CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 25 mars 2021, n° 19/20786
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Française du Radiotéléphone (SA), Société Completel (SAS)
Défendeur :
Kosc (Sasu), Kosc Infrastructures (SAS), MJA (Selafa)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillou
Conseillers :
M. Rondeau, Mme Chopin
Exposé du litige
Le 30 septembre 2015, un contrat de cession a été conclu entre la société Completel et la société Kosc. La cession portait sur le réseau DSL de la société Completel, filiale de la société Numéricable.
Cette opération devait répondre aux préoccupations de l'Autorité de la concurrence quant à la fusion entre la société Numéricable et la société SFR. Il s'agissait de permettre l'apparition d'un nouvel opérateur sur le marché des services de télécommunications spécifiques aux entreprises.
La société Kosc, a apporté ce réseau à la société Kosc Infrastructures, filiale créée à cet effet (avec l'aide de la Caisse des dépôts et consignations).
Le prix de la cession a été fixé à environ 11, 4 millions d'euros. La livraison du réseau DSL devait intervenir progressivement, en 4 étapes, et au plus tard le 31 mars 2017.
Le 18 mars 2016, un contrat dit « contrat wholesale » portant sur un droit d'usage et de maintenance du réseau DSL de la société Completel a également été conclu entre la société Kosc et la société SFR.
Un différend est né entre la société Completel et la société Kosc quant à l'exécution des obligations issues de la cession du réseau DSL, la société Kosc estimant notamment que le calendrier de livraison n'a pas été respecté, que certains éléments du réseau DSL étaient inexploitables, et que la société SFR a fait preuve d'un comportement déloyal.
En conséquence, la société Kosc a refusé de payer le solde du prix de la cession, et des charges du droit d'usage et de maintenance du réseau DSL pendant la période litigieuse de livraison.
Le 30 novembre 2017, la société SFR a saisi le tribunal de commerce de Paris en paiement du solde du prix (15 212 603,77 euros) et en indemnisation de son préjudice. La société Kosc ayant soutenu que la livraison du réseau n'avait pas été réalisée ni loyale, le tribunal a désigné un expert.
Le 5 septembre 2019, le président du tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de conciliation à l'égard de la société Kosc et de la société Kosc infrastructures.
Le 13 septembre 2019, s'estimant créancière d'une somme d'environ 21, 5 millions d'euros la société SFR a adressé aux sociétés Kosc une mise en demeure aux fins de paiement.
Par trois ordonnances en date du 24 septembre 2019, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a autorisé les sociétés SFR et Completel à procéder à des saisies conservatoires contre la société Kosc.
Considérant que ces saisies conservatoires relevaient de manoeuvres déloyales et que le fonctionnement des sociétés s'en trouvait paralysé, par acte du 3 octobre 2019, les sociétés Kosc et Kosc Infrastructures ont fait assigner la société SFR devant le président du tribunal de commerce de Paris, qui avait précédemment ouvert la conciliation, aux fins notamment, et sur le fondement de l'article L. 611-7 du code de commerce , de :
- obtenir un délai de paiement de 24 mois de la dette prétendument due aux sociétés SFR et Completel d'un montant global évalué à hauteur de 21 millions d'euros, à parfaire,
- voir suspendre les mesures conservatoires autorisées par le juge de l'exécution ainsi que toute autre procédure à venir pendant la durée des délais de paiement sollicités,
- voir prononcer l'injonction, sous astreinte, pour les sociétés SFR et Completel de solliciter la mainlevée de leurs saisies conservatoire.
Par ordonnance rendue en la forme des référés du 30 octobre 2019, la juridiction saisie a :
- reconnu sa compétence pour statuer sur les demandes des sociétés Kosc et Kosc Infrastructures de levées des saisies conservatoire des sociétés SFR et Completel,
- dit les sociétés Kosc et Kosc Infrastructures recevables et bien fondées en leur action,
- sans préjuger de la décision du tribunal concernant le principe et le quantum de la créance des sociétés SFR et Completel d'un montant global de 21.052.003, 25 euros TTC, à parfaire, accordé à la société Kosc, le cas échéant, un report de paiement de 24 mois, à compter de la présente décision des sommes suivantes :
- à la société SFR des sommes de :
- 6 822 001, 56 euros TTC au titre du solde du prix de cession (a)
- 1 997 737, 28 euros TTC au titre des prestations de maintenance (b)
- 1328 121,85 euros TTC au titre des prestations d'hébergements dites « netcenter » (c)
- 508 395, 30 euros TTC au titre des frais d'accès au service (d)
-1 585.392, 13 euros TTC au titre des prestations « bitstream » (e)
- et à la société Completel de la somme de 4 107 600 euros TTC au titre du solde du prix de cession ;
- accordé à la société Kosc Infrastructures, le cas échéant, un report de 24 mois à compter de la présente décision sur la somme de 4 702 755,13 euros TTC due à la société SFR.
- constaté la suspension des saisies conservatoires autorisées le 24 septembre 2019, ainsi que toutes les procédures à venir, pendant la durée de grâce de 24 mois octroyée pour le règlement de la créance litigieuse,
-fait injonction à la société SFR et à la société Completel de solliciter sans délai la mainlevée desdites mesures et de libérer sans délais l'intégralité des sommes saisies à compter de la présente décision,
- débouté la société SFR et la société Completel de sa demande de contrepartie à toute mainlevée des saisies conservatoires faites aux dépens de la société Kosc et de la société Kosc Infrastructure,
- rappelé en tant que besoin que la société SFR et la société Completel sont tenues à l'obligation de confidentialité de l'article L. 611-15 du code de commerce ,
- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties,
- condamné les sociétés Kosc et Kosc Infrastructures aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 97, 71 euros TTC dont 16, 07 euros de TVA,
- dit que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l'article 489 du code de procédure civile.
Le premier juge a fondé cette décision notamment sur les motifs suivants :
En application de l'article R. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, puisque la créance de la société SFR contre les sociétés Kosc et Kosc Infrastructures relève de la compétence du tribunal de commerce de Paris, saisi d'une demande sur le fond, alors le président du tribunal de commerce de Paris est compétent pour statuer sur la demande de mainlevée des saisies conservatoires,
- la seule référence par la société SFR à la mauvaise foi des débiteurs ne permet pas de les déclarer irrecevables en leurs demandes,
- la majeure partie de la créance de la société SFR fait l'objet d'un contentieux sérieux puisque les résultats de l'expertise ne devraient pas être prononcés avant plusieurs mois voire années et qu'il ne s'agit donc pas encore d'une créance certaine, liquide et exigible. Les sociétés Kosc et Kosc Infrastructures ont des besoins élevés en matière d'investissements pour pouvoir se développer. En attendant de trouver des investisseurs, elles doivent donc pouvoir financer leur exploitation.
- Malgré ses difficultés financières actuelles, la société Kosc est optimiste sur son avenir proche, ce qu'elle justifie grâce à des documents prévisionnels,alors la société SFR ne justifie pas avoir des besoins financiers plus critiques que la société Kosc.
- En conséquence il y a lieu d'accorder des délais de paiement à la société Kosc et à sa filiale,
- la mise en œuvre des saisies conservatoires autorisées par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris risque de paralyser l'exploitation de la société Kosc et de sa filiale et d'anéantir les effets escomptés par l'octroi des délais de grâce, de sorte qu'en application de l'article 1345-5 du code civil et de la jurisprudence, les saisies conservatoires déjà autorisées, et celles à venir, doivent être suspendues pendant le délai de 24 mois, et il y a lieu de faire injonction à la société SFR de demander la mainlevée des mesures à un huissier, sous astreinte,
- la société SFR demande une garantie en contrepartie des mainlevées des saisies conservatoires que la société Kosc n'est pas en état d'offrir. En conséquence, la meilleure garantie est le soutien de la société Kosc dans son développement et sa restructuration financière pour qu'elle puisse régler sa dette éventuelle à échéance.
Par déclaration en date du 8 novembre 2019, la société SFR et la société Completel ont fait appel de cette ordonnance à l'égard de toutes ses dispositions, sauf celles concernant la condamnation aux dépens.
La procédure de conciliation n'a pas abouti et une procédure collective a été ouverte à l'égard des sociétés Kosc et Kosc infrastructures, d'abord un redressement judiciaire le 3 décembre 2019, puis une liquidation judiciaire le 29 juin 2020.
La procédure en appel contre l'ordonnance du 30 octobre 2019 a été interrompue, puis reprise après assignation en intervention forcée du liquidateur judiciaire le 29 septembre 2020.
Au terme de leurs conclusions remises au greffe le 23 février 2021, la société SFR et la société Completel demandent à la cour, sur le fondement de l'article L. 611-7 du code de commerce , de l'article 1343-5 du code civil, et de l'article 513 du code de procédure civile, de :
- dire que l'appel a un intérêt et un objet,
- débouter les intimées et le liquidateur judiciaire de leurs fins de non-recevoir,
- dire que l'ordonnance dont appel procède d'un excès de pouvoirs,
- par conséquent, annuler l'ordonnance dont appel,
-dire que dans le cadre de l'effet dévolutif qu'il n'y a lieu de statuer sur une demande d'octroi de délais, la conciliation étant terminée et des procédures collectives ayant été ouvertes,
En tout état de cause
- débouter les intimées de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions,
- condamner les intimées in solidum à prendre en charge les frais de mainlevée qui seront inscrits au passif des sociétés Kosc et Kosc Infrastructures chacune pour la somme de 754 euros pour la société Completel et 1 281, 80 euros pour la société SFR,
- condamner les intimées in solidum au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile qui seront inscrits à leur passif au bénéfice de chacun des appelants,
- condamner in solidum les intimés aux dépens de première instance et d'appel, qui seront inscrits au passif des sociétés Kosc et Kosc Infrastructures, dont distraction au profit de Me Frédéric L., avocat associé SELARL BDL Avocats pour les dépens de l'appel.
La société SFR et la société Completel font valoir en substance les éléments suivants :
Sur la recevabilité de l'appel et de l'assignation en intervention forcée du liquidateur judiciaire
-que la Cour de cassation rappelle régulièrement que l'intérêt à agir des appelants s'apprécie à la date à laquelle l'appel est formé et que la recevabilité de l'appel ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l'auraient rendu sans objet. Leur intérêt à agir est suffisamment caractérisé en l'espèce puisqu'elles veulent faire annuler le constat de la suspension des mesures provisoires et l'injonction d'en donner mainlevée, et obtenir le remboursement des dépens et frais de justice non compris dans ces dépens,
- si pourtant la cour venait à apprécier l'intérêt à agir des appelants au jour où elle statue, il est rappelé que l'appel n'est pas privé d'objet et que les appelants ont toujours intérêt à obtenir l'annulation de la décision dont appel car :
1. Avant même que la conversion des redressements en liquidations judiciaires ne soit ordonnée, l'appel avait pour objet de faire annuler les délais de paiement octroyés faisant grief aux appelants ; que contrairement à ce qu'avancent les intimés, ni une disposition légale, ni la jurisprudence, ni la doctrine, ne prévoient la caducité de plein droit des délais octroyés par le juge de la conciliation en cas d'échec de la conciliation,
2. En application de l'article L. 626-18 du code de commerce , s'il est considéré que les délais de 24 mois octroyés sont bien maintenus malgré l'ouverture des redressements, alors, en cas de plan de continuation, les appelants auraient perçu leurs premiers dividendes du plan avec retard par rapport aux autres créanciers, que l'annulation de l'ordonnance du juge de la conciliation octroyant les délais de 24 mois leur aurait donc été utile,
3. En application de l'article L. 643-1 du code de commerce , l'ouverture d'une liquidation judiciaire des sociétés Kosc et Kosc Infrastructures rend exigibles les créances non échues ; qu'en conséquence les sociétés SFR et Completel peuvent encore faire valoir qu'aucun délai ne peut être accordé aux sociétés Kosc et Kosc Infrastructures sur le fondement des articles L. 611-7 du code de commerce et 1343-5 du code civil qui ne s'appliquent qu'en cas de conciliation,
4. La décision dont appel a mis à la charge des sociétés SFR et Completel des frais de mainlevée à cause de l'astreinte qui a été prononcée, en effet la mainlevée n'a pas opéré de plein droit et elle a fait suite à un acte positif des sociétés SFR et Completel pour éviter le paiement de l'astreinte et ces frais n'auraient jamais été exposés sans l'astreinte ordonnée car l'ouverture d'une procédure collective met fin de plein droit aux mesures conservatoire.
5. L'appel a pour objet d'empêcher l'exploitation par les intimés d'une décision défavorable aux appelants ne serait-ce que dans le cadre d'autres instances,
Sur l'annulation de l'ordonnance procédant d'un excès de pouvoir
- le président du tribunal de commerce de Paris a commis un excès de pouvoir à en suspendant les mesures conservatoires pourtant autorisées par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris ainsi que « toutes procédures à venir », et en faisant injonction sous astreinte de donner mainlevée des mesures conservatoires,
- s'agissant de l'incompétence du premier juge, l'article R. 512-2 du code des procédures civiles tel qu'expliqué par la doctrine et appliqué par la jurisprudence partage les compétences des magistrats d'une façon précise en cas de demande de mainlevée d'une mesure conservatoire, selon qu'une autorisation préalable a ou non été obtenue,
- en l'espèce, les sociétés Kosc et Kosc Infrastructures ont demandé des délais de grâce au président du tribunal de commerce , mais également la suspension et même la mainlevée des mesures conservatoires, alors que seul était compétent le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris ayant préalablement autorisé ces mesures, et non le président du tribunal de commerce la demande de mainlevée n'ayant pas été faite avant tout procès.
- sous couvert de ' constater' la simple suspension des mesures conservatoires, le premier juge s'est en réalité octroyé le pouvoir de leur faire échec, alors que l'article 513 du code de procédure civile dispose que le délai de grâce ne fait pas obstacle aux mesures conservatoires,
- l'article 1343-5 du code civil n'autorise aucunement le juge à faire injonction sous astreinte de donner mainlevée des mesures conservatoires prendre, cette disposition grave entraînant la perte de la mesure conservatoire par le créancier,
- si les sociétés Kosc et Kosc Infrastructures ne se sont pas adressées au juge de l'exécution dont elles savaient qu'il ne pourrait en ordonner la mainlevée les conditions des articles L. 512-1 et L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution étant remplies, mais ont préféré faire une demande artificielle de délais de paiement devant un juge incompétent.
- en application de l'article 1343-5 du code civil, le président du tribunal de commerce n'aurait pas dû faire droit à la demande de délai de grâce car il n'avait aucune assurance raisonnable sur la capacité de la société Kosc et de sa filiale à honorer ce délai, la pérennité de ces sociétés étant compromise,
- depuis le 29 juin 2020, les sociétés Kosc et Kosc Infrastructures sont en liquidation judiciaire de sorte qu'il n'est plus question de leur octroyer des délais, mais seulement de réaliser leur actif et de procéder au paiement des dettes,
-les intimées sont malvenues d'invoquer une prétendue procédure abusive, puisque même si les saisies sont caduques depuis les redressements judiciaires et que les délais sont déchus depuis les liquidations judiciaires, les appelantes avaient intérêt à interjeter appel au jour de la déclaration d'appel, qu'elles supportent encore les coûts des mainlevées et des dépens.
La société Kosc et la société Kosc Infrastructures, par conclusions transmises remises au greffe le 16 février 2021, demandent à la cour, sur le fondement des articles 31, 63, 122 et 559 du code de procédure civile, L. 611-7 du code de commerce , et 1240 et 1343-5 du code civil, de :
A titre liminaire
- constater que la société SFR et la société Completel ne disposent d'aucun intérêt à agir dans le cadre de l'intervention forcée du liquidateur judiciaire aux fins de reprise d'instance,
- déclarer irrecevable la demande en intervention forcée du liquidateur judiciaire, faute d'intérêt à agir de la société SFR et de la société Completel,
-constater qu'il ne peut y avoir de poursuite de la procédure, le liquidateur judiciaire n'ayant pas valablement été mis dans la cause ;
Subsidiairement, si la procédure était poursuivie
- constater que la société SFR et que la société Completel ne disposent d'aucun intérêt à agir dans le cadre de l'appel-nullité interjeté à l'encontre de l'ordonnance ;
- constater que la société SFR et que la société Completel ne rapportent pas la preuve d'un excès de pouvoir qui aurait été commis par le président du tribunal de commerce de Paris aux termes de l'ordonnance,
- déclarer irrecevable l'appel-nullité diligenté par la société SFR et la société Completel à l'encontre de l'ordonnance,
- débouter la société SFR et la société Completel de l'intégralité de leurs demandes,
- condamner solidairement la société SFR et la société Completel à une amende civile d'un montant de 10 000 euros et à des dommages et intérêts d'un montant de 50 000 euros, conformément aux dispositions des articles 559 du code de procédure civile et 1240 du code civil, l'appel diligenté par la société SFR et la société Completel étant particulièrement abusif en raison de l'inutilité manifeste d'un tel recours,
- condamner solidairement la société SFR et la société Completel à la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Kosc et la société Kosc Infrastructures ont exposé en résumé ce qui suit :
Sur l'irrecevabilité de la demande en intervention forcée du liquidateur judiciaire pour absence d'intérêt à agir des appelantes
- en application des articles 31 et 122 du code de procédure civile, l'auteur d'une demande en justice principale ou incidente doit avoir un intérêt à agir à peine d'irrecevabilité de sa demande. En l'espèce, l'assignation en intervention forcée du liquidateur judiciaire n'a aucun intérêt car d'une part l'annulation du délai de grâce est devenue sans objet du fait de la liquidation judiciaire, et d'autre part depuis l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la mainlevée des mesures conservatoires ne peut être rétractée,
- En application de l'article L. 622-22 du code de commerce , les appelantes qui prétendent trouver un intérêt dans l'appel-nullité pour obtenir le remboursement des frais occasionnés pour la mainlevée des saisies conservatoires, auraient dû solliciter la fixation de leur créance au passif devant la juridiction saisie de l'instance en cours. En application de l'article 910-4 du code de procédure civile posant un principe de concentration des prétentions, cette demande est tardive,
- d'après la doctrine, ce n'est pas parce que l'ouverture d'une procédure collective met fin de plein droit aux mesures conservatoires que le créancier ne doit pas quand même procéder à la mainlevée des saisies, ce qui entraîne des frais à sa charge,
- en outre, le 19 juin 2020, l'ordonnance dont appel a été déclarée caduque par le juge-commissaire par l'effet de l'ouverture du redressement judiciaire, son annulation n'a donc pas lieu d'être demandée.
Sur l'irrecevabilité de l'appel-nullité lui-même
- les appelants n'ont aucun intérêt à agir depuis l'ouverture des procédures collectives des sociétés Kosc et Kosc Infrastructures, la jurisprudence reconnaissant que par l'effet de circonstances postérieures au jour de l'introduction de la demande, son auteur peut perdre son intérêt à agir,
- En l'espèce, le 19 juin 2020, le juge-commissaire a considéré que l'ordonnance dont appel a été rendue caduque par l'ouverture du redressement judiciaire: la situation litigieuse a donc été postérieurement modifiée, aucune annulation n'étant plus possible,
- le premier juge n'a pas commis d'excès de pouvoirs, puisqu'il n'a pas 'prononcé' la mainlevée des saisies conservatoires après avoir octroyé un délai de grâce, mais seulement 'constaté' que l'octroi du délai de grâce avait pour effet de suspendre automatiquement les saisies conservatoires en application de l'article 1343-5 du code civil,
- les dispositions de l'article 513 du code de procédure civile qui s'insère dans un titre relative à l'exécution du jugement ne sont pas applicables puisqu'elles ne concernent que l'hypothèse où le créancier aurait déjà un titre exécutoire, la mesure pouvant être maintenue malgré le délai de grâce,
- même si le premier juge avait mal interprété l'article 1343-5 du code civil, il ne s'agirait que d'une erreur de droit, qui ne constitue pas un excès de pouvoir selon la jurisprudence,
-l'appel-nullité qui a été formé est sans utilité et mal-fondé, ce qui justifie le versement de dommages et intérêts,
Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Le liquidateur judiciaire soutient l'irrecevabilité de l'assignation en intervention forcée qui lui a été délivrée et ce, en conséquence de l'irrecevabilité de l'appel.
Il expose que la reprise de l'instance après liquidation judiciaire n'a aucune utilité puisque d'une part l'ouverture de la liquidation judiciaire a rendu les créances immédiatement exigibles et qu'aucune mainlevée des saisies conservatoires n'est désormais possible puisqu'elles ont été privées d'effet, que l'intérêt allégué par les sociétés appelantes de voir l'ordonnance annulée et d'obtenir le remboursement des frais de mainlevée qu'elles ont engagés, n'est pas réel puisque la présente instance étant en cours au jour du jugement d'ouverture, en application de l'article L 622-22 du code de commerce , les appelantes doivent faire expressément devant la cour une demande de fixation de la créance, que celle-ci n'ayant été faite que par des conclusions postérieures aux premières conclusions d'appelantes, elle est irrecevable en application de l'article 910-4 du code de procédure civile.
Selon lui, outre que l'appel était inutile compte tenu des sommes en jeu, les frais de mainlevée étaient en tout état de cause nécessaires, même en cas de procédure collective, et ne pourront être remboursés et ce, d'autant plus que les appelantes se sont désistées de leurs demandes au fond.
L'intérêt à interjeter appel doit s'apprécier au jour de l'appel. Il ne se confond ni avec le bien fondé de l'action ni avec son utilité.
A la date à laquelle les sociétés SFR et Complétel ont fait appel, les sociétés Kosc ne faisaient pas l'objet d'une procédure collective.
Les sociétés SFR et Complétel ayant été déboutées de leurs demandes, elles avaient intérêt à agir.
L'appel était donc recevable lorsqu'il a été interjeté.
Après l'ouverture du redressement puis de la liquidation judiciaire, l'assignation en intervention forcée du liquidateur judiciaire a été rendue nécessaire par les dispositions de l'article L. 622-21 du code de commerce , applicable en redressement judiciaire par renvoi de l'article L 631-14 du même code et en liquidation judiciaire par l'article L 641-3, qui dispose que 'le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tout créancier dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L 622-17 du code de commerce '. L'article L 622-22 dispose que les instances sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance et qu'elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et le cas échéant l'administrateur dûment appelé.
La poursuite de l'instance en appel nécessitant cette mise en cause forcée, les appelantes y avaient nécessairement intérêt.
Le seul fait que l'appel soit désormais devenu inutile aux dires du liquidateur judiciaire ne suffit pas à priver l'appel et l'intervention forcée de tout intérêt qui peut résulter du seul constat du bien fondé de leur action.
Les deux fins de non recevoir (irrecevabilité de l'appel et irrecevabilité de l'assignation en intervention forcée) seront donc rejetées.
Sur la demande d'annulation de l'ordonnance:
Aux termes de l'article R 512-1 du code des procédures civiles d'exécution le juge peut ordonner la mainlevée des mesures conservatoires lorsque les conditions ne sont plus réunies.
L'article R 512-2 dispose expressément que la demande de mainlevée est portée devant le juge qui a autorisé la mesure.
Ce n'est que si la mesure conservatoire a été prise sans autorisation préalable du juge que la demande est portée soit devant le juge de l'exécution du lieu où demeure le débiteur soit, lorsque la mesure est fondée sur une créance relevant de la compétence d'une juridiction commerciale et si elle a été autorise avant tout procès, devant le président du tribunal de commerce du lieu où demeure le débiteur.
Or en l'espèce les saisies conservatoires ont été pratiquées sur autorisation du juge de l'exécution qui était donc seul compétent pour en ordonner la mainlevée.
En l'espèce il sera au surplus ajouté que le juge du fond qui pourrait également être compétent pour ordonner la mainlevée des mesures conservatoires, n'est pas le juge statuant en la forme des référés sur une demande de délais au cours d'une conciliation et ce d'autant qu'aux termes de l'article 513 du code de procédure civile le délai de grâce ne fait pas obstacle aux mesures conservatoires.
C'est donc à tort que le juge s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de mainlevée.
Cette erreur de droit ne constitue pas un excès de pouvoir et ne peut donc donner lieu à annulation de la décision.
En outre la cour d'appel de Paris étant juridiction d'appel relativement à la juridiction du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris, il n'y a pas lieu à renvoi de l'affaire.
Il sera en l'espèce constaté que la demande de mainlevée n'a plus d'objet puisqu'il a été mis fin à toutes les mesures conservatoire par le seul effet de la procédure collective ouverte le 3 décembre 2019, aucune de ces saisies n'ayant été convertie en saisie-attribution avant le jugement d'ouverture.
De même la demande d'infirmation de la décision quant aux délais de paiement n'a plus d'objet, en raison de la liquidation judiciaire prononcée le 29 juin 2020.
Sur la charge des frais de mainlevée des saisies conservatoires:
Le liquidateur judiciaire soutient que cette demande est irrecevable comme n'ayant pas été formée dans le délai de l'article 910-4 du code de procédure civile qui dispose que 'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.'
Or à la date des premières conclusions d'appelant, le 13 mars 2020, les sociétés SFR et Complétel avaient déjà été contraintes d'engager les frais de mainlevées des saisies en exécution de la décision frappée d'appel et avaient donc la possibilité d'en demander la mise à la charge de la procédure collective ouverte contre les sociétés Kosc, cette demande n'étant pas la conséquence nécessaire de la demande d'annulation de la décision.
En conséquence, comme le soutient le liquidateur judiciaire ces demandes sont désormais irrecevables.
Le bien-fondé d'une partie des demandes des sociétés SFR et Complétel suffit à écarter les demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive.
PAR CES MOTIFS
Reçoit l'appel des sociétés SFR et Complétel,
Reçoit l'assignation en intervention forcée du liquidateur judiciaire des sociétés Kosc et Kosc infrastructure,
Déboute les sociétés SFR et Complétel de leur demande d'annulation de la décision,
Infirme en toutes ses dispositions la décision du 30 octobre 2019,
Et, statuant à nouveau,
Dit le seul le juge de l'exécution ayant autorisé les saisies conservatoires le 26 septembre 2019 était compétent pour connaître des demandes de mainlevée de ces mesures,
Vu l'article 88 du code de procédure civile,
Constate que les demandes de mainlevée des saisies conservatoires n'ont plus d'objet,
Constate que la demande de délais n'a plus d'objet,
Déclare irrecevable la demande d'inscription au passif des frais de mainlevée,
Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Met les dépens de la première instance et de l'appel à la charge de la procédure collective des sociétés Kosc et Kosc infrastructures.