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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 10 janvier 2012, n° 11/03566

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pharmacie Marie Curie (Selarl), Harfu International (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hoffbeck

Conseillers :

M. Cuenot, M. Allard

Avocats :

Me Spieser, Me Jemoli, Me Harter, Me Koenig

TGI Strasbourg, du 21 juin 2011

21 juin 2011

Attendu que la société HARFU INTERNATIONAL a poursuivi la société d'exercice libéral à responsabilité limitée PHARMACIE MARIE CURIE, en tant qu'associée de la société civile d'exploitation agricole LALANDE DE GRAVELONGUE, en paiement d'une somme de 154.962 €, représentant sa part dans une dette globale de 704.374,78 € ;

Attendu que par jugement du 21 juin 2011, le Tribunal de grande instance de STRASBOURG a fait droit à cette demande, et a condamné en outre la SELARL PHARMACIE CURIE à payer à la société HARFU INTERNATIONAL une compensation de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que la SELARL PHARMACIE MARIE CURIE a relevé appel de ce jugement le 8 juillet 2011, dans des conditions de recevabilité non contestées ;

Attendu qu'au soutien de son recours, la SELARL PHARMACIE MARIE CURIE indique essentiellement qu'elle n'a pas pu devenir valablement associée de la société civile d'exploitation agricole LALANDE DE GRAVELONGUE, parce que le Code de la santé publique, et spécialement son article R 5125-18, dispose qu'une société d'exercice libéral exploitant une officine de pharmacie ne peut détenir de parts ou actions que dans deux autres sociétés d'exercice libéral exploitant des officines pharmaceutiques ;

Qu'elle estime que ce texte est sanctionné par une nullité d'ordre public de la souscription au capital d'une société civile d'exploitation agricole ;

Qu'elle fait valoir subsidiairement qu'une telle souscription n'était pas conforme à son objet social, et que la société HARFU INTERNATIONAL, dûment assistée par un conseil, en a eu nécessairement conscience lors de la cession de parts du 24 septembre 2001 ;

Qu'elle fait valoir plus subsidiairement que des montants ont été payés par les époux NIELSEN dans le cadre du plan de sauvegarde dont ils bénéficient, et que ces règlements ont dû nécessairement diminuer les sommes dues à la société HARFU INTERNATIONAL, qui ne justifie pas de sa créance ;

Attendu que la SELARL PHARMACIE MARIE CURIE conclut à l'infirmation du jugement entrepris, et au rejet des demandes de la société HARFU INTERNATIONAL ;

Qu'elle sollicite la restitution de la somme de 158.486 € payée au résultat de l'exécution provisoire du jugement entrepris ;

Qu'elle demande 15.000 € en compensation de son obligation de plaider ;

Attendu que la SAS HARFU INTERNATIONAL conclut à la confirmation du jugement entrepris, en faisant valoir notamment que les règles qui prohibent le cumul professionnel dans l'exploitation des officines de pharmacie ne font pas obstacle à la souscription au capital d'une autre société ;

Qu'elle indique que la nullité de la souscription ne pourrait être demandée que par voie d'action, et non par voie d'exception, alors que depuis 2001, la SELARL PHARMACIE MARIE CURIE exerce ses droits d'associée dans la société civile d'exploitation agricole LALANDE DE GRAVELONGUE ;

Qu'elle demande 10.000 € en compensation de son obligation de plaider ;

Attendu que les pièces versées aux débats montrent que la SELARL PHARMACIE MARIE CURIE, gérée par Mme Nadira NIELSEN, a acquis le 24 septembre 2001 de la société HARFU INTERNATIONAL 22 parts dans le capital de la société civile d'exploitation agricole LALANDE DE GRAVELONGUE, propriétaire d'une exploitation viticole dans le Bordelais ;

Que M. NIELSEN détenait déjà des parts dans cette société ;

Attendu que cette cession a été consentie pour le montant d'un franc, alors que la société civile d'exploitation agricole LALANDE DE GRAVELONGUE avait déjà un passif assez important, notamment à l'égard d'un de ses associés, la société HARFU INTERNATIONAL, qui avait fait apparemment des apports importants en compte courant ;

Attendu que la société civile LALANDE DE GRAVELONGUE a été placée en redressement judiciaire le 14 mai 2004, et que la société HARFU INTERNATIONAL a produit une créance qui a été admise à hauteur de 782.888,96 € ;

Attendu que par la suite, le plan de redressement a été résolu, et qu'une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte le 27 novembre 2009 ;

Attendu que la société HARFU INTERNATIONAL a produit une créance actualisée, qui a été arrêtée au montant de 704.374,78 € par ordonnance du juge-commissaire du 8 avril 2011 ;

Attendu que la société HARFU INTERNATIONAL a sollicité de la SELARL PHARMACIE MARIE CURIE la prise en charge d'un montant de 154.962 €, correspondant à 22 % de la créance admise au passif de la société civile LALANDE DE GRAVELONGUE ;

Attendu que si insolite que soit la souscription par une société d'exercice libéral propriétaire d'une pharmacie au capital d'une société civile agricole, il n'apparaît pas à cette Cour qu'elle soit interdite par le Code de la santé publique ;

Attendu en effet que l'article R. 5125-18 limite la participation d'un pharmacien à deux sociétés d'exercice libéral autres que celle où il exerce, tandis que la société d'exercice libéral elle-même ne peut détenir de parts ou actions que dans deux autres sociétés d'exercice libéral qui exploitent des officines de pharmacie ;

Attendu qu'il est assez clair que ce texte a seulement vocation à limiter les concentrations dans la distribution au détail des produits pharmaceutiques ;

Qu'il n'a pas pour finalité d'interdire à une société d'exercice libéral de détenir une participation dans une autre structure sociale qui n'exploite pas une officine de pharmacie ;

Que rien ne s'opposerait à ce qu'une SELARL fasse partie d'un groupement d'achat de produits pharmaceutiques, G.I.E. ou coopérative ;

Attendu donc que pour surprenante que soit la participation d'une SELARL de pharmaciens au capital d'une société civile agricole, celle-ci n'est pas expressément prohibée par le Code de la santé publique ;

Attendu qu'il est exact qu'une telle souscription au capital d'une société civile agricole n'était pas du tout conforme à l'objet social de la SELARL ;

Que l'on comprend mal cette cession de parts au profit de la SELARL plutôt que de Mme NIELSEN personnellement ;

Attendu donc que si Mme NIELSEN a bien transgressé l'objet social en acquérant au profit de la SELARL des parts dans la société civile agricole de LALANDE DE GRAVELONGUE, il n'apparaît pas cependant que la société HARFU INTERNATIONAL en ait eu clairement conscience, puisqu'elle aurait demandé en ce cas à Mme NIELSEN d'acquérir personnellement ;

Que de même, le rédacteur d'un tel acte n'a pas perçu son étrangeté, puisque dans le cas contraire il en aurait proposé une autre version ;

Attendu qu'il apparaît en outre que la SELARL a ratifié l'acte de sa gérante, en se comportant comme associée de la société civile agricole et en participant notamment à sa gestion et aux assemblées générales ;

Que Mme NIELSEN a été d'ailleurs gérante de la société civile agricole ;

Attendu donc que malgré la singularité de la participation de la SELARL PHARMACIE MARIE CURIE au capital social de la société civile d'exploitation agricole LALANDE DE GRAVELONGUE, cette SELARL est bien engagée au paiement des dettes sociales à mesure de sa participation ;

Attendu qu'il n'est pas contesté qu'en l'état actuel de l'interprétation de l'article 1858 du Code civil, la simple déclaration d'une créance au passif d'une société civile liquidée suffit à caractériser de vaines poursuites contre la personne morale au sens de cette disposition ;

Attendu que la créance de la société HARFU INTERNATIONAL a bien été admise pour le montant de 704.374,78 € ;

Attendu que c'est donc ce montant qui doit servir de base à la détermination de l'assiette du recours de la société HARFU INTERNATIONAL ;

Que son éventuelle réduction ultérieure compte tenu de paiements qui auraient pu être faits par les époux NIELSEN en qualité de cautions, et qui ne sont ni justifiés, ni même indiqués, ne peuvent pas réduire le montant du recours contre la SELARL associée de la société civile agricole ;

Que c'est déjà ce montant de 704.374,78 € qui a été retenu comme base du recours contre un autre associé, M. Hubert MAETZ ;

Que les paiements faits par les associés pour le compte de la société en liquidation diminueront par ailleurs corrélativement le recours contre ses cautions ;

Attendu que la Cour confirme par conséquent la condamnation de la SELARL PHARMACIE MARIE CURIE à payer à la société HARFU INTERNATIONAL la somme de 154.962 € majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 décembre 2009 ;

Attendu que pour autant, la Cour ne peut qu'observer que la société HARFU, qui s'est débarrassée de ses parts dans la société civile, poursuit ses acquéreurs pour des dettes que, dans les faits, elle leur a transmises ;

Attendu que la Cour estime que dans ces conditions, aucune considération d'équité ne commandait de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société HARFU ;

Qu'infirmant le jugement entrepris de ce chef particulier, la Cour rejette par conséquent la demande présentée par la société HARFU en première instance sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, et rejette pareillement toutes les demandes présentées sur ce fondement en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

REÇOIT l'appel de la SELARL PHARMACIE MARIE CURIE contre le jugement du 21 juin 2011 du Tribunal de grande instance de STRASBOURG ;

Au fond, CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SELARL

PHARMACIE MARIE CURIE à payer à la SAS HARFU INTERNATIONAL la somme de 154.962 € et ses intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2009 ;

REFORME le jugement entrepris pour le surplus, et statuant à nouveau, REJETTE la demande présentée par la société HARFU INTERNATIONAL en première instance sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

REJETTE toutes les demandes présentées en cause d'appel sur ce fondement ;

CONDAMNE la SELARL PHARMACIE MARIE CURIE aux entiers dépens de première instance et d'appel.