CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 11 février 2021, n° 18/27078
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Compagnie de Tourisme Camarguaise (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lebée
Conseillers :
M. Malfre, M. Gouarin
Un litige concernant la fixation du loyer commercial dû à partir du 16 octobre 2012 oppose les parties devant le président du tribunal de grande instance de Tarascon. Dans le cadre de ce litige actuellement en cours, un rapport d'expertise judiciaire a été déposé.
Par ordonnance du 16 août 2017, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de paris a autorisé la société CTC à pratiquer entre ses propres mains une saisie conservatoire, en garantie du recouvrement de sa créance envers la sci GH Concorde, évaluée provisoirement à la somme de 757 797 euros en principal, intérêts et frais, et, pour ce faire, à verser le montant des loyers et charges sur le compte Carpa de son conseil, institué séquestre en application des articles 1961 et suivants du code civil.
Par jugement du 14 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la sci GH Concorde et désigné Me P. comme liquidateur judiciaire.
Par acte d'huissier du 16 mars 2018, le mandataire liquidateur de la sci GH Concorde a fait assigner la société CTC devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris aux fins, notamment, de voir déclarer caduque la saisie conservatoire, ordonner sa mainlevée, condamner la société CTC à lui verser les sommes séquestrées depuis le 29 août 2017 et à reprendre le règlement des loyers et provisions sur charges.
Par jugement du 28 juin 2018 assorti de l'exécution provisoire, confirmé par arrêt de la cour d'Aix-en-Provence du 28 novembre 2019, le président du tribunal de grande instance de Tarascon a, notamment, fixé le montant du loyer commercial annuel, révisé au 16 octobre 2012, à la somme de 230 409 euros en principal.
Par jugement du 6 novembre 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société CTC, déclaré irrecevables les demandes personnellement formulées par la sci GH Concorde, ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire, déclaré irrecevables les autres demandes formées par le mandataire liquidateur de la sci GH Concorde et condamné la société CTC à payer à celui-ci, ès qualités, la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration du 29 novembre 2018, la société CTC a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions du 14 février 2019, la société CTC demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a rejeté les demandes formées par le mandataire liquidateur de la sci GH Concorde tendant à sa condamnation à lui payer les sommes séquestrées et à reprendre le paiement des loyers et provisions sur charges, statuant à nouveau, de dire et juger le juge de l'exécution incompétent pour connaître de la demande de mainlevée d'une saisie conservatoire fondée sur les articles L. 641-3 et L. 622-21 du code de commerce , de renvoyer les parties à se pourvoir devant le tribunal de grande instance de Paris, à titre subsidiaire, de débouter le mandataire liquidateur de la sci GH Concorde de toutes ses demandes et de le condamner ès qualités à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil.
Par dernières conclusions du 16 janvier 2019, le mandataire liquidateur de la sci GH Concorde demande à la cour de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, de débouter la société CTC de toutes ses demandes et de condamner l'appelante à lui verser, ès qualités, la somme de 11 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil.
Par ordonnance du 28 février 2019, le délégataire du premier président a rejeté la demande de sursis à exécution formée par la société CTC.
Pour plus ample exposé du litige, il est référé aux dernières écritures des parties.
L'instruction a été clôturée le 5 décembre 2019.
SUR CE
Sur la compétence du juge de l'exécution
Il résulte de l'article R. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution que la demande de mainlevée d'une mesure conservatoire est portée devant le juge qui a autorisé la mesure, que, toutefois, lorsque la mesure est fondée sur une créance relevant de la compétence d'une juridiction commerciale, la demande de mainlevée peut être portée, avant tout procès, devant le président du tribunal de commerce du lieu où demeure le débiteur.
Pour retenir la compétence du juge de l'exécution, le premier juge, dont l'intimée s'approprie les motifs, a estimé qu'il se déduisait des dispositions de l'article R. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution que le juge de l'exécution était seul compétent pour se prononcer sur la contestation de la mesure conservatoire qu'il avait ordonnée sur requête.
Cependant, comme le soutient à bon droit la société CTC, il résulte des dispositions d'ordre public des articles R. 662-2 et 662-3 du code de commerce que le tribunal de la procédure collective, en l'espèce le tribunal de grande instance de Paris, est compétent pour connaître de la demande du liquidateur en mainlevée des saisies conservatoires fondée sur la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, propre à cette procédure collective et faite en vue de réaliser les actifs de la société en liquidation.
L'appelante comme l'intimée admettent qu'en vertu de l'article 90 du code de procédure civile, lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si elle est la juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, ce qui est le cas en l'espèce.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence, la cour statuant à nouveau de ce chef, de déclarer le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris et, conformément à l'article 90 du code de procédure civile, de statuer au fond.
Sur la mesure conservatoire
Aux termes de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.
En vertu de l'article L. 512-1 du même code, même lorsqu'une autorisation préalable n'est pas requise, le juge peut donner mainlevée de la mesure conservatoire s'il apparaît que les conditions prescrites à l'article L. 511-1 ne sont pas réunies. À la demande du débiteur, le juge peut substituer à la mesure conservatoire initialement prise toute autre mesure propre à sauvegarder les intérêts des parties.
La société CTC soutient que l'autorisation de consigner les sommes dues au titre des loyers et provisions sur charges entre les mains d'un séquestre est une mesure autonome et non une mesure de substitution à la saisie conservatoire, de sorte qu'elle échappe à l'interdiction prévue par les articles L. 641-3 et L. 622-21 du code de commerce . L'appelante fait valoir que les sommes versées par elle entre les mains du séquestre n'appartiennent pas à la sci GH Concorde.
Toutefois, c'est à juste titre que le premier juge, dont l'intimée s'approprie les motifs, a retenu qu'il résulte de l'article L. 622-21 du code de commerce tel qu'interprété par la jurisprudence que le jugement d'ouverture de la procédure collective interdit toute conversion ultérieure en saisie-attribution de la saisie conservatoire, que cette mainlevée présentait nécessairement un caractère rétroactif en raison de l'impossibilité juridique de toute conversion et que le séquestre prévu par l'ordonnance du 16 août 2017 ne constituait qu'une simple modalité de la mesure conservatoire et ne revêtait aucune autonomie par rapport à celle-ci, de sorte qu'il ne saurait subsister indépendamment de la saisie.
En effet, la cour relève que cette interprétation est notamment justifiée par l'emploi dans l'ordonnance autorisant la saisie conservatoire de l'expression «'pour ce faire'» précédant l'autorisation de consignation du montant des loyers et provisions sur charges entre les mains d'un séquestre, observant au surplus que, comme l'indique l'intimée, faute d'avoir été convertie en saisie-attribution avant l'ouverture de la procédure collective, la saisie conservatoire pratiquée entre ses propres mains par l'appelante est caduque, cette caducité privant rétroactivement cette saisie de tout effet.
Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.
Succombant, la société CTC sera condamnée aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés selon les modalités prévues à l'article 699 du code de procédure civile.
L'équité justifie de condamner la société CTC à payer à M° P., ès qualités de mandataire liquidateur de la sci GH Concorde, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence ;
Statuant à nouveau de ce chef,
Déclare le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris ;
Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;
Condamne la société Compagnie de Tourisme Camarguaise aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés selon les modalités prévues à l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société Compagnie de Tourisme Camarguaise à payer à M° P., ès qualités de au mandataire liquidateur de la sci GH Concorde, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.