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Décisions

CA Angers, ch. a civ., 22 janvier 2019, n° 18/00637

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Jolimi (Gaec)

Défendeur :

Groupe Tecnagri (SARL), Reconditionnement et Préventif Moteur (SARL), Soriba (SAS), Sofareb (SARL), Le Bois Joli (Gaec)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roehrich

Conseillers :

Mme Portmann, Mme Couturier

TGI Angers, du 15 févr. 2018, n° 17/0061…

15 février 2018

FAITS ET PROCÉDURE :

Suivant bon de commande du 12 février 2013, le GAEC Jolimi a confié à la société (SAS) Agrimetha la réalisation d'une installation destinée à la valorisation des déchets de son exploitation agricole, située au [...] par la mise en place d'une unité de méthanisation 'Agrimetha' avec moteur cogénération d'une puissance de 100kW, au prix de 552.033 euros HT.

Cet engagement était assorti des conditions suspensives suivantes :

- un financement,

- un coût de raccordement remettant en équilibre le projet,

- une valorisation ADEME du nouveau projet.

Ce bon de commande prévoyait aussi qu'en cas de retrait des subventions lié à un dysfonctionnement du concept 'Agrimetha', la SAS Agrimetha s'engageait à indemniser la perte de subventions.

Le GAEC Jolimi a versé le même jour un chèque d'acompte d'un montant de 25.000 euros.

Le 12 décembre 2013, la mairie du Fief-Sauvin a délivré au GAEC Jolimi un certificat de permis de construire tacite pour le projet de construction de l'unité de méthanisation.

Dans un avenant n°1 à la convention de financement daté du 24 mars 2014, l'ADEME a confirmé l'attribution au GAEC Jolimi d'une subvention de 138.917,62 euros pour un montant de dépenses éligibles fixé à 594.702,08 euros et allongé la durée d'exécution de l'opération à 36 mois, avec mise en service de l'installation en septembre 2014.

Par attestation du 7 mai 2014, la Caisse de Crédit Mutuel de Beaupréau a certifié que le financement était obtenu pour le projet 'unité de méthanisation avec réseau de chaleur et séchoir en grange.'

Par courrier du 20 juin 2014, la SAS Agrimetha s'est dit prête à réaliser l'unité de méthanisation, sauf le réseau de chaleur et le raccordement électrique, sous réserve, notamment, de la signature d'un avenant intégrant la réactualisation des prix selon les conditions du bon de commande et d'un écrit la dispensant d'obligation de performances de production.

Par courrier du 30 juin 2014, le GAEC Jolimi a mis en demeure la SAS Agrimetha de reprendre les travaux et de lui communiquer sous 10 jours le planning actualisé du chantier, puis a renouvelé cette mise en demeure sous quinzaine par courrier du 30 avril 2015, après qu'un rapport d'études Astrade mandaté par le maître d'oeuvre (le cabinet ECCI) ait conclu à l'insuffisance ou l'altération en plusieurs points de l'offre proposée par la SAS Agrimetha.

Par courrier du 21 mai 2015, le GAEC Jolimi a rejeté le devis soumis par la SAS Agrimetha déplorant un surcoût.

Par courrier du 27 août 2015, la SAS Agrimetha, estimant que les conditions de mise en oeuvre du projet litigieux n'étaient pas réalisées et au vu de l'attitude du GAEC Jolimi, de l'ambiguïté des demandes du maître d'oeuvre et des frais engagés, a indiqué renoncé définitivement à la réalisation de l'unité de méthanisation, et a restitué le chèque d'acompte de 25.000 euros.

Par courrier du 22 juin 2017, le Crédit Mutuel a précisé au GAEC Jolimi qu'il considérait le prêt caduc, le projet ne correspondant plus aux éléments fournis initialement, que le délai pour procéder au déblocage total de ce prêt était échu.

Le 19 juillet 2017, la SAS Agrimetha, après dissolution par décision de ses associés le 19 juillet 2017, et clôture des opérations de liquidation, a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 28 septembre 2017.

Par acte d'huissier des 14, 15, 16, 17 et 23 novembre 2017, le GAEC Jolimi a fait assigner la SARL Groupe Tecnagri, la SARL Reconditionnement et préventif moteur, la SAS Soriba, la SARL Sofareb, le GAEC le Bois Joly et M. D., en leur qualité d'anciens associés de la SAS Agrimetha, en référé-expertise, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, devant le président du tribunal de grande instance d'Angers, aux fins de déterminer si le projet de la SAS Agrimetha était réalisable et d'évaluer le préjudice subi du fait de la non-réalisation de l'unité de méthanisation prévue.

Par ordonnance de référé du 15 février 2018, le président du tribunal de grande instance d'Angers a, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile :

- débouté le GAEC Jolimi de sa demande d'expertise,

- condamné le GAEC Jolimi à payer à chacun des défendeurs, à savoir la SARL Groupe Tecnagri, la SARL Reconditionnement et préventif moteur, la SAS Soriba, la SARL Sofareb, le GAEC le Bois Joly et M. D., la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné le GAEC Jolimi aux dépens,

- rappelé que les ordonnances de référé sont, de plein droit, exécutoires à titre provisoire.

Pour débouter le GAEC Jolimi de sa demande d'expertise, le premier juge a estimé qu'il ne justifiait d'aucun motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile.

Il a retenu, d'une part, que le premier fondement juridique envisagé par le GAEC tiré de l'action directe ouverte aux tiers contre les anciens associés d'une société, tenus du passif de celle-ci dans la limite de leur apport, était manifestement voué à l'échec, la dette en cause ne pouvant être imputée à la SAS Agrimetha, du fait de sa dissolution par délibération du 19 juillet 2017.

Il a estimé, d'autre part, qu'il en était de même s'agissant du deuxième fondement juridique envisagé relatif à la responsabilité personnelle des associés au titre d'une faute détachable de cette même qualité, dès lors que le GAEC Jolimi ne rapportait aucun élément tendant à établir une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des prérogatives attachées à leur qualité d'associé.

Le GAEC Jolimi a interjeté appel de l'ordonnance de référé par déclaration du 4 avril 2018.

Le GAEC Jolimi d'une part, et la SARL Groupe Tecnagri, la SARL Reconditionnement et préventif moteur, la SAS Soriba, la SARL Sofareb, le GAEC le Bois Joly et M. D. d'autre part, ont régulièrement conclu et l'ordonnance de clôture a été rendue le 11 octobre 2018.

MOYENS ET PRÉTENTIONS :

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement :

- du 15 juin 2018 pour le GAEC Jolimi,

- du 12 juillet 2018 pour la SARL Groupe Tecnagri, la SARL Reconditionnement et préventif moteur, la SAS Soriba, la SARL Sofareb, le GAEC le Bois Joly et M. D.,

qui peuvent se résumer comme suit :

Le GAEC Jolimi demande à la cour, au titre de l'article 145 du code de procédure civile, et de l'article L. 237-13 du code de commerce, de :

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle :

* l'a débouté de sa demande d'expertise,

* l'a condamné à payer à chacun des défendeurs, à savoir la SARL Groupe Tecnagri, la SARL Reconditionnement et préventif moteur, la SAS Soriba, la SARL Sofareb, le GAEC le Bois Joly et M. D., la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a condamné aux dépens,

Statuant à nouveau,

- faire droit à sa demande d'expertise et nommer tel expert qu'il plaira, spécialisé en unité de méthanisation, avec pour mission de :

* réunir l'ensemble des parties,

* se faire remettre tous documents utiles,

* retracer l'historique des relations contractuelles entre le GAEC Jolimi et la SAS Agrimetha,

* déterminer si le projet d'Agrimetha était réalisable,

* décrire avec précision quels ont été les éléments qui ont empêché Agrimetha d'agir,

* préciser à la juridiction ultérieurement saisie si Agrimetha n'a pas exécuté son obligation au regard d'inexécution des obligations du GAEC Jolimi,

* chiffrer le montant de l'intégralité du préjudice subi par le GAEC Jolimi du fait de la non-réalisation de l'unité de méthanisation prévue avec la société Agrimetha,

- condamner les intimés à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens,

En toute hypothèse,

- dire n'y avoir lieu à frais de procédure à son endroit.

Le GAEC Jolimi considère qu'il justifie d'un motif légitime à voir ordonner l'expertise judiciaire qu'il sollicite et dont il détaille le contenu.

D'abord, il fait valoir qu'en dépit de la clôture de liquidation amiable de ladite société, après délibérations de dissolution de ses associés et liquidation, il est possible à un créancier qui n'a pas eu la possibilité de faire valoir sa créance dans le cours de la liquidation, de se rapprocher des associés d'origine, dès lors que ceux-ci ont récupéré un boni de liquidation, pour agir sur l'effet de la société, dans la limite de leur apport au capital social et du boni récupéré le cas échéant.

Il affirme alors que le juge des référés n'avait qu'à vérifier que les associés avaient été remboursés dès leur apport.

Il soutient que les intimés ne prouvent pas que la clôture de la liquidation amiable de la SAS Agrimetha aurait entraîné une situation de passif et qu'il y aurait nécessairement irrecouvrabilité de la créance.

Ensuite, s'agissant de la possibilité d'une action au fond relative à la responsabilité personnelle des associés de la SAS Agrimetha, il fait valoir que cette dernière avait été créée par différentes entreprises, qui regroupées, étaient en mesure d'assurer une prestation complète s'agissant de l'installation de méthanisation et que ses différents associés avaient ainsi intérêt personnel à ce regroupement pour faciliter le fonctionnement de leur propre structure. Il prétend que l'attitude adoptée par la SAS Agrimetha sur la demande de ses associés ne visait qu'à satisfaire aux demandes d'inflation de devis de ces derniers, pour leur propre compte, de sorte que leur faute est détachable.

La SARL Groupe Tecnagri, la SARL Reconditionnement et préventif moteur, la SAS Soriba, la SARL Sofareb, le GAEC le Bois Joly et M. D. demandent à la cour de :

A titre principal,

- confirmer la décision déférée,

A titre subsidiaire, modifier la mission de l'expertise judiciaire sollicitée par le GAEC Jolimi, selon ce qu'ils proposent,

En tout état de cause,

- condamner le GAEC Jolimi à leur payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

A titre principal, les intimés prétendent que le GAEC Jolimi ne justifie d'aucun motif légitime au soutien de sa demande d'expertise.

En premier lieu, ils affirment que la publication au registre du commerce et des sociétés de la liquidation de la société Agrimetha étant survenue le 28 septembre 2017, la disparition de la personnalité morale de cette société est opposable au GAEC Jolimi en application de l'article L. 237-2 alinéas 2 et 3 du code de commerce.

Ils rappellent que si les associés d'une société par action simplifiée supportent les pertes à concurrence de leur participation au capital social selon l'article L. 227-1 du code de commerce, il appartient au créancier d'abord de justifier d'une créance à l'encontre de la société liquidée, et prétendent que l'appelant est de ce chef défaillant.

Or, ils indiquent que la responsabilité de la SAS Agrimetha ne peut pas être engagée, qu'elle s'est retirée du projet litigieux en raison du fait qu'il n'est devenu plus viable économiquement et techniquement en raison de nombreuses modifications imposées unilatéralement par le GAEC Jolimi par rapport au devis initial, ne correspondant pas aux préconisations du maître d'oeuvre.

Ensuite, ils font valoir que la demande de contribution aux pertes par les ex-associés d'une SAS est conditionnée à la preuve que suite à la liquidation de la société, outre la part d'actif qu'ils avaient pu recevoir, ils ont été remboursés de leurs apports et que de telles perceptions leur permettaient de s'acquitter de la dette sociale. Ils soulignent que suite à la liquidation de la SAS Agrimetha, un mali de liquidation inférieur au montant nominal du capital social est apparu et qu'ils n'ont pas pu être remboursés du montant de leurs apports.

En deuxième lieu, rappelant le principe d'écran de la personnalité morale de la société dans les relations avec les tiers, ils soutiennent qu'un associé n'engage sa responsabilité personnelle envers un co-contractant de la société que s'il a commis une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des prérogatives attachées à sa qualité d'associé.

Ils considèrent que le GAEC Jolimi est défaillant à rapporter la preuve d'une telle faute de l'un d'entre eux.

A titre subsidiaire, ils estiment que le contenu de l'expertise sollicité par le GAEC Jolimi doit être modifié de sorte que l'expert détermine le rôle qu'ont eu et/ou devaient avoir l'ensemble des intervenants qui ont ou devaient participer au chantier de construction de l'unité de méthanisation, et notamment le cabinet ECCI maître d'oeuvre du projet.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile : 'S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.'

Il ne peut être exigé du demandeur qu'il rapporte la preuve des faits, dont il entend précisément établir la réalité grâce à la mesure d'instruction sollicitée ; il n'a pas non plus à indiquer s'il engagera un procès ni à énoncer expressément la nature et le fondement juridique de celui-ci ; néanmoins, il doit fournir au juge des éléments démontrant que la demande présentée a un intérêt pour la résolution d'un litige ayant un objet et un fondement précis et non manifestement voué à l'échec.

Il convient tout d'abord de relever que le GAEC Jolimi entend obtenir une expertise au motif que la SAS Agrimetha aurait engagé sa responsabilité dans le cadre du projet qu'ils ont initié en 2013 et qui finalement n'est pas allé à son terme.

La SAS Agrimetha ayant une personnalité morale distincte de celle de ses associés, ces derniers ne peuvent en principe être poursuivis pour les fautes qu'elle a commise dans l'exercice de son objet social.

Le GAEC Jolimi se fonde en premier lieu sur l'action dont dispose un créancier de poursuivre les associés, tenus, en application de l'article L.227-1 du code de commerce, des pertes à concurrence de leurs apports.

Cependant, avant de poursuivre l'associé, le créancier doit tenter de poursuivre la société, fût-elle dissoute, liquidée et radiée. Or, le GAEC Jolimi ne justifie pas avoir procédé à cette démarche.

Il invoque en second lieu la faute personnelle commise par les intimés. Cette faute doit être intentionnelle et d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des prérogatives attachées à la qualité d'associé.

Or, ainsi que l'a retenu le premier juge, il n'existe en l'espèce aucun élément permettant à tout le moins de soupçonner la commission d'une telle faute, les associés ayant certes un intérêt personnel dans l'opération, mais n'apparaissant pas avoir agi en dehors de leurs prérogatives sociétales.

En conséquence, la décision entreprise doit être confirmée en ce qu'elle a débouté le GAEC Jolimi de sa demande d'expertise, et en ses dispositions relatives aux dépens d'instance et aux frais irrépétibles.

La situation économique du GAEC Jolimi, qui a, par requête du 31 mai 2018, sollicité, du président du tribunal de grande instance d'Angers, l'ouverture d'une procédure de règlement amiable, justifie qu'il ne soit pas fait application à son encontre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME l'ordonnance rendue le 15 février 2018 par le président du tribunal de grande instance d'Angers en toutes ses dispositions,

CONDAMNE le GAEC Jolimi aux dépens de l'instance d'appel,

REJETTE les demandes pour le surplus.

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