur gestion.

Les fautes reprochées aux dirigeants ayant été commises postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire de la SAS Adom, les dispositions des articles L651-1 et suivants relatifs à la responsabilité des dirigeants pour insuffisance d'actif ne trouvent pas à s'appliquer, de sorte que le liquidateur est recevable à agir sur le fondement du droit commun de la responsabilité des dirigeants.

En revanche, les dispositions de l'article L225-251 n'étant applicables qu'aux dirigeants de droit, l'action intentée contre le ou les dirigeants de fait ne peut être fondée que sur les dispositions de l'article 1382 ancien, devenu 1240 du code civil.

Messieurs Arnaud D. et Mathieu R., respectivement président et directeur général de la SAS Adom ainsi qu'il ressort des statuts versés aux débats ont tous deux la qualité de dirigeant de droit de la société, ce qui n'est du reste pas contesté par Monsieur R..

Le motif du jugement selon lequel la qualité de dirigeant de fait de Monsieur R. ne serait pas démontrée est en conséquence inopérant.

S'agissant de Monsieur Olivier J., actionnaire non investi statutairement de fonctions de direction et de représentation, il résulte d'une part d'un mail de la Banque populaire Côte d'Azur du 10 octobre 2016 que Monsieur J. avait la signature sur les comptes bancaires jusqu'en septembre 2016 et d'autre part des mentions portées sur le grand livre général de la société Adom pour la période du 1 janvier au 30 septembre 2016, au compte courant d'associé de Monsieur J. et au compte 'retrait en attente' que ce dernier a lui-même procédé pour le compte de la société et de manière régulière entre janvier et juillet 2016 à des paiements de factures de fournisseurs ou de salaires dus à deux salariés, ces circonstances étant suffisantes à démontrer l'exercice d'une gestion de fait.

Sur la disparition des immobilisations comptabilisées :

Maître D. demande la condamnation solidaire de Messieurs D., R. et J. au paiement d'une somme de 10127,22 € représentant la valeur nette des immobilisations figurant au bilan de la société Adom, ces actifs ayant été dissipés.

L'existence et la valeur nette comptable de ces actifs sont justifiées par la production du bilan au 31 décembre 2015 établi par le cabinet C., expert comptable, et d'un tableau détaillé des immobilisations et amortissements édité le 20 juillet 2016.

Ces documents comptables non contestés par l'intimé démontrent que la société Adom disposait notamment de matériels et outillages dont la liste est précisément détaillée, d'une valeur totale de 9018,34 €, et de deux scooters de marque Piaggio acquis le 20 mai 2015 d'une valeur de 554,44 € chacun (valeur nette après amortissement).

Le procès-verbal de recollement d'inventaire dressé le 17 octobre 2016 par Maître T., huissier de justice à Fréjus, en présence de Monsieur D., à partir de l'état des immobilisations transmis par Maître D. fait apparaître qu'à l'exception d'une étagère en inox tordue et hors d'usage et de plateaux ronds installés sur des pieds de tables appartenant au propriétaire du fonds, sont absents des locaux d'exploitation deux enceintes Bose, une cave à vins, une armoire de stockage positive, un four micro-ondes, un système de gestion et imprimante, un four électrique, 40 fauteuils, des tabourets de bar, les luminaires, les scooters Piaggio, le kit vidéo et les portables.

Monsieur Arnaud D. a déclaré à l'huissier que les appareils électriques auraient été endommagés par une panne électrique et que les scooters auraient été volés, mais que ces dommages n'ont fait l'objet d'aucune déclaration auprès de la compagnie d'assurance de la société et d'aucune plainte pour vol.

Messieurs D. et R., dirigeants de droit, et Monsieur J., dirigeant de fait, n'ont fourni aucune explication sérieuse sur la disparition totale, à l'arrêt de l'activité de la société, du matériel d'exploitation de la société dont ils avaient la responsabilité.

Ils seront en conséquence condamnés solidairement à indemniser la société Adom du préjudice résultant de la disparition de ces actifs à hauteur de la somme de 10127,22 €, le jugement étant réformé sur ce point.

Sur les paiements indus au profit des dirigeants :

Se fondant sur le grand livre général établi pour la période du 1er janvier au 30 septembre 2016, Maître D. relève que Monsieur J. s'est fait rembourser entre le 1er et le 3 juillet 2016 une somme de 2170 € apparaissant sur son compte courant d'associé ainsi qu'une somme totale de 6110 € entre le 6 et le 17 juillet 2016, enregistrée au compte 'retraits en attente', que Monsieur R. s'est fait rembourser entre le 7 et le 28 août une somme totale de 20000 € enregistrée au compte 'retraits en attente' et que ce dernier compte mentionne également des retraits en attente d'un montant total de 12000 € sans indication de bénéficiaire.

Monsieur R. prétend que ces retraits correspondent au paiement de factures des sociétés TDE électricité générale (7896 €), Sun Store (6400 €) et Casino (4514,40 €+3978 €).

Cette explication étant corroborée par la production des factures correspondantes acquittées et le fait que ces paiements sont enregistrés au compte 'retraits en attente' avec la mention 'payé par R.', aucune condamnation ne sera prononcée de ce chef à son encontre.

Concernant les retraits effectués par Monsieur J., titulaire d'un compte courant d'associé créditeur de 54838,91 € à la date d'ouverture de la procédure collective, les remboursements préférentiels effectués pendant la période d'observation à hauteur de 2170 € doivent donner lieu à restitution.

Doivent également être restitués les prélèvements mentionnés sur le compte 'retraits en attente' pour un montant de 6110 € et qui ne peuvent être compensés avec des créances antérieures à l'ouverture de la procédure collective.

Monsieur J. sera en conséquence condamné au remboursement d'une somme totale de 8280 €, le jugement étant réformé sur ce point.

La seule mention, au compte 'retraits en attente' de 5 retraits enregistrés entre le 20 juillet et le 5 août 2016 pour un montant de 12000 € sans précision sur la cause du mouvement et sur le bénéficiaire est insuffisante à caractériser une faute de gestion imputable à l'ensemble des dirigeants.

La demande de condamnation formée par Maître D. à ce titre sera rejetée.

Sur la facture Veolia, payée pour la SARL DJ immobilier :

Les premiers juges ont condamné solidairement Messieurs D. et J. à rembourser une somme de 2850 € au titre d'une facture Veolia payée par la société Adom pour le compte d'une société DJ immobilier dont ils sont les associés et dirigeants.

Ce chef de condamnation ne fait l'objet d'aucune critique des parties ayant constitué et sera en conséquence confirmé.

Sur la disparition du solde de caisse existant au 30 août 2016 :

Maître D. fait valoir qu'au 31 août 2016, le compte de caisse présentait un solde débiteur de 11999,96 €, ce qui signifie que cette somme était disponible en espèces en caisse, qu'elle ne lui a cependant pas été remise par les dirigeants qui lui ont indiqué après le prononcé de la liquidation qu'il n'existait plus de fonds disponibles.

Monsieur R. prétend que le montant du solde de caisse a été utilisé pour payer les fournisseurs jusqu'au prononcé de la liquidation.

Le compte de caisse du grand livre général édité le 4 octobre 2016 a été arrêté au 31 août 2016. Aucun mouvement n'a été enregistré pour le mois de septembre 2016 alors que l'établissement était encore en activité. Le solde de caisse de 11999,96 € ne correspond donc pas au solde réel existant à l'arrêt de l'activité.

Les relevés bancaires versés aux débats ne font apparaître aucun paiement de fournisseur sur le mois de septembre 2016 et aucune remise d'espèces, ce qui corrobore les allégations de Monsieur R., selon lesquelles la fin de l'activité aurait été financée à l'aide des fonds disponibles en espèces, en ce qui concerne les achats.

Les éléments produits par le liquidateur sont insuffisants à caractériser une faute des dirigeants à l'origine d'un appauvrissement de la société de 11999,96 €.

Ce chef de demande sera rejeté.

Sur la reconstitution des recettes et le solde d'exploitation manquant :

Maître D. fait valoir que selon le compte de résultat comparatif édité le 4 octobre 2016, le chiffre d'affaires de la société Adom a chuté de manière inexpliquée de 30% entre 2015 et 2016 à durée comparable, que pour septembre 2015, l'entreprise avait généré un chiffre d'affaires de 69832,04 €, que les recettes du mois de septembre 2016 auraient dû s'élever à un minimum de 48882,43 €, que les dirigeants doivent restitution de ces sommes qui ne se retrouvent pas sur les comptes bancaires de l'entreprise.

Elle affirme avoir établi à la lecture des grands livres comptables de l'année 2016 un compte de résultat des mois de juillet à septembre 2016 dont il ressort qu'au regard des recettes générées par l'activité et des charges effectivement décaissées par l'entreprise, il devrait subsister un solde d'exploitation de 22903,51 € et que les dirigeants sont solidairement responsables de sa dissipation.

Ces demandes fondées d'une part sur une reconstitution purement théorique du chiffre d'affaires de septembre 2016 insuffisamment documentée, d'autre part sur des documents comptables manifestement incomplets, certains comptes du grand livre étant arrêtés au 30 août 2016 et non renseignés sur les mouvements de septembre 2016, seront rejetées en l'absence d'éléments suffisamment probants de nature à caractériser une faute de gestion des dirigeants et un appauvrissement corrélatif de la société Adom à hauteur des sommes réclamées, le jugement étant confirmé sur ce point.

Les intimés, dont la responsabilité est retenue au titre du détournement des immobilisations, seront condamnés aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par défaut,

Confirme le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a débouté Maître D. de sa demande en remboursement de 10127,22 € au titre du détournement des immobilisations comptabilisées et de sa demande de restitution de remboursements indus formée contre de Monsieur Olivier J., statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant,

Dit que Messieurs Arnaud D. et Mathieu R. ont la qualité de dirigeants de droit de la SAS Adom,

Dit que Monsieur Olivier J. a la qualité de dirigeant de fait de la SAS Adom,

Condamne in solidum, sur le fondement des dispositions des articles L225-251 et 227-1 du code de commerce pour les deux premiers et de l'article 1382 devenu 1240 du code civil pour le troisième Messieurs Arnaud D., Mathieu R. et Olivier J. à payer à Maître D. ès qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Adom la somme de 10127,22 € au titre du détournement des immobilisations comptabilisées,

Condamne Monsieur Olivier J. à payer à Maître D. ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Adom la somme de 8280 € au titre de la restitution de remboursements indus,

Condamne in solidum Messieurs Arnaud D., Mathieu R. et Olivier J. au paiement d'une somme de 2000 € d'indemnités pour frais irrépétibles d'appel,

Les condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.