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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 27 janvier 2022, n° 21/14715

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Mondial Frigo (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Masseron

Conseillers :

M. Rondeau, Mme Chopin

T. com. Paris, du 5 juill. 2021, n° 2021…

5 juillet 2021

Exposé du litige

Selon bail en l'état de futur achèvement du 11 décembre 2017, la société P. Développement s'est engagée à livrer à la société Lidl une plate-forme de distribution de produits surgelés, frais et tempérés pour ses magasins.

Par acte du 9 juillet 2019, la SAS P. Développement a vendu en état futur d'achèvement à la SCI Areeli un immeuble à construire sis [...]. Il s'agissait de construire une plate-forme de distribution de produits surgelés, avec date prévisionnelle de livraison au 27 décembre 2019.

Le maître d'ouvrage des travaux était la SNC Coudray Ouest, dont les associés sont la société P. Développement et sa société soeur la société P. Réalisations. Cette dernière intervenait en qualité de maître d'ouvrage délégué.

Selon bon de commande du 17 décembre 2018, la société Coudray Ouest a confié à la SAS Mondial Frigo le lot 'froid industriel' consistant à édifier des installations frigorifiques.

Le 15 juillet 2019, la société Coudray Ouest a été dissoute avec transmission universelle de son patrimoine à la société P. Développement. La société Mondial Frigo prétend ne pas avoir été informée de cette dissolution.

La société Mondial Frigo se prévaut désormais d'une créance de 652.615,27 euros se décomposant comme suit :

•            435.194,47 euros au titre du solde du décompte général et définitif (DGD) ;

•            217.420,80 euros au titre d'une facture du 17 septembre 2019 sur les plus-values.

La société P. Réalisations a refusé de payer pour les motifs suivants :

- la société Mondial Frigo aurait livré son lot en retard (livraison le 24 février 2020 au lieu du 15 novembre 2019) et doit donc payer des pénalités de retard ;

- la facturation est en partie injustifiée ;

- la société Mondial Frigo n'aurait pas levé les réserves ;

- la société Mondial Frigo aurait mal exécuté ses travaux, provoquant des dysfonctionnements des installations frigorifiques.

Par ordonnance du 21 janvier 2021, le président du tribunal de commerce de Paris a autorisé la société Mondial Frigo à opérer une saisie conservatoire sur les comptes de la société P. Réalisations.

Le 5 mars 2021, une saisie à hauteur de 430.580,92 euros a été réalisée sur les comptes de la société P. Réalisations.

Le 29 mars 2021, la société P. Réalisations a assigné la société Mondial Frigo devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris. Elle lui a demandé de :

- constater que la société P. Réalisations n'est pas débitrice de la créance alléguée par la société Mondial Frigo ;

- constater que la créance alléguée par la société Mondial Frigo n'est pas fondée en son principe et qu'il n'existe aucune menace pesant sur son recouvrement ;

- constater que la saisie conservatoire pratiquée par la société Mondial Frigo le 5 mars 2021 à l'encontre de la société P. Réalisations, entre les mains de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe, ne répond pas aux conditions posées par l'article L.511-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

- en conséquence, rétracter l'ordonnance rendue le 21 janvier 2021 à la requête de la société Mondial Frigo ;

- prononcer la mainlevée totale et immédiate de la saisie conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 à l'encontre de la société P. Réalisations entre les mains de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe ;

- condamner la société Mondial Frigo à prendre en charge l'intégralité des frais afférents à la saisie conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 ;

- condamner la société Mondial Frigo à verser à la société P. Réalisations la somme de 66.000 euros à titre de dommages et intérêts pour saisie abusive ;

- condamner la société Mondial Frigo à verser à la société P. Réalisations la somme de 10.000 euros au titre de l'artiche 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Jérôme M..

En défense, la société Mondial Frigo a demandé au juge de :

- dire qu'elle est créancière de la société P. Réalisations ;

- dire que sa créance d'un montant de 652.615,27 euros à l'encontre de la société P. Réalisations parait fondée en son principe ;

- dire qu'il existe des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de cette créance ;

- en conséquence, juger que la saisie conservatoire pratiquée par la société Mondial Frigo le 5 mars 2021 à l'encontre de la société P. Réalisations répond aux conditions de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

- autoriser les huissiers commis aux fins d'exécution de la mesure conservatoire portant sur

les comptes bancaires de la société P. Réalisations à renouveler la saisie conservatoire dans les mêmes conditions et limites auprès de tout établissement bancaire pendant une période de trois mois à compter de la décision à intervenir, pour le solde de la créance soit 229 419,08 euros ;

- débouter la société P. Réalisations de sa demande de révocation de l'ordonnance du 21 janvier 2021 du président du tribunal de commerce de Paris ;

- débouter la société P. Réalisations de sa demande de dommages-intérêts ;

- subsidiairement, réduire la demande de dommages-intérêts à de plus justes proportions ;

- en tout état de cause, débouter la société P. Réalisations de toute demande, défense, exception et fin ;

- condamner la société P. Réalisations à payer à la société Mondial Frigo la somme de 10.000 euros au titre de l'artiche 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens distraits au profit de la SCP T. Avocats.

Le 5 juillet 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

- dit que l'ordonnance du 19 janvier 2021 est conforme aux articles L. 511-1, L. 511-3, L. 521-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

- débouté la société P. Réalisations de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 19 janvier 2021 et de la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 à l'encontre de la société P. Réalisations entre les mains de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe ;

- s'est dit incompétent sur les demandes de dommages et intérêts ;

- condamné la société P. Réalisations à payer la somme de 5.000 euros la société Mondial Frigo au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le premier juge a retenu que la créance de la société Mondial Frigo paraît fondée en son principe et qu'il existe bien un risque pour son recouvrement, du fait de la dissolution de la société Coudray Ouest et du manque de transparence comptable de la société P. Réalisations.

Par déclaration en date du 27 juillet 2021, la société P. Réalisations a fait appel de cette décision, critiquant l'ordonnance en toutes ses dispositions.

Par conclusions remises le 19 novembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société P. Réalisations demande à la cour, au visa des articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile, de l'article L. 221-1 du code de commerce , de l'article 1844-5 du code civil, des articles L. 511-1 et suivants, L. 512-2 et R. 512-1 et R. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, de :

- juger la société P. Réalisations recevable et bien-fondée en son appel ;

et y faisant droit,

- infirmer l'ordonnance rendue le 5 juillet 2021 par le président du tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;

et statuant à nouveau,

à titre principal,

- juger que la société P. Réalisations, intervenue en simple qualité de mandataire et maître d'ouvrage délégué, n'est pas débitrice de la créance alléguée par la société Mondial Frigo ;

- juger que la société P. Réalisations, en sa qualité d'ancienne associée de la société Coudray Ouest, aux droits de laquelle vient la société P. Développement, n'est pas tenue des dettes nées postérieurement à la dissolution de cette société, le 15 juillet 2019 ;

- juger que la créance alléguée par la société Mondial Frigo est née postérieurement à la dissolution de la société Coudray Ouest le 15 juillet 2019 ;

- juger qu'en application du principe d'autonomie de la personne morale, la société P. Réalisations ne peut pas être tenue au paiement de la créance alléguée aux motifs qu'elle fût associée de la société Coudray Ouest ou qu'elle fait partie du même groupe de sociétés que la société P. Développement, qui vient aux droits de la société Coudray Ouest ;

- juger que la société Mondial Frigo a été avisée de la dissolution de la société Coudray Ouest a minima au jour de la rédaction de sa requête aux fins d'être autorisée à pratiquer une saisie conservatoire, et que quand bien même elle n'aurait pas été avisée, cela n'est pas de nature à obliger à la dette la société P. Réalisations ;

- juger que la saisie conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 à l'encontre de la société P. Réalisations entre les mains de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe a été mal dirigée, contre le mauvais débiteur ;

- prononcer la mainlevée totale et immédiate de la saisie conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 à l'encontre de la société P. Réalisations entre les mains de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe ;

- condamner la société Mondial Frigo à prendre en charge l'intégralité des frais afférents à la saisie conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 ;

- débouter la société Mondial Frigo de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

à titre subsidiaire,

- juger que la créance alléguée par la société Mondial Frigo n'est pas fondée en son principe ;

- juger que la créance alléguée par le maître d'ouvrage à l'encontre de Mondial Frigo, et notamment les pénalités de retard, sont fondées en leur principe ;

- juger que la saisie conservatoire pratiquée par la société Mondial Frigo le 5 mars 2021 à l'encontre de la société P. Réalisations, entre les mains de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe ne répond pas aux conditions posées par l'article L.511-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

- prononcer la mainlevée totale et immédiate de la saisie conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 à l'encontre de la société P. Réalisations entre les mains de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe ;

- condamner la société Mondial Frigo à prendre en charge l'intégralité des frais afférents à la saisie conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 ;

- débouter la société Mondial Frigo de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

en tout état de cause,

- prononcer la mainlevée totale et immédiate de la saisie conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 à l'encontre de la société P. Réalisations entre les mains de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe ;

- condamner la société Mondial Frigo à prendre en charge l'intégralité des frais afférents à la saisie conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 ;

- condamner la société Mondial Frigo à verser à la société P. Réalisations la somme de 66.000 euros à titre de dommages et intérêts pour saisie abusive ;

- débouter la société Mondial Frigo de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner la société Mondial Frigo à verser à la société P. Réalisations la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Jérôme M..

La société P. Réalisations expose en substance les éléments suivants :

- le maître d'ouvrage des travaux était la société Coudray Ouest et la société P. Réalisations n'est elle intervenue qu'à titre de maître d'ouvrage délégué, comme mandataire et représentante de la société Coudray Ouest ; elle n'est donc pas débitrice de la société Mondial Frigo ;

- à la dissolution de la société Coudray Ouest le 15 juillet 2019, l'intégralité de son patrimoine a été transmis à la société P. Développement ; c'est donc cette dernière qui vient aux droits de la société Coudray Ouest à compter du 16 octobre 2019, date de sa radiation ; les réclamations de la société Mondial Frigo portent sur des factures établies postérieurement à la dissolution de la société Coudray Ouest le 15 juillet 2019, date à laquelle la société P. Réalisations a en outre logiquement perdu la qualité d'associé ;

- il ressort de la requête de l'intimée afin d'autoriser à pratiquer une saisie conservatoire qu'elle savait à cette date que la société Coudray Ouest avait été dissoute et que son patrimoine avait été transmis à la société P. Développement ; en tout état de cause, quand bien même la société Mondial Frigo n'aurait pas été informé de cette dissolution et de cette substitution de maître d'ouvrage, cela ne fait pas de la société P. Réalisations son débiteur ; par courrier du 22 mars 2021, elle a d'ailleurs reconnu que son vrai débiteur était la société P. Développement ;

- selon l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, il n'est fait droit à une demande d'autorisation de saisie conservatoire que lorsque la créance parait fondée ; or, si la société Mondial Frigo se prévaut d'une créance de plus de 435.000 euros au titre du solde impayé du DGD, le groupe P. est en droit de lui opposer diverses pénalités contractuelles pour une somme cumulée de plus de 6,4 millions d'euros ;

- ces pénalités sont expressément prévues dans les CCG, elles-mêmes mentionnées dans de nombreux documents contractuels et qui sont donc parfaitement opposables à la société Mondial Frigo ; le fait que la société Mondial Frigo n'ait pas signé les CCG est sans conséquence sur leur opposabilité ; la société Mondial Frigo est responsable de divers retards justifiant des pénalités, d'autant que ces retards ont aussi provoqué un préjudice de plus de 150.000 euros à la société P. Développement, notamment en ce qu'elle a dû elle aussi payer des pénalités de retard à son client ;

- la société Mondial Frigo se prévaut également d'une facture du 17 septembre 2019 pour un montant de 217.420,80 euros au titre de prétendues plus-values : or ces plus-values ne sont pas justifiées et n'ont jamais été validées par le groupe P. dans un avenant ; la société Aerothermis, qui agissait en qualité de bureau d'étude technique froid industriel, a contesté toutes les réclamations de la société Mondial Frigo dans un courrier du 23 août 2019 ;

- l'autre condition cumulative posée par l'article L. 511-1 est le fait qu'il existe une menace sur le recouvrement de la créance : la société Mondial Frigo était informée de la radiation de la société Coudray Ouest, qui ne lui a jamais été cachée ; certaines factures ont été mal intitulées ; le fait que la société P. Réalisations ne dépose pas ses comptes au greffe ne préjuge pas de son insolvabilité ;

- la société Mondial Frigo n'a pas hésité à cacher au juge le litige qui l'oppose au groupe P. au sujet du solde de son DGD et, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, l'article L. 512-2 autorise le juge de la rétractation a condamné le créancier à indemniser le débiteur injustement saisi.

Par conclusions remises le 3 novembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Mondial Frigo demande à la cour, au visa de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, des articles 1103 et 1119 du code civil, de l'article L. 221-1 du code de commerce , de :

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a

dit que l'ordonnance du 19 janvier 2021 est conforme aux articles L. 511-1, L. 511-3, L. 521-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

débouté la société appelante de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 19 janvier 2021 et de la mainlevée de la saisie-conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 ;

déclaré son incompétence sur les demandes de dommages et intérêts, et rejeté ces

dernières ;

condamné la société P. Réalisation à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

y ajoutant,

- autoriser les huissiers commis aux fins d'exécution de la mesure conservatoire portant sur les comptes bancaires de la société P. Réalisations à renouveler la saisie conservatoire dans les mêmes conditions et limites auprès de tout établissement bancaire pendant une période de trois mois à compter de la décision à intervenir, pour le solde de la créance, soit 229.419,08 euros ;

en tout état de cause,

- débouter la société P. Réalisations de sa demande de dommages-intérêts, et subsidiairement la réduire la demande de dommages-intérêts à de plus justes proportions ;

- débouter la société P. Réalisations de toutes ses demandes, défenses, exceptions et fins ;

- condamner la société P. Réalisations à payer à la société Mondial Frigo la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, et autoriser la SELARL Lexavoue Paris-Versailles, représentée par Maître Matthieu B.-G. à les recouvrer.

La société Mondial Frigo expose en résumé ce qui suit :

- selon l'article L. 222-1 du code de commerce , les associés d'une SNC répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales ; la jurisprudence précise qu'ils répondent des dettes nées avant la publication de la perte de leur qualité d'associé ; en l'espèce, le K-bis de la SNC Coudray Ouest indique que la société P. Réalisations est restée associée jusqu'au 15 juillet 2019 ; comme l'ensemble des commandes et avenants sus lesquels sont fondés la créance ont été conclus avant cette date, la société P. Réalisations est donc débitrice de cette créance ;

- par ailleurs, cette dernière n'a jamais indiqué à la société Mondial Frigo que la société Coudray Ouest avait été radiée ; elle n'a appris cette radiation que dans le cadre de la procédure de saisie conservatoire ; pourtant, les CCG font obligation au groupe P. d'informer la société Mondial Frigo en cas de changement de maître d'ouvrage ; par conséquent, la société P. Réalisations est également débitrice des dettes nées postérieurement au 15 juillet 2019 ;

- la jurisprudence précise que le juge de l'exécution doit seulement, au visa de l'article L. 511-1, vérifier si la créance parait fondée en son principe et non si elle est certaine ; aucun des arguments soulevés par la société P. Réalisations ne remet en cause le caractère fondée de cette créance ; il s'agit d'arguments de fond qui sont inopérants au moment de déterminer la légitimité d'une saisie conservatoire ;

- s'agissant des pénalités que le groupe P. entend opposer à la société Mondial Frigo, elles sont prévues par les CCG qui n'ont jamais été signés par cette dernière et, en tout état de cause, l'application de ces pénalités est hautement contestable ;

- s'agissant de la facture du 17 septembre 2019, contrairement à ce qu'indique la société P. Réalisations, les plus-values facturées ne sont pas dues aux défaillances de la société Mondial Frigo ; c'est à raison d'incidents indépendants de la volonté de la société Mondial Frigo que les travaux ont commencé avec trois mois de retard, ce qui a nécessairement entraîné un surcoût pour cette dernière ;

- enfin, la société Coudray Ouest, débiteur original de la créance, a été dissoute, sans que la société Mondial Frigo en soit informée et aucune des sociétés du groupe P. ne publie ces comptes depuis plus de 10 ans ; la société P. Réalisations n'a pas respecté les échéances de paiement de plusieurs factures et c'est à tort qu'elle prétend que ces retards seraient dus à la faute de la société Mondial Frigo, alors qu'elle a toujours intitulées ses factures à la société Coudray Ouest ; la saisie conservatoire n'a permis de saisir que 430.000 euros, alors que la créance s'élève à environ 660.000 euros ; il ressort de tout cela qu'il existe des raisons de croire que la société P. Réalisations est insolvable et qu'il existe une menace sur le recouvrement de la créance.

SUR CE LA COUR

L'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.

La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.

Il résulte en outre de l'article L. 512-1 du même code que le juge peut donner mainlevée de la mesure conservatoire s'il apparaît que les conditions prescrites par l'article L. 511-1 ne sont pas réunies.

Ainsi, le juge saisi n'a ni à trancher le fond du litige, ni à fixer le quantum de la créance, mais doit seulement apprécier le bien-fondé apparent de la créance et les risques pesant sur son recouvrement.

En l'espèce, il sera relevé :

- que, selon le bon de commande signé entre les parties au présent litige le 17 décembre 2018, une société ad hoc a été créée, la SNC Coudray Ouest (filiale de la société P. Développement), les facturations devant être intitulées à cette entité et adressées à P. Réalisations ;

- que P. Réalisations et P. Développement étaient associées de la SNC Coudray Ouest ;

- que, le 15 juillet 2019, la société P. Développement est devenue associée unique de la SNC Coudray Ouest ;

- que la SNC Coudray Ouest a été radiée le 16 octobre 2019 (selon son Kbis, pièce 4 appelante, pièce 21 intimée), avec transmission de son patrimoine à P. Développement (et non à P. Réalisations) ;

- que la société P. Réalisations, pour contester le bien-fondé apparent de la créance, fait ainsi valoir qu'elle n'a jamais été que maître d'ouvrage délégué, non tenu au paiement des travaux, et qu'elle n'a jamais repris le patrimoine de la société SNC Coudray Ouest après sa dissolution ;

- que, certes, la SAS Mondial Frigo rappelle aussi que les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales (article L. 221-1 alinéa 1er du code de commerce ) ;

- que, pour autant, la société P. Réalisations ne serait d'abord tenue des dettes de la SNC Coudray Ouest que jusqu'au 15 juillet 2019 ;

- que subsiste un doute certain sur le principe de la créance dont fait état SAS Mondial Frigos à l'encontre de la société P. Réalisations, le bon de commande mentionnant une autre société que la société appelante et les divers avenants signés entre le 15 février 2017 et le 1er juillet 2019 (pièce 9 appelante, pièces 2 à 6 intimée) ne permettant pas pour autant de considérer que c'est la société P. Réalisations qui serait la société débitrice ;

- que la circonstance que les factures émises au-delà du 15 juillet 2019 ou les bons de validation des lots mentionnent 'SNC Coudray Ouest représentée par P. Réalisations' (pièces 10 à 16 intimée, ce même après la radiation) ne saurait suffire à faire de P. Réalisations la débitrice des sommes dues, alors que le contrat de maîtrise d'ouvrage délégué signé entre SNC Coudray Ouest et P. Réalisations (pièce 68 appelante) permettait à P. Réalisations de remplir une mission d'assistance du maître d'ouvrage ;

- que l'intimée indique qu'elle n'a jamais eu connaissance de la radiation de la société SNC Coudray Ouest, tandis que l'appelante indique qu'elle en avait nécessairement connaissance à partir du moment où c'est P. Développement qui avait réglé ses situations de travaux à compter de juillet 2019 ;

- que force est de constater en toute hypothèse que le principe d'une créance apparente doit concerner la société débitrice, alors qu'il n'est ici pas établi que c'est bien la société P. Réalisations qui est débitrice des sommes dues ;

- que, concernant les menaces de recouvrement, il appartient à la société SAS Mondial Frigos de démontrer, les circonstances que la société SNC Coudray Ouest ait fait l'objet d'une mesure de radiation le 16 octobre 2019 ou encore que les sociétés du Groupe P. ne déposeraient pas leurs comptes ne peuvent établir, à elles seules, la menace alléguée ;

- que la société appelante indique à juste titre à cet égard, sans être démentie sur ces points, que le capital social de chacune des entités est de nature à rassurer tout créancier : 4.327.180 euros pour le Groupe P., 1.246.000 euros pour P. Réalisations, 1.000.000 euros pour P. Développement ;

- qu'au surplus, les documents produits par la société appelante en cause d'appel font état la concernant (pièces 87 et 88) de capitaux propres à hauteur de 1.928.352 euros et d'un résultat d'exercice 2020 de 436.978 euros, de sorte que le montant de la créance alléguée, de 652.615,27 euros, apparaît pouvoir être recouvré, étant rappelé que la SAS P. Réalisations conteste aussi le montant allégué.

Aussi, au regard de l'ensemble de ces éléments et sans qu'il n'y ait lieu de statuer sur les autres moyens soulevés, il convient d'infirmer la décision entreprise en tous ses éléments et d'ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire, la société SAS Mondial Frigos ne démontrant ni le principe d'une créance apparente contre la SAS P. Réalisations, ni les menaces alléguées sur le recouvrement.

La cour rejettera la demande complémentaire de la société intimée visant à autoriser la saisie conservatoire pour le solde de la créance, complément aux précédentes demandes rejetées.

S'agissant de la demande de dommages et intérêts formée par la société appelante, il y a lieu d'indiquer qu'aux termes de l'article L. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, les frais occasionnés par une mesure conservatoire sont à la charge du débiteur, sauf décision contraire du juge. Lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire.

Ainsi, contrairement à ce qu'a indiqué le premier juge, la demande apparaît recevable.

Reste que la cour rejettera la demande, étant observé que, contrairement à ce qu'indique l'appelante, l'identité du débiteur potentiel pouvait prêter à confusion au regard des pièces versées aux débats.

La société intimée devra indemniser la société appelante des frais exposés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Ordonne la mainlevée de la mesure conservatoire pratiquée le 5 mars 2021 sur les comptes de la société P. Réalisations à la Caisse fédérale de Crédit mutuel Europe ;

Rejette la demande de la société SAS Mondial Frigos visant à autoriser les huissiers commis aux fins d'exécution de la mesure conservatoire portant sur les comptes bancaires de la société P. Réalisations à renouveler la saisie conservatoire dans les mêmes conditions et limites auprès de tout établissement bancaire pendant une période de trois mois, pour le solde de la créance, soit 229.419,08 euros ;

Déclare recevable la demande de dommages et intérêts formée par la SAS P. Réalisations mais la rejette ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne la SAS Mondial Frigo à payer à la société SAS P. Réalisations la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel ;

Condamne la société la SAS Mondial Frigo aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour les dépens concernés au profit de Me Jérôme M., cabinet M. & Associés, en application de l'article 699 du code de procédure civile.