CA Colmar, 1re ch. civ. A, 12 avril 2023, n° 21/04717
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sofrad (SAS)
Défendeur :
L'Immobilière Alsacienne (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Panetta
Conseillers :
M. Roublot, M. Laethier
Avocats :
Me Crovisier, Me Harnist
Vu l'assignation délivrée le 5 mai 2020, par laquelle la SARL l'Immobilière Alsacienne a fait citer la SAS SOFRAD devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg en paiement d'honoraires,
Vu l'ordonnance rendue le 19 octobre 2021, à laquelle il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par laquelle le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Strasbourg, chambre commerciale, a rejeté la fin de non-recevoir pour défaut de qualité à agir soulevée par la société SOFRAD,
Vu la déclaration d'appel formée par la SAS SOFRAD contre cette ordonnance, et déposée le 16 novembre 2021,
Vu la constitution d'intimée de la SARL l'Immobilière Alsacienne en date du 26 novembre 2021,
Vu les dernières conclusions en date du 12 mai 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l' objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SAS SOFRAD demande à la cour de :
'DECLARER l'appel recevable et bien fondé,
En conséquence,
INFIRMER l'ordonnance RG 20/00611 rendue le 19 octobre 2021 par le Juge de la mise en état des causes du Tribunal judiciaire de STRASBOURG ;
statuant à nouveau,
DECLARER en conséquence la société IMMOBILIERE ALSACIENNE irrecevable en ses demandes à l'égard de la société SOFRAD ;
CONDAMNER la société IMMOBILIERE ALSACIENNE au paiement d'un montant de 2 500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile'
et ce, en invoquant, notamment, l'absence de qualité à agir de la concluante, à défaut de 'légitimation passive', la société l'Immobilière Alsacienne ayant conclu le mandat de vente en semi-exclusivité du fonds de commerce avec M. [J] [B], qui aurait été dépourvu du pouvoir de représenter la société SOFRAD, ajoutant que si le directeur général d'une société disposait, en principe, de tous pouvoirs pour la représenter, encore fallait-il qu'il soit régulièrement désigné et sa nomination publiée, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce, faute de mention au registre du commerce et des sociétés (RCS) de M. [B] comme ayant le pouvoir d'engager à titre habituel la société, peu important les indications du contrat de travail de l'intéressé qui ne seraient pas opposables aux tiers, pas davantage que ne suffirait le fait que les statuts de la société prévoient la nomination d'un directeur général, si cette nomination n'est pas mentionnée au RCS et donc au kbis de la société, la publicité de la nomination résultant de l'article 9 de la directive 2009/101 du Parlement et du Conseil du 16 septembre 2009 à la lumière de laquelle l'article L. 227-6 du code de commerce devrait être lu.
Vu les dernières conclusions en date du 5 avril 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l’objetd'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SARL l'Immobilière Alsacienne demande à la cour :
'DECLARER l'appel de la SAS SOFRAD mal fondé, L'EN DEBOUTER
CONSTATER, subsidiairement DIRE ET ARRETER que le mandat a été signé par Monsieur [J] [B], directeur général de SOFRAD, ayant pouvoir de représenter la Société à l'égard des tiers ;
CONFIRMER en conséquence l'Ordonnance RG 20/00611 rendue le 19 octobre 2021 par le Juge de la mise en état ;
CONDAMNER la Société SOFRAD à payer toute amende civile qui plaira à la Cour au titre de l'article 32-1 du Code de procédure civile, et à régler à l'intimée une somme de 3.000 € de dommages intérêts à ce titre ;
CONDAMNER la Société SOFRAD aux entiers frais et dépens de l'instance ainsi qu'au paiement d'une somme de 3.000,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile'
et ce, en invoquant, notamment les dispositions des statuts de la société SOFRAD conférant à son directeur général le pouvoir de l'engager à l'égard des tiers, et du contrat de travail de son directeur général en la personne de M. [J] [B], la concluante reprochant à la partie adverse une contestation qu'elle qualifie d'opportuniste, survenue seulement à l'occasion de la demande de paiement des honoraires de la concluante, et non pour les autres actes passés par le directeur général, notamment sur les termes de la cession du fonds de commerce qu'il a négociés, et qui n'aurait jamais été contestée par les organes dirigeants de la société SOFRAD, la concluante n'ayant aucune raison de remettre en question la réalité du mandat social de M. [J] [B], lequel aurait reçu une délégation de pouvoir tacite pour contracter, peu important l'absence de publication de sa nomination au RCS.
Vu les débats à l'audience du 26 septembre 2022,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS :
Sur la recevabilité des demandes de la société l'Immobilière Alsacienne :
Aux termes de l'article L. 227-6 du code de commerce la société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l' objet social .
Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l’objet social , à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve.
Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article.
Les dispositions statutaires limitant les pouvoirs du président sont inopposables aux tiers.
En l'espèce, la société SOFRAD entend contester la recevabilité de la demande adverse en paiement d'honoraires en invoquant le défaut de qualité 'à agir', en réalité à défendre de sa part, faute pour la partie demanderesse et intimée d'avoir conclu un contrat avec un organe ayant compétence pour engager la société SOFRAD.
Pour autant, il ressort des statuts de la société SOFRAD que 'le Directeur Général dispose des mêmes pouvoirs que le Président, sous réserve des limitations éventuellement fixées par la décision de nomination ou par une décision ultérieure. Le Directeur Général dispose du pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers' et le contrat de travail de M. [J] [B], désignant celui-ci aux fonctions de directeur général de la société SOFRAD ne comporte aucune restriction quant à ses attributions, qu'aucun avenant ou décision ultérieur ne serait venu modifier.
Si la société SOFRAD entend invoquer le défaut de mention au RCS de M. [B] comme ayant le pouvoir d'engager à titre habituel la société, en se prévalant des dispositions de l'article 9 de la directive 2009/101/CE du 16 septembre 2009, aux termes duquel l'accomplissement des formalités de publicité relatives aux personnes qui, en qualité d'organe, ont le pouvoir d'engager la société rend toute irrégularité dans leur nomination inopposable aux tiers, à moins que la société ne prouve que ces tiers en avaient connaissance, il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce aucune irrégularité dans la nomination de M. [B] n'est en cause, la société SOFRAD reconnaissant elle-même qu'il 'est exact qu'au sens de l'alinéa 3 de ce texte [l'article L. 227-6 précité], le Directeur général de la société dispose de tous pouvoirs pour représenter la société'. Or, l'article 10 de la directive précité prévoit, notamment, que 'la société est engagée vis-à-vis des tiers par les actes accomplis par ses organes', le premier juge ayant justement rappelé, à ce titre, 'qu'il résulte des dispositions de l'article L. 227-6 du code de commerce, lesquelles doivent être mises en œuvre à la lumière de celles de l'article 10 de la directive 2009/101 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009, que les tiers peuvent se prévaloir à l'égard d'une société par actions simplifiée des engagements pris pour le compte de cette dernière par une personne portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué de la société' (Com., 9 juillet 2013, pourvoi n° 12-22.627, Bull. 2013, IV, n° 125), et ce sans incidence des dispositions, également invoquées par la partie appelante, de l'article R. 123-54 du code de commerce, en sa version applicable à la cause, et dont l'application ne saurait, le cas échéant, être préjudiciable qu'aux tiers et non à la société SOFRAD elle-même qui connaît les pouvoirs, tels que prévus par ses propres statuts, de son directeur général, en l'espèce M. [B] ainsi désigné dans son contrat de travail. Il importe peu également que la qualité de M. [B] ne figure pas dans le mandat litigieux dès lors qu'il disposait de la capacité d'engager la société SOFRAD.
En conséquence, la cour confirmera la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir de la société SOFRAD, tenant à son défaut de qualité pour agir.
Sur l'amende civile et la demande de dommages-intérêts de la société l'Immobilière Alsacienne :
Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Par ailleurs, l'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Cela étant, ni les pouvoirs du juge de la mise en état résultant des articles 763 à 787 du code de procédure civile, ni ceux de la cour statuant en appel et dans la limite de la saisine du premier juge, ne comprennent celui de prononcer une amende civile en application de l'article 32-1 du code de procédure civile ou d'allouer à une partie des dommages et intérêts réparant le préjudice causé par une action en justice jugée abusive, ce qui relève de l'appréciation de la juridiction du fond.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La SAS SOFRAD, succombant pour l'essentiel, sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation de l'ordonnance déférée sur cette question, en ce qu'il a été jugé que les dépens de la procédure d'incident suivraient le sort des dépens de la procédure principale.
L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de l'une ou l'autre des parties, tout en confirmant les dispositions de la décision dont appel en ce qu'il a été jugé que les frais irrépétibles de la procédure d'incident suivraient le sort des dépens de la procédure principale.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 19 octobre 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Strasbourg à compétence commerciale,
Y ajoutant,
Rappelle qu'elle ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur une demande tendant à la condamnation au paiement d'une amende civile ou en dommages-intérêts,
Condamne la SAS SOFRAD aux dépens de l'appel,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice tant de la SAS SOFRAD que de la SARL l'IMMOBILIÈRE ALSACIENNE.