CA Rennes, ch. de la securite soc., 22 mars 2023, n° 20/03931
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Urssaf Bretagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Serrin
Conseillers :
Mme Pujes, Mme Prual
Avocats :
Me Lhermitte, Me Petit
EXPOSÉ DU LITIGE :
A la suite d'un contrôle de l'application des législations de sécurité sociale, d'assurance chômage et de garantie des salaires 'AGS', opéré par l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Bretagne (l'URSSAF) sur la période 2014, il a été notifié à la société [4] (la société) une lettre d'observations du 7 décembre 2015 portant sur deux chefs de redressement.
Par lettre du 17 décembre 2015, la société a formulé des observations sur le chef de redressement n°2 'assujettissement et affiliation au régime général : présidents et dirigeants de SAS '.
En réponse, par lettre du 11 janvier 2016, l'inspecteur a maintenu ce chef de redressement.
L'URSSAF a notifié une mise en demeure du 7 mars 2016 tendant au paiement des cotisations notifiées dans la lettre d'observations et des majorations de retard y afférentes, pour un montant de 8 247 euros.
A titre conservatoire, la société a procédé au règlement de cette somme.
Par lettre datée du 25 mars 2016, contestant l'assujettissement au régime général de M. [P] [F], président du conseil de surveillance, la société a saisi la commission de recours amiable de l'organisme.
Se prévalant d'une décision implicite de rejet de ladite commission, la société a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Ille-et-Vilaine le 8 juillet 2016.
Par décision du 24 novembre 2016, la commission a maintenu le redressement contesté.
Par jugement du 16 juillet 2020, le tribunal, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes, a :
- annulé la décision de la commission de recours amiable du 24 novembre 2016 ;
- annulé la mise en demeure du 7 mars 2016 notifiée par l'URSSAF ;
- annulé le chef de redressement relatif à la réintégration dans l'assiette des cotisations sociales des rémunérations versées à M. [F] ;
- rejeté les demandes de l'URSSAF ;
- condamné l'URSSAF au paiement des sommes indûment payées par la société au titre du contrôle, soit la somme globale de 8 247 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2016 ;
- condamné l'URSSAF au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné l'URSSAF aux dépens.
Par déclaration adressée le 6 août 2020, l'URSSAF a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 31 juillet 2020.
Par ses écritures parvenues au greffe le 3 mai 2021 auxquelles s'est référé son représentant à l'audience, l'URSSAF demande à la cour :
- d'infirmer en toute ses dispositions le jugement entrepris ;
- de constater que l'article L. 311-3 23° ne prévoit aucune distinction entre les différents présidents au sein d'une SAS ;
- de dire et juger que la société avait l'obligation de soumettre à cotisations les sommes versées à son président du conseil de surveillance ;
- de confirmer le redressement opéré ;
- de constater que la société a procédé au règlement des sommes contestées ;
- de condamner la société au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de rejeter en conséquence les demandes et prétentions de la société.
Par ses écritures parvenues au greffe par le RPVA le 12 juillet 2021 auxquelles s'est référé son conseil à l'audience, la société demande à la cour, au visa des articles L. 311-2 et L. 311-3 du code de la sécurité sociale et 1231-6 et 1907 du code civil :
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
En conséquence :
- de juger que M. [F], président du conseil de surveillance de la société, n'est pas un dirigeant au sens de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale ;
- de prononcer l'annulation du chef de redressement relatif à la réintégration dans l'assiette des cotisations sociales des rémunérations versées à M. [F] ;
- d'annuler la mise en demeure du 7 mars 2016 notifiée par l'URSSAF ;
- d'annuler la décision de la commission de recours amiable de l'URSSAF du 24 novembre 2016 ;
- de condamner l'URSSAF à rembourser à la société les cotisations et majorations de retard indûment payées d'un montant global de 8 247 euros ; - de dire que la somme de 8 247 euros indûment payée à l'URSSAF porte intérêt au taux légal à compter du 22 mars 2016 jusqu'au jour de remboursement effectif et de condamner l'URSSAF à verser à la société la somme afférente ;
- de condamner l'URSSAF à verser à la société la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, en toutes ses dispositions (sic) ;
- de condamner l'URSSAF aux dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La société [4] est une société holding par action simplifiée avec un conseil de surveillance présidé par M. [P] [F].
Les statuts de la société, en leur article 16, prévoient que le président et les directeurs généraux sont contrôlés par un conseil de surveillance qui exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le président. A ce titre, pour l'essentiel, 'il opère les vérifications et les contrôles qu'il juge opportuns et peut se faire communiquer les documents qu'il estime utiles à l'accomplissement de sa mission'.
Les statuts précisent que le conseil de surveillance élit en son sein un président qui est chargé de convoquer le conseil et d'en diriger les débats. Il est nommé pour la durée de son mandat au conseil de surveillance. Il certifie les copies ou extraits des procès-verbaux des délibérations du conseil de surveillance.
Dans la lettre d'observations du 7 décembre 2015, après avoir visé les articles L. 311-2, L. 311-3, L. 242-1 et L. 136-2 du code de la sécurité sociale et l'article 14 de l'ordonnance 96-50 du 24 janvier 1996, les inspecteurs ont relevé que :
'M. [F] [P], président du conseil de surveillance, perçoit une rémunération de 2000 euros par mois.
La société par actions simplifiée ( SAS ) est une forme de société commerciale définie par les articles L. 2271 à L. 2272 et L. 2441 à L. 2444 du code de commerce. Dans la SAS , le pouvoir est exercé par une unique personne (le président qui peut être une personne physique ou morale).
Les conditions dans lesquelles la SAS est dirigée sont fixées par les statuts. Il peut être prévu des organes de décisions collectives (équivalent des conseils d'administration), de contrôle (l'équivalent des conseils de surveillance) ou de tous autres types.
En complétant l'article L. 3113 du code de la sécurité sociale, la loi n°2001-1246 du 21 décembre 2001 de financement de la sécurité sociale pour 2002 prévoit que relèvent du régime général par détermination de la loi, les présidents et dirigeants des SAS , à condition : d'être des personnes physiques ; de percevoir une rémunération versée par la SAS .
En l'espèce, le président du conseil de surveillance est une personne bénéficiant d'une rémunération mensuelle de 2000 euros et fait partie des dirigeants de la SAS .
Les conditions d'assujettissement de M. [P] [F] au régime général par détermination de la loi sont donc remplies, les rémunérations qu'il perçoit, doivent être soumises aux cotisations et contributions sociales de droit commun.
Un montant brut a été reconstitué'.
L'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale dispose :
'Sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat'.
L'article L. 311-3 du même code poursuit :
'Sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s'impose l'obligation prévue à l'article L. 311-2, même s'ils ne sont pas occupés dans l'établissement de l'employeur ou du chef d'entreprise, même s'ils possèdent tout ou partie de l'outillage nécessaire à leur travail et même s'ils sont rétribués en totalité ou en partie à l'aide de pourboires :
[...]
11°) Les gérants de sociétés à responsabilité limitée et de sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée à condition que lesdits gérants ne possèdent pas ensemble plus de la moitié du capital social , étant entendu que les parts appartenant, en toute propriété ou en usufruit, au conjoint, au partenaire lié par un pacte civil de solidarité et aux enfants mineurs non émancipés d'un gérant sont considérées comme possédées par ce dernier;
12°) Les présidents du conseil d'administration, les directeurs généraux et les directeurs généraux délégués des sociétés anonymes et des sociétés d'exercice libéral à forme anonyme ;
13°) les membres des sociétés coopératives de production ainsi que les gérants, les directeurs généraux, les présidents du conseil d'administration et les membres du directoire des mêmes coopératives lorsqu'ils perçoivent une rémunération au titre de leurs fonctions et qu'ils n'occupent pas d'emploi salarié dans la même société ;
[...]
23°) Les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées et des sociétés d'exercice libéral par actions simplifiées ;[...]'.
L'URSSAF fait valoir qu'en application du principe de l'interprétation stricte des cas d'exonération de cotisations sociales, les 'présidents', quels qu'ils soient au sein des sociétés par actions simplifiées, doivent être affiliés au régime général de la sécurité sociale ; que le texte ne distingue pas entre le président de la société et le président du conseil de surveillance ; que si le président du conseil de surveillance d'une société anonyme n'est pas énuméré à l'article L. 311-3 12°) et n'a pas lieu d'être affilié, il en va différemment dans les SAS dans la mesure où le législateur a laissé le soin aux statuts de définir les règles de gouvernance de la société et qu'il est possible d'instituer toutes sortes d'organes dirigeants, avec une liberté totale quant à sa dénomination et à ses attributions ; que les termes de 'président' et de 'dirigeants' renvoient à des fonctions distinctes qui rendent respectivement obligatoire l'affiliation au régime général de la sécurité sociale ; que ces critères ne sont pas cumulatifs.
La société expose au contraire que M. [P] [F], en sa qualité de président du conseil de surveillance, n'exerce aucune fonction de direction ou de gestion au sein de la société et n'a pas la qualité de dirigeant de la SAS ; que sa rémunération ne doit pas être soumise à cotisations et contributions sociales ; que c'est en vertu du principe d'interprétation stricte que l'application de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale ne peut être étendue au président du conseil de surveillance d'une SAS puisque cet article ne le vise pas expressément ; que le caractère mensuel de la rémunération versée est indifférent.
Sur ce :
L' objet du présent litige est relatif à une question d'affiliation de sorte qu'est inopérante l'argumentation de l'URSSAF fondée sur le principe d'interprétation stricte des cas d'exonération de cotisations sociales.
Si l'article L. 227-5 du code de commerce énonce que les statuts de la SAS fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée et laisse ainsi toute latitude aux associés pour organiser le mode de gouvernance, l'URSSAF ne soutient pas, aux termes de ses écritures, que la fonction de président du conseil de surveillance telle que définie par les statuts de la SAS [4] correspond à une fonction de direction.
Il s'agit en l'espèce de déterminer si le terme 'président' de l'article L. 311-3 23°) du code de la sécurité sociale renvoie uniquement à la fonction de président de la SAS définie par l'article L. 227-6 du code de commerce ou s'il renvoie plus généralement à toutes les fonctions de président au sein des SAS , quelles qu'elles soient, assorties ou non de pouvoirs de direction.
Une SAS doit comprendre un président, fonction qui est spécifiquement détaillée par l'article L. 227-6 du code de commerce, lequel dispose :
'La société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l' objet social .
Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l' objet social , à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve.
Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article.
Les dispositions statutaires limitant les pouvoirs du président sont inopposables aux tiers'.
La lecture des autres alinéas de l'article L. 311-3 sus-rappelé démontre que dans le cas d'autres formes de société, le législateur a pris soin d'énumérer fonction par fonction l'obligation d'affiliation au régime général de la sécurité sociale : le président du conseil d'administration, les membres du directoire, les directeurs généraux et directeurs généraux délégués, les gérants...
Par comparaison, le président du conseil de surveillance dans les sociétés anonymes n'est pas visé par cette affiliation (12°), ce que ne conteste pas l'URSSAF.
Plus généralement, il peut être retenu que seules les personnes en charge de la direction effective des sociétés le sont.
Ainsi, eu égard à l'ensemble de ces éléments et dans la mesure où le président de la SAS est une fonction identifiée et définie légalement, que l'emploi du pluriel (' les présidents et dirigeants') est justifié par l'adjonction du terme 'dirigeants' et par la suite de la phrase, l'URSSAF ne peut être suivie dans son argumentation. C'est à tort qu'elle fonde son redressement sur une lecture extensive des termes de l'article concerné.
Il s'ensuit que le terme 'président' de l'article L. 311-3 23°) du code de la sécurité sociale se rapporte au 'président de la SAS ', excluant de ce fait l'affiliation au régime général de la sécurité sociale du président du conseil de surveillance de la SAS en cette seule qualité.
Au surplus, la cour constate que l'assiette du redressement a été reconstituée en brut par l'URSSAF, pratique censurée par la Cour de cassation (2e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 20-14.262).
Le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de la société ses frais irrépétibles.
L'URSSAF sera en conséquence condamnée à lui verser à ce titre la somme de 3 500 euros.
Les dépens de la présente procédure seront laissés à la charge de l'URSSAF qui succombe à l'instance.
PAR CES MOTIFS :
La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Condamne l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Bretagne à verser à la société [4] une indemnité de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Bretagne aux dépens.