CA Orléans, ch. com. économique et financière, 24 novembre 2011, n° 10/03266
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Frogerie Distribution (SARL)
Défendeur :
Tyrolit (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Raffejeaud
Conseillers :
M. Garnier, M. Monge
Avoués :
SCP Laval Lueger, SCP Desplanques Devauchelle
Avocat :
Me Bieber
Prononcé le 24 NOVEMBRE 2011 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
La société TYROLIT, spécialisée dans le négoce d'outillages et d'outils coupants, a conclu le 1er mai 2007 avec la société Frogerie Distribution un contrat de prestation de services aux termes duquel elle lui a confié une mission de développement et de marketing de produits à commercialiser sous une marque de distributeur « 3 X engineering ». Le directeur général de la SAS TYROLIT, signataire du contrat, ayant démissionné de ses fonctions le 31 mai 2007, la nouvelle direction n'a pas entendu poursuivre la collaboration avec le prestataire et la société TYROLIT a assigné la société Frogerie Distribution, par acte du 19 mars 2009, en nullité du contrat et restitution des sommes déjà versées.
Par jugement du 10 septembre 2010, le tribunal de commerce de TOURS a débouté la société TYROLIT de sa demande en nullité du contrat, ordonné la résiliation du contrat aux responsabilités partagées à compter du 1er janvier 2008 et condamné la société Frogerie Distribution à verser à la société TYROLIT la somme de 82.000 € en réparation du préjudice subi.
La société Frogerie Distribution a relevé appel.
Par ses dernières conclusions signifiées le 28 septembre 2009, elle fait valoir que l'objet du contrat était parfaitement défini et identifié par les deux cocontractantes et que lors de la formation de la convention, il y avait bien une cause à l'obligation de chacune des parties résidant dans l'obligation de l'autre, la circonstance que le contrat n'ait pas été exécuté par la suite n'ayant pas d'incidence sur sa validité et ne pouvant se résoudre que par l'attribution de dommages et intérêts. Elle considère que la SAS est engagée par les actes de son directeur général, y compris s'ils dépassent l'objet social et sans que la connaissance de ce dépassement par le tiers puisse être invoquée. Elle conteste, en outre, tout dépassement de l'objet social puisque le projet de vente sous marque de distributeur concernait une société 3 X localisée à Monaco et non la commercialisation directement par TYROLIT au Moyen Orient. Subsidiairement, elle indique que le contrat nécessitait un long processus de maturation avant de porter ses fruits et notamment de nombreux voyages sur place et prétend que les remaniements internes et l'inertie de la société TYROLIT ont empêché la réussite de l'opération. Elle demande, en conséquence, la condamnation de la société TYROLIT à lui payer la somme de 96.000 € correspondant aux facturations prévues pour les années 2008, 2009 et 2010.
Par ses dernières écritures du 5 octobre 2011, la société TYROLIT affirme que le contrat lui est inopposable pour dépassement de l'objet social, connu de la société Frogerie Distribution, par application de l'article L. 227-6 du code de commerce. Elle souligne, en effet, que le contrat litigieux a pour objet le développement à l'international et sous marque privée des produits TYROLIT, alors que l'objet social est limité à l'activité commerciale sur le marché intérieur français. Elle relève qu'à l'occasion d'un projet de contrat similaire en 2005, la société Frogerie Distribution avait été informée de ce que le développement de marchés au Moyen Orient outrepassait l'objet social de la société TYROLIT France et que son directeur général, Monsieur BIRKLE n'avait pas reçu mandat de la direction du groupe pour engager la filiale. Elle soutient, également, que le contrat est nul pour indétermination de son objet, dans la mesure où il ne définit ni les produits ni les marchés concernés et, surabondamment, pour absence de cause, faute de réalisation de ventes par Frogerie Distribution, de sorte que cette société doit être condamnée à restituer les sommes perçues pour un montant de 82.000 €. A titre subsidiaire, elle fait observer que la société Frogerie Distribution a manqué à son obligation contractuelle de commercialisation, qui a été érigée par les parties en obligation de résultat, étant ajouté que les démarches alléguées par l'appelante se rapportent au projet avorté de 2005 et que cette société ne produit aucune étude consécutive au projet « 3 X Engineering », ni aucune preuve de prestations techniques de marketing. Elle demande, en conséquence, la résolution judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société Frogerie Distribution avec allocation de dommages et intérêts à hauteur de 82.000 € ou, à tout le moins, de 50.000 €.
SUR QUOI
Attendu, selon l'article L. 227-6 du code de commerce, que dans une société anonyme simplifiée, les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article ; que les statuts de la SAS TYROLIT prévoient à leur article 12 que le président et, le cas échéant, le directeur général disposent des pouvoirs les plus étendus à l'égard des tiers pour agir au nom de la société en toute circonstance dans la limite de l'objet social ; que Monsieur BIRKLE, signataire de la convention litigieuse, a été nommé directeur général de la société TYROLIT par décisions de l'actionnaire unique du 31 décembre 2001 ;
Qu'aux termes de l'alinéa 2 du texte précité, dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances ; qu'il résulte de cette disposition que les actes du directeur général, qui est un représentant légal de la société au même titre que le président et détient les mêmes pouvoirs, peuvent également être déclarés inopposables à la société en cas de dépassement de l'objet social, dans les mêmes conditions que les actes du président ;
Qu'en l'espèce, les statuts de la société TYROLIT spécifient que la société a pour objet « toutes opérations industrielles et commerciales se rapportant à l'importation en France et au négoce de meules » ; que le contrat conclu entre les parties le 1er mai 2007 a pour objet « d'assurer au client des prestations de développement commercial et marketing des produits commercialisés par la Sté Frogerie Distribution et sous la marque 3 X Engineering » ;
Qu'il ressort des pièces du dossier que la société TYROLIT avait déjà conclu avec la société Frogerie Distribution le 14 septembre 2005 un « contrat d'apporteur d'affaires » par lequel la société appelante se proposait de mettre en relation une clientèle de produits abrasifs située au Moyen Orient avec la société TYROLIT ; que ce contrat n'a jamais eu d'application, dès lors qu'à cette occasion, Monsieur BIRKLE avait reçu un avertissement de l'actionnaire unique pour avoir fait fi des structures et des compétences territoriales des filiales du groupe TYROLIT ; que la société Frogerie Distribution admet dans ses écritures que Monsieur BIRKLE n'était pas compétent pour signer ce contrat car il dépassait ses pouvoirs et consistait à exporter vers le Moyen Orient (conclusions page 14) ; qu'en réalité, sous couvert de vendre des produits à une entreprise située à Monaco, 3 X Engineering, dont la société Frogerie Distribution indique incidemment, dans un compte rendu de déplacement du 5 avril 2007, qu'elle n'est pas familière du monde de l'abrasif, étant spécialisée dans la réparation d'oléoducs, il s'agissait également, par le contrat du 1er mai 2007, d'exporter les produits TYROLIT, mais sous marque de distributeur, dans les pays pétroliers du Moyen Orient, grâce aux contacts du prestataire dans cette région ; qu'il se déduit de ces circonstances que la société Frogerie Distribution, en fonction des relations antérieures avec la société intimée, ne pouvait ignorer que cette dernière convention était étrangère à l'objet social de la société TYROLIT, limité à l'importation et au négoce en France des produits fabriqués par les usines étrangères du groupe TYROLIT et qu'elle excédait les pouvoirs légaux de Monsieur BIRKLE ;
Que, dès lors, le contrat de prestation de services signé le 1er mai 2007 est inopposable à la société TYROLIT et la société Frogerie Distribution sera condamnée à restituer à sa cliente la somme de 82.000 € déjà perçue ; que le sens du présent arrêt implique de rejeter la demande de cette dernière en paiement des commissions prévues pour les années 2008 à 2010 ;
Attendu que la société Frogerie Distribution supportera les dépens de première instance et d'appel et versera, en outre, la somme de 5.000 € à la société TYROLIT sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
STATUANT publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
INFIRME le jugement entrepris ;
ET STATUANT à nouveau ;
DÉCLARE inopposable à la société TYROLIT le contrat signé le 1er mai 2007 avec la société Frogerie Distribution ;
CONDAMNE la société Frogerie Distribution à restituer à la société TYROLIT la somme de 82.000 € ;
DÉBOUTE la société Frogerie Distribution de sa demande en paiement des commissions prévues pour les années 2008 à 2010 ;
CONDAMNE la société Frogerie Distribution aux dépens de première instance et d'appel et à verser la somme de 5.000 € à la société TYROLIT au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
ACCORDE à la SCP DESPLANQUES-DEVAUCHELLE, titulaire d'un office d'avoué, le droit reconnu par l'article 699 du même code.